BE SMART - Emission du lundi 5 juin

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Lundi 5 juin 2023, BE SMART reçoit Frédéric Encel (Géopolitologue, Sciences Po Paris) et Étienne Wasmer (Économiste et professeur, NYU Abu Dhabi)

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Transcription
00:00 [Musique]
00:08 Salut à tous, c'est Bismarck. On est reparti avec deux grands entretiens.
00:13 Deux grands entretiens, juste c'est qu'ils vont être longs, c'est tout.
00:16 Après, seront-ils grands ? On verra bien.
00:18 Deux grands entretiens, deux sujets passionnants.
00:20 D'abord, on va parler de nous, on va parler de la France, on va parler de l'économie.
00:24 Et on va parler finalement d'un phénomène qui est en train de se dérouler à bas bruit,
00:31 mais qui est notre déclin, j'allais dire inéluctable, on n'en sait rien justement,
00:36 on va en parler, mais en tout cas déclin réel, de notre production, notre produit intérieur brut.
00:43 La richesse produite par la France est en train lentement de décliner à bas bruit.
00:48 Enfin à bas bruit, vous verrez les chiffres que nous apporte Étienne Wassmer,
00:51 c'est quand même assez impressionnant.
00:52 Pourquoi est-ce qu'on ne s'en rend pas compte ? On ne s'en rend pas compte parce que
00:54 énormément de notre consommation est en parité de pouvoir d'achat,
00:58 mais globalement, ce PIB qui diminue, c'est notre puissance qui diminue.
01:03 Tiens, puissance.
01:04 Ça permet de faire le lien avec Frédéric Ancel qui viendra ensuite.
01:08 Et là, on discutera de diplomatie.
01:10 Alors, visiblement, c'est Frédéric qui le dit, encore une des forces de la France,
01:14 on ira évidemment au-delà de la France sur la diplomatie,
01:16 mais on parlera aussi de notre corps diplomatique qui visiblement a du vague à l'âme en ce moment.
01:20 C'est parti, c'est Bismarck.
01:21 [Générique]
01:27 Donc, Étienne Wassmer est avec nous.
01:29 Bonjour Étienne.
01:30 Bonjour.
01:31 Professeur d'économie à la New York University d'Abu Dhabi.
01:35 On avait déjà eu d'ailleurs le plaisir de discuter ensemble en visio.
01:40 Alors, ce qui me vaut ce titre "La France face au déclin"
01:44 et je suis ravi que tu puisses être là pour en discuter,
01:47 c'est un point de vue qui date de mars dernier, que tu as écrit dans les échos.
01:52 Résumé, alors, il y a plusieurs graphiques.
01:56 Si vous allez sur la page des échos avec le papier d'Étienne,
01:59 vous verrez plusieurs graphiques.
02:01 Il y en a un là qu'on va voir tout de suite.
02:03 Voilà.
02:04 Qu'est-ce qu'on voit là, Étienne ?
02:06 Qu'est-ce que tu as voulu montrer à travers ce graphe ?
02:10 Donc, on voit, alors je le décris très rapidement,
02:12 pour ceux qui nous écoutent en podcast et en radio,
02:16 la courbe des États-Unis qui monte assez nettement,
02:19 celle de la Suisse qui monte moins nettement,
02:23 celle de l'Allemagne qui se maintient
02:26 et celle de la France qui est désespérément plate.
02:31 Oui, voilà, stagnante.
02:33 Oui, c'est des chiffres qu'on n'a pas l'habitude de voir
02:36 parce qu'on a toujours tendance à minimiser le problème.
02:39 Alors là, il faut préciser, ce sont les chiffres bruts.
02:41 C'est-à-dire, on prend les euros produits par les Français,
02:43 on convertit en dollars et on voit un écart qui s'est accéléré,
02:46 en réalité, depuis 2008.
02:48 La courbe commence en 2010, mais à partir de 2008,
02:51 on n'a pas vraiment de diminution de ces écarts.
02:54 Il y a des petits cycles, des fois ça va plus vite,
02:56 des fois ça va moins vite, mais en tout cas,
02:57 les États-Unis rattrapent.
02:58 Et la raison pour laquelle on ne sait pas que...
03:00 Attends, on va remettre le graphe.
03:02 Il n'y a pas de diminution des écarts.
03:03 Les écarts se creusent, oui.
03:05 Ça fait 80% d'écarts maintenant.
03:07 Ah oui, voilà, c'est ça.
03:09 Le ménage moyen américain est beaucoup plus riche,
03:11 80%, que le ménage moyen français.
03:13 Donc c'est un peu quelque chose qui devrait nous interpeller.
03:17 Le démarrage de la courbe, c'est...
03:19 C'est 2010.
03:20 C'est 2010, voilà.
03:21 Mais en fait, la tendance commence à 2008.
03:23 2008. On est quasiment à égalité en termes de PIB.
03:27 Et là, effectivement, l'écart est béant.
03:30 Alors ça, ce sont des chiffres du FMI.
03:32 Les séries remontent à 1980.
03:34 Depuis 1980, les écarts...
03:36 Les États-Unis étaient plus riches,
03:37 mais les écarts ne se sont jamais aussi massivement creusés
03:41 entre nous et les États-Unis.
03:43 Et donc, il faut se poser la question.
03:44 La raison pour laquelle on ne connaît pas bien ces chiffres,
03:46 c'est qu'en général, on les corrige.
03:48 C'est-à-dire, on dit,
03:49 "Ah, mais attention, dans les pays pauvres,
03:51 "le coût de la main-d'oeuvre est plus bas.
03:53 "Et donc, en fait, si on va chez le coiffeur au Ghana ou au Congo,
03:57 "ça coûte moins cher.
03:58 "Et donc, il n'y a pas un écart de 80%
03:59 "entre la France et les États-Unis,
04:00 "mais c'est 40, 45%
04:02 "parce qu'on prend en compte les écarts de niveau de vie
04:06 "de l'immobilier, etc."
04:08 Sauf que notre puissance, ça se mesure avec le PIB.
04:12 On n'a pas besoin de le corriger.
04:13 - Et puis, peut-être qu'on l'est,
04:16 mais a priori, dans notre esprit,
04:17 on n'est pas le Ghana ou le Congo des États-Unis, nous, la France.
04:21 - Voilà. Les pays pauvres, c'est ça.
04:23 Les pays pauvres ne sont pas aussi malheureux
04:26 dans la mesure où ils peuvent compenser.
04:27 Voilà. Le coût du travail est plus bas.
04:29 Le coût de se loger est un peu plus bas
04:30 que si on vit à New York.
04:31 Mais ça reste très élevé.
04:33 Et surtout, ça nous donne une idée
04:34 de ce qu'on pèse dans le monde.
04:35 Parce que quand on prend les chiffres de PIB brut,
04:37 non corrigés de ces écarts de niveau de vie,
04:40 on s'aperçoit qu'on est d'une puissance
04:42 de moins en moins importante sur la planète.
04:44 - Alors, quand tu dis "corrigés des écarts de niveau de vie",
04:46 c'est ce qu'on appelle aussi les parités de pouvoir d'achat.
04:48 - Exactement.
04:49 - C'est ça qui fausse les graphiques.
04:51 Mais la parité de pouvoir d'achat
04:52 n'est pas à ce point différente entre la France et les États-Unis
04:55 que ça nous empêche de voir la réalité
04:57 que tu décris là, quand même.
04:58 - Elle l'est.
04:59 Alors, on sait qu'on est plus pauvres que les États-Unis
05:01 de quelques dizaines de pourcents,
05:02 mais de là à 80%, effectivement,
05:04 c'est quelque chose dont on doit absolument prendre conscience.
05:07 Les écarts de PPP en anglais ou PPA en français
05:10 permettent aussi aux États-Unis d'être devant la Chine.
05:13 Mais si on ne corrige pas le PIB par ces écarts de niveau de vie,
05:16 en fait, c'est la Chine qui est devant au PIB.
05:18 Et c'est une nouvelle donne à laquelle on doit se confronter.
05:22 L'Inde a 13 000 milliards de dollars de production,
05:25 les États-Unis, 27 milliards, la Chine, 31 milliards.
05:28 Et nous, on arrive péniblement à 3,8, 3,9 milliards,
05:32 1000 milliards, c'est du délire.
05:35 On n'a pas l'habitude.
05:36 C'est vers les trillions et c'est beaucoup plus facile.
05:38 3,7 trillions.
05:40 - Donc, tu dis, le graphique démarre en 2010, en fait 2008,
05:44 parce que les crises sont les catalyseurs de ces reculs.
05:52 Par quelle mécanique et par quel mécanisme ?
05:54 - Alors, il y a beaucoup d'explications,
05:55 mais si on les voit le plus, effectivement,
05:57 au moment des crises, tout le monde chute.
05:59 Et ensuite, certains rebondissent et d'autres ne rebondissent pas.
06:02 Alors, ça peut être, c'est multifacteur.
06:04 Ça peut être en 2008, on a dit,
06:06 on n'a pas été assez interventionniste,
06:08 on n'a pas assez redistribué.
06:10 Avant, 91 jusqu'à 95, c'était la politique monétaire.
06:14 On a été trop restrictif.
06:16 Il y a toujours des bonnes explications.
06:17 Le fond du problème, je crois, c'est que le monde va très vite
06:21 et que nos structures ne s'ajustent pas assez vite.
06:24 C'est à la faveur des crises qu'on peut réformer les structures.
06:26 Mais on a tendance à ne pas le faire.
06:28 Et on voit que décennie après décennie,
06:30 on perd en terrain, tout simplement.
06:33 - Au cœur de ces crises, on est très fiers,
06:35 je me souviens de 2008,
06:36 mais on se souvient tous encore plus de la crise du Covid.
06:39 On est très fiers de moins descendre que les autres.
06:42 Mais nous, Français, on en tire une grande fierté.
06:45 À t'entendre, on l'a...
06:46 - Heureusement, mais ça ne veut pas dire qu'il fallait ensuite
06:48 ne pas profiter du rebond.
06:49 - Oui, mais est-ce que les deux ne sont pas liés ?
06:51 - C'est difficile.
06:52 C'est difficile parce que, par exemple, dans la crise actuelle,
06:55 on a parlé de l'inflation.
06:56 Par exemple, il y a eu effectivement
06:58 d'immenses politiques budgétaires et monétaires
07:00 dont on dit qu'elles ont contribué à l'inflation.
07:02 C'est vrai dans le long terme.
07:03 Mais quand les politiques budgétaires et monétaires aident à l'offre,
07:06 c'est-à-dire si on sauve des entreprises
07:08 qui ne produisaient plus sans les aides,
07:10 on aurait amplifié le problème.
07:12 Je pense que c'est un peu vrai aussi,
07:14 dans les périodes de crise,
07:16 les politiques permettent de garder l'essentiel,
07:19 le capital humain, le capital social,
07:21 tout ce qu'on sait faire de mieux.
07:23 Et ensuite, on dit qu'on a bien résisté,
07:25 donc pas besoin de changer.
07:27 C'est ça que je pense qu'on manque à chaque occasion.
07:29 Il faut repartir et, parfois, laisser l'économie fonctionner.
07:33 - Oui, c'est ça.
07:34 On y reviendra après.
07:36 Il y a ce nouveau mot de protection maintenant
07:39 que nos responsables politiques français
07:42 nous promettent contre à peu près tout.
07:46 Ce qui, sans doute, n'incite pas à l'activité, à l'innovation.
07:51 On verra ça après.
07:52 Mais les Américains, eux, n'ont pas peur de détruire.
07:55 Même si, sur le Covid, ils ont eux-mêmes touché les limites
07:58 de leur capacité de destruction
08:01 et ils ont envoyé du stimulus budgétaire,
08:03 et massivement du stimulus budgétaire,
08:05 mais ils n'ont pas peur de détruire
08:07 pour reconstruire plus vite et plus fort ensuite.
08:09 - Oui, ils vont très vite.
08:11 Il y a aussi eu, traditionnellement,
08:12 beaucoup plus de mobilité géographique.
08:14 Les gens sont allés dans les régions,
08:15 dans les États américains, qui boumaient.
08:16 Puis, ensuite, si ça passe mal, ils repartent.
08:18 Ça s'est un peu atténué, mais pas suffisamment.
08:20 Puis, il y a un facteur, à mon avis,
08:22 qu'il ne faut pas sous-estimer.
08:23 La crise qui vient de s'écouler
08:24 était aussi une crise de l'énergie.
08:26 Maintenant, les États-Unis sont indépendants
08:27 en termes énergétiques.
08:28 Et donc, ils sont traversés la crise,
08:30 mais comme une fleur, presque,
08:31 plutôt en redistribuant les gains
08:33 de cette manne pétrolière
08:35 qu'ils se sont créés, ou énergétique,
08:37 avec des coûts environnementaux
08:38 qui sont, par ailleurs, gigantesques.
08:40 Mais, voilà, nous, on n'a pas de pétrole
08:42 et on doit être mobile et agile
08:45 si on veut s'en sortir.
08:46 - On n'a pas de pétrole
08:47 et on a abîmé notre nucléaire,
08:48 mais ça aussi, c'est peut-être
08:50 dans la partie qu'on verra après
08:51 sur les finances publiques.
08:53 Pourquoi donc ce décrochage de 2008 ?
08:56 Donc, pour toi, l'idée, c'est qu'on n'a pas réussi
08:59 à repartir après la crise des subprimes.
09:03 Mais qu'est-ce qui génère, au fond,
09:09 cet appauvrissement ?
09:11 Moi, là, comme ça, on va dire,
09:13 comme je le dis assez régulièrement,
09:15 électeur conservateur de base,
09:17 je vais te dire les 35 heures.
09:19 - Non, c'est vraiment multifacteur.
09:21 D'ailleurs, les 35 heures ont été aussi
09:23 une façon de s'ajuster pour certains services.
09:25 Les banques, on ne pouvait plus trouver
09:28 une banque ouverte après 17 heures
09:29 ou les samedis et dimanches.
09:31 Les 35 heures ont aussi permis
09:32 ce genre d'ajustement.
09:33 - En permettant de rebattre totalement
09:35 les cartes du temps de travail.
09:36 - Donc, voilà, il y a toujours
09:37 des marges d'ajustement.
09:38 C'est plutôt la conjonction
09:39 de plein de petits facteurs.
09:40 On pourra parler aussi peut-être
09:41 de l'éducation, on pourra parler
09:43 est-ce qu'on a mis assez d'efforts
09:44 pour les universités, est-ce qu'on a mis
09:46 assez d'efforts pour payer
09:47 les professeurs du secondaire
09:48 dont les salaires ont non seulement stagné,
09:50 mais en fait ont baissé en relatif
09:52 depuis les années 80.
09:53 Donc, il y a plein de facteurs comme ça.
09:55 Tout ce qui prépare l'avenir
09:56 est une bonne dépense au fond
09:57 et on n'a pas tendance à privilégier
09:59 ces dépenses.
10:00 Et donc, les États-Unis, de facto,
10:02 ont attiré les élites en termes
10:04 de capital humain, les chercheurs.
10:06 C'est en train de se déplacer vers la Chine
10:09 ou la région d'où je viens
10:10 qui investissent des sommes gigantesques.
10:12 - Les Émirats, aujourd'hui.
10:14 - Les Émirats, entre autres.
10:15 Donc, toutes ces régions-là bougent.
10:17 Et j'ai vraiment peur,
10:19 c'est pour ça qu'on a fait cette chronique,
10:21 de voir qu'on perd du terrain
10:23 et puis qu'on est finalement assez contents.
10:25 On n'en perçoit pas toutes les conséquences.
10:28 Mais, je reviens à ce chiffre du PIB.
10:30 Le PIB, c'est ce qui mesure notre puissance.
10:32 C'est combien de batteries pour les Tesla
10:34 on peut acheter ou combien de Tesla
10:35 on peut acheter.
10:36 Donc, on peut toujours se consoler
10:37 en disant, oui, mais le coût des services
10:39 est un peu plus bas qu'aux États-Unis.
10:40 Mais à la fin, on ne pèse
10:42 que ce qu'on produit réellement.
10:43 Et c'est ça auquel il faut faire attention.
10:46 On est entouré de gens sur plein de continents
10:50 qui ont un ressentiment assez fort
10:52 envers l'Occident,
10:53 qui a, avec la colonisation,
10:55 qui a exploité une partie des richesses.
10:57 Et ils ne nous feront pas de cadeaux.
10:59 Il faut vraiment être conscient
11:00 qu'ils ne nous feront pas de cadeaux.
11:01 Donc, il faut rester fort compétitif,
11:03 vigilant, et d'une certaine manière,
11:06 être capable de montrer
11:07 que nous aussi, on sait produire.
11:09 Donc, quand on voit un écart de 80%
11:10 avec les États-Unis,
11:11 là, il faut vraiment s'inquiéter.
11:12 Alors, attends, je vais reprendre
11:14 les éléments que tu viens de donner là.
11:16 Le premier d'entre eux, c'est effectivement
11:18 le système d'enseignement.
11:20 Alors, tu parlais des professeurs du secondaire.
11:22 On pourrait parler aussi de ceux du primaire.
11:24 Donc, je connais le chiffre par cœur
11:26 parce que je m'étais intéressé,
11:28 alors, ceux qui nous écoutaient,
11:29 qui nous regardent le savent,
11:30 je m'étais intéressé à la proposition.
11:32 J'avais eu l'idée saugrenue
11:34 de prendre au sérieux la proposition d'Anne Hidalgo
11:37 pendant la campagne présidentielle
11:38 de doubler le salaire des profs.
11:40 Qu'est-ce que ça veut dire ?
11:41 Et, en fait, quand tu regardes,
11:44 par exemple, tu dis,
11:45 en fait, on ne va doubler que le salaire
11:47 de ceux qui sont face aux élèves,
11:48 850 000, tu vas dire,
11:50 dans le primaire et le secondaire,
11:51 parce que c'est là que ça se joue, pardon,
11:53 pour les études supérieures,
11:54 mais tu as le sentiment,
11:55 puisque quand même les ressources sont contraintes,
11:57 tu as le sentiment que tu vas le faire là-dessus.
12:00 Et j'avais même été jusqu'au bout,
12:01 j'en avais discuté avec des syndicats d'enseignants
12:03 qui disaient pourquoi pas,
12:05 tu vas le faire net de charge.
12:06 C'est-à-dire, tu vas le faire sous forme de prix.
12:09 À l'arrivée, sur cinq ans,
12:11 tu doubles le salaire de ces 800,
12:13 donc ça coûte à peu près 30 milliards,
12:15 et tu doubles à coups de 6 milliards par an
12:18 le salaire de ces 850 000 profs
12:20 qui sont face aux élèves.
12:21 Au regard de tout ce qu'on dépense en permanence,
12:24 au regard de ce qu'on a dépensé en chèque énergie
12:27 pour remplir aussi bien les Mégane Scénic que les Porsche,
12:31 je me dis que ce n'est pas si cher que ça.
12:33 Voilà, je referme la parenthèse.
12:35 Et donc, tu penses que ça, par exemple,
12:37 c'est le cœur de notre déclin,
12:39 c'est-à-dire le fait que ce métier
12:41 et sa rémunération s'effondrant,
12:43 son attractivité s'est effondrée elle aussi ?
12:46 Ça s'est effondré, c'est aussi le statut dans la société.
12:48 Les professeurs, à mon avis, ne travaillent pas pour l'argent,
12:51 ils travaillent pour un statut,
12:52 mais dans les yeux des autres, des parents d'élèves et d'autres,
12:55 le fait d'être déclassé,
12:56 clairement, c'est un facteur d'attractivité en baisse.
12:59 Et donc, oui, là, clairement, c'est une valeur symbolique.
13:01 Si en plus, les chiffres disent que ce n'est pas si cher que ça
13:04 au regard des autres dépenses,
13:06 c'est que toutes les dépenses d'avenir sont bonnes de ce point de vue-là.
13:08 C'est une question d'investissement.
13:09 Elles devraient être comptabilisées absolument différemment.
13:11 Donc, le capital...
13:12 - Non, mais, Étienne, alors, pardon, j'insiste là-dessus,
13:14 parce que c'est la grande réponse, notamment, qu'a faite Gabrielle Attal.
13:17 "Ce n'est pas une question d'argent."
13:18 Bien sûr que si, c'est une question d'argent.
13:20 - C'est une question dans le regard des autres.
13:22 - Mais pas seulement !
13:23 Enfin, si tu as passé...
13:25 Tu le sais, il faut passer une journée en classe
13:27 pour savoir ce que c'est qu'une journée en classe,
13:29 mesdames, messieurs.
13:30 L'intensité d'une journée en classe.
13:31 Il n'y a pas de machine à café où vous allez discuter avec vos copains.
13:34 Si tu sors et que tu es mieux logé,
13:36 que ta situation est plus confortable,
13:38 que les vacances que tu as, tu peux en profiter,
13:42 forcément, ton enseignement sera meilleur.
13:44 Enfin, j'en suis persuadé.
13:46 - Et la fierté.
13:47 - Et la fierté.
13:48 Non, non, mais d'accord.
13:49 Et la fierté, et le statut,
13:50 ne serait-ce que dans le rapport avec les parents.
13:53 Lien aussi...
13:55 Alors, on va voir...
13:57 Tu fais un lien avec le sujet de la redistribution.
14:00 Je veux qu'on voit ça aussi.
14:02 C'est un graphe que j'ai montré assez régulièrement
14:05 dans cette émission.
14:06 Graphe de l'INSEE,
14:08 qui avait été publié par l'INSEE
14:11 au moment du Conseil national de la refondation
14:14 de septembre-octobre dernier.
14:17 Je ne sais plus si c'était en septembre-octobre.
14:19 On va le voir, on ne va peut-être pas le voir.
14:21 Peu importe.
14:22 Alors non, ce n'est pas celui-là.
14:24 Ça, c'est notre puissance d'exportation.
14:26 C'est celui...
14:28 C'est celui de la redistribution.
14:31 Donc...
14:33 Écart entre les revenus les plus aisés
14:38 et les plus modestes,
14:39 c'est x13 avant redistribution,
14:42 c'est x7 après redistribution monétaire,
14:46 c'est-à-dire les aides sociales et les impôts.
14:49 Et l'INSEE avait amené cette notion récente
14:52 il y a à peu près un an.
14:54 C'est x3 maximum en tenant compte
14:57 de l'utilisation des services publics,
14:59 ce que l'INSEE appelle les prestations en nature.
15:01 Il y a finalement un écart de 1 à 3 dans ce pays.
15:04 Est-ce que ça aussi, ça tient lieu d'explications
15:07 à notre déclin ?
15:08 Alors d'abord, on peut en être fier
15:10 parce que ça veut dire qu'on compresse
15:11 les inégalités qui sont quand même massives.
15:14 Donc on a une belle technologie administrative,
15:17 mais je le dis sans...
15:19 Ce n'est pas péjoratif,
15:20 qui permet de cibler,
15:22 qui est un outil vraiment formidable,
15:24 qui permet aussi de payer les études
15:25 de beaucoup de gens.
15:27 L'éducation est gratuite aux États-Unis,
15:28 c'est des dizaines de milliers d'euros,
15:30 de dollars en l'occurrence.
15:31 Et donc tout ça fait qu'on a quand même
15:32 une capacité à protéger
15:35 une grande partie de la population.
15:37 Il restera toujours des couches
15:38 qui passeront entre les mailles du filet.
15:41 Et malheureusement, du coup,
15:43 on a tendance à vouloir en rajouter
15:45 et de faire en sorte que ça soit vraiment zéro défaut.
15:47 Il faut faire attention effectivement
15:49 que l'argent qui est nécessaire pour financer tout ça
15:51 ne soit pas prélevé sur le capital des entreprises,
15:54 sur l'investissement, sur l'effort.
15:56 Et donc il y a des propositions fiscales,
15:57 d'ailleurs qu'on avait faites avec Alain Tranoy
15:59 il y a quelques mois,
16:01 sur le fait de taxer plutôt les facteurs inélastiques,
16:04 les facteurs qui ne vont pas partir à l'étranger,
16:05 c'est-à-dire essentiellement la terre.
16:07 La terre en fait en France,
16:08 c'est trois fois le PIB, c'est 7000 milliards.
16:09 Et donc il y a une fiscalité,
16:11 une réforme de la fiscalité
16:12 où on allégerait les impôts de production,
16:14 on allégerait les charges sur les salaires,
16:15 et avec simplement 1% de taxes
16:18 sur la valeur de tous les terrains en France,
16:19 y compris les terres urbaines,
16:20 c'est quand même l'essentiel de la richesse,
16:22 on arrive à générer 70 milliards
16:24 qu'on peut alléger sur la fiscalité
16:26 des gens qui travaillent, qui produisent,
16:28 et qui contribuent à l'effort collectif.
16:30 On est bien d'accord, c'est du transfert.
16:31 Et donc c'est un transfert.
16:32 Non, parce qu'à chaque fois,
16:33 en fait l'impôt nouveau il est là,
16:34 mais ceux qui sont installés ne baissent pas.
16:37 On est bien d'accord, c'est du transfert.
16:38 Il faut le joller absolument.
16:39 Et évidemment c'est la mise en œuvre
16:40 qui est compliquée comme toujours.
16:41 Mais l'idée est là,
16:42 on a une richesse formidable
16:43 qui est notre terre,
16:44 et qui est une ressource unique.
16:46 En fait, il y a que la France et le Royaume-Uni
16:48 qui ont une valeur de ces terres aussi importante.
16:50 Les autres pays n'ont pas ça,
16:52 et ils investissent du coup en capital.
16:54 Donc regardez l'Allemagne.
16:55 Et donc oui, ça contribue une partie du problème,
16:57 mais c'est plus un problème de financement que de niveau.
16:59 Il faut voir aussi que quand on redistribue
17:01 vers des APL,
17:04 certes ça coûte cher,
17:05 certes ça fait un peu monter les loyers,
17:07 mais en même temps ça permet à des familles modestes
17:09 d'avoir un peu plus de place.
17:10 Et cette place, pour les élèves,
17:12 on parlait de l'éducation,
17:13 ça permet aux jeunes d'étudier.
17:15 Quand on est trois dans une chambre,
17:16 on ne peut pas étudier.
17:17 Et donc il y a un bouclier vers le bas
17:19 qui aussi a des effets positifs.
17:21 Il ne faut pas complètement jeter ça avec le dubain.
17:23 Tu sais que ce que tu viens de dire là
17:25 est fortement contesté en fait.
17:26 Par exemple, par Thierry Pipponi, je crois.
17:31 Enfin bref, l'ancien maire de Sarcelles.
17:33 L'ensemble des aides sont réintégrées dans les prix.
17:37 Et en fait, le mètre carré coûte plus cher.
17:39 Tu ne donnes pas plus de mètre carré
17:41 à ceux qui en ont besoin quand tu...
17:43 Je suis à contre-emploi parce que j'ai participé à ces débats.
17:45 Mais je sais absolument.
17:46 Je dis simplement, n'oublions jamais
17:48 qu'une partie de l'éducation des enfants,
17:51 c'est grâce à l'espace,
17:53 c'est grâce au fait de ne pas mourir de faim.
17:55 Et donc ce système-là, qui est très vaste,
17:57 très riche, il permet aussi ça.
17:59 Et donc on devrait être fier de ça.
18:01 Oui, mais si...
18:03 Enfin, ta taxation supplémentaire sur le foncier,
18:06 fatalement, elle fait aussi monter
18:09 les prix de l'immobilier et les prix du logement.
18:11 Elle va en tout cas pénaliser
18:13 ceux qui ne veulent pas mettre en circulation
18:15 leur terrain pour les rendre constructibles, par exemple.
18:18 Et ça, il y a beaucoup de ça.
18:19 Les petites villes, les moyennes villes,
18:21 on a beaucoup de rétention foncière.
18:22 Parce qu'en plus, la fiscalité incite
18:24 à cette rétention foncière aujourd'hui.
18:25 Absolument.
18:26 Donc si quelqu'un a des champs qui sont constructibles
18:28 et ne veut pas les mettre en attendant
18:29 une plus-value de 5, 10, 15 %,
18:31 là, c'est incitatif.
18:32 Donc il y a plein d'effets dans tous les sens.
18:34 Je suis d'accord que c'est très compliqué.
18:35 Mais il y a des effets positifs
18:37 et ça taxe une base inélastique.
18:39 Et donc c'est cette réflexion.
18:40 On va voir la couverture du bouquin
18:42 pour lequel tu as reçu un prix,
18:43 ce qui nous vaut d'ailleurs ta présence à Paris.
18:45 Voilà, "Le grand retour de la Terre".
18:48 C'est...
18:49 C'est Calin Tranoua, qui est professeur
18:50 à l'École des hautes études en sciences sociales à Marseille.
18:52 Et donc c'est le cœur de ce que tu expliques dans le bouquin.
18:54 C'est le cœur de cette explication.
18:55 On est parti de ces chiffres à nouveau.
18:57 7 000 milliards.
18:58 Alors c'est amusant.
18:59 7 000 milliards en 2019,
19:00 8 000 milliards en 2020
19:02 et 9 000 milliards en 2021.
19:04 Ça a pris 15 % par an.
19:05 Et je pense que ça vient en partie
19:07 de la politique monétaire.
19:08 Donc accommodante à cette période-là.
19:10 Et en partie parce qu'on a aussi rendu le foncier rare
19:13 avec le zéro artificialisation net.
19:15 Il y a eu peut-être un peu de spéculation.
19:17 En tout cas, on a une manne et c'est une bonne nouvelle.
19:19 Oui, mais tu ne reviendras pas en arrière
19:20 sur le zéro artificialisation net.
19:22 Non, ça veut dire d'autant plus
19:24 que c'est une base fiscale
19:25 qui ne va pas s'évaporer du jour au lendemain.
19:26 Donc elle est là.
19:27 Et elle est assez inégalitairement répartie.
19:29 C'est-à-dire qu'on croit que c'est les classes moyennes,
19:31 les classes moyennes supérieures,
19:32 le début de la distribution des gens riches.
19:34 En réalité, non.
19:35 C'est un patrimoine foncier de la France
19:37 un peu opaque et assez inégalitaire.
19:40 Et donc le cœur de ce que tu nous dis là,
19:42 c'est qu'en fait on peut maintenir ce système
19:45 qui moi me semblait intenable,
19:47 effectivement d'une échelle,
19:49 non pas de revenus encore une fois,
19:51 quand on intègre l'utilisation des services publics.
19:53 Donc on va dire d'inégalité,
19:55 cette échelle d'inégalité de 1 à 3,
19:58 en levant l'ensemble des taxations
20:01 qui pèsent aujourd'hui.
20:02 Tu as parlé des impôts de production.
20:03 Moi je veux qu'on parle aussi, si tu en es d'accord,
20:05 de la feuille de paye,
20:06 de l'ensemble des, aujourd'hui,
20:09 cotisations ou charges sociales.
20:10 Enfin bref, tout ce qui fait que,
20:14 comme le dit Geoffroy Roux de Bézieux,
20:16 j'augmente aujourd'hui un salarié
20:18 qui est entre 1 et 2 SMIC,
20:20 je l'augmente de 100 euros,
20:21 il va toucher en fait 30 euros net.
20:22 Oui, alors, en fait, sur les charges sociales,
20:25 c'est comme ces 500 milliards,
20:26 je n'ai pas le chiffre exact en tête.
20:27 C'est ça, oui.
20:28 Pour que ce soit vraiment significatif,
20:30 il faudrait beaucoup, beaucoup d'argent.
20:32 C'est pour ça qu'on parlait plutôt des impôts de production.
20:34 Non, non, mais il ne s'agit pas d'enlever,
20:36 tu veux justement…
20:37 Ah oui, absolument.
20:39 Et par ailleurs, sur le fait que,
20:41 quand on donne 100 euros, il y en a 30,
20:42 c'est aussi parce que l'État a complété.
20:44 Donc, en fait, une partie des salaires
20:46 viennent de l'État avec cette prime.
20:47 Et donc, à nouveau, les finances publiques
20:48 servent, aident directement les entreprises.
20:50 Oui, mais est-ce que ce n'est pas un piège ça ?
20:52 Il y a une trappe, il y a des trappes à pauvreté.
20:53 Ce ne sont pas des phénomènes qui sont massifs,
20:55 c'est-à-dire qu'on a eu un peu de mal
20:56 à les détecter dans les études.
20:57 Mais c'est vrai que ça peut être un peu,
20:59 surtout à long terme, désincitatif.
21:01 Souvent, nos études,
21:03 et on met à coup de pas ou nostre à coup de pas,
21:05 sont sur le court terme.
21:06 Donc, on regarde un petit ajustement et on dit,
21:08 il n'y a pas eu beaucoup d'effets.
21:09 Mais on ne voit pas,
21:10 et c'est pour ça que les tendances longues sont importantes,
21:12 l'accumulation de petits effets
21:13 qu'on n'arrive pas à détecter ou à prouver,
21:15 peut-être à la fin finit par faire les écarts
21:17 dont on a parlé tout au début de l'enregistrement.
21:19 Et ce que dit Roudbézio, qui est intéressant,
21:21 en plus c'est l'ancien patron du Medef,
21:23 il commence à être libre de parole,
21:25 et j'en reviens à notre déclin,
21:27 c'est qu'à partir du moment où, effectivement,
21:29 j'ai beaucoup de mal à augmenter les salariés
21:32 de manière significative,
21:33 j'ai beaucoup de mal, en fait,
21:35 à leur demander de prendre des responsabilités.
21:37 Et là, j'ai l'impression qu'on tire notre fil du déclin.
21:41 C'est-à-dire qu'à partir du moment
21:43 où plus personne ne s'engage dans l'entreprise,
21:46 tu brides forcément la croissance,
21:49 l'innovation de l'entreprise,
21:50 et donc en sortie, la richesse produite.
21:52 Alors le grand paradoxe, c'est qu'on constate
21:54 tout cet espèce de désinvestissement,
21:56 ce que vous appelez le "be quit" à un moment,
21:58 les gens ne veulent plus travailler,
21:59 ils ne veulent pas accepter de job
22:00 dans n'importe quelle condition,
22:01 et en même temps, le taux de chômage a baissé,
22:03 le taux d'emploi a augmenté,
22:04 semble-t-il, on arrive un peu à un palier,
22:06 mais les performances économiques du pays
22:08 sont globalement pas bonnes.
22:09 Oui, oui !
22:10 Et malgré ça, les technologies des autres pays
22:13 vont plus vite,
22:14 et donc il faut qu'on se pose cette question.
22:16 T'as un taux d'activité, donc,
22:17 qui n'a jamais été aussi fort depuis 1975,
22:19 nous dit Lindsay, donc là,
22:21 t'as une productivité qui ne cesse de reculer.
22:23 La productivité baisse,
22:24 et donc là, il y a le vrai puzzle,
22:25 et je pense que c'est plus les structures,
22:27 c'est qu'on a du mal, peut-être,
22:28 à comprendre comment tirer parti
22:31 de ces innovations technologiques
22:32 qui sont à tous les niveaux.
22:33 Chad, JP, Tia, on est une parmi d'autres,
22:35 qu'il faut manier avec beaucoup de précaution,
22:37 je ne l'utilise jamais,
22:38 parce qu'il me dit que des bêtises.
22:40 Mais non, il ne te dit pas des bêtises.
22:41 La prochaine génération va intégrer ça
22:43 de façon évidente,
22:44 et donc il ne faut pas qu'on ait un train de retard
22:46 par rapport à ça.
22:47 Etienne, quand il y a eu le débat
22:50 sur les classes moyennes en France,
22:52 et comment on définit les classes moyennes ?
22:55 Alors, les économistes me disent
22:57 salaire médian entre 0,8 et 2 fois le salaire médian,
23:00 peu importe.
23:01 Et donc tu demandes à JP, Tia,
23:04 selon Lindsay, mais il faut que tu lui dises,
23:06 selon Lindsay,
23:07 combien de salariés français sont entre 0,8 et demi ?
23:09 Je te le dis tout de suite.
23:10 Il faudrait que tu passes deux heures sur le…
23:12 Il faut savoir l'utiliser.
23:13 Exactement.
23:14 Parfois même en sachant l'utiliser,
23:16 on détecte des erreurs.
23:17 On détecte des erreurs.
23:18 Non, parce qu'à la fin, ce sont nos erreurs,
23:20 pas celles de JPT.
23:21 Dernier graphe que je voulais montrer,
23:22 donc c'est celui qu'on a vu tout à l'heure,
23:23 et c'est la compétitivité de nos entreprises.
23:25 Et c'est nos entreprises,
23:26 je ne vais pas parler que des hommes politiques.
23:28 C'est la compétitivité des entreprises françaises.
23:30 Ça, mesdames et messieurs, ce graphe-là,
23:32 alors je n'ai pas besoin de le décrire
23:33 pour ceux qui nous écoutent à la radio,
23:34 c'est un effondrement,
23:35 c'est nos parts de marché dans la zone euro.
23:37 On ne se compare pas à la Chine, à l'Indonésie,
23:40 à l'Ouganda, au Kenya, que sais-je.
23:42 Non, nos parts de marché dans la zone euro
23:44 qui sont en train de s'effondrer.
23:46 Tu disais tout à l'heure,
23:49 il faut absolument une prise de conscience,
23:50 mais normalement, ça, ça devrait être aussi
23:52 une prise de conscience incroyable, Etienne.
23:54 Oui, oui.
23:55 Et pourquoi est-ce qu'on n'exporte pas ?
23:57 Alors, on est dans un monde de taux de change fixe,
23:59 et dans un monde de taux de change flexible,
24:01 la monnaie se déprécie,
24:02 et donc on revient à l'équilibre.
24:04 Dans un monde de taux de change fixe,
24:06 on n'a pas d'autre solution
24:07 que de faire du déficit commercial
24:08 si on n'est pas assez compétitif.
24:10 La seule solution,
24:11 si un jour il y a une crise financière,
24:13 c'est aussi des crises qui sont jointes
24:15 avec la crise de l'endettement,
24:16 c'est-à-dire que c'est ce qu'on appelle
24:18 les twin deficits.
24:19 S'il y a un moment un déclin de la balance commerciale,
24:21 c'est aussi le déclin de notre épargne
24:23 par rapport à notre investissement
24:24 et de nos comptes publics
24:25 par rapport aux surplus qu'on pourrait dégager.
24:27 Et donc tout ça est lié.
24:28 Si un jour il y a une crise,
24:29 on sera dans la situation de l'Espagne,
24:31 de la Grèce,
24:32 il faudra faire une dévaluation interne
24:34 ou sortir de l'euro.
24:35 J'espère qu'on n'en arrivera jamais là,
24:37 mais il faut être aussi prudent par rapport à ça.
24:39 C'est pour ça que le travail est plus,
24:42 on parle en ce moment beaucoup
24:43 de réduire le temps de travail un peu plus.
24:45 Sur le long terme, bien sûr,
24:47 c'est évident que sur deux siècles,
24:48 on va travailler moins.
24:49 Mais si on ne peut pas rembourser la dette,
24:51 on sera obligé de faire une dévaluation interne
24:53 ou de choisir de sortir de l'euro.
24:54 Donc soyons très très prudents
24:56 par rapport à ces questions-là.
24:57 Tu sais ce que vont te répondre
24:58 ceux qui pensent qu'il n'y a pas péril,
25:00 on l'admire.
25:01 Alors ils ne le disent pas comme ça,
25:02 moi je vais le dire comme ça,
25:03 c'est que justement on n'est pas d'Espagne à la Grèce,
25:05 c'est qu'on est trop gros,
25:06 too big to fail,
25:08 qu'on est trop gros en fait
25:09 pour qu'il nous arrive un accident comparable
25:11 et que donc il y aura toujours les ressources
25:13 de ceux qui nous entourent,
25:14 les Allemands, Banque Centrale Européenne, etc.
25:16 pour venir nous rattraper.
25:19 D'abord on est riche en terres,
25:20 donc oui on pourra toujours retrouver
25:22 des ressources fiscales,
25:23 mais ça sera très douloureux.
25:24 Par ailleurs, quand le FMI vient dans un pays,
25:26 en général il impose ses conditions.
25:27 Donc on sera too big to fail,
25:29 mais on ne sera pas too big to reforme.
25:31 Donc il faudra vraiment...
25:33 - Mais attend, avant même le FMI ?
25:34 Non, non, non, la BCE sera là,
25:36 la Banque Centrale Européenne sera là.
25:38 - Oui, jusqu'à ce que les Allemands,
25:40 les coalitions des pays dits frugaux,
25:42 - disent ça suffit.
25:43 - Oui, bien sûr, absolument.
25:44 Et ça sera peut-être,
25:45 c'est peut-être le scénario.
25:47 On aura une Banque Centrale à Naples,
25:48 une Banque Centrale à Francfort,
25:51 et puis on choisira si on va être à Naples ou à Francfort.
25:53 - On n'aura pas le choix.
25:54 Après ce qu'on vient de dire pendant 25 minutes,
25:56 on sait qu'on n'aura pas le choix.
25:57 - Évidemment on prêche le pessimisme
25:59 pour que ça n'arrive pas
26:00 et que ça n'arrivera probablement pas.
26:01 Mais c'est quand même important à ce stade-là
26:03 de l'évolution macro
26:05 de pouvoir dire faisons quand même attention,
26:08 on ne peut pas capitaliser sur nos anciennes colonies,
26:11 sur notre empire, c'est fini tout ça.
26:13 On n'a plus que le capital humain
26:15 et il faut être attractif pour les talents,
26:18 il faut être attractif pour nos entreprises.
26:19 Il faut aussi qu'elles puissent exporter.
26:21 Il faut qu'elles se posent la question
26:22 pourquoi est-ce que parfois
26:24 on est perçus en tant qu'entreprise à l'étranger
26:26 comme trop juridique,
26:28 une poignée de main suffit en Suisse
26:30 mais en France on doit signifier 15 contrats.
26:32 C'est des choses que j'ai entendues.
26:34 Il y a tout un état d'esprit
26:36 qui probablement doit être au cœur de nos préoccupations.
26:39 - Tu as vu le débat qu'on vient de traverser sur les retraites.
26:45 Ça n'est pas au cœur de nos préoccupations.
26:47 Je ne sais pas combien de demandes d'interview
26:50 tu as reçues pour cette chronique sur notre déclin.
26:53 J'ai peur d'être la seule ou presque.
26:55 Non, quand même pas.
26:56 - C'est populaire en tout cas.
26:57 - Oui, mais ça a beaucoup circulé
26:59 entre des gens qui sont déjà convaincus.
27:01 Je sais en plus qu'ici sur Bismarck,
27:03 on parle à des gens qui vont dire
27:04 "Bon Dieu, je ne pensais pas que c'était aussi grave"
27:06 mais ils savaient que de toute façon c'était grave.
27:08 Il n'y a pas de prise de conscience collective, Etienne.
27:11 - Ça viendra.
27:13 - Pourquoi tu dis "ça viendra" ?
27:15 - Parce que je ne crois pas que ces réactions
27:17 sur les retraites aient coagulé en réalité.
27:19 C'est-à-dire qu'il y a eu beaucoup de gens dans la rue
27:22 parce que quelques pourcents de la population, c'est beaucoup.
27:24 Mais je ne crois pas que le fond du pays
27:26 soit aussi inconscient que ça.
27:28 Sinon, la réforme ne serait pas passée.
27:31 Il y a eu des réformes dans le passé qui n'auraient été bloquées.
27:33 Là, la réforme est passée
27:35 et je ne crois pas qu'elle sera redétricotée,
27:37 y compris par une nouvelle législature.
27:41 Donc je crois que le pays est en train de se rendre compte.
27:45 - Un économiste que j'aime beaucoup,
27:50 spécialisé dans l'immobilier, Robin Rivaton,
27:52 avait écrit, que tu connais sans doute,
27:54 il y a peut-être une dizaine d'années, "La France est prête".
27:56 Lui aussi, il croyait.
27:58 Je ne sais pas à quoi elle était prête.
28:00 Un mot pour terminer sur Abu Dhabi, les Émirats,
28:04 cette région qu'on a vue nous
28:06 à travers le prisme de la Coupe du monde de football,
28:08 qu'on voit d'ailleurs à travers le prisme du football.
28:10 C'est quand même, pardon,
28:12 mais c'est très intéressant.
28:14 Regardez ce qu'est en train de faire l'Arabie Saoudite.
28:16 L'Arabie Saoudite est en train de faire des ponts d'or
28:18 à des joueurs qui sont encore des joueurs de football
28:21 emblématiques de notre continent.
28:23 Lionel Messi, Cristiano Ronaldo,
28:25 on parle beaucoup de Karim Benzema en ce moment.
28:27 Effectivement, il bouge beaucoup.
28:30 J'avais moi ce sentiment quand même
28:32 d'une couche un petit peu artificielle,
28:34 pleine de lumière,
28:36 sur un sous-jacent
28:38 qui restait très conservateur
28:40 et qu'on le veuille ou non
28:42 très lié aux hydrocarbures et au pétrole.
28:44 Je me trompe alors, Etienne ?
28:46 - Sur les hydrocarbures, bien sûr que c'est la manne,
28:48 mais pour encore 50 ans, donc il y a de quoi.
28:50 Beaucoup de ces pays, pas tous,
28:52 c'est très hétérogène,
28:54 essaient de diversifier leur économie.
28:56 Une des raisons pour lesquelles...
28:58 Le Qatar, effectivement, c'est vraiment le foot
29:00 et là, ça se voit très bien.
29:02 Les Emirats Arabes Unis, c'est beaucoup sur la culture
29:04 et la science, l'espace.
29:06 Ils envoient des gens, des navettes, des sondes sur Mars.
29:08 En fait, je suis allé là-bas parce qu'il y avait
29:10 le Louvre à Abu Dhabi.
29:12 Si ça avait été juste donner de l'argent à des universités,
29:14 mais c'est réversible,
29:16 j'aurais probablement pas voulu travailler là-bas.
29:18 Mais si c'est un investissement pour 50 ans, 100 ans
29:20 et qui attire beaucoup de gens.
29:22 Il y a une île entière à Abu Dhabi
29:24 qui s'appelle Saadiyat.
29:26 Vous avez Guggenheim, vous avez un musée des trois religions.
29:28 Donc c'est des choses sur le long terme.
29:30 Et ça participe, je crois,
29:32 d'une volonté de montrer
29:34 que la culture, c'est pas juste l'Europe.
29:36 Le business, c'est pas juste les États-Unis.
29:38 Ils essayent de montrer qu'ils sont bons
29:40 dans tous les domaines.
29:42 Et c'est intéressant. Il faut pas regarder ça
29:44 avec trop de réticence.
29:46 Il vaut mieux aller là-bas et se rendre compte
29:48 de comment ça fonctionne.
29:50 - Merci Etienne.
29:52 Etienne Wassmer qui nous accompagnait
29:54 sur Bsmart.
29:56 - Donc Frédéric Ancel, salut.
30:02 - Bonjour.
30:04 - Frédéric, j'ai mis croire en la diplomatie puisque
30:06 c'est ce que tu proclames dès le début
30:08 de ce bouquin dont on va parler.
30:10 On va en voir la couverture.
30:12 "Petite leçon de diplomatie.
30:14 La ruse et stratagème des grandes,
30:16 ce monde a l'usage de tous."
30:18 Et donc,
30:20 l'introduction,
30:24 c'est vraiment ça. C'est vraiment croire en la diplomatie.
30:26 Tu insistes
30:28 sur le fait que, alors que
30:30 c'est vrai que ça peut paraître contre-intuitif,
30:32 elle est là, présente,
30:34 toujours, partout,
30:36 qu'elle arrive à dénouer
30:38 un certain nombre des tensions
30:40 qui agitent le monde.
30:42 Alors que c'est vrai qu'on a l'impression
30:44 que, par exemple, Vladimir Poutine,
30:46 à un moment, a signé
30:48 une forme d'acte de décès
30:50 de cette diplomatie. Pourquoi est-ce qu'il faut y croire ?
30:52 On va rentrer dans le détail après, mais
30:54 pourquoi est-ce qu'il faut y croire ?
30:56 - Je pense qu'il faut y croire pour deux raisons.
30:58 La première raison, elle est morale.
31:00 C'est une petite pirouette pour un géopolitologue,
31:02 parce qu'en général, les géopolitologues sont considérés comme
31:04 extraordinairement pragmatiques, ne regardant que les réalités,
31:06 voire même la réelle politique.
31:08 Pas moi. Je suis un géopolitologue humaniste.
31:10 Et pourtant, je pense que la morale doit être toujours
31:12 au moins l'une des variables
31:14 de prise de décision. J'ai bien conscience, car je ne suis pas naïf,
31:16 et ça fait quand même longtemps que je suis dans le métier,
31:18 que ce qui prédomine,
31:20 comme le disait Hegel,
31:22 les États, ce sont les intérêts. Bon, les intérêts, bien compris.
31:24 Mais la variable éthique,
31:26 morale, doit toujours intervenir,
31:28 même si ce n'est qu'une variable. Alors pourquoi je vous dis ça ?
31:30 Et pourquoi c'est la première raison pour laquelle je crois
31:32 dans la diplomatie, c'est que tant qu'on discute,
31:34 en principe, je dis bien en principe,
31:36 on s'accorde encore une possibilité
31:38 pour éviter de se faire la guerre si on n'est pas d'accord du tout.
31:40 Et ma foi, la diplomatie
31:42 a quand même évité dans l'histoire des temps longs,
31:44 chers à faire d'embrodales, beaucoup de guerres,
31:46 beaucoup de conflits, manifestement. Ça, c'est le premier point.
31:48 Le deuxième point, pourquoi y croire ?
31:50 C'est parce que de toute façon, on n'a pas le choix.
31:52 On n'a pas le choix, notamment,
31:54 lorsqu'on est une puissance,
31:56 déclinante, relativement déclinante,
31:58 autrement dit, lorsqu'on n'a pas
32:00 suffisamment de billes économiques
32:02 et/ou militaires
32:04 pour faire la décision seulement
32:06 avec le "hard power", c'est-à-dire avec
32:08 l'économie stratégique et les armes.
32:10 Et là, évidemment, qu'est-ce qui reste ? C'est la diplomatie.
32:12 D'ailleurs, et je finis avec ça, De Gaulle l'avait très bien compris,
32:14 De Gaulle, dans les années 60, qu'est-ce qu'il fait ?
32:16 En disant aux Américains et aux Soviétiques,
32:18 vous savez, nous, la France, nous sommes le troisième grand.
32:20 Tout le monde pouvait ricaner au regard
32:22 des éléments concrets dont nous disposions
32:24 en termes de puissance. Sauf que sur le plan
32:26 diplomatique, De Gaulle, avec sa
32:28 grande politique africaine et arabe
32:30 de la France à l'époque, avait quand même réussi
32:32 ce qu'il tiendrait pendant encore
32:34 allez 20, peut-être 30 ans,
32:36 à savoir quand même quelque chose
32:38 qui permettait à la France d'intervenir
32:40 alors pas à la hauteur de Moscou et Washington
32:42 pendant la guerre froide, mais quand même
32:44 d'apparaître comme un troisième grand, même si ce troisième
32:46 grand était loin derrière les deux premiers.
32:48 Mais à la limite, rentrons là-dedans.
32:50 Parce que tu écris "la France affiche toujours
32:52 un des trois plus grands réseaux
32:54 diplomatiques du monde, entretenant
32:56 des relations officielles avec tous
32:58 les États du monde, sauf deux,
33:00 la Syrie et la Corée du Nord".
33:02 Et tu ajoutes "ceux qui pensent
33:04 que cet appareil diplomatique ne fait
33:06 que de la gesticulation et du suivisme
33:08 des Américains se trompent lourdement".
33:10 Oui, ils se trompent lourdement pour deux raisons
33:12 là encore. D'abord parce que, avoir
33:14 180 ambassades sur
33:16 193 pays qui existent dans le monde,
33:18 donc on enlève les deux que tu as cités à juste titre.
33:20 C'est toi qui décide. Oui, oui, oui, la France
33:22 évidemment, donc il reste 190 pays.
33:24 180 ambassades, c'est beaucoup.
33:26 Ça veut dire que nous avons la volonté
33:28 d'entretenir un personnel
33:30 diplomatique et des bâtiments et des services
33:32 qui coûtent cher, qui coûtent très très cher.
33:34 Oui, c'est le luxe.
33:36 Ça veut dire que, moi j'ai l'habitude de dire
33:38 "démonstration de force vaut force".
33:40 On dit au monde entier que nous
33:42 voulons encore intervenir sur le plan diplomatique
33:44 et que nous y mettons les moyens, même si
33:46 a priori on est de moins en moins riches.
33:48 Ça c'est la première chose. Et la deuxième chose,
33:50 c'est que les diplomates
33:52 et les gens qui travaillent dans les ambassades
33:54 ne font pas justement que des petits fours
33:56 et de la gesticulation. Ils rapportent
33:58 du renseignement.
34:00 Non seulement ils rapportent du renseignement,
34:02 mais ils rapportent aussi parfois, peut-être même
34:04 souvent, des contrats ou des conditions
34:06 qui permettent ensuite de signer des contrats.
34:08 Donc le diplomate, il ne faut pas le voir comme un
34:10 "simple" alors que c'est un grand,
34:12 un simple talerant qui organise
34:14 de très grands banquets et qui pince les fesses
34:16 au cours des banquets. Ce n'est pas que ça, c'est aussi
34:18 autre chose et malgré tout, donc
34:20 je réaffirme que ce n'est pas
34:22 que de la gesticulation.
34:24 Alors, il se trouve que j'ai vécu dans une ambassade, moi pendant
34:26 un an et demi, j'ai fait mon service militaire à l'ambassade
34:28 de France en Turquie, j'en ai déjà parlé ici.
34:30 C'était donc au milieu des années 80
34:32 avec un ambassadeur dont tu as forcément
34:34 croisé la route, qui s'appelait
34:36 Éric Rouleau. - Oui, bien sûr.
34:38 - Voilà, ancien journaliste. - En Tunisie aussi.
34:40 - Évidemment, voilà. C'est surtout en Tunisie
34:42 d'ailleurs que son action a été
34:44 importante, beaucoup moins
34:46 en Turquie et à l'époque, on parlait
34:48 de la France-Allemagne. Et à l'époque,
34:50 il y avait l'ambassade d'Allemagne,
34:52 évidemment en Turquie, dont la puissance
34:54 était sans commune mesure avec
34:56 l'ambassade de France et l'idée, c'était,
34:58 alors je ne sais pas si tu t'en souviens,
35:00 mais c'était justement, parce que tout cela
35:02 coûte cher, de prendre les
35:04 différentes représentations diplomatiques et en
35:06 Turquie par exemple, de fondre
35:08 l'ambassade de France au sein de l'ambassade d'Allemagne
35:10 et d'avoir comme ça des
35:12 représentations diplomatiques européennes.
35:14 Ça n'a jamais vu le jour.
35:16 C'est...
35:18 Enfin, on pensait la même chose pour l'armée, etc.
35:20 Et à un moment, à la fin de ton livre,
35:22 tu interroges justement sur
35:24 le concept de puissance autour de l'Union Européenne.
35:26 Est-ce que
35:28 cette volonté de la France
35:30 de continuer à avoir
35:32 comme ça, c'est donc, 180
35:34 ambassades, cette voie diplomatique,
35:36 cette prétention,
35:38 moi quand même je le pense,
35:40 est-ce que ça n'empêche pas justement
35:42 le développement d'une Europe puissance ?
35:44 Ah, alors là, on touche à un sujet philosophique
35:46 et diplomatique, mais pas seulement diplomatique.
35:48 Tu en parles, toi-même. Oui, très important. Alors moi, je suis favorable à l'Europe puissance.
35:50 Sauf que,
35:52 il faut savoir de quoi on parle.
35:54 Si c'est l'Europe puissance derrière
35:56 une puissance économique et industrielle
35:58 dont on a décroché,
36:00 à savoir l'Allemagne,
36:02 mais qui, elle, n'assume pas
36:04 le rôle et le statut de véritable puissance globale,
36:06 puisqu'elle n'assume pas pour l'instant la projection des forces,
36:08 c'est le moins qu'on puisse dire.
36:10 Si c'est ça, c'est compliqué, parce que ça veut dire qu'en réalité,
36:12 on ne sera plus
36:14 réellement indépendant. On sera autonome,
36:16 mais on ne sera pas indépendant.
36:18 Ce n'est pas cela. Si on ne se met pas
36:20 derrière l'Allemagne,
36:22 et qu'on décide
36:24 de créer une Europe puissance,
36:26 mais sans l'Allemagne, en tout cas,
36:28 au côté de l'Allemagne, mais sans en dépendre,
36:30 alors il faut aller voir les Britanniques.
36:32 On n'a pas le choix. Il n'y a que deux puissances
36:34 dignes de ce nom avec lesquelles on pourrait
36:36 mutualiser en Europe. C'est l'Allemagne
36:38 ou c'est le Royaume-Uni. Maintenant, le problème du Royaume-Uni,
36:40 c'est qu'il considère, il se représente
36:42 une relation privilégiée avec les États-Unis.
36:44 Ah, ben oui, oui. Là, pour le coup,
36:46 tu es dans le suivisme, là.
36:48 Oui, mais, mais, mais, j'insiste sur le "mais",
36:50 les Britanniques, ce qu'ils souhaitent,
36:52 c'est une chose. Ce que les Américains
36:54 souhaitent, c'en est une autre. Il ne t'aura pas
36:56 échappé que ces dernières années, notamment depuis le retrait piteux
36:58 de Kaboul, il y a deux ans de cela,
37:00 les Britanniques se voient littéralement
37:02 lâchés par les Américains, en tout cas
37:04 en termes de relations privilégiées.
37:06 Les Américains ne s'intéressent plus
37:08 aux Britanniques comme éléments
37:10 privilégiés d'une relation privilégiée.
37:12 Je dirais que plus personne ne s'intéresse aux Britanniques.
37:14 Alors, justement, justement, c'est peut-être
37:16 pour ça qu'ils vont revenir à de meilleures dispositions.
37:18 Et de meilleures dispositions vis-à-vis
37:20 ou vers la seule puissance européenne
37:22 qui, un, a encore les moyens
37:24 et, deux, la volonté, comme eux
37:26 d'ailleurs, d'apparaître comme
37:28 une puissance globale à travers le monde.
37:30 De toute façon, et j'en finis, je pense que si on ne
37:32 ne mutualise pas, alors sur le plan diplomatique, oui,
37:34 pourquoi pas, c'est vrai qu'on a pensé avec l'Allemagne,
37:36 et sur le plan militaire... - Mais oui, mais ça ne peut pas être avec la Grande-Bretagne.
37:38 - Tiens donc... - Mais non, c'est comme... Tu comprends...
37:40 - Ça n'est jamais défini. - Je réfléchis en t'écoutant
37:42 et c'est ça qui est très très important.
37:44 Je pense aux fusions-acquisitions.
37:46 Tu ne peux pas faire une fusion-acquisition
37:48 le fameux "entre égaux". Ça n'existe pas.
37:50 Hommage encore une fois à Henri Lachman,
37:52 formidable patron de Schneider Electric.
37:54 Ça n'existe pas, les fusions entre égaux.
37:56 Avec l'Allemagne, justement,
37:58 c'est la fusion des
38:00 compléments. Enfin,
38:02 bon, c'est...
38:04 - Oui, donc en fait, c'est la fusion des compléments avec les Américains.
38:06 - On délire, on délire. - Avec les Américains.
38:08 - Non, les Allemands. Les Allemands ne jurent
38:10 que par les Américains. Et entre parenthèses,
38:12 lorsqu'ils vont faire du business en Chine...
38:14 - Ils ne jurent que par les Américains parce qu'à aucun moment,
38:16 nous ne les avons rassurés sur le fait que notre arme nucléaire
38:18 pouvait les protéger eux aussi.
38:20 À aucun moment.
38:22 À aucun moment, nous n'avons dit
38:24 "Oui, l'Allemagne est un intérêt vital de la France".
38:26 Je comprends bien que c'est compliqué à dire.
38:28 Il y a eu toute la discussion sur le partage du siège,
38:30 aussi, au Conseil de sécurité des Nations Unies,
38:32 etc., etc.
38:34 Ce sont tous ces rendez-vous ratés, à mon avis,
38:36 qui ne sont qu'eux.
38:38 - Alors, rendez-vous ratés, ce n'est pas faux.
38:40 Mais à partir du moment où les Allemands, de toute façon,
38:42 ne veulent pas, ne voulaient pas et ne veulent pas,
38:44 en tout cas jusqu'à aujourd'hui, dans 20 ans,
38:46 on verra bien, je n'en sais rien, ce qu'est en train de faire Poutine,
38:48 est en train peut-être de les marquer profondément.
38:50 On verra bien. Mais l'Allemagne ne voulait
38:52 de toute façon pas apparaître
38:54 comme une puissance. Et à partir du moment
38:56 où le parapluie américain leur permettait
38:58 d'être tout à fait tranquille
39:00 et de gagner énormément d'argent chaque année
39:02 en ne produisant pas, justement, de quoi
39:04 se défendre eux-mêmes, ils ne voulaient pas
39:06 de toute façon faire du couple
39:08 franco-allemand. Je rappelle que le couple franco-allemand
39:10 est un concept français et pas allemand.
39:12 C'est pareil avec les Brits. Les Britanniques considèrent
39:14 qu'ils ont une relation privilégiée avec les Américains.
39:16 Ce n'est plus le cas pour les Américains.
39:18 Et moi, je pense que les égaux... Alors, toi, tu parles des égaux.
39:20 Moi, je parle de représentation lacostienne.
39:22 - C'est toute l'histoire, quoi, toute l'histoire
39:24 diplomatique de la Grande-Bretagne
39:26 en choc frontal avec
39:28 toute l'histoire diplomatique française.
39:30 Tu les connais mieux que moi, ces gens-là.
39:32 - Mais c'est toute l'histoire de l'Union européenne
39:34 qui, malgré tout, sur le plan au moins économique,
39:36 a bien fonctionné depuis la CECR
39:38 de 1952, en passant par le traité
39:40 de Rome, quant aux Britanniques sur le plan
39:42 diplomatique et militaires.
39:44 D'ailleurs, bien sûr, la dernière fois que nous
39:46 avons connu des bisbis vraiment très
39:48 graves avec eux, c'était à Waterloo. Il ne faut pas
39:50 exagérer. C'était en 1815. Tu me
39:52 rappelles ce qui s'est passé avec les Allemands ?
39:54 Donc, moi, je pense que c'est l'histoire de l'histoire.
39:56 - Tu as oublié, tu en parles, d'ailleurs.
39:58 Tu as oublié ce missile
40:00 Matra qui,
40:02 lancé par un
40:04 avion argentin... - C'était pas contre les Anglais.
40:06 - Lancé par un
40:08 avion argentin a donc coulé...
40:10 - Sauf que... - C'était quoi ? C'était un
40:12 croiseur... - Le Sheffield.
40:14 Le Sheffield a été coulé par un missile
40:16 Exocet français.
40:18 Évidemment, Mitterrand s'est excusé au prétature, mais surtout,
40:20 on n'imaginait pas que ce missile
40:22 allait servir aux Argentins pour aller frapper,
40:24 évidemment, un bateau de guerre allié.
40:26 Donc, je ne dis pas que c'est facile.
40:28 Je ne dis même pas que c'est plausible
40:30 cette alliance avec les Britanniques. Ce que je dis,
40:32 c'est qu'une alliance... - En tout cas, tu la préfères
40:34 à une éventuelle alliance avec les Allemands.
40:36 - Ils n'en veulent pas. Et la première fois que les Allemands sont allés
40:38 à Pékin pour aller faire du commerce, pour aller faire
40:40 du business, parce qu'ils ne jurent que par ça, ils ne pensent que ça,
40:42 les Allemands, ils ont oublié de
40:44 convier M. Macron, tu comprends ? Mais oui, mais donc,
40:46 les Allemands, en réalité, ils jouent perso, et on le voit
40:48 tous les jours. - Alors,
40:50 revenons dans
40:52 ton bouquin.
40:54 Tu le...
40:56 Tu n'en parles pas directement, mais
40:58 Israël et Arabie Saoudite.
41:00 Voilà, alors, peut-être une belle
41:02 démonstration diplomatique.
41:04 Alors, tu appelles ça,
41:06 c'est dans le chapitre "Nouer les bonnes alliances".
41:08 Est-ce qu'on pourrait dire
41:10 "Faire le tri dans mes ennemis" ? Israël,
41:12 Arabie Saoudite, comment est-ce que cette histoire
41:14 peut avancer,
41:16 évoluer ? - Alors, d'abord,
41:18 justement, parce qu'ils n'ont jamais été réellement ennemis,
41:20 à quel moment un soldat
41:22 saoudien s'est confronté à un soldat israélien ?
41:24 On ne cherche pas, jamais, jamais.
41:26 Et la meilleure preuve, c'est que les émirats arabes unis
41:28 aujourd'hui font beaucoup de business avec Israël.
41:30 - Pardon, j'ai raconté la vie, mon expérience de grand reporter.
41:32 Alors, c'était...
41:34 Il y a 20 ans, peut-être, peut-être que
41:36 ce n'est plus vrai aujourd'hui.
41:38 La frénésie des équipes d'Air France, quand on rentrait
41:40 dans l'espace aérien saoudien,
41:42 prenant nos revues pour être sûrs
41:44 qu'il n'y avait pas quelque part une carte d'Israël, et s'il y avait
41:46 une carte d'Israël, je l'ai vécue. Il fallait arracher
41:48 la page. - Ah bah oui, bien sûr. Mais tout ça,
41:50 c'est un gigantesque blabla.
41:52 Enfin, ce n'est pas sérieux, tout ça. Là, on est sur du
41:54 démonstratif, rhétorique, discursif, cartographique.
41:56 À la fin des fins,
41:58 à la fin des fins, à partir du moment où les Israéliens
42:00 ont considéré que l'Iran
42:02 devenait, dans la région, le pays le plus dangereux,
42:04 notamment lié, bien sûr, au dossier nucléaire.
42:06 L'ennemi de mon ennemi étant toujours mon ami,
42:08 mais ça, c'est le B-A-B des relations internationales,
42:10 évidemment, on s'est rapproché de l'Arabie saoudite
42:12 qui s'est rapproché aussi d'Israël.
42:14 Maintenant, MBS, donc Mohamed Ben Salman,
42:16 l'actuel prince héritier,
42:18 qui dirige réellement le pays maintenant depuis presque 10 ans,
42:20 a considéré qu'au fond,
42:22 la question palestinienne, c'était un contentieux local,
42:24 qu'on allait laisser ça derrière,
42:26 parce que lui aussi avait comme adversaire principal
42:28 l'Iran, ou plus exactement,
42:30 les alliés chiites de l'Iran,
42:32 et notamment les fameux Houthis du Yémen
42:34 qui lui ont repoussé des centaines de missiles
42:36 dans son pays en moins de 10 ans.
42:38 Donc, je dirais qu'il y a un rapprochement,
42:40 attention, il n'y a pas d'alliance,
42:42 il y a un vrai rapprochement entre l'Arabie saoudite et Israël,
42:44 donc effectivement depuis une dizaine d'années,
42:46 qui s'est conclu par les fameux accords d'Abraham,
42:48 pas signés par Riyad,
42:50 qui en fait...
42:52 - Rappelle-le d'ailleurs, signé par les Émirats.
42:54 - ...Nira, Bahrain,
42:56 un conflit de pétrolier et gazier dans la région,
42:58 le Soudan, qui n'est même pas au courant,
43:00 et le...
43:02 c'est vanté qu'il y ait un régime aujourd'hui au pouvoir au Soudan,
43:04 et le Maroc, le point fort.
43:06 Mais enfin, les relations entre Israël et le Maroc
43:08 existaient déjà depuis très longtemps, c'était un secret de polichinelle.
43:10 Donc, je dirais que c'est l'Arabie saoudite
43:12 qui a autorisé
43:14 les Émirats arabes unis et Bahrain
43:16 à faire le pas,
43:18 et les renseignements que les Israéliens fournissent
43:20 sur les militants chiites
43:22 dans la région aux Émirats, passent ensuite
43:24 à Riyad, en Arabie saoudite.
43:26 Donc l'Arabie saoudite profite de cela,
43:28 sans pâtir de la présence d'un drapeau israélien,
43:30 à Riyad, qui énerverait les pires des salafistes.
43:32 C'est quand même pas mal.
43:34 - Et ça, c'est de la démonstration de force diplomatique ?
43:36 - Ah oui, complètement. - Voilà, ça c'est vraiment la diplomatie ?
43:38 - Absolument.
43:40 En tout cas, c'est l'un des...
43:42 l'une des illustrations de la diplomatie
43:44 les plus probantes.
43:46 - Est-ce qu'elle peut résister
43:48 si...
43:50 Alors, je ne sais plus si tu en parles dans ce livre,
43:52 mais je t'avais entendu avoir des mots très virulents
43:54 sur l'actuel gouvernement en Israël.
43:56 Je crois que tu parlais de voyous,
43:58 purement et simplement, pour certains des ministres.
44:00 - Au moins, deux ministres sont des extrémistes
44:02 et des voyous, bien sûr.
44:04 - Est-ce que ce rapprochement diplomatique
44:06 peut résister ?
44:08 - À un moment, la diplomatie ne peut pas non plus faire le grand écart
44:10 entre
44:12 un gouvernement qui irait
44:14 renforcer la répression des palestiniens
44:16 et quand même une monarchie
44:18 saoudienne
44:20 qui est censée incarner
44:22 une permanence arabe. - Qui est censée incarner.
44:24 Le mot important dans ta phrase, c'est "censée incarner".
44:26 Oui, on est encore dans la rhétorique et dans la sémantique.
44:28 "Nous sommes, nous, les champions de la cause palestinienne",
44:30 disaient les Saoudiens. Très bien.
44:32 À quel moment les Saoudiens ont fait la guerre à Israël ? Jamais.
44:34 - Et en balai, c'est pesé.
44:36 - En balai, c'est pesé. Alors je ne dis pas
44:38 que la rhétorique n'a pas d'importance,
44:40 c'est l'une des dimensions fondamentales de la diplomatie.
44:42 Je dis que lorsqu'il ne s'agit
44:44 pratiquement que de cela
44:46 et qu'il n'y a pas derrière une application
44:48 concrète sur le plan économique
44:50 ou militaire des termes
44:52 qu'on a employés ou des menaces qu'on a proférées,
44:54 en réalité, c'est que du blabla.
44:56 - La diplomatie s'inscrit dans l'art possible
44:58 du réaliste
45:00 et non du fantasmatique
45:02 ou de l'outrance. Elle n'est pas faite
45:04 pour les réseaux sociaux, la diplomatie.
45:06 - Non, la diplomatie n'est pas non.
45:08 - Elle n'est pas faite pour la lumière de ce siècle-là.
45:10 - C'est l'antinomie des réseaux sociaux.
45:12 Lorsqu'on est un bon diplomate, en principe,
45:14 on ne surparcellise pas,
45:16 on ne prône pas l'immédiateté,
45:18 on s'inscrit dans des temps
45:20 relativement longs, voire très longs,
45:22 on demande comment va la famille,
45:24 on accueille...
45:26 - Ah oui, c'est ça.
45:28 - Ensuite, il y a l'apparat, il y a toute une scénographie.
45:30 Or, la scénographie des diplomates n'existe pas
45:32 par définition dans les réseaux sociaux
45:34 sur quelques tweets, c'est juste impossible.
45:36 C'est la raison pour laquelle je pense que le diplomate,
45:38 là aussi, je reviens à ta première question,
45:40 ont encore un rôle à jouer dans des ambassades,
45:42 de préférence de belles ambassades, où on est bien reçu,
45:44 bien accueilli, en parlant de préférence
45:46 évidemment la langue des pays dans lesquels
45:48 on officie et en demandant des nouvelles
45:50 de la famille, c'est très important.
45:52 - Et c'est le temps long.
45:54 - Ah, et c'est toujours le temps long.
45:56 - Et c'est le temps long, c'est forcément le temps long.
45:58 - Mais le vrai diplomate est un stratège.
46:00 Lui, il pense les temps longs, bien sûr.
46:02 - Alors justement, si tu te concentres,
46:04 puisque ce bouquin est une réédition
46:06 mais très largement augmentée d'un premier bouquin,
46:08 et donc tu te concentres en fait
46:10 majoritairement sur les deux conflits
46:12 qui nous passionnent en ce moment, c'est-à-dire l'Ukraine et le Proche-Orient.
46:14 Sur l'Ukraine,
46:16 est-ce qu'on va parler après de
46:18 ce qui est pour toi une...
46:20 Non, en même temps, il faut commencer par ça.
46:22 Tu fais grand cas
46:24 de la reculade d'Obama
46:26 sur les lignes rouges,
46:28 d'ailleurs, tu as tout un chapitre sur les lignes rouges
46:30 qui n'en sont pas,
46:32 autour des armes chimiques, donc, lancées par Assad
46:34 contre sa...
46:36 contre son opposition.
46:38 Pour toi, tout découle de là.
46:40 - Une grande partie de ce qui existe
46:42 aujourd'hui, malheureusement, découle de là.
46:44 - La guerre ukrainienne découle de là, si je te lis.
46:46 En partie.
46:48 - En partie. Je le disais tout à l'heure.
46:50 - Vas-y, déroule un peu le fil.
46:52 - Je le disais, démonstration de force, vos forces.
46:54 Barack Obama est l'homme le plus puissant du monde en 2012.
46:56 Il est allé de très loin. Bon.
46:58 On ne l'oblige pas à dire ce qu'il dit.
47:00 Or, en 2012, il dit la chose suivante.
47:02 Si Assad réutilise du gaz de combat
47:04 contre sa propre population, alors nous agirons
47:06 par la force. Obama dit
47:08 mot pour mot, pratiquement.
47:10 Quelques mois plus tard, non seulement, crânement,
47:12 Assad, qui est une minuscule puissance
47:14 et encore, qui, à l'aube d'une éventuelle
47:16 chute à l'époque, recommence
47:18 à perpétrer ses horreurs,
47:20 mais il le fait, donc, ouvertement,
47:22 en se moquant du monde.
47:24 Obama avait averti. Donc, un,
47:26 il s'assoit sur sa propre ligne rouge,
47:28 en ne faisant rien. - Voilà. Et il va rien se passer.
47:30 - Il se passe rien. - Et tu racontes même,
47:32 les avions français décollent. Ils décollent,
47:34 ils sont prêts à décoller. - Les Français...
47:36 - Nous, on se dit, on y va, les gars. - Les Français et les Britanniques
47:38 devaient y aller aussi.
47:40 Les Britanniques, finalement, n'y vont pas, parce que les communes
47:42 empêchent le Premier ministre britannique de l'époque
47:44 d'y aller, parce qu'ils sont instruits par l'affaire irakienne,
47:46 ils ne veulent pas y aller. Reste la France et les États-Unis.
47:48 Et Barack Obama sent, d'ailleurs, entre parenthèses,
47:50 prévenir François Hollande, qui lui, voulait y aller,
47:52 ce qui est tout à son honneur, d'ailleurs. Barack Obama
47:54 s'assoit sur sa propre ligne rouge, alors qu'il en a
47:56 les moyens, un, et que, deux,
47:58 il avait lui-même lancé
48:00 l'avertissement, un an auparavant.
48:02 Ça, c'est une catastrophe
48:04 en termes de crédibilité. Et moi,
48:06 je pense que la crédibilité, c'est la matière
48:08 diplomatique, c'est la matière stratégique
48:10 la plus précieuse en géopolitique.
48:12 Et le résultat,
48:14 c'est que, non seulement Assad
48:16 in situ, mais beaucoup d'autres dictateurs
48:18 impérialistes dans le monde entier,
48:20 et peut-être, sans doute,
48:22 pas peut-être, sans doute, jusque-ci, y compris
48:24 à M. Poutine, aujourd'hui, considèrent que
48:26 finalement, les Américains n'ont plus les reins assez
48:28 solides, ou n'ont plus la volonté suffisante
48:30 pour aller intervenir. Et la cerise
48:32 alcoolisée sur le gâteau,
48:34 enfin, alcoolisée, la cerise pourrie sur le gâteau,
48:36 pardon d'employer cette expression, c'est qu'Obama, à l'époque,
48:38 fait semblant de croire
48:40 Lavrov, qui est déjà le ministre des Affaires étrangères.
48:42 - Oui, mais tu vas très très vite, il faut raconter, parce que
48:44 on ne connaît pas forcément
48:46 la séquence, je dois dire, je ne connaissais pas la séquence.
48:48 Donc, il renonce,
48:50 encore une fois, c'est dans le bouquin, j'ai appris tout ça.
48:52 Obama ne va pas bombarder Assad,
48:54 ne va pas bombarder la Syrie,
48:56 et effectivement, donc, Lavrov, qui est
48:58 toujours là, ministre... - Il est déjà là.
49:00 - J'allais dire soviétique, mais... - Des Affaires espagnoles,
49:02 quasiment. - Non, mais le tant long héritier
49:04 de la diplomatie
49:06 soviétique, ministre russe des Affaires étrangères,
49:08 va boutiquer une sorte
49:10 de compromis bancal, c'est ça ?
49:12 - Oui, il arrive comme un Deus ex machina, et il dit,
49:14 voilà, nous nous sommes favorables à la paix,
49:16 nous allons garantir, parce que c'est un partenaire
49:18 à ça, nous allons garantir
49:20 la neutralisation de son stock de gaz
49:22 naturel, entre parenthèses, officiellement, il n'en avait pas.
49:24 - De gaz chimique. - Du gaz chimique, pardon.
49:26 De gaz chimique, officiellement, il n'en avait pas. Tiens, tout d'un coup, il en a.
49:28 Donc, on va le neutraliser, on le prend
49:30 sous notre responsabilité, et
49:32 comme ça, on n'entend plus parler, et vous, vous ne
49:34 bombardez pas la Syrie. - Voilà. - Et Obama
49:36 fait semblant de croire les Russes
49:38 à ce moment-là, c'est extraordinaire.
49:40 Et le pire dans tout ça, c'est que, quelques mois
49:42 plus tard, les premiers chasseurs-bombardiers
49:44 russes sous Coye interviennent
49:46 dans l'espace aérien syrien. Jusqu'à maintenant,
49:48 ce n'était pas le cas. Et aujourd'hui, l'espace aérien
49:50 syrien, il est évidemment russe. Donc, vous reculez,
49:52 l'autre avance, mais sur la base
49:54 de votre propre trahison,
49:56 de votre propre ligne rouge.
49:58 C'est ça qui est terrible avec Obama. - C'est ça, c'est ça.
50:00 - Et donc, quand tu déroules le fil,
50:02 tu dis, si Poutine attaque
50:04 l'Ukraine, envers et contre tout,
50:06 c'est parce qu'il pense que, finalement, Biden,
50:08 qui n'est jamais que l'héritier d'Obama,
50:10 c'est assez logique, dans sa tête.
50:12 - Eh bien oui. Poutine, aujourd'hui,
50:14 sachant qu'en 2014, il a déjà investi, comme tu le sais,
50:16 la Crimée et l'Est du Nombas,
50:18 d'ailleurs, sans coup faire rire, pensant déjà
50:20 à l'époque, et on est juste après, on est un an
50:22 après l'affaire de la Syrie,
50:24 pensant que les Américains n'interviendront pas.
50:26 - Selon quoi, il n'avait pas
50:28 tout à fait tort sur mes...
50:30 Enfin, ça ramènerait à un autre
50:32 de tes bouquins sur les cartes.
50:34 - Oui, parce que la Crimée est un cas à part.
50:36 - Bah, et voilà. - La Crimée est un cas à part.
50:38 - C'est juste. Mais enfin, c'est juste.
50:40 Mais le problème fondamental, c'est pas, finalement,
50:42 Poutine. Lui, il est dans son idéologie,
50:44 il est dans sa dangerosité. Le problème, c'est...
50:46 - C'est la reculade d'Obama. - Et alors,
50:48 justement, tu le dis, il est dans son idéologie,
50:50 c'est... Tu l'expliques.
50:52 L'un des éléments contre lesquels
50:54 la diplomatie ne peut rien, c'est justement
50:56 l'idéologie. Voilà. Pour Poutine,
50:58 le peuple ukrainien n'existe pas.
51:00 Point à la ligne. Et là, il n'y a rien
51:02 sur quoi s'accrocher pour parler, c'est ça ?
51:04 - Voilà. Il y a beaucoup moins sur quoi s'accrocher.
51:06 Et pourquoi ? Parce que la diplomatie, c'est l'art
51:08 du pragmatisme. C'est-à-dire que chacun
51:10 a son credo. D'ailleurs, finalement, le patriotisme
51:12 dont je suis moi-même en pipe, en tant que théorien français,
51:14 c'est déjà quelque part une idéologie.
51:16 Je préfère appeler ça un idéal, mais c'est une idéologie.
51:18 Mais il doit toujours y avoir
51:20 un espace, et le plus grand
51:22 espace possible donné à
51:24 la marge entre l'idéologie de l'autre
51:26 et la sienne. Parce qu'évidemment,
51:28 on n'utilise que les fusils,
51:30 c'est le plus puissant ou le plus violent qui l'emporte.
51:32 Donc moi, je pense qu'à partir du moment
51:34 où la variable principale
51:36 et finalement exclusive de
51:38 la prise de décision d'attaquer l'Ukraine pour Poutine
51:40 est idéologique, malheureusement, il n'y a
51:42 pratiquement plus de place pour la diplomatie.
51:44 - Et Macron, à ce moment-là, il a raison ou il a tort ?
51:46 On lui a beaucoup reproché dans les premiers mois
51:48 de la guerre, cette volonté de maintenir un lien.
51:50 Et d'ailleurs, c'est marrant parce que ta couverture, c'est la fameuse table,
51:52 la fameuse référence à la table...
51:54 - Ça en y a tenu.
51:56 - ...Poutine-Macron. - Oui. Moi, j'ai
51:58 soutenu les premiers mots à Emmanuel Macron
52:00 dans sa volonté de maintenir
52:02 un fil diplomatique, enfin en tout cas un fil
52:04 téléphonique, j'allais dire, après on sait pas ce qu'ils ont dit.
52:06 - Non, mais c'est cohérent avec ce que tu dis sur la puissance diplomatique de la France.
52:08 - Avec Poutine. D'abord parce qu'il faut toujours
52:10 continuer à tenter de, je dis bien tenter,
52:12 de discuter. Il ne s'agit pas de promettre tout ou n'importe quoi.
52:14 Mais au moins recueillir
52:16 les premiers signes
52:18 d'une volonté d'apaisement de l'autre.
52:20 Après tout, pourquoi ce ne serait pas la première puissance
52:22 diplomatique
52:24 et en tout cas militaire de l'Union Européenne
52:26 de recueillir
52:28 d'éventuels premiers signes
52:30 de bonne volonté de Poutine ? Pourquoi laisser ça
52:32 à d'autres ? Donc je pense qu'Emmanuel Macron avait raison
52:34 de le faire. Là en revanche, où j'ai été extrêmement
52:36 critique et où je le reste, c'est sur le timing
52:38 lorsqu'il dit à l'époque
52:40 en pleine attaque, en pleine offensive russe
52:42 il ne faut pas humilier la Russie.
52:44 J'ai trouvé ça, du point de vue chronologique, parfaitement
52:46 stupide et contre-productif.
52:48 Et entre parenthèses, je suis bien moins
52:50 sévère que toute l'Europe orientale
52:52 qui a été à l'époque, alors aujourd'hui, bon,
52:54 on rétropédale et bon, on revient un peu dans les bonnes
52:56 grâces de l'Europe. Alors, puissance
52:58 éventuellement, parce que j'ajoute que si
53:00 Emmanuel Macron, ce que je soutiens, souhaite
53:02 l'Europe puissance, alors il ne peut pas
53:04 en même temps dire à la moitié
53:06 voire aux deux tiers de toute l'Union Européenne
53:08 "écoutez, d'accord, vous êtes bien
53:10 gentils, mais moi je continue à négocier avec Poutine, quoi qu'il en coûte".
53:12 C'est une phrase célèbre mais que j'ai
53:14 apprise récemment, on ne parle pas
53:16 recette de cuisine avec un anthropophage.
53:18 C'est joliment dit.
53:20 Oui, oui, c'est pas mal. Le moment où la discussion s'arrête,
53:22 c'est pas mal, hein ? À un moment, tu ne peux plus
53:24 parler. Tu ne parles pas recette de cuisine.
53:26 En termes diplomatiques, j'inverserais
53:28 l'excellente formule de
53:30 Pierre Desproges, le grand comique Pierre Desproges
53:32 qui disait lorsque l'on lui disait "est-ce qu'on peut rire
53:34 de tout ?" Il disait "on peut rire de tout
53:36 mais pas avec n'importe qui". Moi, je pense
53:38 qu'on peut parler avec n'importe qui mais pas
53:40 de tout. Autrement dit,
53:42 si le diable vous propose la paix éternelle
53:44 et qu'il démontre qu'il le veut bien
53:46 et par conséquent il se dédiabolise, pourquoi pas ?
53:48 Sauf que là, malheureusement,
53:50 j'ai quand même le sentiment qu'on s'est bien fait avoir
53:52 par Poutine.
53:54 J'ai jamais été favorable au pouvoir de Poutine.
53:56 Mais j'étais modéré en tout cas.
53:58 Là, on voit bien qu'il est coincé.
54:00 En t'écoutant, je réfléchis aussi et je me dis
54:02 qu'en fait, il est coincé parce qu'il n'a plus de diplomatie.
54:04 Oui et non. Parce que si son
54:06 idéologie est vraiment
54:08 ancrée sur le renouvellement,
54:10 enfin plutôt sur la recréation
54:12 de l'empire tsariste,
54:14 alors si demain il quitte le pouvoir, il pourra
54:16 dire à sa population, aux Russes,
54:18 "regardez, j'ai repris
54:20 d'après ces formulations
54:22 personnelles, évidemment, environ 20%
54:24 de la soi-disant Ukraine,
54:26 j'avais en face de moi
54:28 l'intégralité de l'OTAN,
54:30 ce qui n'est pas exact, mais enfin bon, il pourra le dire
54:32 en vrai, il le dit déjà aujourd'hui. Bon, c'est déjà
54:34 beaucoup, j'ai mis fin au déclin
54:36 et je laisse soin à mon successeur
54:38 de poursuivre. Donc c'est pas
54:40 complètement perdu à ses yeux aujourd'hui, malheureusement.
54:42 Dernier point, et malheureusement c'est trop court,
54:44 toujours trop court, parce que ça, je l'ai appris,
54:46 tu considères que Biden, puisqu'on va
54:48 en reparler, est un adversaire tout à fait redoutable.
54:50 Biden n'est pas du tout le vieillard
54:52 que l'on pense.
54:56 Qu'il ait des absences physiologiques, ça on le voit
54:58 pratiquement tous les jours, en tout cas au moins chaque mois,
55:00 ça c'est sûr. En revanche, on oublie qu'à côté de ça,
55:02 ou enfin avant cela, il y a eu
55:04 pratiquement 30 ans,
55:06 de vie parlementaire
55:08 à la tête de la commission
55:10 des affaires étrangères du Sénat, c'est-à-dire le Sénat
55:12 le plus puissant du monde, en réalité un président américain
55:14 ne fait pas de géopolitique
55:16 sans le soutien du Sénat. Il ne fait pas la guerre
55:18 sans le Sénat. Et Biden est un
55:20 vieux loup de la géopolitique. Il adore ça,
55:22 ça le passionne. Et c'est quelqu'un
55:24 qui a une expérience effectivement
55:26 redoutable, et qui sur l'affaire ukrainienne
55:28 fait un sans faute.
55:30 Et ce sans faute-là lui permet
55:32 de reprendre pied dans
55:34 l'Indo-Pacifique, qu'est évoqué
55:36 tout à l'heure rapidement, enfin on n'a pas le temps d'en parler,
55:38 mais c'est pour une autre fois. Mais sur l'affaire de Taïwan,
55:40 il démonstre son de force, vos forces,
55:42 je le dis une dernière fois, en démontrant
55:44 qu'il fait un sans faute sur l'Ukraine, et qu'il est très
55:46 fort sur l'Ukraine. Il démontre à la Chine
55:48 qu'il ne faudra pas rigoler avec les Etats-Unis
55:50 dans l'Indo-Pacifique. - C'est l'anti-ligne
55:52 rouge d'Obama. - Bien sûr. - D'une certaine manière.
55:54 Voilà, la boucle est bouclée. Merci Frédéric.
55:56 - Merci à toi. - Frédéric Ancel, qui nous
55:58 accompagnait sur Bismarck.
56:00 (Générique)
56:02 ---
56:04 ♪ ♪ ♪

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