Pour un audit RSE : enfin sérieux! [Camille Gaudy]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Camille Gaudy, professeure assistante à Toulouse Business School, pour parler des audits RSE. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Transcript
00:00 Bonjour Camille Gaudy. Bonjour Jean-Philippe Denis. Camille Gaudy, vous êtes professeure
00:16 assistante à Toulouse Business School, autrice dans la revue française de gestion, Christophe
00:22 Godofsky de Limoges et Jonathan Morris, Toulouse School of Management, d'un article consacré à
00:27 l'audit RSE. L'audit RSE, la croisée des chemins, ce que nous enseigne le vécu quotidien des auditeurs.
00:32 C'est extrêmement intéressant et j'ai envie de vous dire, on va parler audit RSE enfin sérieux
00:37 parce que ceux qui le pratiquent jugent qu'il n'est pas sérieux. Et ça, c'est là que votre article est
00:43 très intéressant. Alors on débute tout de suite, il y a un paradoxe que vous soulevez, qui est à
00:48 l'origine de cet article. Tout à fait. Alors c'est vrai que d'un côté on a l'RSE qui prend de plus
00:53 en plus de place dans le monde des affaires. On a des entreprises de plus en plus nombreuses,
00:58 notamment les moyennes et grandes entreprises, qui publient des rapports sociaux environnementaux,
01:01 rapports qui sont donc certifiés par des cabinets d'audit. Et d'un autre côté, on a aussi une
01:07 explosion de discours alarmistes sur l'impact social et environnemental des activités économiques.
01:11 Donc une situation qui a priori se détériore, en tout cas ne s'améliore pas. Et donc c'est cette
01:16 tension qui en fait interroge sur l'efficacité de ces mesures et donc potentiellement sur l'utilité
01:22 ou l'inutilité sociétale de l'audit RSE. C'est là que votre article est très intéressant,
01:26 c'est que vous sortez des grands discours, vous nous dites en fait il y a trois types de RSE déjà,
01:31 qui permettent de raisonner, et on va aller interroger ceux qui pratiquent cette audite
01:35 pour savoir comment ils vivent leur propre pratique de l'audit. Alors d'abord les trois
01:39 types de RSE. Oui, alors c'est vrai qu'on s'appuie sur la typologie des conceptions de l'RSE qui est
01:45 proposée par Capran en 2009, donc qui identifie trois types de RSE. Une première conception qui
01:51 est la conception éthique, qui elle est plutôt de culture anglo-saxonne et qui considère que c'est
01:58 le chef d'entreprise performant financièrement qui peut choisir ou non de contribuer au bien
02:03 commun par des actions type philanthropie, mécénat, donc c'est Bill Gates qui distribue la moitié de
02:08 sa fortune à des associations. C'est très Friedman. Voilà, donc la deuxième conception c'est une
02:14 conception dite stratégique utilitariste, donc qui est une conception largement répandue notamment
02:19 en Europe et donc là c'est le principe du gagnant-gagnant. On va faire de l'RSE uniquement
02:23 si ça permet d'augmenter la performance économique ou en tout cas de ne pas la détériorer. Et enfin
02:29 une dernière conception qui est une conception politique de la soutenabilité où là on considère
02:34 que l'entreprise doit être intégrée pleinement dans la société et qu'elle doit mettre en... si
02:38 elle doit prendre en... si elle doit mettre en oeuvre des mesures sociales et environnementales
02:43 pour le bien commun, elle doit le faire même si ça implique de détériorer au moins à court terme
02:47 sa performance économique. J'ai envie de dire une perspective... on a l'anglo-saxon, l'européen et
02:53 la perspective francophone parce que vous citez notamment Franck Agéry et Aurélien Aquet dans
02:57 la revue française de gestion autour de cette vision politique et transformatrice, avec une
03:02 volonté de transformation. Quand vous allez voir les acteurs sur le terrain, première surprise,
03:06 vous ne voyez pas les requins de la finance qu'on imagine dans l'audit, vous voyez des gens qui
03:10 sont vraiment préoccupés par la vision politique. Oui c'est vrai, donc ça c'est vrai que c'est une...
03:14 en tout cas c'est un premier étonnement quand on lit la presse ou la littérature académique,
03:19 c'est vrai que les auditeurs avec qui j'ai travaillé, qui travaillent dans des non big
03:22 for, donc auprès de PME, PMI, ont plutôt une conception politique de la soutenabilité,
03:28 mais dans le quotidien, face à des acteurs économiques parfois récalcitrants, sont
03:33 contraints en fait d'adopter un discours instrumentaliste de la RSE alors que c'était
03:37 pas leur conception à l'origine. J'ai beaucoup aimé cette idée et ça c'est une tension que
03:42 vous pointez, c'est que finalement ils ne veulent pas braquer leur audience, donc ils composent avec
03:47 les différents registres de RSE possibles qu'on vient de présenter pour justement essayer de
03:53 bâtir des compromis et des consensus. Exactement, parce que la crainte en fait c'est de braquer
03:57 complètement une audience récalcitrante et donc de risquer d'avoir pas d'action du tout, et donc
04:03 ils préféraient finalement accompagner ces acteurs là dans leur petit pas plutôt que de rien faire
04:07 du tout. Mais après il y a certains auditeurs qui considéraient aussi que l'heure n'était plus au
04:12 petit pas et qu'il fallait se mettre à courir maintenant. Voilà, l'heure n'est plus au petit
04:16 pas mais l'heure est à courir, sous-entendu le changement c'est maintenant pour reprendre un
04:20 slogan célèbre. Sauf que ça va pas sans mal et que donc certains envisagent, voire même quittent
04:27 l'audit parce qu'ils sont trop déçus et pensent que finalement changer les choses de l'intérieur
04:32 ne fonctionne pas. C'est vrai, alors du coup nous dans le papier on formule un certain nombre de
04:36 recommandations pour éviter ces travers là, donc notamment l'impératif de transformer en fait
04:44 l'audit et de redéfinir son périmètre et un peu plus l'orienter vers le conseil. Alors c'est vrai
04:50 que c'est délicat d'officialiser cette transition puisqu'on peut pas être à la fois juge et partie,
04:55 mais notamment auprès des PME qui savent pas vraiment quoi faire ou aller, il y a un tel
05:00 besoin d'accompagnement que ça prend le pas sur finalement le contrôle de rapport qui n'aurait
05:05 pas d'utilité pour ces acteurs là. Donc ça c'est une première recommandation importante qui
05:09 permettrait on l'espère de diminuer cette souffrance. Bien sûr, c'est vrai que c'est un des points,
05:17 la vision politique pour vous elle est au niveau étatique, elle est au niveau réglementaire et
05:22 vous dites finalement les entreprises et dans les deux autres visions on va dire, ont plutôt tendance
05:27 à promouvoir une endogénéisation de leur politique RSE et laissez nous faire, on va s'en débrouiller.
05:33 Et en fait ce que vous dites et ce que pensent les auditeurs, c'est ça c'est plus possible.
05:37 Exactement, donc c'est vrai que nous reconnaissons quand même l'intérêt d'une approche un peu de
05:44 moindre mal comme je le disais, mais c'est vrai qu'à long terme et compte tenu du fait que la
05:48 situation sociale et environnementale ne s'améliore pas, ce serait peut-être utile d'envisager une
05:54 adoption collective et rapide d'une conception politique de la soutenabilité. L'idée c'est pas
06:01 de dire que les entreprises ne doivent pas faire de profit, puisqu'en effet il faut qu'elles
06:07 continuent d'exister, mais l'idée c'est de dire que si elles n'adoptent pas une telle conception et
06:11 si elles n'acceptent pas de réduire au moins à court moyen terme leur performance économique,
06:16 elles risquent de ne plus en faire du tout sur le long terme. Avec une proposition donc très forte,
06:21 vous dites l'audit RSE c'est pas l'audit financier, audit financier c'est la vision anglo-saxonne,
06:26 là il faut que l'audit et le conseil soit indépendant, même la muraille de Chine,
06:30 puisqu'il faut que les informations soient vérifiées, qu'il n'y ait pas de problème de
06:34 conflit d'intérêts. L'audit RSE, il faut faire tomber la muraille de Chine, il faut que ça
06:39 devienne dépendant. Exactement, c'est des enjeux différents, c'est des métiers différents et donc
06:43 c'est vrai que nous aussi en tant qu'école de gestion on a tout intérêt à former les futurs
06:47 auditeurs RSE à ce métier-là et pas considérer qu'en fait une formation d'audit financier suffit.
06:52 C'est vraiment des enjeux différents et j'insiste là-dessus en particulier auprès des PME et PMI
06:57 qui ne savent pas vraiment où aller, qui ont besoin de cet accompagnement. L'audit RSE à la
07:02 croisée des chemins, j'ai envie de dire le chemin américain, enfin anglo-saxon, le chemin européen
07:07 ou le chemin francophone qui peut diverger un peu du chemin européen, c'est-à-dire dans les RFG,
07:14 ce que nous enseigne le vécu quotidien des auditeurs, c'est qu'ils veulent du francophone.
07:17 Je résume. Merci à vous Camille. Merci beaucoup.
07:20 Merci.
07:22 [Musique]

Recommandée