Russie : Andreï Kozovoï dénonce «une instrumentalisation de la mémoire qui est choquante»

  • l’année dernière
ABONNEZ-VOUS pour plus de vidéos : http://www.dailymotion.com/Europe1fr
Andreï Kozovoï, historien, professeur en histoire russe et soviétique à l'Université de Lille, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.

Retrouvez "L'invité actu" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-interview-de-7h40
LE DIRECT : http://www.europe1.fr/direct-video


Retrouvez-nous sur :
| Notre site : http://www.europe1.fr
| Facebook : https://www.facebook.com/Europe1
| Twitter : https://twitter.com/europe1
| Google + : https://plus.google.com/+Europe1/posts
| Pinterest : http://www.pinterest.com/europe1/
Transcript
00:00 - Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'historien Andrei Kosovoï.
00:06 - Bonjour Andrei Kosovoï. - Bonjour.
00:08 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes professeur en histoire russe et soviétique à l'université de Lille,
00:13 auteur de nombreux ouvrages, le dernier en date, "La chute de l'Union soviétique 1982-1991",
00:19 "Trois petits points 2023", titre très intéressant, c'est paru aux éditions Perrin.
00:24 Ce mardi, Andrei Kosovoï est férié en Russie, en effet nous sommes le 9 mai,
00:29 c'est donc le jour de la victoire, avec un V majuscule.
00:33 Que représente, peut-être pour commencer Andrei Kosovoï, ce 9 mai, que traditionnellement pour les Russes ?
00:38 - Le 9 mai, comme vous l'avez dit, c'est le jour où on commémore la victoire sur l'Allemagne nazie.
00:45 Pourquoi le 9 mai et pas le 8 mai ?
00:48 A l'origine, il y a un détail, on va dire, technique de décalage horaire.
00:51 La capitulation allemande avait été signée à Berlin tard dans la soirée du 8 mai,
00:55 on était déjà minuit passé à Moscou et donc on était le 9 mai.
01:00 Mais, ça c'est pour la théorie, en pratique,
01:03 Staline n'avait pas très envie, pour diverses raisons,
01:06 de se mettre sur la même ligne que ses alliés occidentaux.
01:10 Il y avait déjà de l'eau dans le gaz, si on peut dire, à ce moment-là.
01:12 Il avait très envie d'avoir sa fête, sa fête à lui,
01:15 et c'est pour ça qu'on appelle la guerre russe contre l'Allemagne la "Grande guerre patriotique",
01:21 celle qui avait commencé, on se souvient, avec l'invasion nazie le 22 juin 1941.
01:25 - Alors, un 9 mai traditionnel en Russie,
01:27 c'est défilé militaire sur la place Rouge,
01:29 d'ailleurs sur toutes les places des villes et dans toutes les écoles du pays aussi,
01:32 pléthore de discours politiques,
01:35 et la question qui se pose cette année Andrei Kozovoï,
01:37 les cérémonies auront-elles les mêmes dimensions,
01:40 compte tenu de l'effort de guerre en Ukraine,
01:42 et puis aussi de la crainte de la part des forces de sécurité,
01:46 d'une action ukrainienne qui viendrait perturber les défilés ?
01:50 Est-ce qu'on a une idée de ce 9 mai à quoi il va ressembler aujourd'hui ?
01:53 - Eh oui, tout à fait. En fait, l'année dernière,
01:56 on avait déjà eu un 9 mai, on va dire, sous le signe de l'humiliation,
02:00 puisque ce 9 mai 2022 devait correspondre à la grande victoire sur l'Ukraine "nazie", n'est-ce pas ?
02:07 La mission de cette opération, l'objectif avait été de prendre Kiev en trois jours,
02:12 on sait ce qui en est arrivé en réalité.
02:14 Aujourd'hui, le 9 mai 2023, QV 2023,
02:19 c'est un 9 mai avec une dimension supplémentaire qui est la peur.
02:23 Ça c'est très important, la peur et l'anxiété.
02:25 La peur d'une attaque, on a vu récemment ce que pourrait donner une attaque sur le Kremlin
02:29 avec les deux drones qui ont atteint le Sénat,
02:32 l'espèce de maison blanche russe, n'est-ce pas, dans l'enceinte du Kremlin.
02:37 Même si on n'est pas sûr à 100%, bien sûr, que ce sont les Ukrainiens qui sont derrière,
02:40 il y a néanmoins un fort sentiment de vulnérabilité
02:43 qui, encore une fois, paralyse d'une certaine manière la direction russe.
02:48 - Il y a aussi une image typique du 9 mai, depuis une dizaine d'années,
02:52 les Russes descendent dans la rue, ils ont imprimé sur des pancartes
02:55 des photographies de leurs pères, de leurs grands-pères, voire de leurs arrière-grands-pères,
02:59 maintenant morts au combat, les fameux régiments immortels.
03:03 Est-ce qu'on va les voir ces régiments immortels cette année-là, André Kozovoï ?
03:07 Je vous pose la question parce que la guerre en Ukraine,
03:09 ce sont peut-être des dizaines de milliers de morts côté russes,
03:12 et il y a ce risque que ce soit ces morts-là dont on montre les photos aujourd'hui.
03:16 - Oui, mais tout à fait. Alors le régiment immortel, il faut le rappeler,
03:20 c'est une manifestation à l'origine, on va dire spontanée, populaire,
03:25 qui est apparue dans les années 2005-2010,
03:28 et qui avait été récupérée par le Kremlin à des fins de propagande, à des fins politiques.
03:33 Donc globalement, si vous voulez, la mémoire de cette guerre,
03:37 de cette grande guerre patriotique, est instrumentalisée par le Kremlin,
03:40 et ça, ce n'est pas quelque chose de nouveau, il faut rappeler à nos auditeurs
03:43 que ce culte de la grande guerre patriotique a une longue histoire,
03:47 qu'on peut faire remonter à l'époque de Brezhnev.
03:49 Le régiment immortel, des défilés ont déjà eu lieu, si vous voulez,
03:52 dans plusieurs villes de Russie, et également à l'étranger d'ailleurs,
03:55 avec des manifestations, on le sait, grâce au Monde,
03:58 une enquête du Monde qui a été menée, organisée par les services secrets russes,
04:02 par le FSB, avec des gens qui sont rétribués pour cela.
04:05 Et donc effectivement, on a des portraits de personnes qui sont mortes à l'époque,
04:09 en 1941-1945, et puis à côté de cela, nous avons désormais des photos
04:13 de combattants tombés en Ukraine.
04:16 Le parallèle est évidemment choquant, obscène, pour des gens qui ont combattu,
04:20 pour les descendants de ceux qui ont combattu à l'époque de la grande guerre patriotique,
04:24 ces descendants-là, dont je fais partie d'ailleurs,
04:27 je rappelle que mon grand-père a participé à la bataille de Stalingrad,
04:32 et c'est effectivement une instrumentalisation de la mémoire qui est choquante, si vous voulez.
04:36 - Alors c'est vrai, je n'ai pas raconté votre histoire personnelle,
04:39 mais vous avez des origines russes, mais aussi ukrainiennes,
04:42 vous êtes arrivé en France en 1985, vous n'aviez que 17 ans,
04:46 donc évidemment, vous aviez une dizaine d'années,
04:50 tout ce qui se passe aujourd'hui vous touche dans le plus profond de votre âme et de votre chair.
04:54 Je note d'ailleurs, ça fait partie des annonces hier, Andrei Kozovoï,
04:58 de Volodymyr Zelensky, qui souhaite occidentaliser le 9 mai ukrainien.
05:04 Il a annoncé que l'Ukraine allait renoncer à toute commémoration du 9 mai,
05:08 pour célébrer à la place le 8 mai avec le monde libre, avec les occidentaux,
05:12 et le 9 mai, en Ukraine, sera désormais journée de l'Europe.
05:15 Evidemment, ça c'est une prise de position politique très importante.
05:18 - Absolument, c'est une prise de position très importante,
05:21 et on s'étonne d'ailleurs qu'elle ne vienne que maintenant,
05:24 parce que ça fait déjà assez longtemps qu'il y a ce qu'on appelle une guerre mémorielle,
05:28 qui fait rage entre la Russie et l'Ukraine.
05:30 Guerre mémorielle qui touche différents épisodes douloureux de l'histoire russo-ukrainienne ou soviétique,
05:37 comme par exemple la famine des années 31-32,
05:40 le fameux Lodomor, considéré en Ukraine et désormais en France comme un génocide,
05:44 et l'origine commune de la Russie et de l'Ukraine, qui est la Russie kézienne,
05:49 et bien sûr, la grande guerre patriotique.
05:52 Le traitement, l'interprétation, le récit qui en est fait en Ukraine et en Russie,
05:57 diffère évidemment beaucoup, et ça donne lieu à des débats extrêmement âpres,
06:01 auxquels a pris part, on le sait, le président russe lui-même.
06:04 - Merci beaucoup à vous Andrei Kozovoï d'avoir été en ligne avec nous sur Europe 1.
06:09 On parlera de la situation militaire actuelle tout à l'heure dans le journal de 8h.
06:12 Je vais citer aussi l'un de vos autres ouvrages, parce qu'il est absolument passionnant, Andrei Kozovoï.
06:16 Il s'appelle "Les égéries rouges d'Ostfam qui ont fait la révolution russe".
06:20 C'est paru au début de l'année, là encore chez Perrin.
06:23 Merci d'avoir été avec nous en direct ce matin sur Europe 1.
06:26 Bonne journée à vous, 7h19.

Recommandée