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Frère Jean a eu deux vies. Dans la première, il était Gérard Gascuel ce playboy branché, photographe de stars et voyageur invétéré. La seconde a commencé à 33 ans lors d'un séjour au Mont Athos, en Grèce. Bouleversé par la vie des moines, il fait le choix d'en devenir un. Il est l'invité de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
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Transcription
00:00 Il est 9h09, Sonia De Villers, votre invité vit sur un piton rocheux au cœur des Cévennes.
00:06 Voilà, et il nous rend visite, il est face à moi en habit monastique et en coiffe noire,
00:12 crucifié autour du cou.
00:13 Bonjour Frère Jean.
00:14 Bonjour, bonjour.
00:15 Soyez le bienvenu à France Inter.
00:17 Vous publiez la prière du cœur avant de pénétrer ensemble dans cette pratique de
00:24 la prière qui est si profonde, à la fois si spirituelle et si physique.
00:28 C'est un engagement de tout le corps.
00:30 C'est ce que vous racontez dans ce petit livre que vous publiez chez Actes Sud et
00:34 qui s'appelle La prière du cœur.
00:35 Je voudrais que vous décriviez aux auditeurs de France Inter l'endroit où vous vivez,
00:40 le Skete Saint-Foy.
00:41 Alors le Skete Saint-Foy, déjà il y a des vestiges avant les Gaulois, puisque les Gabales
00:46 habitaient en Cévennes avant les Gaulois.
00:48 Donc on a des cupules déjà, un lieu télévisé très fort.
00:51 Au 11e ciel c'est une tour à signaux.
00:54 Au 16e ciel c'est devenu un priory bénédictin indépendant de Saint-Victor de Marseille.
00:59 Et après la révolution c'est devenu une ferme fortifiée.
01:02 Et nous on a récupéré le monastère en 1996.
01:07 Donc ça fait une trentaine d'années, enfin un peu moins de trente ans.
01:10 Et on est là depuis de nombreuses années.
01:12 On a restauré le monastère mais comme une œuvre d'art.
01:15 C'est-à-dire qu'on a essayé que chaque pas ouvre un espace et un éveillement, si
01:21 vous voulez, une contemplation.
01:22 - Un monastère de pierre sèche, un lieu de pierre sèche où vous jardinez, où vous
01:30 vous occupez d'un potager.
01:31 Et c'est un acte très important.
01:34 C'est-à-dire que dans votre apprentissage, frère Jean, dans ce chemin, dans ce long
01:41 chemin que vous avez parcouru vers la foi orthodoxe et cette vie consacrée à la foi
01:47 orthodoxe, il y a l'idée que les gestes du quotidien et que le rapport à la nature,
01:54 c'est une offrande au divin.
01:55 - Exactement.
01:56 Quand vous parlez de mur en pierre sèche, il n'y a pas de ciment.
01:59 C'est-à-dire qu'il faut que la pierre de dessus aime la pierre de dessous, de droite
02:02 et de gauche.
02:03 C'est-à-dire que chaque pierre doit s'emboîter énormément parce que sinon le mur s'étroule.
02:07 Et pour le potager c'est pareil.
02:10 Pour moi la nature est un livre écrit par Dieu.
02:13 Il nous apprend beaucoup de choses sur la spiritualité et même des fois la nature
02:17 nous dira des choses qu'un ancien ne nous dira pas.
02:20 Et quand je suis au potager, comment je fais pour prier ?
02:24 Si vous voulez, on est trinitaire, corps, âme, esprit.
02:27 On est corps, âme, esprit.
02:29 Et on peut dire que le corps c'est la graine.
02:31 Si je plante des radis, le corps c'est la graine.
02:33 Et vous savez très bien qu'on ne plante pas des radis s'il fait trop chaud, s'il
02:37 fait trop froid, etc.
02:38 Et on le plante à la lune descendante pour qu'il y ait un beau tubercule.
02:43 Si je le plante à la lune montante, j'aurais des belles feuilles mais pas de tubercule.
02:46 Donc il y a une loi spirituelle.
02:48 On ne peut commander l'univers qu'en obéissant à ces lois.
02:51 Ensuite il y a la graine en tant que création, le corps.
02:54 Ensuite il y a l'âme, donc moi.
02:55 Moi, comme vous l'aviez dit, j'ai 76 ans.
02:58 Donc la terre elle est basse.
02:59 La terre elle est basse et je dois faire attention.
03:02 Je dois faire attention à moi.
03:03 Et ensuite il y a la prière.
03:04 Chaque fois que je plante une graine de radis, je fais la prière du coeur, "Seigneur, répit-il
03:08 l'arturia laesson".
03:09 Je fais une méthanie, je fais une prosternation.
03:11 Et du tout, chaque acte même de planter un radis, c'est corps, âme, esprit, c'est-à-dire
03:15 la création, le créateur et moi qui sers d'intermédiaire entre le créateur et la création.
03:20 * Extrait de la prière de Jean-Michel Leprince *
03:40 Frère Jean, vous avez eu une vie avant.
03:43 Vous avez été photographe, vous avez parcouru le monde, vous avez portraituré des stars,
03:49 des superstars même, vous avez exposé vos photos.
03:51 Cette rencontre avec la foi, avec Dieu, avec cette vie que vous décrivez aujourd'hui,
03:59 elle s'est produite il y a une quarantaine d'années au mont Athos où vous aviez été
04:02 envoyé en reportage en Grèce.
04:04 Ce qui est très important dans ce petit livre que vous publiez, c'est l'importance du
04:08 père spirituel que vous rencontrerez après le mont Athos, dans le désert de Judée.
04:13 Oui, c'est-à-dire que j'aime beaucoup la photographie parce que c'est une écriture
04:18 de lumière, c'est faux de dire lumière, graphie d'écriture, et elle me permet de
04:22 dire ce que les mots ne peuvent pas dire.
04:24 * Vous continuez à photographier ? * Ah, énormément, énormément, énormément.
04:27 Par exemple, si je vous pose une question, ne répondez pas parce que sinon on ne s'en
04:31 sort plus, excusez-moi, mais si je vous demande "qu'est-ce que la vérité ?" on ne s'en
04:35 sort plus.
04:36 Et en revanche, si je montre une branche, par exemple en hiver, la même branche avec
04:40 les bourgeons, la même branche avec les feuilles, la même branche avec les fleurs, la même
04:45 branche avec les fruits, la même branche avec les feuilles en automne et après en
04:48 hiver, et ci-dessous je marque "qu'est-ce que la vérité ?" Chaque photo est vraie,
04:53 mais aucune ne peut circonscrire la vérité.
04:55 Aucune ne peut dire "je suis la vérité".
04:57 * Vous m'étonnez, frère Jean.
04:58 Je comprends cette vocation de photographe.
05:00 Et il se trouve que les orthodoxes accordent une grande importance aux icônes, à ces
05:05 représentations religieuses.
05:07 Donc l'image a un poids très important dans votre religion.
05:11 Est-ce qu'on ne peut pas dire aussi, sans revenir à l'Ancien Testament, sans revenir
05:16 à la méfiance des Juifs par rapport à l'image, que l'image nous détourne de l'essentiel.
05:21 Et aujourd'hui nous vivons, frère Jean, dans un monde englouti par les images.
05:26 Englouti par les images.
05:27 Nous sommes submergés d'images, au point que nous sommes coupés de nous-mêmes et
05:32 coupés de la vérité.
05:33 C'est pour ça qu'il faut bien mettre de la transcendance et de la spiritualité dans
05:36 tout ce que l'on fait.
05:37 Si on ne met pas une dimension de prière, c'est-à-dire de communion, c'est-à-dire
05:41 incarner l'esprit, spiritualiser la matière, eh bien les images sont des matières mortes,
05:47 sans vie.
05:48 On peut les retrouver dans la cuisine, on peut les retrouver dans les relations, on peut
05:50 les trouver avec l'informatique, enfin tout devient virtuel et abstrait.
05:54 Alors que l'image, par exemple, si jamais vous avez des enfants, eh bien si vous montrez
05:58 la photo de vos enfants, vous allez me dire "ça c'est Pierre-Jacques et Paul".
06:01 Eh bien non, c'est du papier.
06:02 Mais derrière le papier, vous, vous voyez votre enfant.
06:04 Vous voyez son visage, son rire, ses paroles, tout ça.
06:08 Et donc nous, derrière l'image, c'est une façon d'écrire.
06:11 Et il n'y a pas que les mots pour écrire, il y a aussi la photographie bien sûr, il
06:15 y a l'image, mais il y a aussi les actes.
06:16 Je veux dire, tout le travail des anciens, que ce soit de l'architecture, que ce soit…
06:20 Il y a aussi la musique, il y a une art de musique.
06:22 Et toujours pareil, que je…
06:24 Vous vous le dites, l'icône est une prière incarnée.
06:27 C'est beaucoup plus qu'une représentation.
06:29 Elle rend visible l'invisible.
06:30 Elle rend visible l'invisible parce que, si on prend l'exemple, si je dis que Dieu
06:35 est infini, vous allez me dire "oui, ça va, d'accord".
06:38 Mais si je vous dis "l'art est infini", bon, eh bien ça vous l'entendez.
06:41 Dieu, l'art est infini.
06:42 Et l'art a besoin de nos mains pour être visible.
06:45 Il a besoin de nos mains pour être visible.
06:47 Il existe l'art.
06:48 Et l'art va s'exprimer par la musique, par la danse, par la poésie, par l'architecture,
06:52 par la photo, par diverses matières.
06:54 Mais chacune est une forme de l'art.
06:57 L'art est bien au-delà de la musique et tout ça, comme Dieu est bien au-delà de
06:59 tout ça.
07:00 Et donc, si vous voulez, quand on a choisi une forme d'expression, par exemple la peinture,
07:06 eh bien ce qui limite l'art, c'est l'artiste.
07:10 C'est l'artiste.
07:11 Donc l'artiste travaille sur lui-même pour avoir un geste juste.
07:14 Moi, par exemple, je montre très souvent le paysage dans les Cévennes où on voit
07:18 la palette de verres qu'il y a en ce moment, mais il y a un verre par feuille.
07:21 Et bien, à chaque feuille, il y a des fois différents verres à l'intérieur.
07:24 Et s'il y a un peintre comme Cisley qui travaillait à Fontainebleau, on se rend compte que c'est
07:29 sans fin.
07:30 Et la musique, c'est pareil.
07:31 Il faut dire, 7 notes, on fait du Mozart ou on ne fait rien du tout.
07:33 - Alors votre père spirituel, parce que ça a été un long apprentissage.
07:36 - Justement, lui m'a dit cette phrase dont je viens de citer à l'instant, c'est que
07:40 Dieu est vivant, le Christ est vivant, il a besoin de tes mains pour être visible.
07:44 Donc c'est moi qui limite, ce qui limite l'art, c'est l'artiste.
07:48 Vous comprenez ? Et en plus, l'avantage de l'art, c'est qu'on passe par l'acte.
07:51 Donc nous, la foi passe par l'acte.
07:53 Mais un acte porteur de l'esprit.
07:56 Porteur de l'esprit, pas porteur de ma présence, pas porteur de mon ego, mais porteur de la
08:00 transcendance.
08:01 C'est pour ça qu'on n'est pas dans la mode, on est dans le spirituel.
08:04 C'est un autre temps que le temps.
08:05 Un autre temps qui est un temps médaphysique, qui se situe ici et maintenant.
08:10 Ici, ça s'ouvre à l'infini, maintenant ça s'ouvre à l'éternité.
08:14 - Frère Jean, vous ne nous raconterez donc jamais votre rencontre avec le père Séraphime ?
08:18 - Alors le père Séraphime, si vous voulez, c'est un vieux moine qui...
08:22 Vous savez, les vieux moines, on parle toujours vieux.
08:24 Il est mort centenaire, il meurt tous centenaire, ils sont vieux très rapidement.
08:28 Et quand il m'a accueilli, il m'a...
08:31 Parce que j'étais quand même...
08:32 Il était à Saint-Sabah, c'est l'endroit le plus bas du monde, à 300 mètres en dessous
08:36 du niveau de la mer.
08:37 C'est dans le désert de Juté, près de Qumran, près de Masada.
08:40 C'est un lieu inimaginable.
08:42 Il y a un monastère du VIe siècle fait par Justinien.
08:44 Et là, il y a cet homme.
08:46 Et là, il y a cet homme.
08:47 Et la première chose qu'il m'a demandé, et puis quand il m'a accepté, parce que je
08:50 suis resté quand même un certain temps, il m'a demandé de l'aider à mettre la table.
08:54 Parce que comme j'étais français, on m'a mis à la cuisine, donc à mettre la table.
08:58 - Oui, vous êtes devenu un moine cuisinier.
09:01 - Un moine cuisinier.
09:02 C'est là où j'ai découvert l'immensité de la cuisine.
09:04 Et donc, devant chaque assiette, il faut quand même dire, excusez-moi avant, c'est qu'on
09:09 a un repas, on jeûne le lundi, le mercredi, le vendredi.
09:12 Donc on a un repas tous les deux jours.
09:13 Et donc, je place devant chaque assiette un loukoum.
09:17 Et à un moment, je me retourne et je vois que mon loukoum a disparu.
09:21 Je ne sais pas si c'est possible, le premier jour, le père abbé me pique mon loukoum.
09:25 Et évidemment, je suis moine, donc il faut intérioriser, il ne faut pas juger, il faut
09:29 lâcher prise, il faut pardonner, il faut aimer.
09:32 Enfin, moi, je suis parteur de toutes les situations.
09:34 Mais enfin, j'étais quand même très perturbé.
09:36 Si le premier jour, le père abbé utilise mon loukoum, qu'alors on a un repas tous
09:40 les deux jours, c'est perturbant.
09:41 Alors après le repas, je vais le voir, je m'incline profondément devant lui et je me
09:45 dis, je vais faire l'humilité.
09:46 Je suis un débutant, je ne connais pas trop.
09:49 Dépite moi père, pourquoi vous m'avez pris mon loukoum, etc.
09:52 J'essayais d'essayer de comprendre pourquoi il avait fait ce geste là, qui pour moi était
09:56 très perturbant.
09:57 Il me laisse parler, il me laisse parler, il me laisse parler.
09:59 Et moi, au bout de cinq minutes, je n'avais plus rien à dire.
10:02 On s'est parlé d'un loukoum pendant cinq minutes, c'est long.
10:03 Et il me dit, c'est pourquoi tu t'es allé me juger.
10:07 Il faut bien imaginer le désert.
10:09 Le désert, il n'y a pas d'oiseaux, il n'y a pas d'arbres, il n'y a rien.
10:12 Il n'y a pas de rien.
10:14 Et donc il m'a dit, si tu m'avais jugé, tu vois, je t'aurais dit, la porte, elle
10:18 est là, pars.
10:19 Tu ne viens pas dans le désert pour juger le monde, tu viens pour te convertir.
10:23 Donc là, c'est là où j'ai découvert que l'ennemi, ce n'est pas l'autre, l'ennemi,
10:26 c'est moi-même.
10:27 Et l'ami aussi, c'est moi, attention.
10:28 Et le Christ aussi, je l'ai en moi.
10:30 Donc si vous voulez, c'est là où mon père spirituel a commencé la première leçon.
10:34 Je ne viens pas au monastère pour changer le monde ou pour juger le monde, je viens
10:38 pour me convertir.
10:39 Et la conversion, le repentir, ce n'est pas la prise de conscience.
10:43 Là aussi, on fait une prise de conscience psychologique, je suis ci ou ça.
10:47 Un repentir, ça veut dire de changer.
10:48 Là, l'artiste se comprend bien.
10:50 Moi, je me rappelle d'un musicien que je connaissais bien, qui manquait, c'était
10:53 un chinois, qui manquait d'émotion.
10:55 Et il devait apprendre à mettre de l'émotion dans sa musique.
10:59 Il n'y a rien de plus dur pour lui.
11:00 - Alors de l'émotion dans la musique, j'ai choisi pour vous, frère Jean, « Summertime
11:05 » de Janis Joplin.
11:06 Pour moi, c'est vraiment un des plus beaux morceaux du monde.
11:10 On va écouter Janis Joplin.
11:12 - On va le partager.
11:13 - Et puis, on va parler de ce texte que vous publiez chez Actes Sud, où vous racontez
11:18 les gestes de la prière.
11:19 Vous nous avez parlé des gestes de la cuisine, du potager, du jardinage, les gestes de la prière.
11:26 - Oui.
11:33 - C'est très bien.
11:54 - C'est très bien.
12:22 - C'est très bien.
12:50 - C'est très bien.
13:18 - C'est très bien.
13:29 - Janis Joplin, « Forever ».
13:32 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
13:39 Voici Milan que la même planche de cyprès, deux fois par jour, appelle à la prière
13:45 ceux que l'on a pu nommer les hommes fous de Dieu.
13:49 Fous de Dieu parce que depuis Milan, ils ont choisi de se succéder au pied de ce pic le
13:54 plus souvent enneigé, le Moatos.
13:58 Ils ont élu pour royaume les rives de la plus inhospitalière des Presqu'îles, tout
14:03 à l'extrémité orientale de la Grèce.
14:05 Interdite depuis les origines au regard de toute femme, ces termitières de la foi,
14:11 ce sont les monastères du Moatos.
14:14 C'est le royaume de Dieu, mais c'est aussi le royaume du silence.
14:18 Un silence que seul vient rompre la planche de cyprès l'après-midi vers 4h, puis à
14:25 1h du matin pour l'office qui se prolonge bien après l'aube.
14:29 - Mon invité, Frère Jean, moine et prêtre orthodoxe face à moi avec son immense barbe
14:36 blanche qui a découvert la foi au Moatos.
14:40 Là, vous venez d'entendre un extrait du premier reportage français, c'était les
14:44 5 colonnes à la une, époque de l'ORTF au début des années 60 et c'était la première
14:48 fois qu'une caméra était acceptée au Mont Athos.
14:52 Vous consacrez un livre à la prière, Frère Jean, qui est un engagement total du corps.
15:00 C'est-à-dire qu'on a une image de la prière, c'est-à-dire de ce moine entièrement
15:07 prosterné.
15:08 Et ce que vous expliquez, c'est que beaucoup d'observants ignorent que chaque geste de
15:15 la prière a une signification historique et symbolique.
15:19 - Exactement.
15:20 Il y a énormément de gestes.
15:22 En tant que prêtre, s'il vous plaît, il n'y a pas un mot sans un geste, il n'y a pas
15:25 un geste sans mot.
15:26 Le prêtre, c'est vraiment des moudras comme en Inde, quand on fait des gestes, vous voyez,
15:31 quand on ouvre les mains, etc.
15:32 C'est-à-dire que quand deux prêtres se saluent, ils posent la main sur le cœur et s'inclinent
15:36 légèrement.
15:37 Parce que Dieu ne regarde pas nos actes, parce que nos actes ne nous sanctifient pas.
15:41 Dieu sent nos cœurs et nos reins.
15:43 Et c'est pour ça.
15:46 Ensuite, quand on fait un signe de croix, c'est que l'esprit, donc la main part du
15:49 front et va sur le nombril, et va à droite et à gauche, que l'esprit descend dans le
15:54 cœur de la force à la miséricorde.
15:56 - Un signe de croix qui est très important dans votre religion et qui se fait avec trois
16:01 doigts pour symboliser la Sainte Trinité ?
16:03 - La Trinité et les deux doigts repliés pour symboliser les deux natures du Christ,
16:06 pleinement homme et pleinement Dieu.
16:08 Moi, si vous voulez, je suis homme, mais je dois par grâce devenir fils de Dieu.
16:13 La relation qui nous relie à Dieu est un amour filial.
16:16 Ça c'est très important à comprendre, c'est pour ça qu'on parle du cœur.
16:18 C'est pas la force, c'est pas l'intelligence, c'est pas la volonté, c'est notre foi.
16:23 Et c'est très important que Dieu ait proportionné notre réceptivité.
16:27 Si j'ai un cœur grand, Dieu est grand.
16:29 Si j'ai un cœur petit, il sera petit.
16:30 Si j'ai un cœur perturbé, il sera perturbé.
16:32 - Et alors cette pratique quotidienne de la prière dans laquelle vous vous êtes engagé,
16:39 c'est ce qu'on aimerait comprendre, consacrer une vie à la prière, parce que, comment
16:43 dire, dehors, à l'extérieur de l'ermitage, les hommes ont froid, les hommes ont faim,
16:50 la souffrance est partout et qu'au fond, s'occuper des hommes en dehors de l'ermitage,
16:56 ce serait aussi servir Dieu.
16:57 - Mais on le fait beaucoup, on accueille beaucoup d'hommes.
17:00 Il faut savoir qu'on dit quotidienne, c'est vraiment quotidien.
17:03 Ce n'est pas qu'à l'église, c'est dans chaque acte quotidien.
17:06 Saluer un frère, prendre un verre d'eau, manger un radis, l'émerveillement quand
17:10 on prend, quand un enfant prend une fraise par exemple, il la met dans sa bouche, une
17:14 fraise des bois, ou quand il découvre un champignon ou n'importe quoi, il y a une
17:18 louange systématiquement et l'éthiurgie veut dire action de grâce, donc on rend grâce.
17:22 Donc tout devient prière.
17:23 C'est pas la prière uniquement récitée, c'est une prière de tout l'être.
17:26 Et nous on accueille beaucoup de monde, on accueille beaucoup de monde qui souffre.
17:31 Alors très souvent, je n'ai pas de mots, par exemple là il y a une maman qui a perdu
17:35 son fils de 34 ans, qui est mort dans un accident de ski.
17:39 D'autres, il y a des Arméniens, des Ukrainiens qui viennent, qui vivent des choses dramatiques.
17:45 Par exemple, il y a une dame qui est professeure d'université, qui est venue me voir il n'y
17:48 a pas très longtemps, qui me demande si je pouvais lui donner un crayon.
17:51 Alors bien sûr, je lui offre un crayon, il n'y a pas de problème.
17:53 Et la semaine d'après, elle vient me voir, elle me demande une gomme.
17:56 Je lui dis "mais pourquoi vous avez besoin d'un crayon et d'une gomme ?"
17:58 Elle me répond "parce que je ne reçois plus mon salaire d'Ukraine, et maintenant je fais des dessins,
18:02 alors il me fallait un crayon, mais j'avais oublié la gomme parce que je dois effacer."
18:05 Et on se rend compte la pauvreté de ces gens-là, le déniement.
18:07 Ils sont professeurs d'université, ils se retrouvent en train de...
18:10 Et c'est vrai que ce n'est pas les mots qui vont les soulager, c'est ce rapport qu'on a d'écoute
18:16 et de leur permettre d'avoir une nouvelle façon d'exprimer leur foi.
18:20 Parce que quand on est professeur, on est formaté, on peut dire, à enseigner.
18:25 Et là, nous on revient au geste simple, là on a été très japonais là-dessus,
18:31 au geste simple, je veux dire, quand on ramasse des cerises,
18:34 parce que nous les cerises, c'est à la tonne, il y a tellement de cerisiers au monastère,
18:37 et bien les gens les ramassent, mais chaque fois c'est une action de grâce.
18:40 Et quand je montre une photo d'une cerise, c'est une beauté, c'est une sensualité,
18:45 et la cerise c'est la tête et la bouche d'un enfant.
18:48 Quand un enfant mange ce fruit, c'est aussi une action de grâce.
18:52 Dans tout, on essaye, par exemple je fais beaucoup de photos de fleurs,
18:55 par exemple de pissenlit, ou de pâterettes, ou de marguerites,
18:59 nous on met une différence entre la pâterette, la marguerite et le lisse,
19:01 mais si vous prenez une photo d'une marguerite, c'est un véritable chef-d'oeuvre.
19:06 Dans la prière quotidienne, c'est que chaque acte devient louange, liturgique.
19:11 - C'est une prière dans laquelle on s'engage toute sa vie.
19:14 Et vous avez aussi tout un chapitre, frère Jean, sur la mort.
19:18 La mort qui ne serait pas la fin de la vie, mais simplement la fin de l'existence.
19:23 Une forme de libération.
19:26 Une forme de libération pour être enfin face à l'essentiel.
19:31 - Ça c'est la nature qui me l'a appris, vous savez, un jour j'étais dans le jardin,
19:36 et je vois un petit pommier en train de naître.
19:38 C'était en printemps.
19:41 Et je lève les yeux pour rendre grâce, et quand je lève les yeux, je vois une pomme accrochée,
19:45 au pommier, toute ratatinée, toute flétrie et tout ça.
19:48 Et je me dis, mais attendez, il y a une mort qui tue,
19:51 celle qui reste accrochée à sa maman par son tubercule,
19:53 et il y a la mort qui donne la vie parce que la pomme est comme un être humain,
19:57 il y a la peau, il y a la chair, il y a l'os ou le pépin, et dans le pépin il y a le germe.
20:01 Donc il faut que le pépin meure pour que le germe naisse.
20:04 Donc il y a une mort qui tue et une mort qui donne la vie.
20:07 Donc pour nous, la mort n'est pas la fin de la vie, la mort est la fin de l'existence.
20:12 Le contraire de la mort, ce n'est pas la vie, le contraire de la mort, c'est la naissance.
20:16 Et l'homme, entre la naissance et la mort, c'est-à-dire pendant son existence,
20:20 il peut accoucher de sa vie, qui est l'immortalité.
20:23 C'est pour ça que tout à l'heure je parlais du "je suis".
20:25 J'ai un corps, je suis mon corps.
20:27 J'ai le chemin, je suis le chemin.
20:29 J'ai la vérité, je suis ma vérité.
20:32 C'est tout le passage de l'avoir à l'être, de l'image à la ressemblance.
20:35 - D'avoir partagé ce morceau de vie et ce morceau d'expérience avec nous.
20:39 - Je vous remercie beaucoup parce que vous avez été très à l'écoute, très sympathique.
20:43 Je sors du monastère et vous savez qu'on est sensible à tout, parce que tout me semble nouveau et étranger.
20:47 Et je vous remercie beaucoup.
20:49 Et je remercie Altesud aussi parce qu'il y a une très bonne équipe.
20:51 - Avec plaisir.
20:52 - Merci Sonia.

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