• l’année dernière
Benoît Cœuré, président de l'Autorité de la concurrence, le 19 juin 2023 sur franceinfo.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Quel est le carburant de l'inflation ? Comment expliquer qu'elle ne retombe toujours pas alors que les prix des matières premières et de l'énergie, eux, sont à la baisse ?
00:06 Il y a quelques semaines, la Banque Centrale Européenne avait tiré la sonnette d'alarme.
00:10 Elle estime que certaines entreprises alimentent l'inflation en augmentant leurs prix de manière inconsidérée.
00:16 Et voilà qu'en France, c'est l'autorité de la concurrence qui lui emboîte le pas désormais.
00:20 Bonjour Benoît Cœuré.
00:21 Bonjour.
00:22 Vous êtes le président de cette autorité. Il y a des profiteurs de crise en ce moment ?
00:25 En tout cas, il y a un risque que l'inflation dure plus longtemps que nécessaire si les entreprises en profitent.
00:32 Je ne dis pas que ce sont des profiteurs, c'est un terme très connoté, mais si les entreprises en profitent pour augmenter les prix au-delà de l'augmentation de leurs coûts.
00:39 Et effectivement, la Banque Centrale Européenne a alerté sur ce risque au niveau de la zone euro.
00:44 Elle a un chiffre très frappant. La Banque Centrale dit d'habitude deux tiers de l'inflation vient des salaires.
00:51 On apprend à l'école cette notion de boucle prix-salaires.
00:55 Et c'est pour ça qu'on explique depuis le début de l'inflation qu'il ne faut pas trop augmenter les salaires pour ne pas augmenter de fait l'inflation.
01:01 Mais là, c'est différent. Là, c'est différent. Les salaires sont en réalité assez modérés, assez bien tenus.
01:06 Et deux tiers de l'inflation dans la zone euro vient des profits des entreprises.
01:11 Parce qu'il y a des patrons qui se disent en ce moment, si je rajoute quelques sentiments plus, ça ne se verra pas avec l'inflation, c'est ça ?
01:18 Alors, il y a toutes sortes de comportements. D'abord, les entreprises veulent refléter leur hausse de coût.
01:22 Ça, c'est tout à fait compréhensible. Et parfois, elles vont au-delà.
01:25 Effectivement, quand elles ont du pouvoir de marché, elles se disent, profitons de la situation pour utiliser notre pouvoir de marché.
01:31 Alors juste un mot, en France, c'est plutôt moins vrai qu'en Allemagne, qu'en Espagne et qu'ailleurs dans la zone euro.
01:38 Mais c'est un risque sur lequel il faut être vigilant.
01:40 - Combien d'entreprises sont dans ce cas aujourd'hui ? Combien d'entreprises ont trop augmenté leur marge ?
01:45 Vous en avez une idée ? C'est symbolique quelques-unes ou ça concerne un bon nombre ?
01:50 - C'est suffisant pour que ça se voit dans les chiffres macroéconomiques.
01:53 Alors après, ce que fait l'autorité de la concurrence ? Nous, on n'est pas la Banque centrale.
01:57 Donc, on ne regarde pas l'ensemble de l'économie. On regarde les comportements des entreprises.
02:01 Et donc, on enquête pour savoir si des entreprises ont eu des comportements qui seraient illégaux,
02:07 qui seraient par exemple des ententes sur les prix ou des comportements abusifs vis-à-vis des distributeurs ou vis-à-vis des fournisseurs,
02:16 ou ce qu'on appelle des abus de position dominante, c'est-à-dire une entreprise qui est très forte sur un marché et qui abuse de son pouvoir de marché.
02:23 Et dans ce cas-là, on peut envoyer des inspecteurs dans les entreprises, on peut perquisitionner avec l'autorisation d'un juge et on condamne l'entreprise.
02:31 Donc, on est vraiment particulièrement vigilant sur ces comportements en ce moment.
02:34 - Quels sont les secteurs que vous avez particulièrement en ce moment dans le collimateur ?
02:39 - Alors dans les enquêtes, vous comprenez que je ne peux pas communiquer précisément sur des noms d'entreprises.
02:45 - Est-ce que la grande distribution en fait partie ?
02:47 - Il y a des enquêtes en cours, c'est de l'information publique dans des tas de domaines qui touchent les Français.
02:53 Donc par exemple, la vente des billets de train, par exemple la collecte du lait, je ne donne pas de noms d'entreprises,
03:00 par exemple dans les produits électroménagers, par exemple dans le matériel électrique, tout ça c'est de l'information publique.
03:07 - La grande distribution est liée ou pas ?
03:09 - La grande distribution, on la regarde sous un angle un peu différent.
03:12 D'abord, on a un rôle de contrôle, enfin en tout cas d'avis sur les centrales d'achat.
03:17 Donc on regarde le comportement des centrales d'achat.
03:20 Et puis on regarde toutes les opérations de regroupement dans la grande distribution.
03:24 L'an dernier par exemple, on a autorisé la fusion entre but et conformat.
03:28 Et quand Casino saura quel est son avenir, ce n'est pas à moi d'en juger,
03:34 s'il y a des opérations de rapprochement, il faudra qu'on les regarde de très près.
03:38 - Vous dites aujourd'hui Benoît Cœuré, oui il y a bien des profits excessifs chez certaines entreprises.
03:41 Il y a quelques mois, et on se souvient de la formule, Bruno Le Maire avait dit
03:44 "je ne sais pas définir ce qu'est un super profit". Est-ce que vous, vous pouvez le faire ?
03:48 - Alors on le fait parfois avec les instruments du droit de la concurrence.
03:52 - Parce qu'un super profit, il peut être tout ce qu'il y a de plus légal aussi.
03:55 - Bien sûr, bien sûr, tout à fait.
03:56 - Comment faire la différence entre ce que vous jugez excessif et par exemple une entente illégale entre concurrents ?
04:02 - Non, bien sûr, et il faut même se...
04:04 Si on a des entreprises en France qui sont performantes, qui sont profitables, il faut s'en féliciter.
04:09 Ça veut dire qu'on a des entreprises qui sont bien gérées et profitables.
04:12 Mais on a en droit de la concurrence des critères d'abord de comportement,
04:16 par exemple les ententes, qui sont clairement interdites,
04:19 et puis on a des notions comme celle de prix abusivement élevés,
04:22 qui sont des notions qu'on pourrait mobiliser si nécessaire.
04:26 - Que risquent ces entreprises ?
04:28 - Elles risquent des sanctions, elles risquent des sanctions financières.
04:32 En moyenne, depuis une dizaine d'années, l'autorité de la concurrence
04:35 a imposé à peu près 700 millions d'euros de sanctions par an.
04:39 - Donc vous dites aux chefs d'entreprise qui seraient tentés de le faire ou qui l'ont déjà fait,
04:42 on vous surveille, on est là par-dessus votre épaule aussi.
04:45 - Oui, le risque... La loi dit qu'on peut sanctionner les entreprises jusqu'à 10% de leur chiffre d'affaires global.
04:50 Ça vous donne l'ordre de grandeur.
04:52 - Dans la grande distribution, j'en reviens là, Benoît Cœuré,
04:54 Bruno Le Maire envisage de donner les noms des entreprises qui refusent
04:58 de répercuter les baisses sur les prix pratiqués dans les rayons.
05:01 Est-ce que vous y êtes favorable, vous aussi, à ce système-là ?
05:04 - Ce qui compte, c'est que les comportements des entreprises soient raisonnables.
05:09 Là, on est dans un domaine qui n'est pas le mien.
05:11 On est dans un domaine politique.
05:13 - Est-ce que l'État peut demander à une entreprise d'être raisonnable ?
05:16 Si elle n'en a pas envie ?
05:18 - Oui, bien sûr qu'il peut demander. Alors l'État ne doit pas...
05:21 - Et être entendu, je voulais dire.
05:22 - L'État ne doit pas lui-même favoriser des comportements illégaux.
05:25 Donc l'État ne doit pas réunir les entreprises dans son...
05:28 Le ministre ne doit pas réunir les entreprises dans son bureau
05:30 et en ressortir avec un accord sur les prix.
05:32 Ça, ça serait un problème de concurrence.
05:33 Mais que l'État demande aux entreprises d'être raisonnables,
05:36 oui, il y a eu un soutien public très important pendant le Covid
05:40 et à nouveau face à la crise de l'énergie.
05:42 L'État a distribué énormément d'argent aux ménages et aux entreprises.
05:46 Il est normal d'exiger de la responsabilité de chacun.

Recommandations