Comptabilité et double matérialité : tout sauf une illusion ! [Chrystelle Richard]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Chrystelle Richard, professeure à ESSEC Business School et Présidente de l'Association Francophone de Comptabilité (AFC), pour parler de la double matérialité. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Transcript
00:00 Bonjour Christelle Richard.
00:09 Bonjour Jean-Philippe Toni.
00:10 Christelle Richard, professeur de comptabilité à ESSEC Business School.
00:14 Vous êtes présidente de l'association francophone de comptabilité.
00:17 Christelle Richard, c'est un peu dans toutes les têtes,
00:21 ne prend pas souvent la parole Emmanuel Faber,
00:24 mais quand il l'apprend, ça fait beaucoup de bruit,
00:27 puisqu'il est aujourd'hui président de l'ISSB,
00:29 donc l'International Sustainability Standards Board,
00:32 il définit les normes comptables, pour faire simple,
00:35 et dans Le Monde il nous dit exiger que la matérialité s'étende
00:38 au-delà du domaine économique est en réalité simpliste.
00:41 On va peut-être rappeler quand même qu'en Europe il y a une directive,
00:44 la CSRD, alors je ne vais pas rentrer dans le débat,
00:47 mais pour faire simple c'est une directive sur la publication d'informations
00:50 en matière de durabilité pour les entreprises,
00:52 qui a notamment vocation à permettre une communication vis-à-vis des investisseurs
00:56 sur l'impact du Green Deal, etc. et du développement des entreprises,
01:01 sur la question de la durabilité.
01:02 C'est là que le débat avec Emmanuel Faber commence.
01:06 Voilà, alors éclairez-nous un peu.
01:08 Alors, c'est donc une tribune que j'ai écrite avec Bernard Loca,
01:12 qui est aussi professeur à l'ESSEC Business School,
01:15 et dans cette tribune on a voulu tout simplement entrer en débat avec Emmanuel Faber,
01:19 et dire déjà que l'approche européenne qui est défendue par la CSRD
01:24 repose donc sur deux matérialités,
01:26 la matérialité financière qui est de prendre en compte
01:29 l'impact du changement climatique sur le modèle d'affaires de l'entreprise,
01:32 mais aussi la matérialité d'impact,
01:35 qui non pas se substitue mais complète cette matérialité financière
01:39 et qui permet de prendre en compte l'impact de l'activité de l'entreprise
01:43 sur son environnement, sur son écosystème.
01:46 Et l'Union Européenne défend ce choix-là, cette double matérialité,
01:51 qui est un choix ambitieux, mais c'est un choix qui est tout à son honneur.
01:57 Le nom dit un peu derrière, c'est qu'il y a une petite question de lobby quand même aussi.
02:01 Il y a un débat US vs Europe.
02:03 Alors disons qu'il y a des lobbies, qu'ils soient américains ou européens,
02:07 il y a des lobbies qui…
02:07 Il y a toujours des lobbies quand il s'agit de normaliser.
02:09 Voilà, exactement, qui cherchent à conserver, je dirais plutôt le statu quo
02:13 que l'évolution ou la révolution.
02:16 Mais à l'heure actuelle, ce que nous pensons,
02:19 c'est que ce n'est pas tant les lobbies qui vont finalement remettre en cause
02:23 la mise en œuvre de la CSRD ou du pacte vert européen,
02:27 mais c'est la montée du climato-scepticisme
02:29 qui va pour nous être probablement la vedette des prochaines élections européennes.
02:35 Et dans ce contexte, notre vraie socialité,
02:37 et c'est pour cela aussi que nous avons pris la parole en tant qu'enseignant-chercheur,
02:40 eh bien c'est d'accompagner ce que nous pensons être
02:43 le déploiement des normes les plus complètes
02:45 pour que les entreprises et investisseurs puissent agir
02:48 de la meilleure des manières pour préserver notre planète.
02:51 Trois illusions que dénonce Emmanuel Faber.
02:54 Qu'est-ce que vous répondez à ces trois illusions ?
02:57 Alors, la première illusion qu'il dénonce,
02:59 c'est que la matérialité d'un pacte n'intéresserait pas les investisseurs.
03:03 C'est pour le moins discutable, parce que la décision d'investissement,
03:06 et vous le savez aussi bien que moi,
03:08 dépend de beaucoup d'informations qui permettent en fait
03:12 de projeter la trajectoire attendue d'une entreprise.
03:14 Et que pour projeter cette trajectoire attendue d'une entreprise,
03:17 eh bien il ne faut pas exclure a priori l'une des deux matérialités.
03:21 La normalisation de la double matérialité,
03:23 la matérialité financière et la matérialité d'impact,
03:26 permettrait ainsi à tout actionnaire de rendre fiable et comparable
03:30 une information qui est aujourd'hui complexe et finalement assez disparate.
03:34 Donc, ce qui est important, c'est que les actionnaires
03:37 puissent avoir accès à des indicateurs vérifiés,
03:40 des indicateurs solides, de prendre une décision éclairée.
03:44 Et donc, nous, nous pensons que la confiance dans les marchés financiers
03:47 ne peut qu'en être renforcée.
03:49 La deuxième illusion, c'est que finalement, on voudrait tout compter.
03:53 Et ce n'est pas possible de tout compter.
03:54 Oui, ce n'est pas possible de tout compter,
03:56 mais l'ACRD ne compte pas tout.
03:58 L'ACRD ne vise pas l'exhaustivité.
04:01 Il s'agit simplement de couvrir quelques grandes dimensions
04:03 qui ont été définies, identifiées comme étant par des travaux scientifiques,
04:09 comme étant cruciaux pour conserver une terre habitable.
04:12 Et donc, il ne s'agit pas de tout compter, mais de compter ce qui compte vraiment.
04:16 Donc, c'est vrai que les normes de l'ACRD, elles peuvent être techniques.
04:21 Parfois, c'est même assez redoutable que leur mise en application va être rapide.
04:24 Dès 2024, on les applique et que le travail à mener est conséquent.
04:28 Mais nous sommes convaincus que leur portée politique
04:30 et leur capacité transformatrice sont à la hauteur de ce qui s'impose à nous.
04:35 Troisième illusion, penser que la double matérialité coercitive en soi
04:39 et que les entreprises, finalement, ne changeraient que parce qu'elles devraient rendre des comptes.
04:43 C'est une illusion.
04:45 Les entreprises, elles vont devoir agir parce que les investisseurs vont le leur demander.
04:49 Les grandes banques européennes, qu'elles prêtent ou qu'elles investissent,
04:52 elles doivent calculer leur ratio d'actifs verts sur la base d'une taxonomie
04:55 qui permet d'identifier les activités bas carbone d'une entreprise.
04:59 Si le ratio est trop bas, si par exemple, elles investissent trop dans des industries polluantes,
05:04 eh bien, dans ce cas-là, ça va les exposer à terme à des risques liés aux changements climatiques.
05:09 Et c'est pourquoi, dès maintenant, elles sont en train de réorienter leurs investissements
05:13 vers des activités durables et elles seront, dans un proche avenir,
05:16 de plus en plus réticentes à investir dans des activités qui ne le sont pas.
05:22 Voilà, que le débat ne soit pas confisqué, qu'il soit sur la place publique.
05:24 Et donc, Tribune, avec Bernard Lecart, Christelle Richard, à retrouver dans Le Monde.
05:28 Merci beaucoup.
05:30 [Musique]

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