Andréa Bescond : "Réunir tout le spectre de l'humanité dans ce huis clos qu'est l'Ehpad"

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00:00 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au Club.
00:12 *Musique*
00:16 Bonjour à tous, un ciné-club ce lundi avec Andrea Bescon, un Molière, deux César,
00:22 après le seul en scène et le film "L'échatouille", le drame d'une enfance brisée,
00:26 des abus sexuels d'un adulte sur la jeune fille qu'elle était, l'écrivaine et réalisatrice
00:30 explore avec tendresse aujourd'hui les rapports entre générations dans son nouveau film
00:34 "Quand tu seras grand" en salle, mercredi. Danseuse, comédienne, réalisatrice et autrice,
00:40 Andrea Bescon a publié en janvier chez L.VinMichel un premier roman assez poignant
00:44 sur la violence dont on hérite, la peur aussi de la transmettre, de reproduire,
00:48 le secret, les silences. Ce roman s'appelle "Une simple histoire de famille"
00:52 et on verra qu'elles ne sont jamais simples. Andrea Bescon est aujourd'hui l'invité de Bienvenue au club.
00:58 *Musique*
01:04 Une émission programmée par Corinne Amart, par Anouk Delphineau, par Camille Berne,
01:08 préparée par Laura Dutèche-Pérez avec Sacha Matéhi, à la réalisation aujourd'hui
01:12 félici-faugère avec Alex Dang à la technique. Signée Andrea Bescon et Eric Métailler,
01:18 le film "Quand tu seras grand" sort en salle ce mercredi, je vous le disais, avec Vincent McKay,
01:22 ça je ne vous l'ai pas dit, en aide-soignants et Aïssa Maïga en animatrice scolaire.
01:27 Dans une maison de retraite, le calme des résidents est chamboulé, soudain par l'arrivée d'une classe d'enfants
01:32 avec lesquels ils vont devoir partager leur effectoir. La cohabitation s'annonce difficile
01:37 et va laisser place, étonnamment, à un joyeux mélange des générations.
01:42 - Oh Marguerite, ça va ? - Connard !
01:45 - Bon, vous avez la forme. Ah ben c'est là, t'étais pas de nuit ?
01:49 - Si si, mais sous-effectif ce matin. - C'est pas humain, on peut pas enchaîner les services comme ça.
01:53 - Ah non mais j'ai rien touché, moi... - Vous avez rien touché ?
01:55 - Non non. - Et ça, qu'est-ce que c'est que ça ?
01:57 - Ben oui, je suis gourmande et puis voilà.
02:00 La municipalité m'a demandé si c'est possible d'utiliser la cantine de l'EHPAD pour les enfants.
02:04 - Bonjour ! - On vous parle de tous nos problèmes et là vous en rajoutez dans le nouveau.
02:08 - Attends, c'est quoi ce mizia ? On va quand même pas bouffer là ?
02:11 - On est en sous-effectif, vous aussi ? - On vient d'arriver, je vous agresse pas moi.
02:15 - Vous êtes complètement dépassés. T'as signé ma pétition ?
02:20 - Ça vous dérange pas le bruit à midi ? - Non non.
02:23 - Ça pue les gosses. - Ah ! Mais ça, faut le dire !
02:26 - C'est votre pétition. - Merci.
02:28 - On a tous signé, hein, parce que nous non plus on a pas envie d'être là.
02:31 - Moi je les protège les enfants, hein. Y a des gens qui meurent pour de vrai ici.
02:38 - C'est mes parents, ils s'en foutent de moi. - Nous c'est nos enfants qui se foutent de nous.
02:42 - 6 résidents sur 10 n'ont jamais de visite. Ces enfants, c'est une chance de les avoir.
02:48 - Je peux jouer avec vous ? - Ouais !
02:52 - Je t'ai apporté un truc. - Trop classe !
02:57 - Il est à toi ? - Ah oui.
02:59 - Ils peuvent être encore plus heureux. Il suffit de le vouloir.
03:07 - Vous êtes battus pour le droit de vote, vous êtes battus pour la contraception, vous avez le droit au calme.
03:11 - Ça va la manipulation ? - Vous avez le droit au calme.
03:13 - Ça se passe comment au niveau de la manipulation ? - Je manipule personne !
03:15 - Ça pue les gosses. Bonjour Andréa Bescon.
03:21 Ça fait partie des répliques pépites de ce film.
03:24 Et au fond, on appelle ça une inversion des stéréotypes.
03:27 Parce qu'on a toujours l'habitude de dire "ça sent mauvais les vieux".
03:30 Et notamment, c'est des phrases entendues, dites dans les hôpitaux, dans les Ehpad.
03:34 C'est très malin d'avoir pensé des dialogues comme ça.
03:37 Vous avez voulu retourner certains préjugés.
03:40 - Oui, c'est ça. On a voulu retourner certains préjugés.
03:44 On a voulu aussi rapporter de la beauté à la vieillesse.
03:48 J'ai toujours trouvé que la vieillesse était très belle et très riche.
03:51 On est dans une société où la vieillesse est considérée comme un naufrage,
03:55 est traitée comme un naufrage.
03:57 Et donc, on a voulu rapporter de la beauté au fait de vieillir.
04:01 - Il y a de la beauté. Il y a aussi des comédiens qui sont pleins d'humour et pleins de vie.
04:06 Et ce, à tous les âges de la vie.
04:09 C'est-à-dire à la fois les aides-soignants, qui sont une communauté dans le film pressurisée,
04:13 mais totalement dévouée à leur boulot.
04:17 Il y a les résidents, et non pas les vieux, comme on doit les appeler,
04:20 on va le comprendre au fil de la discussion,
04:22 qui sont aussi tous très particuliers dans chacune des figures, peut-être, de cette vieillesse,
04:29 qu'ils peuvent incarner de la maladie à l'Alzheimer.
04:33 Parfois, ils sont plutôt amoindris physiquement, d'autres perdent la parole, le langage.
04:38 Et puis, il y a cette classe d'enfant avec quelques personnages qui sont mis en avant.
04:42 Comment vous avez repeuplé cette résidence dans laquelle vous avez tourné,
04:49 avec des vrais acteurs, ou vous avez aussi fait venir à l'intérieur...
04:55 - Oui, c'est un gros travail de type.
04:57 C'est vrai que le cinéma est un gros travail d'équipe.
05:00 On a plusieurs directeurs et directrices de casting,
05:03 que ce soit pour les adultes comédiens et comédiennes, professionnels, les enfants,
05:09 et puis aussi toute la figuration.
05:11 Donc nous, on s'est amusé.
05:12 On ne voulait pas de tête d'affiche dans le rôle des personnes âgées.
05:16 Par exemple, Gigi Yvon, bien que nous ayons fait appel à des comédiens et comédiennes
05:22 très professionnels, que ce soit Evelyn Istria ou Christian Sinigerme,
05:26 qui sont des personnes qui ont plutôt traversé la France par le théâtre,
05:30 le théâtre public ou des séries, mais ne sont pas énormément identifiées par le grand public.
05:34 C'était intéressant pour nous de plonger le public dans une forme de véracité.
05:38 Et donc, on a fait appel aussi aux Ehpad du coin du Châtelet-en-Brie,
05:43 là où on a tourné.
05:44 On a envahi un Ehpad désaffecté, on lui a redonné vie.
05:49 Et ce qui était amusant, c'est que vraiment la fiction se mélangeait au réel,
05:54 puisque, comme je vous disais, on a fait venir des personnes âgées des Ehpad du coin
05:58 pour figurer dans le film.
05:59 D'ailleurs, c'était au-delà de la figuration.
06:01 Aussi, un centre de loisir du coin pour les enfants.
06:05 Après, évidemment, on avait nos comédiens et comédiennes professionnels,
06:09 mais tout s'est mélangé comme ça.
06:10 On avait des grandes journées de grandes troupes dans les jardins ou dans les couloirs.
06:17 C'était assez amusant de voir à quel point la fiction se mélange à la réalité ou l'inverse.
06:22 - Comment est né le film ?
06:24 - Le film est né puisque, comme dans toutes les familles,
06:27 beaucoup de familles, une personne proche a été placée.
06:31 Je ne connaissais pas l'univers des Ehpad.
06:33 Éric Métaillé, qui était à l'époque mon ancien compagnon et qui est le père de mes enfants,
06:37 ne connaissait pas non plus.
06:39 On est allé dans grande visite à cette personne qu'on aime beaucoup.
06:42 On y est allé avec nos enfants, qui étaient petits, en plus, à ce moment-là.
06:46 On s'est rendu compte à quel point l'arrivée des enfants provoquait une humeur ultra positive.
06:53 Dans les couloirs de l'Ehpad, dans la salle d'animation,
06:56 toutes les personnes âgées s'animaient, nos enfants aussi s'animaient à leur tour.
07:01 Tout le monde jouait ensemble, chantait ensemble, discutait.
07:03 On a regardé ça avec un peu de recul en se disant
07:06 "mais c'est dingue, ce serait vraiment une belle histoire à raconter ça quand même".
07:10 Donc on est parti là-dessus.
07:11 Et puis en écrivant, on a eu la chance de voir un documentaire sur l'intergénérationnel,
07:18 sur des ateliers qui se mettaient en place entre crèches maternelles et Ehpad.
07:24 Nous, on est parti plutôt sur des enfants du primaire, CM1, CM2 et compagnie,
07:29 un brilleux, un petit garçon de 11 ans.
07:32 - Il a 11 ans.
07:33 - C'est ça, il va bientôt passer au collège.
07:34 - C'est un skater exceptionnel déjà.
07:35 - Exactement, très très doué dans la vie.
07:37 C'est Christine Billon, un petit garçon incroyable, gros potentiel.
07:41 - Gros potentiel.
07:42 On va écouter un extrait justement où on entend Brieux, puis Laura Adler,
07:47 qui a comme vous le savez signé un livre sur la question,
07:50 puis un documentaire "La révolte des vieux".
07:52 Elle raconte, comme vous, ce lien qui peut se tisser entre ces deux âges de la vie.
07:58 - Mais Aude, même la vieille, elle dit que c'est dégueulasse.
08:01 - D'abord on dit "résidence".
08:03 - Oui, la résidente.
08:04 - Non madame, je peux dire la vieille.
08:07 - Bah oui, tu as raison, j'ai 93 ans, alors ça c'est vieille.
08:13 Tu as raison.
08:14 - On dit souvent, et ça sous toutes les latitudes et dans plusieurs civilisations,
08:19 que plus on vieillit, plus on s'approche de nouveau du cycle de l'enfance.
08:24 Et je crois que c'est vrai.
08:26 Je crois que c'est vrai dans la mesure où il y a une forme d'abandon,
08:32 une forme d'abandon qui est significative et synonyme pour moi
08:36 d'une forme d'émerveillement que les enfants ont et possèdent naturellement,
08:41 et qu'en vieillissant, nous les vieux, on a de plus en plus,
08:45 c'est-à-dire qu'on peut s'émerveiller d'un paysage, d'un bouquet de fleurs,
08:50 du bleu du ciel qui tout d'un coup se découvre, comme ce matin.
08:54 Quand j'avais 20 ans ou quand j'avais 40 ans,
08:57 je ne regardais pas le bleu du ciel quand je me réveillais.
08:59 Maintenant, ce matin, je peux vous dire que je vais être en forme
09:02 et vraiment, je vais avoir un sentiment de bonheur
09:05 parce que voilà, ça va inonder ma journée.
09:09 C'est des choses bêtes comme ça, vieillir.
09:12 - C'est des choses belles comme ça.
09:14 - Des choses belles, Andréa Bescon.
09:16 C'est vrai qu'il semble aux deux extrêmes de cette règle de la vie,
09:20 l'enfance, la vieillesse.
09:22 Et pourtant, ce sont deux âges qui ont beaucoup de points communs.
09:25 - Oui, peut-être le fait aussi un peu de ralentir,
09:28 de prendre conscience justement des choses simples
09:30 qui peuvent nous procurer énormément de bonheur.
09:32 Nous, on est une génération, je parle de nous,
09:35 une génération d'adultes "actifs", ces humains actifs là,
09:40 la génération au centre.
09:42 On va vite, on va vite, tout va vite, tout le temps, tout le temps.
09:46 Et on se rend compte, dès la première minute, on est levé le matin.
09:49 Tout va vite.
09:51 - Oui, enfin avec vous surtout, parce que vous êtes une bombe d'énergie.
09:54 Pour qui vous avez sur scène, on comprend assez rapidement.
09:57 - Merci beaucoup.
09:59 Mais c'est vrai, je vais vite, mais je m'oblige à prendre le temps
10:02 des choses simples et belles qui me procurent énormément de bonheur.
10:05 Souvent on dit que, je me souviens de cette chanson de Berry
10:08 qu'on a utilisée pour les chatouilles,
10:10 "N'ayez pas peur du bonheur, il n'existe pas, ni ici ni ailleurs."
10:14 C'est juste qu'il est là, en fait, il est là tout le temps devant nous.
10:17 Et notre génération d'adultes actifs, on ne s'en rend pas vraiment compte
10:20 parce qu'on est quand même relativement pressurisé.
10:23 Et les enfants et les personnes âgées,
10:26 ce sont des générations qui sont un peu plus contes que nous.
10:30 Forcément, il n'y a pas les mêmes enjeux.
10:33 Rapprocher, donc en fait, c'était un prétexte, ce problème d'école, de réfectoire.
10:37 C'était vraiment un prétexte pour réunir tout le spectre de l'humanité,
10:42 le spectre de l'humain, dans ce lieu qu'est l'EHPAD, dans ce huis clos.
10:46 C'est quasiment un huis clos, en fait, ce film.
10:49 C'était vraiment pour rendre hommage à l'amitié et à tous les corps,
10:54 à tous les âges, à toutes les cultures, toutes les couleurs.
10:57 Et rendre hommage à ce spectre de l'humanité qui peut être très, très riche.
11:00 Donc oui, il y a un point commun entre les enfants et les personnes âgées.
11:04 Maintenant, peut-être que nous, au centre, on devrait un peu plus se rapprocher d'eux.
11:08 Et c'est une belle leçon de vie que ces enfants et ces plus âgés vont aussi donner.
11:14 - À Yannick, joué par Vincent McKayne, qui est lui, assistant médical, aide-soignant dans cette maison de retraite.
11:22 Mais aussi à Aude, qui est l'animatrice scolaire et qui est jouée et interprétée par Aïssa Maïga.
11:27 Justement, l'un et l'autre, ils sont tellement convaincus, obsédés, qu'ils sont dans leur bon droit, l'un et l'autre.
11:34 Et qu'ils ont raison qu'ils n'écoutent plus, qu'ils ne s'arrêtent plus et qu'ils ne voient plus.
11:38 - Oui, et en même temps, on se rend compte que c'est un petit peu partout pareil.
11:41 C'est normal, en fait, qu'on se batte pour nos prismes.
11:44 C'est logique, on est quand même à un point d'une civilisation, d'une société, où on est un petit peu obligé de se batailler pour son propre confort.
11:53 - Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui aveugle ? Qu'est-ce qui les aveugle ? C'est une forme de peur ?
11:56 - Oui, c'est une peur et puis c'est aussi un manque de considération.
11:59 Que ce soit Yannick dans son métier d'aide-soignant, qui parle aussi au nom de son équipe.
12:04 D'ailleurs, c'est pas le seul à revendiquer des droits.
12:07 Lisa, l'Auxiliaire de Ville le fait aussi, Nelly, l'aide-soignante aussi.
12:12 C'est tout un travail d'équipe.
12:13 Ce sont des gens qui ont besoin d'être écoutés, d'être valorisés dans leur travail, dans leur vocation et ça n'est pas le cas.
12:20 Donc forcément, ça engendre énormément de colère et de frustration.
12:24 Quand Vincent Mackeyne, le personnage de Yannick, dit à son directeur "mais je ne comprends pas, vous nous annoncez qu'il y a des enfants qui vont débarquer, on vient juste de vous exposer tous nos problèmes.
12:35 Nous n'avons pas le temps, nous n'avons pas les moyens.
12:38 Il y a des personnes qui restent des heures alitées sans qu'on puisse les changer, sans qu'on puisse les laver parce que nous ne sommes pas assez nombreux.
12:44 Et là, vous nous rajoutez des gamins au réfectoire à midi, ça va mettre du désordre pas possible.
12:49 On n'a pas besoin de ça.
12:51 Donc forcément, il fait un rejet.
12:53 Et ce qui est logique, on peut aussi entendre ça de son point de vue, qu'il y en a marre.
12:57 Les aides-soignants surmenés, ils ont longtemps été des travailleurs de l'ombre.
13:03 On les a vus, ou disons que la crise du Covid les a rendus un peu plus visibles parce qu'eux allaient travailler quand nous, les autres, on était confinés.
13:11 Et notamment dans ces structures comme les maisons de retraite où les familles n'avaient plus le droit de venir.
13:17 Donc ils ont été cette dernière présence humaine aux côtés aussi des plus âgés dans cette période-là.
13:24 C'est important que le cinéma, à son tour, mette en lumière pour vous aujourd'hui, Andrea Bescon, ce que la vie a tendance à cacher un peu.
13:35 Et c'est les aides-soignants, mais c'est aussi l'enfance qui est très rarement représentée au cinéma, un peu plus aujourd'hui.
13:41 Mais c'est aussi la vieillesse qui l'est moins.
13:44 Moi, je dois admettre que je ne calcule pas vraiment quand une histoire me vient ou là, elle nous vient en échange, enfin en échangeant avec Eric.
13:53 Je ne me dis pas, il y a un rendez-vous avec la société.
13:57 C'est une histoire qui s'impose à moi ou à nous.
14:00 Et là, ça a été le cas avec "Quand tu seras grand".
14:02 Maintenant, évidemment, vous le savez, je suis très engagée auprès de la protection de l'enfance, la condition de l'enfance Moripil en France,
14:10 compte tenu du très beau pays qu'on a et des droits qu'on a.
14:14 Je trouve que la considération à l'enfance est vraiment moindre.
14:17 C'est le même cas pour les personnes âgées et notamment ce business autour de l'EHPAD.
14:22 Je n'arrive pas à concevoir qu'on accepte que nos personnes âgées, des personnes qui se sont battues pour nous, grâce à qui aujourd'hui nous avons des droits.
14:33 Je parle notamment, je veux dire même les femmes, par exemple, soit le droit à l'avortement, la contraception.
14:38 Des femmes et des hommes se sont battues pour nous, pour nos droits, pour nous, nos générations.
14:44 Et on ne leur rend pas quoi.
14:46 Donc forcément, j'ai ressenti ce besoin-là de parler de la vieillesse, de l'abandon de la vieillesse, comme on l'a fait sur l'enfance.
14:57 Et là, en l'occurrence, on se rend compte encore une fois que les deux extrêmes de la vie ne comptent pas.
15:03 Tout ce qui compte dans cette société, c'est les personnes du milieu qui vont générer une économie.
15:08 Et ensuite, on va plutôt faire de nos personnes âgées finalement un business pour engendrer encore une fois des rémunérations.
15:17 Je n'arrive pas trop à saisir.
15:20 Vous savez, la pension pour les personnes âgées, pourquoi pas ?
15:25 Je ne dis pas que l'EHPAD est une solution totalement obsolète. Ce n'est pas ça.
15:31 Je pense que l'EHPAD a juste besoin de moyens. Les travailleurs ont besoin de moyens et de considérations pour prendre soin des personnes âgées.
15:38 Aujourd'hui, on ne leur donne pas ça.
15:41 Donc apporter cette considération aux personnes soignantes aujourd'hui dans ce film, pour moi, c'était indispensable.
15:49 On ne pouvait pas parler de l'EHPAD sans parler de la détresse du service de santé en France et des personnes qui y travaillent.
15:57 Honnêtement, vous parliez du Covid. Avant la crise du Covid, ces personnes manifestaient.
16:03 Pendant la crise du Covid, on les a applaudies tous les soirs.
16:07 Et sorties du Covid, on les oublie de nouveau. C'est absolument inadmissible.
16:12 Donc évidemment, ce film n'est pas un film militant, politique et tout.
16:16 Quoique je pense que de toute façon, tout outil artistique est quand même quelque chose de politique.
16:22 On s'engage à dénoncer quelque chose, du moins questionner la société.
16:27 Là, on a envie de questionner la société sur "attendez, est-ce qu'on va laisser clairement cette situation-là pourrir à ce point ?".
16:34 On a eu le scandale ORPA, on a eu les faux soyeurs.
16:37 La brèche est largement ouverte.
16:39 Et tant que la société civile ne s'emparera pas de la question de la protection de la jeunesse, de la protection de la vieillesse,
16:46 et au centre, toutes ces personnes, ces travailleurs et ces travailleuses qu'on laisse avec même pas des SMIC et des journées insensées,
16:53 où ils rentrent chez eux, épuisés et déprimés.
16:58 Honnêtement, je ne vois pas comment on peut s'en sortir.
17:01 Alors nous, oui, c'est un outil artistique.
17:04 Et encore une fois, on l'a fait rond, on l'a fait généreux, parce qu'on connaît aujourd'hui le stress de cette société, le stress des gens.
17:13 Honnêtement, j'avais envie que les gens se déplacent en salle pour voir "Quand tu seras grand",
17:17 pour, ok, se questionner sur cette société où on en est,
17:20 mais en même temps pour ressortir avec de l'amour plein le cœur, en se disant "J'ai qu'une envie, c'est d'aller voir ma famille,
17:26 c'est d'aller voir mon grand-père, ma grand-mère, d'aller chercher mon enfant à l'école,
17:30 et d'aller juste me promener au bord du lac ou, j'en sais rien, au bord d'un canal,
17:34 mais le truc le plus simple possible, manger une brioche,
17:36 mais juste prendre conscience des plaisirs simples de la vie
17:40 et à quel point on a des personnes abandonnées dans cette société.
17:43 - J'avais envie, dites-vous, Andrea Bescon, que les gens aillent voir "Quand tu seras grand" en salle,
17:48 parlez-en au futur, parce que le film sort ce mercredi,
17:52 et ils iront très probablement. La maltraitance des personnes sages, la pression aussi sur les équipes,
17:58 c'est effectivement ce que dénonçait aussi Victor Castaner, l'auteur des "Faux soyeurs" sorti l'an passé.
18:03 - Très vite, depuis l'apparition des "Bonnes feuilles dans le monde", ça a enclenché un débat de société,
18:08 et tout le monde a été comme saisi par cette question de la manière dont on traite nos aînés.
18:15 Et donc, ça a touché effectivement moi des générations que je pensais pas toucher,
18:21 et ça a touché toutes les classes sociales, des gens de milieu populaire, des gens plus aisés,
18:28 parce que Orpea a des EHPAD qui coûtent très cher dans les grandes villes,
18:33 donc ça a touché un peu tout le monde, et ça a aussi touché le secteur,
18:39 ce qui fait que tous les gens, les employés du secteur, les aides-soignants, les auxiliaires de vie,
18:44 tous les gens qui travaillent aussi dans ce secteur, je pense, l'ont acheté ou pour s'informer, ou par militantisme.
18:51 - Oui, voilà, c'était la question que je lui posais, celle sur le pouvoir des livres,
18:56 et vous avez répondu indirectement à celle du pouvoir d'un film, en disant "c'est pas un film militant",
19:01 mais quand même, vous rappelez que vous y mettez votre engagement.
19:05 Vous pensez qu'un film peut changer les regards, à défaut de changer des situations ?
19:10 - Je pense qu'un film peut être un coup de pouce. Je pense que tout outil artistique peut être un coup de pouce.
19:17 Par contre, il n'y a qu'un mouvement populaire qui peut amener à faire changer les choses.
19:22 - Là, vous dites "coup de pouce" pour ce film, et avec votre pièce "Les Chatouilles",
19:26 on entendait beaucoup de gens qui sortaient de ce seul en scène que vous avez écrit en 2012,
19:31 qui a été Molière en 2016, que vous avez joué pendant plus de cinq années,
19:36 avec des représentations des salles combles et un succès incroyable.
19:40 Avec cette pièce, vous aviez secoué le public. Ils en ressortaient en disant que c'était une pièce "coup de poing",
19:46 pas "coup de pouce", mais "coup de poing". Comment vous travaillez l'équilibre dans votre écriture,
19:50 dans le ton que vous mettez aussi dans vos films, dans vos pièces ?
19:53 Comment, avec cette pièce, notamment "Les Chatouilles", ne pas choquer, sans édulcorer ?
20:00 - D'abord, je pense être ultra sincère. Je crois que quand on ne veut pas justement induire une forme,
20:09 je crois que si on est complètement sincère avec son propos, c'est ok, ça passe.
20:16 C'est-à-dire que, que ce soit mon co-auteur, mon co-réalisateur, qui est quelqu'un d'assez vivant et lumineux,
20:25 moi aussi, l'énergie vitale, c'est mon truc. Maintenant, je parle de drame couramment,
20:29 c'est quelque chose que je traite au quotidien, le problème des violences, etc.
20:34 Mais l'énergie vitale est beaucoup plus forte que... Non, pas de la colère, parce que ma colère est certainement aussi forte,
20:42 la colère me nourrit aussi, mais d'un point de vue positif. Je ressens comme quelque chose d'ultra positif.
20:48 Donc, après, les œuvres que je vais écrire ou réaliser vont forcément être baignées de cette énergie vitale,
20:56 de cette envie de vivre au quotidien. Je me réveille le matin, je suis tellement heureuse d'être en vie.
21:00 Je me couche le soir, je suis tellement heureuse d'avoir vécu cette journée.
21:03 N'importe quelle journée, même la journée la plus compliquée. Je me dis "Attends, tu respires, t'es là, tu te couches ce soir,
21:10 tu penses à tes enfants, tu les aimes, t'as ta meilleure amie qui t'a dit ça aujourd'hui, c'était génial, elle t'a envoyé un lien".
21:16 Je sais pas, des petites choses simples qui font que la vie est très, très, très belle quand même.
21:20 - Au moment des chatouilles, vous rappeliez cette phrase, ce genre de phrase que les adultes disaient souvent aux enfants dans l'après-68,
21:26 "Ton corps est ton corps, tu as le droit de dire non". Et là, vous interrogiez réellement la liberté de consentir de l'enfant,
21:34 la responsabilité qu'on lui renvoyait. Dans ce film-là, "Quand tu seras grand", c'est justement une phrase qu'on entend beaucoup.
21:42 "On n'est que des enfants, ce ne sont que des enfants". Ça revient souvent dans le film.
21:46 Qu'est-ce qu'on peut leur dire ou ne pas leur dire ? La vieillesse, la maladie, la mort.
21:50 Est-ce qu'ils sont trop jeunes pour comprendre ? Est-ce qu'il faut les en préserver ?
21:53 - Alors moi je crois que vraiment il faut que nous les adultes nous sortions de nos névroses.
21:57 On a un vrai problème sur la communication avec nos enfants. Ce problème s'appelle la peur.
22:02 Mais la peur de nous-mêmes, de nos propres névroses, à nous.
22:05 Parler violence avec un enfant, c'est fondamental. Ça ne va pas le traumatiser.
22:10 L'enfant ne va pas être traumatisé de savoir que son corps est extrêmement important, que personne n'a le droit d'y toucher,
22:16 que si un adulte le fait, c'est de la faute de l'adulte. En aucun cas, ça ne sera la faute de l'enfant.
22:20 Ni même si un enfant l'agressait d'ailleurs. Ça ne traumatise pas un enfant. C'est pas ça qui traumatise un enfant.
22:26 Un enfant, ça le traumatise si on le frappe, si on le maltraite, si on l'humilie, si on le viole.
22:30 Ça, ce serait un trauma. Maintenant, de le prévenir, de lui donner les armes, de pouvoir tout de suite être en vigie,
22:37 parce qu'on sait par exemple, sur les violences sexuelles, qu'un pédocriminel ou un père incesteur
22:42 sont d'abord des manipulateurs, sont d'abord des prédateurs. Ça n'a rien à voir avec le sexe, le viol.
22:48 C'est de la prédation. Donc, dès lors qu'il y a un enfant qui connaît l'importance de son corps, de son intégrité,
22:56 de sa totale confiance avec les adultes qui l'entourent et qui a une façon de parler très simplement et libre,
23:03 là, le prédateur ne va pas vraiment près de ces enfants-là. Et c'est un petit peu pareil pour la mort,
23:10 vous me parlez de la mort, le cycle. Donc, par rapport à quand tu seras grand, je pense que déjà,
23:15 de parler à un enfant de la mort, c'est quand même indispensable. Dans le sens où on arrive sur Terre,
23:20 on sait qu'un jour, on va mourir. Sauf que ça ne veut pas le traumatiser l'enfant, parce que d'abord,
23:24 on est tellement loin que bon, c'est quelque chose qui est un peu impalpable, mais c'est OK. Ah, papy est mort,
23:29 d'accord, donc il y a un cycle, ça existe. Maintenant, on ne peut pas cacher la mort. C'est impossible.
23:35 Et honnêtement, on parle avec des mots très, très simples. On voit bien que les enfants sont beaucoup
23:38 plus intelligents et ouverts que nous.
23:40 - C'est justement ce cycle de la violence, mais aussi du silence, des non-dits, que vous avez souhaité
23:45 essayer de refermer avec ce premier roman, "Une simple histoire de famille", Andrea Besco.
23:50 - Je suis passionnée par le transgénérationnel. Je pense que les secrets sont toxiques. Tous secrets toxiques
23:57 dans toutes les familles. Mais même anodines. Ne pas savoir, par exemple, que son grand-oncle a été
24:04 alcoolique et que quand on va boire un apéritif chez eux, votre grande-tata dit "bah non, pète un plomb quand
24:16 il boit un whisky". Et on la regarde en se disant "mais elle est chiante quand même, comment ça se fait ?"
24:22 "Bah non, en fait, si on savait qu'il avait été alcoolique et que, je sais pas, ça avait engendré de telles tensions,
24:27 peut-être que du coup on serait moins désagréable quand elle fait la gueule quand un whisky est servi."
24:31 C'est tout simple, ça c'est idiot, c'est rien, c'est anecdotique. Mais ça part de là. Casser le fil, constamment.
24:37 Savoir que si maman ou papa a été violé dans l'enfance, qu'il peut avoir des épisodes dépressifs,
24:42 c'est pas de ta faute à toi en tant qu'enfant. C'est pas toi qui rends malheureux papa ou maman, c'est parce que
24:47 papa ou maman a un traumatisme à régler. Il y a des choses importantes comme ça à révéler puisque ça permet
24:52 de libérer les enfants aussi.
24:54 - Alors ce roman, il a cassé le fil, justement. Comme la danse, pour vous, a peut-être libéré votre corps.
25:03 Il faut rappeler que vous venez de ce monde-là, vous venez de la danse. Il y a des parties filmées, d'ailleurs,
25:07 dans le film. Il y a même François Alu qui vient de quitter l'Opéra de Paris. Vous avez commencé par le classique,
25:12 continué avec le hip-hop. Qu'est-ce que la danse vous a réellement apporté ?
25:15 - La danse m'a réhabilité. La danse m'a redonné de la valeur à mon corps. Un corps qui avait été détruit et que j'ai pu
25:24 récupérer dans son intégrité grâce à la danse, grâce à cette colère qui s'est exprimée par le mouvement et non par les mots.
25:31 Je crois que moi, ça m'a complètement sauvée, même au niveau de la somatisation. Heureusement que c'est sorti par le mouvement.
25:40 Aujourd'hui, je pense que je suis en vie grâce à ça.
25:43 - Et la parole a suivi, justement, de ce gros silence, de ce grand secret que vous avez enfermé si longtemps,
25:49 de ces viols subis quand vous étiez enfant. Ce que ce personnage d'audette dans "Les Chatouilles" raconte, c'est votre histoire aussi
25:57 que vous aviez mise en scène. J'aimerais qu'on termine là-dessus. Ce soir se tiendra justement la 34e cérémonie des Bolières.
26:03 C'est Alexis Micheli qui orchestrera la cérémonie depuis la scène du Théâtre de Paris. L'auteur-metteur en scène de Edmond Houx,
26:08 encore du porteur d'histoire et dont le film, adapté d'une autre de ses pièces, "Une histoire d'amour", vient de sortir en salle il y a 10 jours.
26:16 Vous le connaissez, il a joué dans le téléfilm que vous avez réalisé avec Éric Métaillé, "Toujours à la folie".
26:21 Quel acteur, auteur, metteur en scène est-il ? Sûrement un bon camarade, mais la question est de savoir plutôt, est-ce que vous partagez avec lui sa conception du théâtre ?
26:30 Le théâtre, pour lui, est une affaire de rythme. Il dit toujours qu'il ne redoute qu'une chose, c'est l'ennui.
26:35 On peut dire ça pour le théâtre, mais aussi pour le cinéma et pour le roman. Le rythme, pour vous, c'est l'essentiel ?
26:41 - Le rythme est important. Moi, je crois plus en la sincérité qu'au rythme. Je pense qu'il y a des moments, des séquences, au cinéma ou même au théâtre,
26:49 où on peut vraiment, vraiment ne pas bouger, laisser de vrai longtemps. Si ces temps sont habités, si la tension est là, personne s'ennuie.
26:57 Donc oui, je suis d'accord avec lui, le rythme, c'est important. On en discutera tous les deux. Mais je crois que la tension vient de la sincérité, avant tout.
27:09 - Merci beaucoup, Andrea Bescon. "Une simple histoire de famille", votre roman, apparu en janvier dernier chez Albin Michel.
27:16 Et votre film "Quand tu seras grand" sort en salles ce mercredi.
27:19 Merci.

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