• il y a 2 ans
Transcription
00:00 * Extrait de « Le Book Club » de Nicolas Herbeau *
00:19 Sans cette profession, il serait bien difficile de tenir à un club de lecture.
00:24 Alors le Book Club rend hommage ce midi aux libraires,
00:27 en partenariat avec le magazine Page des libraires.
00:30 Les livres lus et conseillés par les libraires, on en parlera évidemment dans le fil de cette émission.
00:35 Il existe en France plus de 20 000 points de vente de livres,
00:38 et parmi eux, 3500 librairies indépendantes.
00:42 C'est à ce réseau, l'un des plus denses au monde, et à ce métier que l'on va donc s'intéresser ce midi.
00:47 Malgré ses grandes surfaces culturelles, les hypermarchés et évidemment aujourd'hui Internet,
00:51 les librairies restent le premier circuit de vente de livres en France.
00:56 C'est là qu'on achète près d'un livre sur deux.
00:58 Mais ça veut dire quoi être libraire ? Comment le devient-on ?
01:02 Comment gère-t-on ses stocks de livres ?
01:04 Quels auteurs ou autrices sont des indispensables à avoir en rayon ?
01:08 Avec qui travaille-t-on ? Quels liens entretient-on aussi avec les éditeurs, les lecteurs, les lectrices, les auteurs ?
01:12 Bref, vous l'aurez compris, nous avons une centaine de questions à leur poser.
01:16 On va les accueillir dans un instant, bien sûr, toujours accompagnés par les lecteurs et les lectrices du Book Club.
01:24 On déambule dans ce petit dédale de papier aux allées étroites, aux grisantes odeurs d'encre et de papier neuf.
01:30 J'y ai emmené mes enfants pendant des années et ils m'y ont emmené à leur tour.
01:34 Ou plus de 10 000 livres, neufs ou ressuscités, leur rappellent malicieusement qu'ils ne savent rien.
01:40 France Culture, le Book Club, Nicolas Herbeau.
01:48 Et les voix de Véréda, Hélène et Anastasia, membres de notre club de lecture qui vont nous raconter leur librairie préférée durant ces 40 minutes.
01:57 Bonjour, Élodie Bonafou.
01:58 - Bonjour.
02:00 - Merci d'être avec nous en direct depuis Châteauroux où vous vous occupez de la librairie Arcane depuis 12 ans maintenant, si j'ai bien compté.
02:07 Racontez-nous votre histoire.
02:09 En 2011, vous avez décidé de passer de cliente de cette librairie à patronne, c'est ça ?
02:15 - Oui, c'est exactement ça.
02:17 Alors patronne, c'est un grand mot. L'objectif, c'était surtout d'être libraire.
02:20 Le côté gestion d'entreprise m'échappait un peu à l'époque.
02:24 J'y ai pris goût. Entre nous, l'esprit d'entreprise est quelque chose d'assez savoureux aussi.
02:29 Mais oui, effectivement, à un moment, j'ai sauté le pas et je pense que c'est de loin la meilleure décision professionnelle que j'ai pu prendre.
02:36 - Qu'est-ce que vous faisiez auparavant ?
02:38 - Alors, j'étais cadre de la fonction publique territoriale.
02:41 - Et du coup, en voyant une librairie qui allait fermer, peut-être vous vous êtes dit il faut que je la sauve ou pas du tout ?
02:46 - Alors, effectivement, elle s'apprêtait à ne pas être reprise.
02:54 Je l'ai fait pour moi. Je l'ai fait par intérêt personnel, par goût et par envie de se challenger.
02:58 Je ne l'ai pas fait pour sauver la ville et pour sauver...
03:03 Alors, même si ça fait partie effectivement des éléments importants quand même,
03:08 parce qu'une librairie dans une ville, sachant que c'était la seule grande librairie indépendante de Châteauroux,
03:12 ça a quand même un impact et ça a comme une valeur très forte parmi les habitants.
03:17 - On va parler évidemment du rôle de la librairie dans les villes, dans les villages, dans les quartiers.
03:23 Un mot peut-être sur aussi comment vous y êtes arrivée, puisque vous avez dit réflexion, mais formation aussi, c'est important.
03:30 Qu'est-ce que vous avez appris dans cette formation ?
03:33 - Alors, c'est une formation...
03:34 Moi, j'ai fait une formation de reconversion, puisque j'avais un autre métier avant, où j'ai appris...
03:41 Alors, quelques éléments sur les rayons et sur les fonds de rayons,
03:45 mais quand même essentiellement des éléments techniques sur la gestion de stock,
03:49 sur les rapports avec les fournisseurs, les distributeurs, les éditeurs,
03:52 sur toute la logistique qui est très conséquente quand on gère une librairie.
03:57 - Eh bien, c'est exactement ce qu'on va vous demander de nous raconter et de nous expliquer.
04:01 Alors, il n'y a pas un seul parcours pour devenir libraire.
04:03 Bonjour, Stanislas Rigaud.
04:04 - Bonjour.
04:05 - Vous êtes dans le studio de France Culture à Paris, Paris, où vous avez votre librairie,
04:09 la librairie Lamartine, dans le 16e arrondissement.
04:11 On est un petit peu voisins, il faut bien le dire,
04:13 après avoir passé quelques belles années du côté de Boulogne-sur-Mer.
04:16 La librairie, les livres, ce sont deux virus, si je ne dis pas de bêtises,
04:21 qui vous ont été transmis par votre père, qui était lui aussi libraire ?
04:24 - Oui, et mon grand-père aussi.
04:26 - Oh là là, c'est une histoire de famille, donc.
04:27 - C'est une histoire de famille, mais effectivement, comme à mon avis, bon nombre d'entre nous,
04:31 la dernière chose que je voulais faire, c'est faire ce que faisait mon père, en fait.
04:34 Et les hasards ont fait que je me suis retrouvé à la sortie des études
04:37 sans grand-chose à pouvoir, pas beaucoup d'opportunités,
04:40 si ce n'est qu'il y a eu une place dans la librairie.
04:42 Alors à cette époque-là, mon père n'était plus dans cette librairie.
04:45 Donc j'ai commencé, et comme bon nombre de libraires, j'ai commencé dans le rayon scolaire,
04:48 parascolaire, dictionnaire, qui est un rayon extrêmement formateur
04:52 de par la diversité des propositions et du public, en fait.
04:55 - Est-ce que l'image de la librairie a changé quand vous étiez plus jeune
04:58 et au moment où vous vous êtes dit "je vais franchir le pas et je vais devenir libraire" ?
05:02 - Je pense que l'image de la librairie n'a eu de cesse que de s'améliorer.
05:07 En fait, on a quand même eu l'impression avec les nouvelles générations de libraires
05:11 ces derniers temps, le grand séisme du Covid, l'autre séisme qui était Internet,
05:16 qui nous a obligés à dépoussiérer beaucoup de choses,
05:18 à être de plus en plus affûtés, de plus en plus efficaces.
05:22 Je pense que le métier a gagné en image, a gagné en souplesse.
05:28 Ce n'est plus un commerce qui fait peut-être un petit peu peur,
05:31 comme ça a pu faire à une certaine époque, réservé à une certaine catégorie de personnes.
05:34 - Elodie Bonafou, vous avez sauté dans l'inconnu, vous dites, en reprenant cette librairie.
05:39 Est-ce que vous avez bien atterri ?
05:42 - Oh bah depuis 12 ans, heureusement !
05:44 - Pas de regrets, j'imagine ?
05:46 - Non, du tout. Non, non, non, du tout.
05:47 C'est un métier passionnant et en tout cas, moi, qui me convient extrêmement bien.
05:51 - Alors vous allez nous le raconter, votre quotidien.
05:53 D'abord, on a demandé bien évidemment à notre communauté de lecteurs et de lectrices
05:57 de nous parler de leur expérience, de leur relation avec leur libraire.
06:00 Et ça peut être parfois très poétique.
06:02 Nous partons en Bretagne et nous écoutons Hélène.
06:05 - Qu'apporte le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse des mots ?
06:10 C'est une librairie qui ne ressemble pas au cœur battant du plus petit débord du Finistère.
06:16 On y rentre, dans cette librairie, comme on pousserait la porte de chez soi.
06:20 Même si en réalité, on ne la pousse pas cette porte, on la tire.
06:25 Et qui trouve-t-on ?
06:26 Tout d'abord, le frais sourire et le bonjour léger de Maëlla, la libraire.
06:31 Quelques mots en français, quelques mots en breton, c'est selon.
06:33 Et ça, c'est déjà merveilleux.
06:37 On déambule dans ce petit dédale de papier, aux allées étroites,
06:41 aux grisantes odeurs d'encre et de papier neuf, aux tentations multiples.
06:46 On s'y perd pour y trouver tout ce qu'on ne cherchait pas,
06:49 mais dont on avait in fine tellement besoin.
06:52 On se laisse aussi guider par la maîtresse des lieux, qui mue par quelques sortilèges,
06:56 et sans hésitation aucune, trouve dans l'imbroglio des piles et la poésie des rayonnages,
07:03 le livre qu'on était venu chercher.
07:05 On se promet d'embarquer à nouveau, bientôt au fil de l'eau,
07:09 à l'ivresse des mots, de l'ampoule du milieu.
07:12 Mais chut !
07:15 N'en parlez à personne, c'est ma librairie, à moi.
07:20 - C'est promis Hélène, on ne dira rien évidemment, sauf aux auditeurs de France Culture.
07:24 Bien sûr, Stadislas Rigaud, il y a quelque chose de très touchant, de très intime,
07:29 presque Hélène, qui nous dit "on pousse la porte comme la porte de chez soi".
07:33 - C'est un peu le sel du métier qui est à la fois un commerce pur dur,
07:38 avec ses règles, avec ses contraintes, avec sa gestion, comme évoquait Elodie,
07:43 et qui est en même temps quelque chose de l'ordre de l'intime.
07:45 Et il ne se passe pas une heure, je pense, dans nos librairies,
07:49 sans que se passe quelque chose de différent.
07:52 C'est-à-dire que notre métier, c'est forcément de pouvoir fournir aux gens les livres qu'ils veulent trouver,
07:58 mais c'est aussi fournir aux gens les livres qu'ils veulent trouver,
08:01 qu'ils ne savaient pas qu'ils voulaient trouver.
08:04 Et dans cet équilibre-là, et dans l'intime qui se révèle au travers du rapport à l'art,
08:08 et le rapport à l'écriture, il se joue énormément de choses.
08:12 - Elodie Boninfoux, vous êtes d'accord, il y a deux types de clients,
08:15 ceux qui savent ce qu'ils viennent chercher, et puis ceux qui s'en remettent à vous ?
08:19 - Alors, loin de moi l'idée d'opposer ces deux types de clients.
08:23 Pour ajouter à ce que disait Stanislas,
08:26 souvent les auteurs qui font des tournées en librairie dans toute la France sont surpris.
08:31 Moi, c'est un discours que j'entends souvent, de la qualité de relation qui existe entre les libraires et leurs clients.
08:36 Effectivement, on a une intimité souvent avec des clients de la librairie assez surprenante, et forte, très forte.
08:43 - C'est vrai que vous dites que c'est un commerce comme un autre,
08:45 mais si on ne s'entend pas bien avec son libraire, on ne revient pas.
08:49 - Je confirme.
08:51 Non, c'est important.
08:53 En fait, il y a énormément d'enjeux,
08:55 c'est difficile à appréhender,
08:59 c'est-à-dire que dans le rapport qui est d'abord un rapport de service,
09:03 on a des clients qui viennent chercher un produit, ce produit c'est le livre.
09:08 Mais ce produit, ce n'est pas n'importe quel produit.
09:10 Et donc, là-dedans, il y a énormément de choses.
09:12 On a eu des rapports très forts avec des gens,
09:16 des rapports forcément affreux, on est d'accord, on n'est pas d'accord.
09:18 On a envie d'intervenir, il faut garder une distance.
09:22 Et il y a un côté éminemment théâtral à ce métier,
09:25 qui en fait aussi beaucoup le sel.
09:27 Et là, on est uniquement dans le rapport de "Monsieur, Madame, Bonjour, qu'est-ce que vous voulez ?"
09:32 Vous ajoutez à ça les auteurs,
09:34 vous ajoutez à ça tout ce qu'il peut y avoir d'événementiel dans ce métier,
09:38 et on a quelque chose d'absolument génial, qui est le métier de libraire.
09:41 - Vous allez me dire si c'est différent avec une ville comme Châteauroux,
09:46 il a dit Bonne Info, vous dites que votre librairie, elle est au centre de la ville,
09:51 et donc ça veut dire que vous aussi, vous connaissez parfaitement vos clients,
09:54 presque personnellement, quels sont leurs goûts,
09:56 qu'est-ce qui pourrait leur plaire, quels livres je pourrais leur apporter ?
10:01 - Oui, évidemment. On achète souvent, vous savez,
10:04 quand on prévoit d'acheter des livres avant parution,
10:07 avant la date officielle de parution,
10:09 on choisit les quantités qu'on va faire entrer dans la librairie.
10:12 Il nous arrive à tous, je ne pense pas parler uniquement à mon nom régulièrement,
10:15 de se dire "Ah celui-là, je vais le prendre pour Madame Intel ou pour Monsieur Intel".
10:18 On sait ce que nos clients lisent, évidemment.
10:20 - Alors qui sont ces clients ? Est-ce qu'il y a toujours une très grande variété ?
10:25 Ou est-ce que vous avez vu les jeunes revenir, par exemple ?
10:28 On dit souvent que les jeunes ne lisent plus que sur les écrans.
10:31 Est-ce que c'est vrai ? Est-ce qu'ils reviennent dans les librairies ?
10:33 Est-ce qu'ils ne sont jamais partis de ces librairies ?
10:35 Stanislas Rigaud, ce n'est pas une question facile, mais je vous la pose quand même.
10:38 - En fait, on a eu, il y a un avant et un après Covid.
10:41 Frontalement, l'après Covid qu'on a cru être vraiment dur, dur, a été incroyablement bon, bon.
10:48 Et depuis, on s'est stabilisé à une hauteur qui est quand même assez impressionnante.
10:52 Et je pense que de nombreux de mes confrères sont dans le même cas, avec un nouveau public.
10:57 On a vraiment eu énormément de monde de nouveau au moment du post-Covid,
11:02 juste dans les semaines qui ont suivi. Et ces gens-là, on les a gardés.
11:05 - Qu'est-ce qui a changé alors ?
11:06 - Alors, je pense qu'il y a eu un retour, en fait, on a eu beaucoup de chance.
11:10 On a été un métier qui a été préservé dès le deuxième confinement.
11:14 Donc, un rapport de survie.
11:16 On a eu aussi la chance d'être le seul métier dit culturel où l'actualité a été maintenue.
11:22 Les livres n'ont jamais été arrêtés d'écrire, contrairement aux films, contrairement aux pièces de théâtre.
11:26 Il y a toute la dimension.
11:28 On a profité aussi, je pense, du budget restaurant qui avait disparu, etc.
11:33 Donc, tout ça a créé de nouvelles demandes.
11:35 Et les gens qui sont rentrés chez nous, ils reviennent.
11:38 Et ça, c'est formidable.
11:39 Ça, c'est un des gros, gros changements.
11:41 Et en ce qui concerne les enfants, ça a toujours été un problème, grosso modo.
11:45 Mais il faut bien, je pense, on n'a jamais eu autant de bonnes parutions pour les enfants.
11:50 On n'a jamais vendu autant de jeunesse qu'aujourd'hui.
11:53 Donc, oui, les enfants lisent.
11:54 Oui, il y a un âge difficile, l'adolescence.
11:56 On a plein d'autres choses à faire, beaucoup mieux que de lire des livres à l'adolescence.
11:59 Moi, le premier, à l'adolescence, je n'ai absolument rien lu.
12:01 C'est normal, en fait.
12:03 C'est un truc qui a été, entre guillemets, parasité, notamment par les Triomphe, Deux, J.K. Rowling, etc.
12:08 Mais revenu à la normale, effectivement, on a une tranche d'âge qui l'y peut.
12:11 Je ne pense pas que ce soit dramatique.
12:13 Et qui se rattrape certainement ensuite.
12:15 Elodie Bonafou à Châteauroux, vous avez ressenti, vous aussi, cet avant et après Covid, avec peut-être, je ne sais pas,
12:23 la mise en place chez vous aussi du "click and collect", qui a été ce terme presque inventé par cette crise.
12:30 Ah oui, bien sûr.
12:31 Nous, comme partout, on a eu un effet Covid très important.
12:36 D'autant que moi, dès le premier confinement, on a assuré des livraisons et un service pour nos clients.
12:42 Et puis, il y a eu cet effet Covid.
12:44 Et si on doit parler aussi d'un renouvellement du public en librairie, on doit quand même dire un mot du pass culture aussi.
12:49 Qui a été un support massif au retour des jeunes physiquement en librairie.
12:56 Et pour acheter quoi ?
12:58 Alors, au début, il y a eu beaucoup de mangas.
13:02 Mais pas que, finalement.
13:03 On s'aperçoit, alors au début, il y a eu une vraie frénésie là-dessus.
13:06 Dans la durée, c'est toujours le cas, mais de manière beaucoup plus relative.
13:10 Il y a toujours du manga.
13:12 Il y a aussi beaucoup de romances jeunes adultes, ado, romances.
13:16 Et puis, on revient aussi à d'autres, à de la littérature un peu plus variée, un peu plus classique.
13:22 Le pass culture, c'est ce chèque donné aux plus jeunes lecteurs pour les événements culturels, les sorties culturelles.
13:30 Et aussi pour acheter, évidemment, des livres.
13:33 On va parler encore un peu d'actualité avant de rentrer derrière le comptoir de votre librairie.
13:39 Si je puis dire un mot sur la question du pouvoir d'achat et de l'inflation.
13:43 Ce sont les éditeurs qui choisissent le prix des livres.
13:46 Ça, c'est la loi en France.
13:47 Il y a d'ailleurs un prix unique depuis 1981 fixé par l'éditeur.
13:52 Ça permet quoi, ce prix unique, Stanislas Rigaud ?
13:55 Alors, pour nous, c'est une grande sécurité.
13:57 C'est-à-dire que, quand je dis sécurité, c'est-à-dire que mon métier, ce n'est pas quand j'ouvre la librairie de me dire
14:02 « alors si je prends un Harry Potter plus un Proust, je peux offrir un Céline »,
14:07 comme on peut trouver en Angleterre, aux États-Unis.
14:09 On n'est pas du tout dans une démarche sauvage par rapport au prix.
14:12 Et ça, c'est un luxe énorme pour le libraire.
14:15 C'est un luxe énorme pour le libraire.
14:16 Les livres ont le même prix partout en France, partout sur Internet.
14:19 Le livre est au même prix.
14:20 Et ça, c'est quelque chose qu'il faut matraquer.
14:22 Parce qu'on s'est rendu compte, notamment ces dernières années, que les gens avaient eu tendance à oublier ce principe,
14:27 qui est pourtant effectivement fondateur.
14:29 Ça nous a préservés, et ça nous préserve aujourd'hui, d'une concurrence sauvage.
14:32 Alors, le prix à payer de ce prix unique, c'est que forcément, on a un métier où on a des faibles marges,
14:39 contrairement par exemple aux vêtements.
14:42 On est sur un métier qui rapporte entre guillemets « moins », mais on est protégé.
14:47 C'est dans cette balance qu'on trouve, au niveau comptable, une grande force pour la librairie.
14:53 Avec l'autre aspect qui est extrêmement important, c'est l'aller-retour.
14:56 Puisque les livres que j'achète sont essentiellement des livres que je peux renvoyer.
15:00 Alors, c'est une très bonne chose, puisque ça nous permet de ne pas chercher à l'unité près ce qu'il nous faut.
15:05 Le prix à payer aussi, c'est que forcément, ce livre, en aller-retour, il y a des frais de port.
15:09 Forcément, vous êtes peut-être remboursé, mais plus tard, etc.
15:11 Donc, il y a une gestion plus acrobatique qu'il n'est pareil.
15:14 - Ça, il faut nous expliquer, le Dibon Info. Ça veut dire que vous achetez les livres auprès de l'éditeur.
15:19 Une fois que vous les avez vendus, vous prenez un pourcentage sur cette vente.
15:23 Et si vous ne les vendez pas, vous pouvez les renvoyer, c'est ça ?
15:25 - Alors, oui, c'est à peu près ça. Dans une certaine limite,
15:28 certains éditeurs sont plus regardants que d'autres sur les conditions de retour.
15:32 Mais effectivement, un livre qu'on a acheté, si personne n'en veut,
15:37 au bout d'un certain temps, on a le droit de le retourner à l'éditeur, tout à fait.
15:40 Et comme le disait Stanislas, cette possibilité en soi n'est pas payante.
15:46 Mais le livre a pris un espace dans votre librairie qui, lui, a un coût.
15:50 Et les frais de retour sont à votre charge. Et l'avance de trésorerie également.
15:56 Donc finalement, ce n'est pas non plus anodin, cette faculté de retour dont bénéficient les libraires.
16:00 - Ça veut dire qu'il faut bien gérer son stock, comme on gère n'importe quel stock, d'ailleurs.
16:05 - Probablement plus encore. C'est vraiment le nerf de la guerre chez nous.
16:09 - Un mot d'abord, et avant de voir comment vous sélectionnez vos livres.
16:13 Aussi, c'est une question d'actualité, c'est la question de l'inflation, bien sûr.
16:17 On sait que les éditeurs ont augmenté les prix parce que le transport a augmenté,
16:22 le coût du papier également.
16:25 Et c'est donc à vous, libraire, de changer les prix parfois sur les livres.
16:29 C'est un travail qui a été pénible ces derniers mois, ces dernières semaines ?
16:34 - Pas tant que ça. En fait, pas tant que ça parce que d'abord,
16:38 il y a eu un nombre de livres qui ne sont pas indiqués, le prix n'est pas indiqué dessus.
16:41 Ça, c'est une chose importante. Donc forcément, les changements n'ont pas été modifiés.
16:45 Ensuite, effectivement, on a surtout senti ça, notamment en livre de poche,
16:48 où vous aviez des éditeurs sur lesquels le livre était marqué.
16:51 Et donc, il a fallu transférer.
16:53 Alors après, vous avez une rotation quand même de votre stock qui fait que ça s'est "chassé" au fur et à mesure.
17:00 On a eu très, très peu de soucis par rapport à ça.
17:03 C'est un livre in fine, mais effectivement, il y a eu un temps où...
17:06 Ce que je voulais ajouter aussi par rapport à ces augmentations de prix,
17:09 c'est que le livre est le produit qui avait le moins augmenté en termes depuis les années 80.
17:16 C'est-à-dire que si vous prenez le prix d'un roman en franc dans les années 80
17:21 et que vous prenez le prix aujourd'hui en euros d'un roman similaire, on va dire,
17:26 il y a très peu de différence.
17:28 Le produit aujourd'hui, vous payez au même prix à peu de choses près
17:32 qu'à quelque chose que vous achetez dans les années 80.
17:35 Vous ne prenez pas "Cake Club", moi je payais 10 francs à l'époque.
17:37 Aujourd'hui, c'est 10 euros.
17:39 Le livre à l'époque, il coûtait 130 francs. Aujourd'hui, il coûte 20 euros.
17:43 Bien sûr, il y a de l'augmentation, mais on reste, je pense, dans des marges encore très raisonnables.
17:48 - Il y a un format qui, vous l'avez dit, c'est le format de livre de poche,
17:52 qui a permis aussi un accès plus facile et plus aisé à tout le monde et à un plus large public,
17:59 et le dit Bonafou, ça c'est toujours le cas 70 ans après l'invention ?
18:02 - Alors non seulement c'est toujours le cas, mais effectivement avec l'inflation qu'on a connue ces derniers temps,
18:06 on a vu les gens acheter davantage de poches.
18:09 Dans des périodes où on sent une certaine angoisse, un certain resserrement du porte-monnaie,
18:13 les gens font attention. Ça ne veut pas dire qu'ils vont arrêter de lire,
18:17 mais ça veut dire qu'ils vont aller plus souvent et plus facilement vers des formats poche.
18:21 - Il y a une période dans le mois où, par exemple, il y a moins de clients parce que c'est la fin du mois ?
18:25 - Oui, bien sûr. Grosso modo, la troisième semaine, au moment où les prochains salaires ne sont pas encore tombés,
18:33 mais l'ancien est déjà bien entamé.
18:35 - Et l'audit ?
18:36 - Non, j'allais dire exactement la même chose. La dernière semaine du mois est souvent un peu plus calme.
18:41 - Alors il y a évidemment des librairies spécialisées. On a parlé des mangas, des bandes dessinées, de la poésie,
18:45 des sciences humaines et les librairies jeunesse, celles dont nous parle Véréda qui habite à Rennes.
18:51 - La librairie La Courte Echelle à Rennes, qui a compté dans ma vie et qui compte encore une librairie jeunesse
18:57 qui est une vraie caverne d'Ali Baba. J'y ai emmené mes enfants pendant des années et ils m'y ont emmené à leur tour.
19:03 Et comme j'ai la chance de travailler avec des adolescents et des enfants, j'ai continué à la fréquenter avec gourmandise
19:08 en me perdant dans ses rayons avec délice. J'ai découvert des tas d'auteurs et d'illustrateurs,
19:14 Claude Ponty, Yvan Pomot, Eric Sanvoisin pour ne citer qu'eux, au gré des lectures que je voulais absolument partager
19:21 avec ses enfants ou ses adolescents, au gré des rencontres que j'ai faites avec des auteurs et des illustrateurs,
19:27 notamment Yves Grevé, un grand romancier, et Charles Duterte, un illustrateur que j'aime beaucoup.
19:34 Ce que j'aime dans cette librairie, c'est qu'il y a beaucoup de choix et que les libraires sont de très bons conseils.
19:40 Ils ont changé au fil des ans, mais l'esprit de découvert et de partage demeure.
19:45 L'esprit de découverte et de partage, c'est deux mots qui, j'imagine, résonnent pour chacun d'entre vous.
19:52 Vous êtes vous des librairies généralistes. Comment on fait le choix des rayonnages, des thématiques, des genres
19:59 qu'on met dans sa librairie, Stanislas Rigaud ?
20:01 Alors la répartition, en fait, on est sur une répartition forcément due aux chiffres.
20:06 Dans cette librairie où je travaille, le rayon numéro un et loin devant les autres, c'est la littérature grand format.
20:11 Grosso modo, un livre sur cinq qui sort de cette librairie est de la littérature française et étrangère grand format.
20:17 Là-dessus, vous ajoutez une grosse moitié de ce chiffre en poche.
20:21 Donc voilà, on a 30 % de littérature, 35 % de littérature.
20:24 Après, au même volume, vous mettez jeunesse et BD, et après, vous mettez tout le reste.
20:29 Donc tout le jeu est d'équilibrer vos rayonnages en fonction des périodes, des parutions forcément,
20:34 qui est opération mise en avant.
20:36 Et toute la saisonnalité aussi du métier.
20:39 C'est un métier qui est extrêmement saisonnier, avec les grandes vacances, avec la rentrée littéraire,
20:43 la rentrée scolaire, Noël.
20:45 Il y a énormément de thématiques qui reviennent tous les ans.
20:48 Vous êtes capable de me dire aujourd'hui, à 13h11 sur France Culture, combien vous avez de livres dans votre librairie ?
20:53 50 000 livres, je pense, grosso modo.
20:57 Elodie Bonafou, vous aussi, vous êtes capable de me le dire ?
20:59 À peu près 30 000.
21:01 Justement, il y a une partie, et Stanislas Rigaud le disait, il y a une partie de nouveautés.
21:06 Alors expliquez-nous comment ça fonctionne, Elodie.
21:08 Comment on vous propose ces nouveautés ?
21:11 C'est un rendez-vous, c'est sur catalogue, c'est aujourd'hui sur un formulaire internet.
21:15 Comment ça fonctionne ?
21:17 Alors en fait, tout cela est possible en soi.
21:20 Pour ce qui me concerne, on est visité par les représentants, ce qu'on appelle les commerciaux des diffuseurs.
21:26 Les diffuseurs étant les intermédiaires entre les éditeurs et les libraires,
21:29 qui vont venir nous présenter le programme de nouveautés des éditeurs.
21:32 Et de trois mois avant l'apparution, jusqu'à un mois avant,
21:35 on va choisir les quantités de livres qu'on veut avoir à parution à la librairie.
21:42 Est-ce qu'on vous impose des livres ?
21:44 Non. Par chance, alors c'est quelque chose qui peut arriver, moi je me suis battue pour ça, on ne m'impose aucun livre.
21:51 Stanislas Rigaud, même question ?
21:53 L'actualité impose, en fait.
21:55 Il y a des fois des livres qu'on n'a absolument pas envie de prendre, mais voilà, on va les prendre.
21:58 Votre lien, vous, avec le représentant, c'est un lien, un contact humain ou c'est un contact dématérialisé aujourd'hui ?
22:06 Non, non, c'est un contact humain.
22:07 On a bien vu d'ailleurs au moment du Covid où on s'est retrouvé avec des contacts dématérialisés,
22:10 que ceux qui pensaient que les représentants n'étaient pas très utiles et qu'il suffisait d'envoyer des choses par Internet, des bons à remplir,
22:16 en fait, on s'est rendu compte de la difficulté de la chose.
22:18 On est dans un rapport humain, on a un seul représentant.
22:21 En plus, ce sont des représentants qu'on a la chance d'avoir régulièrement,
22:25 qui viennent souvent à la Librairie et qui, en général, sont sur un secteur longtemps.
22:29 Donc, s'entretiennent des liens, ils nous connaissent, on les connaît, ils connaissent notre territoire.
22:34 Ce sont des gens qui nous conseillent aussi, qui nous aiguillent par rapport à notre choix.
22:38 Donc, on fait vraiment le choix ensemble.
22:41 Et justement, ce sont aussi, enfin, on imagine là, avec ce que vous êtes en train de nous décrire,
22:46 une sorte de chaîne Élodie Bonafou qui part de l'auteur, qui passe par l'éditeur,
22:52 par le représentant qui diffuse et qui vient jusqu'à vous.
22:55 Et à chaque fois, il y a simplement une relation aussi de confiance et de conseil.
23:00 - Oui, évidemment. Alors, ce que vous décrivez, c'est précisément la chaîne du livre, justement.
23:04 C'est le nom que ça porte. Et oui, évidemment, les représentants ont fini par avoir une relation avec eux.
23:09 Ce sont souvent de très bons lecteurs, par chance, et qui vont être capables de nous dire ça, super, c'est pour toi, prends,
23:15 et ça va te plaire et ça va plaire à la clientèle de la Librairie.
23:19 Et inversement, là-dessus, ce n'est pas la peine de s'énerver. Ce n'est pas quelque chose qui a vocation à fonctionner chez toi.
23:26 On a la plupart du temps et vraiment dans la très grande majorité des cas, des rapports de confiance
23:32 et une vraie qualité de travail avec nos représentants.
23:34 - Et sur la question du nombre d'exemplaires, comment vous faites ? Quel est le secret ?
23:39 - Alors, c'est souvent en fonction... Alors, il y a une intuition, évidemment.
23:47 Il y a une connaissance de sa clientèle. On le disait tout à l'heure.
23:49 Il y a des historiques aussi de vente qu'on a sur certaines typologies de livres qui vont nous permettre de déterminer des fourchettes.
23:57 Et puis, il y a un risque, bien évidemment, qu'on prend toujours également.
24:02 - Stanislas Rigaud ?
24:03 - Oui, voilà. À la Librairie où je travaille, chaque libraire, on a une équipe de 10 libraires,
24:08 et responsable de son rayon, donc c'est lui qui fait les achats.
24:10 Et donc, reçoit ses représentants et décide donc, chaque secteur, chaque rayon a non pas un budget, mais une échelle de valeur.
24:19 Et dans cette échelle de valeur, voilà, on travaille sur tel volume.
24:23 Et entre ce que le représentant va nous annoncer, le goût du libraire et le terrain, le territoire, tout ça donne ce qui va arriver deux mois plus tard.
24:31 - On va évidemment parler de la littérature classique, des grands classiques, Camus, Baudelaire, Rugaud, Dumas, Maupassant, Flaubert.
24:38 Là aussi, vous avez tout ce qu'on veut, tout ce qu'on peut imaginer ?
24:40 - Oui, je pense. On a un gros fonds en livres de poche, qui est énormément alimenté par les écoles, forcément.
24:47 La prescription reste un moteur essentiel du fonds de la Librairie.
24:51 Et en même temps, une clientèle qui est toujours très fidèle aux grands classiques.
24:56 À la Librairie, typiquement, Zweig, Garry sont des auteurs qu'on voit à tour de bras tous les jours.
25:03 Et là aussi, il y a des saisons, je peux dire, même si ce n'est pas des saisons, mais des vagues de certains auteurs classiques qui reviennent à certains moments.
25:10 - Pour X raisons. Regardez, au moment du Covid, on a eu le grand retour en force de Camus avec la peste.
25:16 Il y a les événements extérieurs qui rebondissent sur les classiques.
25:21 Il y a aussi tout simplement les programmations. En ce moment, le carton des Trois Mousquetaires, comme on a pu avoir le carton des Illusions perdues de Balzac.
25:27 Avec les liens avec les grands films, il y a énormément de choses qui font que le fonds classique est très vivant.
25:32 - Si vous n'avez pas le livre, vous pouvez le commander en combien de temps ? - Deux ou trois jours.
25:37 - Et l'Audit Bonafou, c'est la même chose de votre côté ? - Absolument. On a un système, l'interprofession, une plateforme logistique en région parisienne
25:44 qui permet de livrer dans des conditions logistiques extrêmement performantes les librairies de province dans un temps record.
25:51 Donc on est livré effectivement entre deux et cinq jours.
25:55 - En prévorant l'émission et l'Audit Bonafou, je me suis intéressé à ce que vous disiez.
26:01 Il y a quelque chose qui m'a beaucoup marqué et que je trouve très joli. Vous parliez d'une sorte de système solaire qui gravite autour de votre librairie.
26:07 Alors, quels sont vos interlocuteurs ? On a parlé évidemment de ceux de l'éditeur et des représentants.
26:13 Mais j'imagine qu'on l'a dit, il y a des écoles aussi, des gens qui sont autour de vous et qui participent à ce système solaire.
26:21 - Oui, alors vous aurez les clients, évidemment, qui font partie de ce système.
26:26 Alors les clients, les particuliers, mais aussi les bibliothèques, les écoles, les autres acteurs culturels.
26:32 Puisque nous avons des théâtres, des scènes, des cinémas et ainsi de suite autour de nous avec lesquels nous travaillons très régulièrement.
26:39 Des associations, des porteurs de projets divers et variés, des collectivités territoriales.
26:45 Si bien qu'il y a effectivement toute une constellation qui s'organise autour de la vie de la librairie, qui dépasse très largement le travail de libraire strict.
26:55 - Et puis c'est un lieu de rencontre aussi, évidemment. Vous avez parlé des auteurs qui viennent, les dédicaces, les discussions qui peuvent naître, que vous créez aussi.
27:02 Que vous contribuez à créer entre les auteurs, les autrices et vos clients, lecteurs et lectrices.
27:08 Stanislas Rigaud, un mot sur le réseau Page dont on parlait au début de cette émission.
27:13 C'est un réseau où il y a 2000 librairies à peu près. Vous en faites partie, tout comme Elodie Bonafo à Châteauroux.
27:19 Ça sert à quoi ce réseau ?
27:21 - Alors ça sert à créer, entre guillemets, une communauté d'échange.
27:25 On est tous... C'est un métier qui est extrêmement individualiste par rapport à...
27:29 Effectivement, on a notre quartier, on a notre clientèle, la chalandise, nos politiques.
27:34 Les libraires sont souvent fort caractère.
27:38 Et Page nous permet, effectivement, d'abord de nous rencontrer, ce qui n'est quand même pas si fréquent.
27:45 Ils nous permettent aussi de mettre en commun nos échanges, nos goûts, nos lectures et nos coups de cœur.
27:50 C'est très important.
27:52 Et l'événement central de cette histoire, c'est la réunion de rentrée littéraire.
27:58 La rentrée littéraire qui est un des très grands événements avec Noël de l'année.
28:02 Et Page nous permet, effectivement, avec une très grande réunion qui se tient tous les ans à la BNF,
28:07 pour les professionnels, d'organiser une journée où 400, 500 libraires et bibliothécaires
28:12 se retrouvent pour une présentation de cette fameuse rentrée qui est une clé de l'année.
28:17 - Un réseau qui s'est créé à la fin des années 80, justement, pour faire face à l'avènement des grandes surfaces culturelles.
28:23 Et on disait que ça se portait bien, la profession de libraire.
28:26 Il y a 142 nouvelles librairies indépendantes qui se sont ouvertes l'année dernière,
28:30 selon le Centre national du livre.
28:32 Evidemment, ça participe aussi de cette solidarité.
28:35 Est-ce qu'il y a vraiment de la solidarité, le dit Bonafou, entre libraires ?
28:38 Est-ce qu'on renvoie vers son confrère et sa consœur ou est-ce qu'on garde son client ?
28:43 - Dans la mesure du possible, on garde son client.
28:45 Après, oui, évidemment qu'il y a de la solidarité.
28:48 En général, on ne se marche pas trop sur les pieds les uns des autres.
28:52 Il y a quand même...
28:54 On a des problématiques communes.
28:56 On a un syndicat qui est assez fort.
28:58 C'est une profession qui est relativement organisée, relativement solidaire.
29:02 Il y a des outils collaboratifs comme ce magazine page,
29:05 auquel on est très nombreux à participer.
29:08 Et non, il n'y a pas...
29:11 On a des relations les uns avec les autres qui sont quand même plutôt pacifiques.
29:14 - Même si on n'est pas d'accord sur le livre
29:17 et sur la qualité de telle ou telle sortie, on imagine bien.
29:20 On fréquente aussi beaucoup les librairies quand on est étudiant et étudiante,
29:24 comme on l'a dit tout à l'heure. Et c'est justement ce qu'expérimente en ce moment Anastasia.
29:28 - La librairie Vrin et six places de la Sorbonne,
29:31 où j'ai fait mes études de droit et de philosophie.
29:34 C'est la seule librairie au monde qui se consacre exclusivement à la philosophie.
29:38 Dotée de sa propre maison d'édition,
29:40 elle fait partie de ces enseignes indépendantes
29:43 qui promettent à l'esprit critique français encore dès le lendemain.
29:46 Depuis 1911, elle accueille les sorbonnards qui sortent rincés de leurs heures de cours,
29:50 qui s'y plongent avant ou après la dernière perfusion de café qui rythmera leur journée,
29:54 juste en face aux patients.
29:56 Fatigués mais heureux, parfois en quête d'un livre pour nourrir la bibliographie d'un mémoire,
30:00 parfois désireux de se perdre dans ce sanctuaire de la pensée
30:03 où les anciens coexistent avec les contemporains,
30:06 où plus de 10 000 livres, neufs ou ressuscités,
30:09 leur rappellent malicieusement qu'ils ne savent rien.
30:12 Où les libraires, sont de véritables spécialistes du doute,
30:15 font aller plus loin voir plus large,
30:17 et au comble de leur art, penser contre soi-même.
30:20 - Le libraire est un spécialiste du doute.
30:23 Un spécialiste de quoi d'ailleurs, Stanislas Rigaud ?
30:26 Le libraire, il se dit spécialiste ou pas ?
30:28 - Oh non, pas du tout.
30:30 En fait, on a la chance, enfin on a la chance, c'est aussi le devoir,
30:33 on lit tout le temps.
30:34 Donc ça c'est quelque chose d'important, c'est quelque chose qui est...
30:37 C'est aussi une des caractéristiques de ce métier qui est un petit peu paradoxale.
30:40 C'est-à-dire qu'en fait, une bonne partie de ce métier, c'est lire.
30:43 Et ce métier de lire, on ne le fait pas au travail.
30:46 - Justement, j'allais vous demander, on a parlé de toute la partie administrative,
30:50 mais quand est-ce que vous lisez, vous par exemple ?
30:53 - Quand je ne suis pas là, libraire.
30:55 Donc c'est en plus dans les transports, chez moi,
30:58 ça fait partie effectivement là.
31:00 Et on a rencontré, il n'y a pas si longtemps que ça,
31:02 alors c'est en train de revenir en arrière,
31:04 mais effectivement d'être confronté à des gens qui veulent devenir libraire,
31:07 mais bon, je pars à 19h, à 19h01 je fais ce que je veux,
31:11 mais je ne lis pas, ce n'est pas mon problème, j'ai des séries.
31:13 Oui, mais en fait, si, le métier ne s'arrête jamais.
31:16 Et moi, j'ai trouvé un grand accomplissement dans ce fait que
31:20 la porosité du métier et de ma vie personnelle,
31:24 on a eu effectivement des retours assez surprenants
31:28 de la part de la nouvelle génération qui disait
31:30 "oui, mais non, moi, ma vie personnelle, patati patata",
31:32 ça revient en arrière et aujourd'hui, on a effectivement,
31:34 je suis très emballé par les nouveaux jeunes libraires que je rencontre
31:38 qui sont très très motivés.
31:39 Et donc, parce que voilà, ce métier, une bonne partie de ce métier
31:42 ne se fait pas entre les murs du travail.
31:44 - Difficile de conseiller un livre si on ne l'a pas lu,
31:46 et le livre est fou, j'imagine.
31:47 - Oui, évidemment.
31:48 Évidemment, alors vous disiez que le libraire est un spécialiste du doute.
31:52 C'est aussi forcément un métier qui appelle à l'humilité.
31:56 On est entouré de livres, évidemment, qu'on n'aura jamais tous le temps de lire,
31:59 ce qui est extrêmement frustrant.
32:01 - J'espère que vous parlez, oui.
32:04 - Oui, effectivement, on a...
32:10 Vous le disiez, un rapport au travail qui forcément ne s'arrête pas
32:16 aux portes de la librairie au moment où on baisse la grille le soir.
32:19 C'est évident.
32:20 - Il faut pouvoir donner des conseils.
32:21 Chez vous, ils sont sous quelle forme les conseils ?
32:23 Ils sont aussi sur les livres, Elodie Bonafou, Petit Papier ?
32:25 - Oui.
32:26 - Chaque libraire conseille son livre préféré ?
32:29 - Oui, alors c'est d'autant plus important de le faire
32:31 qu'on parlait de typologie de client, mais au-delà de la typologie,
32:34 vous avez des gens qui vont être ravis de discuter avec des libraires,
32:37 d'échanger sur leur lecture, leur vie, et ainsi de suite.
32:39 Il y en a d'autres qui sont ravis de trouver une librairie qualitative
32:42 avec des libraires qui savent de quoi ils parlent,
32:44 mais qui n'ont pas forcément envie de parler là, tout de suite, maintenant.
32:47 Et qui vont être ravis de pouvoir déambuler dans la librairie
32:49 et, mine de rien, d'être quand même aiguillés, orientés,
32:52 d'avoir aussi nos petits avis qui sont là.
32:54 - Et de ne pas se frotter aux libraires de caractère
32:57 dont parlait Stadislas Rigaud tout à l'heure.
32:59 Alors, il nous reste vraiment une minute, 30 secondes chacun.
33:02 Elodie Bonafou, si vous nous donnez une recommandation de lecture,
33:04 c'est laquelle ?
33:05 - Alors, une recommandation de lecture.
33:07 Allez, un grand voyage au Tibet, quand notre terre touchait le ciel,
33:11 de Tsering Yangzom Lama.
33:13 Vous voulez que je vous en dise deux mots ?
33:15 - Vraiment deux mots.
33:16 - Vraiment deux mots.
33:17 Allez, elle a eu le grand, les 40 ans de voyage
33:20 d'une famille tibétaine en exil,
33:22 qui a été obligée de partir dans les années 60,
33:24 au moment de l'invasion de la Chine.
33:25 Et ça nous parle de ce que devient une culture
33:28 quand elle est déracinée, avec ce que deviennent les hommes,
33:30 mais aussi les objets qui ont construit cette culture.
33:33 - J'imagine que ce n'était pas facile de faire ça très court.
33:35 Pour quand notre terre touchait le ciel,
33:37 on met évidemment la référence sur la page
33:39 du book club, sur le site franceculture.fr.
33:41 La même chose, même exercice, la distresse rigoureuse.
33:43 - Le livre qui va le plus bouleverser cette année,
33:45 pour le moment, c'est "Kamarck McCarthy",
33:47 avec le passager aux éditions de l'Olivier,
33:49 chef d'œuvre pour moi absolu, d'un auteur
33:51 qu'on croyait 90 ans,
33:53 un peu mortifère sur la face.
33:55 Ça faisait 15 ans qu'il n'avait rien sorti.
33:57 Et à l'arrivée, on a une réinvention totale
33:59 d'un des plus grands auteurs américains du XXe siècle,
34:01 qui soudain, en brassant
34:03 et la Beat Generation,
34:05 et le Polar, et le grand roman américain,
34:07 nous offre un livre totalement hors normes
34:09 et hors classe. - On en a parlé vendredi dernier,
34:11 c'est à réécouter sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
34:13 C'était d'ailleurs avec Olivier Cohen,
34:15 l'éditeur de l'Olivier. Merci à tous les deux
34:17 d'avoir été avec moi, direct, à distance.
34:19 C'est Lodi Bounafou, depuis Châteauroux,
34:21 où vous vous occupez de la librairie Arcane.
34:23 Et merci à vous, Stanislas Rigaud, librairie La Martine
34:25 à Paris, dans le 16e arrondissement. Et on vous retrouve tous les deux
34:27 dans le dernier numéro de la revue
34:29 bimestriel,
34:31 page des libraires, partenaire de cette émission,
34:33 page des libraires.fr.
34:35 - Un juron est une ellipse
34:37 ou un désemparement. Que l'on soit
34:39 indigné au point de ne pas pouvoir
34:41 élaborer de raisonnement, ou
34:43 dédaigneux au point de ne pas vouloir
34:45 le faire, on ne peut plus que crier
34:47 "abruti". En démocratie,
34:49 cela fait partie du métier
34:51 de politicien d'être un jurier.
34:53 Aucune conséquence, d'ailleurs.
34:55 À la fin, les politiciens font à peu près
34:57 ce qu'ils veulent. Le mieux,
34:59 ce sont les orateurs qui osent
35:01 engueuler les peuples. La gloire
35:03 des orateurs populistes qui nous accablent
35:05 depuis plusieurs années vient
35:07 de ce qu'ils ne contredisent jamais, la rage
35:09 de la plèbe. Ils la caressent,
35:11 la nourrissent, la renforcent.
35:13 On les applaudit dans des conférences, on leur
35:15 demande des conseils, on les vénère.
35:17 Ils flottent sur un coussin d'amertume.
35:19 Ils sont prisonniers.
35:21 Toute tentative de s'éloigner
35:23 de la non-pensée qu'ils répandent
35:25 est conclue par leur anéantissement.
35:27 La plèbe tue celui
35:29 qui interrompt la béquette.
35:31 Il est rare qu'un orateur ose dire
35:33 des choses désagréables au peuple.
35:35 Le plus célèbre, celui
35:37 qui devrait être le maître des politiciens
35:39 et par conséquent ne l'est pas,
35:41 est Desmostède. Oui,
35:43 l'Athénien du IVe siècle avant notre ère,
35:45 de la période où sa ville
35:47 était menacée par la Macédoine du roi
35:49 Philippe, père de l'insupportable
35:51 tête à claques qui deviendrait
35:53 Alexandre le Grand.
35:55 Les belles lettres, dans leur excellente
35:57 collection Edicio Minor,
35:59 publient l'intégralité de ses discours,
36:01 édition dont on ne peut que
36:03 louer la qualité, traduction,
36:05 comme apparat critique. Si les
36:07 belles lettres l'envoyaient aux technocrates
36:09 qui écrivent les discours des employés de
36:11 l'État pour qu'ils apprennent ce qu'est l'éloquence,
36:13 elles rendraient un grand service
36:15 à la République et à nos oreilles.
36:17 On ne trouvera pas de
36:19 synergie ni autre en responsabilité
36:21 dans les discours de Desmostède,
36:23 mais d'enthousiasme
36:25 prise à partie du peuple.
36:27 Je ne citerai que le début de la
36:29 première Philippique où il
36:31 fustige les Athéniens de son ironie.
36:33 Ne désespérez
36:35 pas Athéniens de la situation présente,
36:37 même si elle semble bien mauvaise,
36:39 car ce que vous avez vécu de
36:41 pire par le passé est justement
36:43 ce qui doit vous fournir le meilleur pour
36:45 l'avenir. Comment cela ?
36:47 C'est, Athéniens, parce que vous ne faites
36:49 rien de ce qu'il faut,
36:51 que votre situation est désastreuse.
36:53 Si vous aviez fait tout ce qu'il convenait
36:55 de faire et qu'en un était arrivé là,
36:57 il n'y aurait même pas l'espoir d'une amélioration.
36:59 Sur
37:01 60 discours du Recueil, 5
37:03 sont sur quelque chose,
37:05 sur l'organisation financière, par exemple.
37:07 Tous les autres étant contre.
37:09 Contre Midias, contre Panthenatos,
37:11 et bien sûr,
37:13 contre Philippe de Macédoine, d'où le sens
37:15 du mot actuel "philippique",
37:17 violent discours contre une personne.
37:19 On ne fait pas carrière
37:21 dans l'éloquence en étant pour.
37:23 C'est ce qu'il apparente à la critique
37:25 littéraire, hélas.
37:27 Poursuivi par les ennemis de son pays,
37:29 Demosthènes s'est suicidé au même
37:31 moment qu'était aboli la démocratie
37:33 athénienne. Tout n'était pas mieux
37:35 dans le passé. Le XXème siècle
37:37 a connu un orateur
37:39 aussi éloquent que Demosthènes,
37:41 qui, lui aussi,
37:43 a mis en garde un peuple contre
37:45 sa frivolité envers un tyran
37:47 étranger. Mais Winston Churchill
37:49 ne s'est pas suicidé, et la démocratie
37:51 a gagné. - Charles Danzig, qui était
37:53 pressé donc de clôturer ses 4 items.
37:55 Et c'est à réécouter sur franceculture.fr
37:57 et sur l'appli Radio France, un peu comme
37:59 dans une librairie. Dans le book club, il y a toute une équipe.
38:01 Orianne Delacroix, qui lit des livres toute la
38:03 journée, même quand elle est chez elle. Le soir,
38:05 Zora Vignier aussi, Jeanna Grappard,
38:07 Alexandre Halay-Bégovitch, Didier Pinault,
38:09 bien sûr. A la réalisation ce midi,
38:11 c'est Sam Bakhiast,
38:13 et à la prise de son, Noé Chaban.
38:15 On tourne, comme tous les jours,
38:17 ensemble la dernière page du jour,
38:19 et voici l'épilogue.
38:21 ...

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