Cinéma : l’exception culturelle française est-elle vraiment en péril ?

  • l’année dernière
Transcript
00:00 7h-9h, les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:04 La question du jour, une logique de marchandisation s'immisçant dans les logiques de financement
00:09 du cinéma français, voilà ce que dénonçait samedi la réalisatrice Justine Tried lors
00:14 de la remise de la Palme d'Or au Festival de Cannes.
00:17 Ses détracteurs se sont précipités pour souligner l'ingratitude de celle dont le
00:22 film aurait été supposément financé par le contribuable.
00:26 Alors, comment sont aujourd'hui financés les films français ? Les aides à la création
00:31 sont-elles en train de diminuer ? Vers quel type de production s'oriente-t-elle ?
00:35 Bonjour, Anna Vinuela.
00:37 Bonjour.
00:38 Vous êtes maîtresse de conférence en socio-économie du cinéma et de l'audiovisuel à l'Université
00:43 de Sorbonne-Nouvelle.
00:44 De quoi parle-t-on lorsque l'on parle d'exception culturelle française en matière de cinéma ?
00:50 Alors, l'exception culturelle, c'est un principe qui permet à la culture, dans ce
00:58 cas au cinéma et l'audiovisuel, d'avoir un statut particulier qui les préserve des
01:04 règles du marché.
01:06 En vertu de ces principes, on crée un système de protection de ce secteur qui est très
01:13 complexe, mais surtout pas financé par le contribuable, plutôt financé par l'industrie
01:19 avec un système de règles qui se sont superposées depuis les années 50, on va dire, même
01:28 si les premières formulations de l'exception culturelle par rapport au cinéma apparaissent
01:33 déjà dans des rapports dans les années 30.
01:35 Mais elle a superposé une série de règles, de décrets, de principes qui préservent ce
01:42 système du commerce, ce secteur du commerce international, des règles du commerce international
01:49 et en général de l'économie aussi, des marchés à niveau national.
01:54 Est-ce que c'est un système propre à la France ? Seule la France protège son cinéma
02:00 Anna Vinuela ?
02:01 Oui, on l'a démontré encore une fois.
02:07 C'est pas que c'est le seul pays qui protège le cinéma, mais qui protège le cinéma
02:12 de cette manière, c'est-à-dire qui confère un statut particulier au cinéma et qui n'a
02:19 pas été remis en question les grands principes par aucun gouvernement depuis qu'il a été
02:25 formulé.
02:26 Et on l'a vu dernièrement dans la transposition de la directive service des médias audiovisuels.
02:31 Une directive, c'est un cadre général européen que chaque pays a transposé en droit national.
02:37 Et aucun autre pays n'a eu l'ambition et l'exigence qu'a montré la France dans
02:43 cette transposition.
02:44 Alors comment un film est-il financé aujourd'hui en France ?
02:49 Alors un film, il est majoritairement encore aujourd'hui financé par les diffuseurs,
02:57 c'est-à-dire les préachats et les coproductions des diffuseurs.
03:00 Il y a une part importante qui est devenue de plus en plus forte depuis ces dix dernières
03:07 années des producteurs.
03:09 Il est financé aussi par des cettes publiques directes mais qui sont minoritaires.
03:17 Ces cettes publiques n'émanent pas des contribuables, elles s'émanent de l'industrie, c'est-à-dire
03:23 ce sont les contributions qui font les exploitants du cinéma à partir d'un pourcentage du
03:28 prix du billet, qui font surtout les diffuseurs et qui font aussi les acteurs de la vidéo
03:37 et les plateformes.
03:38 Ça veut dire que Netflix et les autres plateformes contribuent à la production cinématographique
03:47 française ?
03:48 Depuis un an, oui, sauf qu'on ne voit pas encore trop les effets et je pense que le
03:54 malaise qui s'exprime, c'est le malaise propre à un moment de transition et de changement
04:00 de technologie qui a généré ces mêmes craintes à d'autres moments, c'est-à-dire
04:07 que ce sentiment de crise dans le cinéma où les choses étaient mieux avant, ce n'est
04:14 pas nouveau.
04:15 Il correspond à ce moment de rupture.
04:17 On est dans un moment de rupture avec l'intégration des plateformes dans les paysages du visuel
04:21 français.
04:22 Alors si je vous suis, Anna Vignuela, on peut parler de subvention mais pas de subvention
04:26 publique ?
04:27 Si, c'est une subvention publique parce qu'elle est organisée par le CNC.
04:32 C'est le CNC qui attribue des aides automatiques ou des aides sélectives.
04:40 Mais l'argent vient du secteur privé ?
04:43 L'argent vient du secteur privé.
04:45 Ce qui est en ligne de mire pour ceux qui reprochent à Justine Triette son ingratitude
04:50 ou le fait qu'elle soit, je cite, « biberonnée aux aides publiques », ce sont ces aides
04:55 du CNC.
04:56 Ça veut dire que les films qu'elle a tournés, par exemple, ont été nécessairement financés
05:01 en partie par le CNC.
05:03 Dans quelle hauteur, dans quelle proportion en général ?
05:06 Je ne connais pas les chiffres exacts mais je pense avoir vu que le principal financeur
05:14 c'est Canal+.
05:15 Il y a aussi un financement de France Télévisions et je pense qu'elle a obtenu une aide de
05:21 l'Avance sur Recette qui est la principale aide sélective plus In-Aide Régionale.
05:25 Je ne sais pas exactement laquelle.
05:27 Je veux dire aussi qu'il y a des acteurs privés qui sont intéressés, c'est-à-dire
05:32 des distributeurs et des vendeurs.
05:34 Donc quand on parle de rentabilité, évidemment, ces acteurs privés qui font vivre le cinéma
05:42 indépendant s'intéressent à la rentabilité.
05:44 Ils font un pari sur des films qu'ils pensent pouvoir placer dans les salles de cinéma
05:49 pour les distributeurs ou dans les marchés internationaux pour les vendeurs.
05:52 Alors ça c'est la partie privée.
05:54 Mais pour la partie CNC, est-ce que l'on peut dire que le CNC finance de plus en plus
05:59 de films à gros budget ou de moins en moins de films ?
06:02 Je sais que c'est très compliqué de dire cela mais de films qui auraient un véritable
06:09 intérêt artistique par exemple, Anna Vignuela ?
06:12 Alors je pense qu'il y a un système d'aide sélective qui vise justement à financer
06:20 ces films qui ont un intérêt sélectif et un intérêt artistique via l'aide sélective.
06:26 Et ce que je pense aussi c'est qu'un autre facteur peut-être d'écran ou d'incompréhension
06:34 c'est qu'on est dans un système qui s'est énormément globalisé.
06:38 C'est-à-dire que le CNC finance les talents français mais finance aussi les talents du
06:45 monde entier.
06:46 Et c'est quelque chose qu'on ne voit pas forcément mais derrière la moitié des films
06:54 qui étaient dans les sélections canoises, il y a une aide sélective du CNC.
07:00 Ce n'est pas forcément l'avance recette.
07:03 Ça peut être aussi l'aide au cinéma du monde, une aide de fonds bilatéraux, l'aide
07:09 à l'image et à la diversité, etc.
07:11 Donc je pense qu'avoir préservé ces deux piliers du système de financement, les aides
07:16 automatiques qui récompensent plutôt la régularité de l'industrie et les aides sélectives
07:23 qui ouvrent la porte à l'innovation et au talent, c'est un bon principe.
07:29 Conclusion Anna Vinuela, est-ce que ce modèle de l'exception culturelle française vous
07:34 paraît-il être aujourd'hui en péril ?
07:36 Je ne vais pas paraître extrêmement optimiste.
07:44 Je comprends les craintes et je pense que c'est très salutaire de l'exprimer dans
07:48 un festival.
07:49 Mais je pense qu'on a créé les conditions pour redistribuer les contributions que vont
07:57 faire les plateformes avec des clauses de diversité.
08:01 Donc je pense qu'on peut être optimiste.
08:05 Merci beaucoup Anna Vinuela d'avoir été avec nous ce matin.

Recommandée