SMART BOURSE - L'invité de la mi-journée : Irina Topa-Serry (AXA IM)

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Lundi 5 juin 2023, SMART BOURSE reçoit Irina Topa-Serry (Économiste senior marchés émergents, AXA IM)
Transcript
00:00 *Musique*
00:10 Venons-en à présent aux questions macro-économiques, dans l'univers au sens large des émergences
00:16 et la spécialité d'Irina Topasseri, économiste senior chez AXA-IM.
00:19 Bonjour et bienvenue Irina.
00:20 Bonjour.
00:21 Merci beaucoup. En tant qu'économiste, comment vous lisez cette décision de l'OPEP ?
00:25 Sur le plan de la décision en elle-même, c'est compliqué parce qu'on voit quand même des intérêts,
00:30 des pays clés qui ne défendent pas forcément les mêmes intérêts au sein de l'OPEC+.
00:34 On le rappelle, le cartel historique traditionnel ajouté de quelques pays producteurs clés comme la Russie aujourd'hui.
00:42 Qu'est-ce que ça nous dit effectivement des intérêts, des enjeux des principaux pays producteurs
00:46 et puis peut-être de l'enjeu spécifique pour l'Arabie Saoudite aujourd'hui ?
00:50 C'était compliqué parce que d'abord, ils avaient le choix entre rien faire et attendre à comprendre où vont les fondamentaux.
00:58 Parce qu'en fait, sur le plan des fondamentaux, les pays producteurs de pétrole,
01:02 notamment l'Arabie Saoudite, voient des signes contraires.
01:05 On avait le plafond de la dette, on a la récession ou pas récession aux États-Unis,
01:09 la Chine, ça monte, ça descend, qu'est-ce que ça fait, ça accélère ou pas.
01:14 Même du côté du raffinage, par exemple de l'activité raffinage chinoise,
01:17 on a l'impression que l'activité en Chine est plutôt bonne, ce qui n'est pas encore confirmé par les données macro.
01:22 Le forage américain, par exemple, était en légère baisse.
01:27 Donc en gros, ils ont tellement de signaux qu'ils auraient pu attendre.
01:31 Sauf qu'effectivement, je pense qu'il y avait d'abord les positionnements, puis aussi une descente assez vertigineuse.
01:37 Il y avait une dynamique de prix qui était quand même une alerte.
01:40 Il a fallu répondre.
01:41 C'est peut-être aussi la raison pour laquelle l'Arabie Saoudite en prend pour elle seule.
01:45 D'abord parce que les autres pays producteurs du cartel qui se sont engagés à des baisses de production ne les ont pas encore atteintes.
01:53 Donc ça, c'est quelque chose que l'Arabie Saoudite dit.
01:55 Et je vous attends déjà à venir sur ce qu'on s'était dit avant.
01:58 Donc déjà, ça, il faut le faire.
01:59 Et l'Arabie Saoudite en rajoute, enfin en lève encore un peu pour arriver à quelque chose de ce que pour eux semble une situation plus stable.
02:10 Il faut le rappeler que l'Arabie Saoudite doit implémenter sa vision 2030.
02:14 C'est une vision de moyens long terme, parce qu'ils ne vont pas s'arrêter en 2030, de tenter de limiter leur dépendance au prix du pétrole.
02:24 Mais enfin bon, jusque-là, ça va se faire grâce au prix du pétrole.
02:27 C'est-à-dire qu'il leur faut un niveau du pétrole, d'abord moins de volatilité.
02:30 Ça, c'est une première demande.
02:33 Et un niveau adéquat pour que les recettes fiscales soient suffisantes pour pouvoir mettre tout ce plan où il va falloir investir dans d'autres industries.
02:40 Donc ça, c'est une idée avec laquelle on a toujours frétillé sur le Golfe, parce qu'évidemment, c'est des économies quasi pétrolières.
02:50 Donc il fallait qu'elles se détachent.
02:52 Mais finalement, somme toute, on ne l'a pas tellement vu.
02:54 Et donc là, l'Arabie Saoudite semble être beaucoup plus engagée là-dedans.
02:56 Et quand vous regardez le FMI qui fait des projections de break-even, donc du point mort fiscal et du point mort externe du pétrole,
03:04 vous allez voir que l'Arabie Saoudite, elle est cette année à 80 et l'année prochaine à 75 dollars le baril.
03:08 Donc il leur faut ça, ne serait-ce que pour tenir leur balance fiscale neutre.
03:13 Pas de problème sur la partie externe, évidemment, puisque le break-even est beaucoup plus bas.
03:18 Ils sont autour de 40-45, donc tous ces pays-là sont plutôt confortables.
03:22 Donc je pense que si on s'extrait un peu de l'Arabie Saoudite et on se met au point de vue des émergents,
03:28 je pense qu'un niveau du pétrole qui resterait là où il est aujourd'hui, si c'est ce niveau-là que l'Arabie Saoudite semble être plus à l'aise avec,
03:38 il heurterait moins les producteurs de pétrole qu'il donnerait plutôt un peu d'air aux importateurs.
03:46 Et notamment, je pense à tous ces pays dans les pays émergents frontières qui sont très, très pris de court.
03:55 Là, vous allez aller sur des pays plus... le Pakistan, le Sri Lanka, enfin bon, c'est des pays où les choses sont difficiles,
04:02 mais qui pourraient effectivement recevoir un petit peu d'air avec un prix de pétrole qui se stabiliserait
04:07 plutôt sur un niveau bas qu'on repartirait très fortement à la hausse.
04:11 Alors qu'est-ce qui gagnerait, eux ? Un peu de stabilité et puis les surplus, un peu moins de surplus.
04:17 Ce n'est pas grave pour les pays du Golfe.
04:21 — Et finalement, c'est plutôt pas mal piloté. Enfin je ne dis pas que l'Arabie Saoudite pilote les prix du pétrole dans l'intérêt général.
04:27 C'est leur intérêt. C'est normal. Mais au final, d'un point de vue global macro, ce qui se passe sur le pétrole,
04:33 c'est plutôt pas trop mauvais pour tout le monde.
04:36 — Oui, tout à fait. Ça valide en quelque sorte l'existence de ce cartel qui, par moment, a été remis en question, effectivement.
04:43 Donc il y a peut-être un petit peu de... Je pense que des pays pétroliers qui peuvent souffrir d'un pétrole faible,
04:51 là, vous allez aller plutôt sur des pays comme Équador, Nigeria. Ça, c'est des pays qui ont besoin de vraiment...
04:58 Ils sont dépendants largement plus que les pays du Golfe. Donc on va descendre... Là encore une fois,
05:03 vous descendez sur ceux qu'on ne regarde pas tous les jours mais qui ont des situations...
05:08 — Plus fragiles encore. — Plus fragiles. — Ah oui. Qu'est-ce qu'on peut dire d'ailleurs peut-être en lien avec le pétrole
05:12 et les matières premières ? De la reprise chinoise à ce stade, donc c'est la question récurrente qui revient régulièrement, Irina.
05:19 Alors il y a plein de manières d'essayer d'évaluer l'intensité de la reprise chinoise. On peut regarder ce qui se passe du côté de l'inflation, déjà.
05:27 L'inflation qui est quand même une fonction, normalement, de l'intensité économique, avec la taille...
05:32 Est-ce que la Chine est encore dans un risque déflationniste quand le reste du monde ne parle que d'inflation ?
05:38 À commencer par le Japon, qui était peut-être le pays le plus déflationniste du monde il y a encore quelques mois. Il ne reste que la Chine.
05:44 C'est très perturbant, non seulement devant une inflation quasi nulle, on va dire, disons-le, mais surtout en décélération,
05:51 alors même que les mesures d'ouverture sont quand même derrière nous. Alors il y a des raisons assez particulières.
05:57 Donc on parle souvent en Chine du prix du port. Alors il faut savoir que c'est quelque chose d'assez volatil et qui peut perturber beaucoup l'inflation.
06:07 Mais au-delà de ça, on va enlever les bruits. Nous aussi on a des bruits aux États-Unis sur le prix des voitures de deuxième main.
06:14 Ça peut perturber profondément la mesure statistique. Donc on est assez habile pour comprendre ça. Donc on va le laisser de côté.
06:21 Il y a quand même une situation en Chine. Et ça s'est vu aussi sur les données de croissance.
06:27 Parce que d'abord, on a eu des bonnes nouvelles, la réouverture. Ça s'est d'ailleurs joué très fortement sur les marchés.
06:34 Mais en fait, me semble-t-il, la réouverture dans sa force économique, en fait, elle s'est matérialisée très au début de l'année, genre janvier, février.
06:44 — Ça a été très concentré. — Très, très concentré. Et donc effectivement, le premier trimestre a été donc vu très fort.
06:50 Donc il y a eu toutes les révisions à la hausse du consensus en général économique. Et derrière, on a des données mars, avril.
06:58 Cette semaine, on l'aura au mois de mai. Donc on les attend un peu avec impatience pour voir. Mais effectivement, avril.
07:04 Alors en soi, si vous connaissez pas l'économie chinoise, vous dites : « Mais de quoi elle parle ? Ça s'accélère partout ».
07:08 Oui, ça s'accélère, parce qu'en glissement annuel, on a un comparatif avec la fermeture de Shanghai.
07:11 — Bien sûr, c'était Shanghai l'an dernier qui était fermé. — Mais oui. Donc forcément... Enfin le consensus attendait.
07:15 Mais bien plus fort que rebond parce qu'il était justement un peu aidé par les effets de base. Et il a manqué à l'appel.
07:21 Et je pense que le vrai sujet aujourd'hui, c'est le problème de la confiance. Il y a un problème de confiance.
07:27 Alors ça améliore un petit peu la confiance des ménages. Mais enfin il y a une vraie défiance sur ce que le consommateur chinois comprend
07:33 de la politique passée du gouvernement et celle à venir. Et ça concerne souvent – et on revient toujours à l'éléphant dans la pièce –
07:40 qui est le secteur immobilier. C'est-à-dire que c'était le seul endroit où les Chinois pouvaient investir.
07:45 C'était leur moyen de richesse, le seul gage de richesse qu'ils avaient. Refuge, si vous voulez.
07:52 Donc là, ils comprennent bien qu'il y a un sujet sur le secteur. Et ils comprennent bien que le gouvernement s'engage de manière structurelle
07:57 à limiter ce problème. Donc même si aujourd'hui, ils desserrent un peu les étaux qu'eux-mêmes ont serrés, on sent bien que l'envie n'y est pas.
08:05 Parce qu'en fait, ils se disent « Et la prochaine fois, qu'est-ce que je fais ? ».
08:09 – Il y a un sujet très politique derrière ça, Irina, évidemment. Mais du point de vue de la fonction de réaction des agents économiques chinois,
08:16 du consommateur chinois, de l'épargnant chinois, oui, il y a un avant-après. Il y a des schémas qu'on avait en tête il y a encore peut-être quelques années,
08:25 pré-Covid, qu'on peut difficilement plaquer aujourd'hui dans ce contexte de réouverture, de sortie de crise sanitaire.
08:32 On a même reparlé du Covid en Chine il y a quelques jours. Voilà, on remet un peu le nez sur les cours.
08:37 – Mais la peur du virus, elle n'a pas totalement disparu, notamment de la population chinoise ?
08:42 – C'était une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas révisé la croissance chinoise après le T1.
08:47 En se disant, en fait, on s'était dit « Il y a peut-être même une nouvelle vague au T2 ».
08:50 Finalement, on ne l'entend pas la vague, on entend effectivement des craintes.
08:53 Mais l'idée n'était pas nécessairement qu'on aurait une grande...
08:57 Sachant qu'ils étaient peu vaccinés, une population assez vieillissante, un système de santé qu'on imagine bien
09:03 qu'elle ne peut pas prendre en charge ce qu'on a vu chez nous par exemple des vagues semblables.
09:08 Mais somme toute, ça ne s'est pas tout à fait passé comme ça. Donc ça c'était plutôt la bonne nouvelle.
09:12 Mais on s'était dit, même un comportement défiant d'un consommateur qui se dit
09:16 « Il y a une petite vague, je sors moins, je consomme moins, je vais moins m'engager dans des dépenses,
09:21 notamment dans des services » où on attendait effectivement la reprise économique,
09:24 devrait se faire comme chez nous d'ailleurs, par la consommation des services.
09:29 - Parmi les vieilles recettes chinoises, donc on met de côté la relance immobilière, etc.
09:34 Il y a tout le domaine des investissements liés à la transition et je crois que de ce point de vue là,
09:38 il n'y a pas d'inflexion, ça reste un sujet majeur.
09:41 Quand on voit le niveau faible d'inflation dans les prêts à la production notamment,
09:47 quand on voit la faiblesse du yuan, de la devise face aux dollars notamment,
09:51 est-ce que la Chine peut compter sur la machine export ?
09:54 - Justement c'est ça le problème, c'est que par exemple dans nos prévisions,
09:59 même si tu avais un air positif un peu sur l'économie mondiale,
10:02 nous on se dit quand même que toute la remontée des taux passés à un moment donné
10:06 va commencer à filtrer dans l'économie, et donc notamment dans l'économie occidentale.
10:13 Donc la demande d'importation des pays occidentaux devrait quand même fléchir.
10:18 Donc tout ce qui est pays émergents en gros, qui sont les exportateurs,
10:24 les producteurs de nos produits ici, vont être un tout petit peu en situation délicate.
10:29 Et d'ailleurs on l'a vu au-delà de la Chine, par exemple au Brésil, même en Inde,
10:34 c'était plutôt sur les exportations nettes que ça tient encore la croissance.
10:38 Donc on se dit "ouh mais les prochains trimestres",
10:40 alors que la consommation commence un peu à s'insagir justement,
10:44 avec les effets passés de la politique monétaire très restrictives dans les pays émergents dans leur globalité,
10:49 on se dit qu'effectivement la Chine n'aura pas ce moteur des exportations.
10:54 Et au-delà du fait que par le fait de leur devise,
10:57 ils devraient bénéficier d'une tarification et de leur manque d'inflation,
11:00 d'une tarification intéressante sur les prix relatifs internationaux,
11:03 il se rajoute le problème de tension internationale, où là on va avoir un...
11:07 Qui a annihilé un peu le bienfait pour les termes de l'échange chinois.
11:10 Donc il y a tout ce sujet que la globalisation en soi a voulu pousser,
11:14 de dire que voilà ça permettra justement une baisse du niveau général des prix,
11:17 en profitant des endroits qui produisent à plus bas coût.
11:21 Et bien tout ça c'est une logique qui aujourd'hui semble bien derrière nous.
11:26 Dernière question, parce qu'on en parlait il y a 15 jours avec vous,
11:28 pendant la période d'élection en Turquie, Irina,
11:32 et donc on a appris ce week-end que Erdogan, pour son nouveau mandat,
11:36 rappelait l'économiste Mehmet Simsek, qui avait été déjà ministre des Finances,
11:41 vice-premier ministre pendant presque une dizaine d'années, je crois,
11:44 entre 2009 et 2018. Est-ce que ça augure d'une stratégie économique différente ?
11:51 J'espère, en tout cas j'espère que la nomination est venue avec une sorte d'engagement
11:57 de la part d'Erdogan de donner les clés de la maison, en tout cas pour la gestion économique,
12:01 à Mehmet Simsek, sinon je ne vois pas...
12:04 Oui, forcément c'est un signe qui l'assume.
12:07 Exactement, et si on se rappelle, il a été remercié justement
12:09 quand on a commencé ce nouveau modèle économique et cette nouvelle test, expérimentation.
12:15 L'idée étant que quand on baisse les taux, ça va faire baisser l'inflation.
12:18 L'idée en fait c'est de baisser...
12:21 C'est tout pour la croissance.
12:22 C'est tout pour la croissance, notamment des exportations.
12:24 Donc il avait quand même cette idée-là.
12:26 Donc si on baisse les taux et on donne, et c'est ce qu'il a fait,
12:29 on soutient les sociétés exportatrices, on va réduire déjà ma balance courante,
12:36 le problème, l'épine vraiment de l'économie turque.
12:42 Eh bien on va régler après, puis après les exportateurs vont embaucher,
12:46 la croissance va continuer, mais il n'y avait pas l'inflation là-dedans.
12:50 Oui, je comprends, dans le schéma.
12:52 Ce schéma ne s'est pas valu en fait.
12:55 Et donc forcément on pense qu'avec cette nomination,
12:59 et d'ailleurs dans le marché, surtout sur la presse locale,
13:02 on voit aussi, on parle de changer la tête de la banque centrale.
13:08 Oui c'est ça, c'est tout l'appareil économique derrière.
13:11 Il y en a qui vient avec des profils d'accès minins, venus d'autres banques américaines.
13:15 Enfin bon, il y a quand même un...
13:17 Mais surtout ce que je trouve intéressant dans la presse locale,
13:20 c'est cette idée qui est aujourd'hui très bien exprimée de part et d'autre,
13:24 propagande ou pas, que la livre turque doit s'affaiblir.
13:28 Donc ça c'est très très fort, parce que du coup on habitue en fait la population
13:31 à l'idée qu'il y a une sorte de douleur à infliger, pour après mieux repartir.
13:36 C'est exactement ce qui se passe ce matin d'ailleurs.
13:39 La lire turque continue de s'affaiblir malgré les annonces du week-end.
13:43 Merci beaucoup Irina, merci pour ce décryptage,
13:46 cet éclairage sur la situation ici et là de quelques pays clés dans la sphère émergente.
13:51 Irina Topac, économiste senior chez AXA-EM,
13:54 qui nous accompagnait pendant cette demi-heure de Smart Bourse.
13:56 A la mi-journée, on se retrouve à 17h en direct sur Bismarck.
13:59 [Musique]

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