Guerre en Ukraine : l’aviation peut-elle faire la différence ?

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00:00 7h15, la question du jour à l'heure où les bombardements russes s'intensifient
00:09 à Kiev et ailleurs dans le pays, les regards sont tournés vers les forces aériennes ukrainiennes.
00:14 Alors que le président Vlodimir Zelensky effectuait en ce début de semaine un voyage
00:18 éclair en Europe, la question se pose de l'aide matérielle qui peut être apportée.
00:22 Mardi, Londres annonçait vouloir je cite "bâtir une coalition internationale pour
00:27 aider l'Ukraine à obtenir les avions de combat de type F-16 que les Ukrainiens dépendent
00:32 depuis des mois".
00:33 Alors quel est le rôle des forces armées dans cette guerre ? L'aviation pourrait-elle
00:37 inverser les rapports de force ? On en parle ce matin avec Vincent Touré.
00:41 Bonjour.
00:42 Bonjour.
00:43 Vous êtes doctorant à l'université du Québec à Montréal, chercheur associé
00:46 à la Fondation pour la Recherche Stratégique.
00:48 Une première question pour commencer, comment est dotée aujourd'hui la flotte aérienne
00:54 ukrainienne ?
00:55 Alors ce qu'il faut comprendre si vous voulez, c'est que la flotte ukrainienne
00:59 est d'abord une flotte héritée de l'ère soviétique.
01:01 Et c'est d'ailleurs une des particularités du conflit, c'est que vous avez en fait
01:04 une flotte russe et une flotte ukrainienne qui partagent largement les mêmes appareils.
01:09 Le problème par contre vis-à-vis des russes, c'est que les appareils ukrainiens déjà
01:13 sont plus réduits en nombre.
01:15 Vous aviez à peu près qu'une centaine d'appareils avant l'entrée du conflit,
01:19 puis ils ont perdu plusieurs dizaines de ces appareils.
01:22 Et puis qu'il y a une grande différence technologique en fait, entre les appareils
01:27 russes et les appareils ukrainiens.
01:28 Et dans le domaine aérien, malheureusement c'est un domaine très cruel, c'est le
01:32 domaine de la technique.
01:33 Plus vous avez d'appareils et de meilleures conceptions, c'est vous qui remportez du
01:39 coup la bataille.
01:41 Donc la supériorité en matière aérienne c'est d'abord une supériorité technique
01:46 plus au fond qu'une supériorité stratégique ?
01:48 Alors, vous pouvez importer une supériorité stratégique grâce à l'aérien.
01:52 Mais dans l'aérien, effectivement ce qui va compter c'est à quel point vos capteurs
01:56 sont-ils performants ? Est-ce que vous pouvez détecter un appareil qui vient vers vous ?
01:59 Est-ce que vos missiles sont performants ? A quelle portée vous pouvez détruire les
02:03 appareils ennemis ? Et dans ce jeu-là, si vous voulez, les ukrainiens font preuve d'une
02:09 importante ingéniosité, ils font preuve de beaucoup de courage.
02:12 Mais en phase 2, si vous voulez, ils sont face à des groupes russes qui sont beaucoup
02:15 plus nombreux et qui surtout peuvent les atteindre et les détecter à beaucoup plus longue
02:19 distance.
02:20 Hier encore, Kiev était visé par une série d'attaques aériennes russes.
02:25 A quel point la Russie domine-t-elle le ciel ukrainien aujourd'hui ?
02:29 Alors, ce qui frappe justement c'est plutôt l'inverse.
02:32 C'est-à-dire que vous avez une flotte aérienne russe qui sur le papier devrait avoir largement
02:36 emporté le conflit, sauf qu'elle s'auto-neutralise.
02:39 Elle fait preuve d'incompétence, elle montre aussi ses lacunes technologiques, elle montre
02:45 qu'elle n'arrive pas à employer correctement ses appareils.
02:47 Et en fait, c'est une flotte qui s'auto-neutralise très largement.
02:49 Et c'est d'ailleurs pour ça, si vous voulez, que contrairement aux premières estimations,
02:55 la flotte aérienne ukrainienne, elle, continue de combattre et survit.
02:59 Elle fait preuve d'incompétence, dites-vous, Vincent Touré.
03:03 Qu'est-ce qui explique au fond cette incompétence russe en la matière ?
03:06 Alors, vous avez plusieurs raisons.
03:07 Mais la première, c'est un manque d'entraînement des pilotes.
03:10 Ensuite, c'est un manque de prise d'informations sur les conflits que la Russie a elle-même
03:15 mené dans les années passées, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas compris, ils n'ont pas
03:20 mobilisé le savoir-faire qu'ils auraient pu gagner en Syrie ou en Tchétchénie.
03:25 Et il faut dire aussi que c'est un peu cynique dit comme ça.
03:29 Mais si vous voulez, il n'y a pas eu de rétex, donc de retour d'expérience.
03:32 Mais c'est ça qui est frappant, je me permets de vous couper.
03:33 On a beaucoup, beaucoup évoqué, c'est vrai, au cours de la guerre en Syrie, qui se poursuit
03:39 le fait que les aviateurs russes s'entraînaient, utilisaient ces guerres et ces terrains pour
03:43 s'entraîner, idem en Tchétchénie.
03:45 Ça n'a pas fonctionné comme la Russie, d'une façon cynique l'espérait.
03:48 Exactement.
03:49 En fait, eux, effectivement, pensaient qu'ils s'entraînaient correctement à faire une
03:53 guerre, une guerre complexe.
03:55 Mais la réalité des choses, si vous voulez, notamment vis-à-vis de la Syrie, c'est quand
03:58 même des appareils russes qui sont, qui n'avaient en face d'eux aucune flotte aérienne qui
04:02 pouvaient les contrer et qui allaient en ligne droite quand même bombarder des populations
04:05 civiles.
04:06 Ce n'est pas le nec plus ultra, si vous voulez, de la mission aérienne.
04:09 Ce n'est pas la plus compliquée à faire.
04:10 Londres et Amsterdam ont annoncé mercredi envisager une coalition européenne pour livrer
04:16 des F-16 à l'Ukraine.
04:17 Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce que sont ces F-16 ?
04:20 Alors, c'est des chasseurs de supériorité aérienne.
04:23 Et ce qu'il faut bien comprendre, par contre, c'est qu'il n'y a pas d'arme miracle dans
04:25 la guerre.
04:26 Le F-16, c'est un choix.
04:27 C'est un choix qui peut être intéressant, mais il a lui-même aussi des limitations.
04:32 Et ce qu'il faut bien comprendre, c'est comment un appareil, comment un matériel peut s'insérer
04:38 correctement dans un appareil de force.
04:39 À travers le F-16, ce qu'il faut poser comme question, c'est est-ce que le F-16 peut vraiment
04:45 bien s'intégrer dans l'appareil de force aérien ukrainien ?
04:47 Est-ce que les pilotes ukrainiens peuvent être formés correctement dessus ?
04:51 Est-ce que l'appareil lui-même peut bien profiter, si vous voulez, des infrastructures
04:57 aéroportuaires, par exemple, du pays ?
04:59 Est-ce qu'il contribue ?
05:00 Est-ce qu'il s'intègre dans la philosophie d'emploi de la force aérienne ukrainienne
05:04 ? Et vous voyez, ça, c'est des questions qui ne sont pas faciles à répondre et qui
05:07 ne sont pas forcément positives.
05:09 Est-ce que la proposition d'Emmanuel Macron de former des pilotes vous paraît, aujourd'hui,
05:14 correspondre aux besoins de l'aviation ukrainienne ?
05:17 Alors, si vous voulez, la former des pilotes, c'est bien.
05:21 Après, la vraie question, si vous voulez, la vraie problématique aujourd'hui, c'est
05:24 que l'aviation ukrainienne, comme je le disais au début, elle est condamnée, si on ne lui
05:30 donne pas plus d'appareils, à perdre la bataille du ciel face à l'armée russe, qui, malgré
05:36 son incompétence, par la force brute de sa masse, de ses capacités technologiques, va
05:42 la détruire.
05:43 Et donc, le problème qui se pose, c'est que toute la défense antiaérienne du territoire,
05:49 à la fois des forces ukrainiennes, mais à la fois aussi des villes ukrainiennes, va
05:52 reposer de plus en plus, et c'est déjà le cas, sur sa défense antiaérienne qui est
05:55 basée au sol.
05:56 Et si vous enlevez complètement une dimension flotte aérienne à l'Ukraine, cette défense
06:04 antiaérienne va être de plus en plus mise sous tension pour pouvoir protéger les villes
06:07 et les troupes.
06:08 Et donc, c'est ça l'enjeu aujourd'hui, c'est de pouvoir donner à l'Ukraine les
06:11 moyens, si vous voulez, d'avoir un système de défense antiaérienne et antimissile, parce
06:15 que les deux sont liés, qui soit le plus cohérent, le plus redondant possible.
06:18 C'est ça qui est important.
06:20 Quel est aujourd'hui l'état, justement, de cette défense antiaérienne, côté ukrainien,
06:25 vous l'avez mentionné, côté russe ?
06:26 Alors, ce qui est frappant, si vous voulez, c'est que la défense antiaérienne russe,
06:36 notamment par rapport à la nôtre, c'est une philosophie d'emploi qui est complètement
06:39 différente.
06:40 Les Russes pariaient justement sur une forte défense antiaérienne pour compenser une faiblesse
06:46 dans les flottes aériennes classiques.
06:47 Donc, ils en ont beaucoup plus.
06:50 Elles sont ce qu'on appelle échelonnées, c'est-à-dire que vous en avez, dans la profondeur,
06:56 un premier cercle de défense, un deuxième, un troisième, un quatrième.
06:59 Le problème, c'est que qu'importe la taille, si vous voulez, de votre défense antiaérienne,
07:05 il y aura toujours des trous dans la raquette.
07:06 Et donc, aujourd'hui, notamment avec des drones, vous êtes capables d'exploiter ces
07:11 failles de la défense.
07:12 Et c'est ce qu'essayent de faire les Ukrainiens.
07:14 Donc, en frappant, en essayant de frapper, ou du moins, ils ne disent pas que c'est eux,
07:19 mais on voit bien qu'il y a une tentative de la part des Ukrainiens de saboter, de compliquer
07:26 l'envoi, justement, de tir, l'envoi d'avions depuis les aérodromes en Russie.
07:30 Donc, en frappant les aérodromes par des drones, etc.
07:33 Merci beaucoup, Vincent Touré.
07:34 Je rappelle que vous êtes doctorant à l'Université du Québec à Montréal, chercheur associé
07:39 à la Fondation pour la Recherche Stratégique.
07:42 Merci à vous.

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