• l’année dernière
Cannabis, cocaïne, héroïne, mais aussi amphétamines, opioïdes... les progrès de la chimie, le culte de la performance lié au néolibéralisme et la faiblesse des Etats, voire même leur corruption, ont fait exploser la toxicomanie. Narcotrafiquants et laboratoires pharmaceutiques se partagent les milliards d'un marché destructeur. Entre 2014 et 2021 aux Etats-Unis, l'espérance de vie a reculé de 80 à 76 ans. En cause notamment, l'empoisonnement aux opioïdes comme le fentanyl qui a causé 650 000 morts depuis 1990. Après les ravages de l’héroïne aux Etats-Unis puis en France, le marché de la cocaïne est devenu prédominant et touche toutes les classes sociales. Conséquences de la société addictogène : affaiblissement du lien social, montée des inégalités et de la pauvreté. Comment ce marché occulte s’est-il développé ? Comment a-t-il profité de complicités actives ou passives ? Pourquoi la France est-elle l'un des pays de l'UE où les peines infligées pour les trafics de drogues sont les plus faibles ?
Dans son ouvrage "Drugstore - Drogues illicites et trafics en France", Michel Gandilhon, expert associé auprès du département Sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers, dévoile comme jamais la réalité du grand drugstore français. C’est en expert qu’il révèle les dessous d’un grave malaise de civilisation qui constitue un crucial enjeu d’avenir.

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Transcription
00:00 En six ans de pouvoir, Emmanuel Macron a littéralement cramé la caisse.
00:04 Après le Covid et sa politique aussi liberticide qu'exorbitante,
00:07 vous payez à présent cash l'incurie de nos dirigeants dans le secteur énergétique.
00:12 Les amis d'Emmanuel Macron ont fait entrer la France dans un marché européen
00:16 pour détruire notre compétitivité.
00:18 Ils vous ont fait ensuite payer des éoliennes polluantes
00:21 et fabriquées en Chine pour fournir à peine 6% de notre énergie.
00:26 Et cerise sur le gâteau,
00:27 ces fous de Bruxelles ont ensuite édicté des sanctions délirantes
00:32 contre les énergies russes sans résultat pour la paix,
00:34 mais en nous privant de gaz et donc d'électricité à prix abordable.
00:38 Toutes hontes bues, ces "lumières" ont ensuite menacé les Français
00:42 de coupure d'électricité s'ils ne faisaient pas preuve de sobriété énergétique.
00:47 Et pour couronner le tout, alors que le pays sombre,
00:50 le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, a trouvé le temps de publier un roman.
00:54 Au relan pornographique, le tout salué par la presse du système à la botte du pouvoir.
00:58 Ils sont indécents.
01:00 Ils mentent.
01:01 Et ils se paient notre tête.
01:04 Avec ces pieds-micles toxiques, les artisans crèvent, les entreprises ferment,
01:07 et la facture d'électricité de TVL a quant à elle été multipliée par 6.
01:12 Cette clique met en péril notre survie.
01:15 Et ces liens que nous avons tissés depuis 10 ans ensemble,
01:19 grâce à son indépendance, grâce à vous,
01:21 TVL incarne pourtant l'alternative à l'information suffocante des médias du système.
01:27 En finançant TVL, vous participez activement au contre-pouvoir.
01:31 Alors aidez-nous, financez TVL et soyez acteurs du changement.
01:36 Je compte sur vous.
01:37 [Musique]
02:01 [Générique]
02:18 – Bonjour à tous, ravi de vous retrouver pour ce nouveau numéro de Politique et Économie.
02:23 Aujourd'hui, notre invité, Michel Gandillon.
02:26 Bonjour Monsieur.
02:26 – Bonjour Monsieur.
02:28 – Michel Gandillon, vous êtes spécialiste des questions liées au trafic de drogues illicites.
02:33 Vous êtes expert associé auprès du département Sécurité et Défense
02:37 du Conservatoire National des Arts et Métiers.
02:40 Et vous publiez l'ouvrage que voici,
02:42 qui sera disponible sur la boutique officielle de TV Liberté,
02:46 intitulé "Drogue Store, drogues illicites et trafic en France",
02:51 aux éditions bien connues du CERF.
02:53 Alors on va commencer tout de suite avec vous, Michel Gandillon.
02:58 Vous expliquez que la toxicomanie s'est installée
03:00 dans les sociétés occidentales dès le 19ème siècle,
03:05 un phénomène qui va pourtant rester très minoritaire jusqu'aux années 60.
03:10 À partir de cette décennie, on va constater aux États-Unis une explosion,
03:14 une véritable explosion de la consommation d'héroïne chez les jeunes.
03:19 Depuis cette décennie donc, les drogues se sont multipliées,
03:23 les consommateurs sont de plus en plus nombreux.
03:25 Comment expliquez-vous ce phénomène vis-à-vis des drogues,
03:29 d'explosion d'attrait vis-à-vis des drogues, pour les drogues ?
03:33 Oui, alors un chiffre important de l'Organisation des Nations Unies
03:37 contre la drogue et le crime, qui estime le nombre de consommateurs
03:41 dans l'année à environ 300 millions de personnes à travers le monde.
03:44 Et un marché effectivement qui se développe depuis 90,
03:50 qui a augmenté de 50%, donc l'augmentation est très rapide.
03:54 Alors il y a plusieurs facteurs à cette massification des consommations de drogue,
03:58 des facteurs qui tiennent à l'évolution de la société,
04:01 et notamment, alors à partir des années 60, ça a été le monde de la contre-culture,
04:06 c'est-à-dire la consommation de drogue était associée à la contestation du système capitaliste,
04:12 la critique de la société de consommation, on consommait de la marijuana, de l'héroïne, du LSD,
04:18 pour en quelque sorte exprimer une protestation contre la société.
04:21 Et puis des années plus tard, la drogue emblématique qui s'est beaucoup développée,
04:27 c'est la cocaïne, qui correspond à une autre logique,
04:30 qui est plutôt une drogue de l'intégration, de l'hyper-intégration,
04:33 dans le cadre d'une société qui, à partir des années 80, bascule dans le néolibéralisme,
04:38 la société de compétitivité généralisée, et donc l'usage de drogue
04:44 exprime plutôt effectivement une volonté d'adaptation et d'intégration au système.
04:50 Donc il y a des facteurs anthropologiques,
04:52 les individus sont soumis à des logiques de performance,
04:55 et ils prennent des stimulants pour tenir le choc.
04:58 Et puis des facteurs qui sont liés à l'explosion de l'offre,
05:01 l'offre de toutes sortes de produits, notamment la cocaïne en Amérique latine,
05:06 la résine de cannabis au Maroc, et l'opium et l'héroïne en Afghanistan,
05:11 parce que la consommation d'héroïne et d'opioïdes persiste dans nos sociétés,
05:16 on en parle assez peu, notamment en France,
05:18 mais quand on voit ce qui se passe aux États-Unis,
05:20 où des centaines de milliers de personnes sont mortes depuis une vingtaine d'années
05:26 du fait des surdoses liées à l'héroïne et au fentanyl, on y reviendra,
05:30 on voit que c'est une réalité qui reste très importante.
05:33 – Alors vous citez aussi Michel Gandillon dans votre ouvrage,
05:37 c'est une enquête sur des décennies de consommation de drogue,
05:43 cette faiblesse des États et la corruption de leurs dirigeants
05:47 avec une fusion politico-affairiste.
05:50 – Oui, alors le marché des drogues aujourd'hui,
05:52 c'est un marché qui est évalué entre 400 et 600 milliards de dollars par an,
05:56 de chiffre d'affaires, donc ça engendre énormément d'argent,
06:00 ça contribue au renforcement des groupes criminels
06:03 et donc à leur capacité de corruption des élites.
06:07 Alors il y a des exemples effectivement dans les pays de l'ancien tiers-monde,
06:11 comme le Mexique ou la Colombie, par exemple en 2010 en Colombie,
06:15 on estime qu'un tiers du Sénat et du Parlement colombien étaient en lien,
06:20 un tiers des élus étaient en lien avec les paramilitaires
06:23 – Narcotrafiquants.
06:24 – Qui étaient des narcotrafiquants.
06:25 L'Afghanistan est engrainé aussi par la corruption
06:28 liée au trafic d'opium et d'héroïne, et ce qu'on voit arriver,
06:32 et d'ailleurs les pouvoirs publics commencent à s'en inquiéter,
06:35 c'est effectivement dans des pays comme les Pays-Bas, la Belgique,
06:39 voire même la France, puisque le Sénat a produit un rapport récemment
06:44 à la fin de 2022, je crois, qui s'inquiète du devenir possible
06:50 de la France comme narco-État.
06:52 – Et pourquoi vous citez l'entrée de la Chine
06:55 dans l'Organisation mondiale du commerce, je crois que c'était en 2001,
06:58 comme l'un des facteurs ayant permis l'explosion de ce phénomène de la drogue ?
07:05 – Alors bien sûr c'est un effet indirect, l'entrée de la Chine dans l'OMC
07:13 l'adoption d'un système de libre-échange généralisé,
07:17 en rupture avec le vieux compromis keynésien des années post-45,
07:22 a favorisé l'entrée sur le marché du travail de millions de travailleurs,
07:27 y compris d'ailleurs, je cite, la chute du mur de Berlin,
07:29 et contribué à l'appauvrissement et à la tombée dans la misère,
07:33 effectivement, de millions de personnes appartenant aux classes populaires,
07:40 aux classes ouvrières, et notamment on voit que ça a un lien aux États-Unis,
07:45 notamment avec la crise des opioïdes, puisque les régions de la Rust Belt,
07:49 c'est-à-dire toutes ces régions victimes des délocalisations et des fermetures d'usines,
07:53 ont été victimes de l'économie, de l'épidémie des opioïdes et de l'héroïne.
08:00 L'héroïne qui est un peu la drogue aujourd'hui des perdants de la mondialisation,
08:04 alors que la cocaïne est plutôt la drogue,
08:07 alors effectivement c'est une simplification que je fais,
08:10 puisqu'il y a bien sûr des pauvres qui consomment de la cocaïne,
08:13 mais la cocaïne, voilà, il y a une sorte de grande distinction à faire
08:18 entre les persistances, et notamment en France, dans la région nord-est,
08:24 dans la région de Verdun, d'usage d'héroïne dans la France périphérique,
08:28 de Guilhuy en quelque sorte, et puis la drogue des métropoles qui est la cocaïne.
08:33 – Oui, on voit ça dans plusieurs films d'ailleurs,
08:36 concernant l'héroïne, c'est ce film qui se déroule aux États-Unis dans les années 60,
08:40 qui s'appelle "American Gangster",
08:42 donc là ça touche les noirs américains qui se shootent donc à l'héroïne,
08:47 et le loup de Wall Street qui lui, c'est l'apologie de la cocaïne
08:51 pour ces traders américains qui doivent avoir une rentabilité max.
08:55 – C'est un peu ça, mais il faut savoir qu'aux États-Unis et en France,
08:58 dans les années 60, l'épidémie d'héroïne a surtout commencé
09:02 dans les milieux hippie, de la contre-culture,
09:05 c'était la drogue de la contestation par excellence,
09:07 elle s'est diffusée effectivement dans les métropoles et dans les ghettos noirs,
09:12 et en France, en 69, dans les années 70, c'est encore une drogue associée à la contre-culture,
09:18 et elle va se développer dans les années 70 et surtout dans les années 80,
09:23 dans les quartiers populaires, dans les quartiers ouvriers,
09:26 je consacre un chapitre notamment à la question des banlieues rouges
09:29 et au rôle du Parti communiste dans la lutte contre le trafic de drogue à l'époque.
09:33 – On va y venir dans une deuxième partie, Michel Gandillon, à ce que vous venez d'évoquer.
09:38 Alors en France, en 95, à partir des années 95, face au ravage que l'héroïne aura provoqué,
09:45 les pouvoirs publics vont proposer des traitements de substitution aux opiacés,
09:50 ces dérivés naturels du pavot, comme l'opium, comme la morphine,
09:55 on va constater une baisse du marché de l'héroïne à ce moment-là,
09:58 mais ce marché va reprendre à partir de 2003, comment vous expliquez cette reprise ?
10:05 – Oui, alors, peut-être expliquer, donc en 95, en France,
10:08 il y a 160 000 usagers d'héroïne à peu près,
10:11 des centaines de jeunes qui meurent chaque année du fait de surdoses d'héroïne,
10:16 et donc les pouvoirs publics décident de mettre en place des traitements de substitution,
10:22 ce sont des médicaments qui permettent effectivement de remplacer l'héroïne,
10:26 et à une partie des usagers de pouvoir se réinsérer dans la société.
10:30 Donc on va assister effectivement à un effondrement du marché de l'héroïne
10:34 dans la seconde moitié des années 90, et une reprise à partir des années 2000,
10:41 dans un contexte en fait où on pense avoir résolu le problème de l'héroïne
10:46 dans la société française, parce qu'on meurt moins de l'héroïne,
10:49 parce que les gens ont comme alternative les produits de substitution,
10:52 mais on va voir renaître ce marché, et tiré notamment par l'explosion
10:57 de l'offre d'héroïne en Afghanistan.
10:59 L'héroïne qu'on consomme en France est produite en Afghanistan,
11:03 arrive par la route des Balkans, traverse l'Iran, traverse la Turquie,
11:07 débouche sur la zone des Balkans, et arrive en général aux Pays-Bas et en Belgique,
11:13 qui sont un peu les grandes zones de redistribution de toutes sortes de produits,
11:18 d'ailleurs en Europe occidentale.
11:20 Donc il y a une pression de l'offre, et puis la consommation d'héroïne,
11:27 je voulais dire, rencontre une détresse sociale, c'est-à-dire que l'héroïne
11:30 est surtout consommée dans la France périurbaine, la France du Nord-Est,
11:34 donc la Lorraine, des territoires désindustrialisés,
11:38 où des populations se sentent marginalisées.
11:40 C'est un peu le même processus qu'on voit aux États-Unis avec la Rust Belt.
11:44 – Alors justement, aux États-Unis, entre 2014 et 2021, on va constater une baisse,
11:50 un recul de l'espérance de vie de 80 à 76 ans dans la population,
11:54 on compte 650 000 morts depuis 1990 à cause d'un empoisonnement
12:01 à ces fameux opioïdes comme le fentanyl.
12:04 Comment a commencé cette épidémie ?
12:07 – Oui, alors ça c'est une illustration de la complexité des mécanismes contemporains,
12:11 de l'addiction et des trafics, parce que, contrairement à ce qu'on pourrait penser,
12:15 ce n'est pas les cartels mexicains qui sont responsables à la base
12:19 de cette épidémie d'opioïdes, mais ce sont les cartels pharmaceutiques,
12:24 cartels mexicains criminels et cartels pharmaceutiques américains,
12:29 non moins criminels finalement, in fine, puisque vous l'avez dit,
12:31 ils sont responsables de la mort de 700 000 personnes depuis 20 ans.
12:35 Et là, c'est lié effectivement à la soif de profit,
12:39 c'est-à-dire que, notamment, il y a une entreprise qui s'appelait,
12:42 parce qu'elle a été démantelée sous le coup des condamnations de l'État fédéral,
12:47 elle produisait un médicament antidouleur réservé aux cancéreux en phase terminale
12:52 qui s'appelle l'oxycontin.
12:54 – Donc cette entreprise c'est pur du pharma, on va la citer tout de suite,
12:57 c'est une entreprise pharmaceutique privée américaine créée à la fin du 19e siècle.
13:02 – Voilà, absolument, et qui s'était spécialisée dans un médicament,
13:07 je ne me souviens plus, j'ai oublié le médicament, mais enfin, ce n'est pas grave.
13:14 – Enfin, c'est l'oxycontin qui va…
13:16 – Voilà, c'est l'oxycontin, donc un opioïde qui était destiné à "painkillers"
13:21 comme on dit aux États-Unis, destiné à des patients en phase cancéreuse terminale,
13:27 et pour des raisons d'avidité, de profit, d'élargissement de leur marché,
13:31 ils ont décidé de prescrire ce médicament, en se fondant d'ailleurs sur des études
13:35 qui se sont révélées bidonnées, à des gens souffrant de douleurs chroniques.
13:42 Et ils ont ciblé notamment dans leur stratégie marketing
13:45 les régions où on trouve le plus de personnes souffrant de douleurs chroniques,
13:50 et notamment la Roosevelt, les territoires désindustrialisés des États-Unis, du Nord-Est,
13:56 la Virginie-Occidentale, l'Ohio, le Michigan, et en fait,
14:02 ils ont fait une campagne en direction notamment des médecins généralistes,
14:07 donc les gens en confiance dans leurs médecins généralistes,
14:10 eux n'avaient pas les moyens forcément intellectuels d'aller contre des visiteurs médicaux
14:14 qui leur disaient, en se fondant sur des études scientifiques,
14:18 que cette pratique était sans danger, et donc se sont mis à prescrire massivement,
14:22 des gens ont commencé à devenir dépendants, et puis après ça a lancé cette épidémie.
14:27 Après, quand les autorités de santé ont décidé de limiter les prescriptions de ces produits,
14:33 il était trop tard, les gens sont passés à l'héroïne.
14:37 Donc deuxième étage de la fusée, troisième étage aujourd'hui,
14:41 c'est le fentanyl qui a tué encore en 2022, je crois, près de 75 à 80 000 Américains.
14:48 – Et alors justement, concernant cette stratégie,
14:51 cette offensive commerciale de Pur du Pharma,
14:54 vous citez le travail d'un homme, d'un Américain, procureur général,
14:58 représentant les intérêts de l'État du Kentucky,
15:01 qui avait bien mis en avant, qui avait bien démontré l'horreur de cette,
15:07 la manifestation de cette offensive commerciale
15:10 contre ces pauvres États américains Ohio, Virginia Occidentale.
15:14 – Oui, le cynisme énorme, alors ce qui est intéressant de dire,
15:17 il y a un journaliste américain qui s'appelle Sam Quinone,
15:19 qui a fait une enquête remarquable, qu'il faudrait traduire en français,
15:22 et qui montre que les cartels mexicains ont suivi la même stratégie Pur du Pharma.
15:27 C'est-à-dire qu'il y a notamment une petite organisation criminelle au Mexique,
15:30 qui suivait ce qui se passait avec les opioïdes aux États-Unis,
15:34 et qui a vu l'opportunité de cette épidémie
15:37 pour relancer la production d'héroïne au Mexique,
15:39 parce que l'héroïne consommée aux États-Unis vient du Mexique,
15:42 et ils sont fondés sur les États qui avaient le plus fort taux de centres métadones,
15:47 de centres de soins pour addiction.
15:49 – Alors là, qu'est-ce que c'est la métadone ?
15:51 – La métadone, c'est un opiacé qu'on donne comme médicament
15:54 pour substituer les héroïnomanes à de l'héroïne.
16:00 – Il faut bien qu'on comprenne que ce marché des drogues
16:03 est quand même divisé entre des narco-trafiquants
16:06 qui travaillent dans l'illégalité totale,
16:09 et des laboratoires qui ont pignon sur rue.
16:11 – Oui, oui, absolument.
16:12 D'ailleurs, on revient en quelque sorte à la situation du 19ème siècle,
16:16 où d'abord, et ce qu'il faut savoir,
16:18 c'est que la cocaïne et l'héroïne ont d'abord été des médicaments.
16:21 – Oui, Freud en consommait en masse, Arthur Conan Doyle en prenait.
16:25 – Voilà, et d'ailleurs, qu'on pensait à un moment
16:28 pouvoir soigner la dépendance à la cocaïne par l'héroïne.
16:31 Donc c'est des fabrications de l'industrie pharmaceutique,
16:34 et puis après, on a vu effectivement les dangers que représentaient ces produits,
16:38 et on les a progressivement retirés du marché.
16:41 Mais il faut savoir que l'Europe, au début du 20ème siècle,
16:44 était un très grand producteur de cocaïne, les États-Unis aussi.
16:48 – Alors après les ravages de l'héroïne aux États-Unis, puis en France,
16:53 comment le marché de la cocaïne a pris le devant,
16:57 les devants sur celui de l'héroïne ?
16:59 – Alors, on a eu un nouveau cycle de la cocaïne,
17:02 donc dans les années 90, l'héroïne tend à perdre la première place.
17:08 On change un peu de dimension sociale, le néolibéralisme,
17:12 la société de la performance s'impose progressivement
17:15 dans les sociétés occidentales, et c'est le moment aussi
17:20 où la production commence à se développer beaucoup en Amérique latine,
17:24 et surtout dans les années 90, le marché américain commence à stagner,
17:28 c'est-à-dire qu'ils ont toujours un temps d'avance sur nous.
17:31 L'épidémie de cocaïne s'est développée à la fin des années 70 aux États-Unis,
17:35 donc il y a eu un cycle, la consommation a commencé à stagner,
17:38 et donc il y a eu une réorientation,
17:40 les trafiquants sont en quelque sorte partis à la conquête du marché européen.
17:44 – Et vous citez aussi le développement de la logistique
17:48 qui permet l'envoi en masse de produits au quai de contre du monde.
17:52 – Absolument, alors là c'est les facteurs sociaux,
17:54 c'est-à-dire que la mondialisation est également criminogène,
17:57 c'est-à-dire qu'elle favorise les activités du crime organisé,
18:00 et notamment il y a une figure très importante,
18:04 un vecteur de la mondialisation qui est essentiel, c'est le porte-container.
18:07 Aujourd'hui, l'énorme majorité de la cocaïne qui circule à travers le monde
18:11 et qui arrive notamment en Europe, circule par container.
18:15 Il faut savoir que selon un rapport d'Europol qui est sorti récemment,
18:19 l'Europe reçoit près de 90 millions de containers,
18:23 et 2 ou 3% sont contrôlés, effectivement.
18:26 – Dont beaucoup arrivent au Havre.
18:29 – Alors dont beaucoup arrivent surtout à Anvers et aux Pays-Bas,
18:33 mais ça arrive chez nous, parce que beaucoup de grossistes français
18:37 vont faire leur course en cocaïne, en drogue de synthèse,
18:41 aux Pays-Bas et en Hollande,
18:43 et le Havre, effectivement, est devenu la première porte d'entrée
18:47 de la cocaïne en France, avec notamment des gros problèmes de corruption
18:53 dans le milieu des dockers, une implantation du crime organisé.
18:56 – Alors, est-ce que les syndicats, on sait que la CGT a une main
19:02 sur certains ports en France, est-ce que vous avez constaté
19:08 des cas de corruption au sein des syndicats ?
19:12 – Alors, il y a eu quelques affaires, c'est difficile d'incriminer les syndicats,
19:15 de toute façon, il y a une grande loi du silence, effectivement,
19:18 les syndicats communiquent très peu sur la question,
19:21 il y a une sorte d'omerta, donc il est très difficile d'enquêter,
19:24 même pour les policiers, dans le milieu des ports.
19:27 Mais on sait qu'il y a eu des dockers enlevés, torturés, certains assassinés.
19:32 – Vous parlez de jambisation, on leur casse les jambes.
19:35 – Jambisation, ça vient des pratiques de l'extrême-gauche italienne
19:38 dans les années 70, qui pour punir, vous savez, ils disaient,
19:42 "On punira un pour en éduquer 100", donc des magistrats qu'on voulait intimider,
19:47 on leur tirait une balle dans le genou, en général,
19:50 et ça dissuadait les autres d'être trop scellés contre eux.
19:54 Donc cette pratique de la jambisation, elle se fait dans le milieu des dockers,
19:58 mais elle se fait de plus en plus aussi dans les cités.
20:01 – Alors, le marché de la cocaïne est le plus rentable,
20:05 il est même devant celui du cannabis, est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi ?
20:09 – Pourquoi ? Tout simplement, la marge entre le prix de gros
20:14 et le prix de détail est plus importante,
20:17 donc effectivement, les profits réalisés sur un kilo de cocaïne
20:22 sont beaucoup plus élevés que pour un kilo de résine de cannabis
20:25 ou d'herbe de cannabis, tout simplement.
20:27 Donc voilà, en plus, on est dans un contexte où, depuis 20 ans,
20:34 l'usage de cocaïne est extrêmement dynamique en France,
20:38 puisque je crois que les usages en 20 ans ont dû être multipliés par 5.
20:42 – Oui, alors vous citez ce chiffre,
20:45 augmentation du nombre de consommateurs de 75% pour la cocaïne entre 2013 et 2020,
20:53 donc vous parlez d'épidémie, vous comparez ça à une véritable maladie.
20:57 – Oui, alors dans le monde des drogues, on parle effectivement d'épidémie,
21:02 d'épidémie d'héroïne, quand effectivement une substance se développe
21:05 en quelque sorte de proche en proche,
21:07 alors ça ne veut pas dire bien sûr que tout le monde consomme de la cocaïne,
21:11 puisque si on ramène ça à la population adulte,
21:15 on doit être autour de 1,5%, avec dans certaines tranches d'âge,
21:20 des niveaux plus élevés, notamment chez les hommes à partir de 25 ans,
21:24 mais la dynamique est relativement impressionnante,
21:28 puisque les usages en l'année ont quintuplé en 20 ans.
21:33 – Et alors concernant le cannabis, on en terminera là avant de faire une pause,
21:39 les consommateurs quotidiens, leur nombre explose,
21:44 ces consommateurs quotidiens passant entre 2005 et 2017 de 55 000 à 900 000,
21:52 et pour un taux de THC qui passe de 10 à 25% aujourd'hui.
21:56 – Alors vous avez fait une petite erreur, c'est 550 000 en 2010,
22:00 et on est à peu près à 850 000,
22:04 donc une augmentation de plus de 50% des usagers quotidiens,
22:07 qui sont le cœur du marché, bien évidemment c'est eux qui font la dynamique du marché,
22:12 ce noyau de 850 000 personnes qui consomment tous les jours du cannabis,
22:17 c'est sur eux que repose la dynamique du marché,
22:19 et effectivement ces usages quotidiens ont beaucoup augmenté,
22:23 dans un contexte où les taux de THC, c'est-à-dire le principe actif du cannabis,
22:29 ont littéralement explosé, il n'y a pas d'autre mot,
22:33 puisque dans les années 2000 on était à peu près à 10%,
22:36 aujourd'hui on doit être à 30% de taux de THC.
22:39 – Et pourquoi ?
22:40 – C'est lié à la situation au Maroc, c'est-à-dire les paysans marocains,
22:43 sous la pression effectivement d'offreurs européens,
22:46 ont introduit des nouvelles variétés qu'on appelle hybrides,
22:49 qui sont des plantes qui sont croisées génétiquement,
22:52 pour produire des taux de THC plus élevés,
22:55 et donc ces plantes sont de plus en plus cultivées dans le rift,
22:58 avec d'ailleurs des problèmes écologiques considérables,
23:02 puisque ça contribue à la déstabilisation aussi de la paysannerie marocaine du rift.
23:09 Et ça c'était peut-être un autre problème.
23:11 – Michel Gandillon, on va faire une pause,
23:13 on abordera entre autres dans une seconde partie,
23:16 comment les drogues sont distribuées,
23:19 est-ce qu'il y a une collusion entre les trafiquants et les politiques,
23:23 l'État met-il tout en œuvre,
23:25 l'État mène-t-il une réelle guerre contre les trafiquants,
23:28 on voit ça après la pause.
23:29 [Générique]
23:34 On continue notre entretien avec notre invité Michel Gandillon,
23:38 l'auteur de cet ouvrage "Drugstore, drogues illicites et trafic en France".
23:43 Alors on va évoquer avec vous un petit peu les lieux de production de ces drogues,
23:50 et les filières qui les distribuent par la suite, Michel Gandillon.
23:54 – Oui, alors les drogues c'est un marché mondial,
23:57 à part un peu d'herbe qui est produite en France,
24:00 ça contribue au déficit du commerce extérieur,
24:03 puisque la cocaïne notamment est importée de Colombie,
24:08 et produite en Amérique latine dans trois pays,
24:11 le Pérou, la Bolivie et surtout la Colombie,
24:14 où la production a explosé depuis dix ans,
24:16 a été multipliée par quatre, on assiste à des records de production.
24:20 La guerre à la drogue américaine en Amérique latine est un énorme échec.
24:26 Je vous l'ai dit, l'héroïne est produite en Afghanistan,
24:28 alors là aussi effectivement, la production d'opium s'est beaucoup développée
24:34 en Afghanistan dans un contexte de guerre.
24:37 Il faut savoir que les États producteurs de drogue en général sont des États faillis,
24:41 qui ont des sortes de tards structurels liés à la guerre,
24:45 liés aux inégalités sociales, notamment la Colombie aussi,
24:48 qui a traversé une période de guerre avec les FARC de multiples guérillas,
24:53 donc effectivement… – Oui, ils s'en servent pour financer leur guerre.
24:57 – Oui, alors les FARC s'en servaient pour financer leur guerre,
24:59 tout un tas d'acteurs, mais l'État colombien, enfin les paramilitaires
25:03 qui luttaient contre les FARC étaient tout aussi, si non plus, impliqués.
25:08 En Afghanistan, les pro-américains comme les anti-américains…
25:13 – Ahmed Karzaï, le président afghan qui a été mis en place par les Américains,
25:18 a contribué au retour de la culture du pavot dans son pays ?
25:22 – Non, pas du tout, en fait ça a commencé bien plus tôt,
25:25 en 1979, l'armée rouge envahit l'Afghanistan.
25:29 – Mais il n'y avait pas eu un recul après, avec l'arrivée des talibans ?
25:33 – Oui, alors ça c'est une autre question, mais en 1979,
25:37 l'Afghanistan produit environ 200 tonnes d'opium,
25:42 et il y a des consommations traditionnelles d'opium,
25:44 une pharmacopée traditionnelle, donc 200 tonnes,
25:48 et effectivement il y a la guerre, les Russes contribuent
25:51 à la destruction de l'irrigation, de l'agriculture par leur bombardement,
25:56 et effectivement les paysans vont se retourner vers l'opium,
25:59 poussé par les groupes armés.
26:00 Et à l'époque, les Américains n'ont rien à dire sur ce phénomène,
26:03 au contraire ça les arrange, donc la résistance afghane se finance
26:07 via l'opium et l'héroïne, notamment avec la complicité
26:10 des services secrets pakistanais.
26:14 Ce n'est qu'après, en fait les Américains tentent à utiliser
26:17 l'argument des drogues contre l'ennemi géopolitique du moment,
26:21 contre leurs amis ils ne le font pas, puisque notamment
26:24 dans les années 60, les problématiques de la géopolitique des drogues
26:27 apparaissent notamment dans les années 60 au moment de la guerre du Vietnam,
26:31 quand la CIA couvre des trafics d'héroïne menés par des paysans,
26:35 notamment mongues, qui sont en lutte contre les forces communistes
26:41 de l'époque, donc il y a un enjeu géopolitique des drogues.
26:44 Les Américains utilisent beaucoup l'arme des drogues comme arme
26:47 de disqualification de leurs ennemis du moment, quitte effectivement
26:50 pour leurs amis à fermer ou à favoriser les trafics.
26:53 On l'a vu avec les contrats au Nicaragua avec la cocaïne,
26:56 enfin il y a moult exemples.
26:58 – Alors de quelle nationalité sont ceux, à quel pays appartiennent
27:03 ceux qui distribuent les drogues ?
27:05 – Alors ça dépend à quel niveau, ça dépend à quel niveau,
27:10 vous parlez en France ?
27:12 – Pour la France, enfin ce qui arrive en France.
27:14 – Alors ce qui arrive en France, effectivement on a plusieurs types
27:18 de réseaux, donc il y a notamment au cœur du trafic de la résine de cannabis,
27:23 il y a les filières franco-maghrébines qui sont hégémoniques
27:27 depuis les années 80 sur ce marché et qui sont en train de,
27:32 enfin qui ont déjà, on le pense, pris le contrôle du marché de la cocaïne.
27:38 Il y a eu avant ces filières franco-maghrébines,
27:41 ce qu'on appelait la French Connection, qui étaient des filières corso-marseillaise.
27:45 – Pour l'héroïne.
27:46 – Il faut savoir que la France était un des plus gros producteurs d'héroïne au monde,
27:49 75% de l'héroïne consommée aux États-Unis provenait de France.
27:52 – Oui, on amenait l'opium en France, il était transformé dans les laboratoires.
27:56 – Absolument, il a une fille base, elle était transformée par des chimistes
27:59 qui avaient beaucoup de talent puisque leur héroïne était reconnue
28:02 comme un produit de qualité et elle traversait l'Atlantique
28:07 et puis était vendue à la mafia italo-américaine, c'est comme ça que ça circulait.
28:13 Et puis l'État a mis le haut là, d'ailleurs il a fallu une très forte pression
28:16 de Nixon à l'époque contre le pouvoir, notamment Pompidou,
28:22 parce que les Américains reprochaient aux Français de ne rien faire
28:26 puisque l'héroïne était en quelque sorte totalement exportée.
28:29 Donc il y avait une sorte d'indifférence du pouvoir politique devant ce phénomène.
28:33 Bon bref, je reviens à mes filières franco-maghrébines,
28:36 le cannabis commence à se développer dans les années 80-90,
28:40 là elles sont effectivement, elles sont maintenant hégémoniques
28:43 sur le marché de la cocaïne, il faut savoir que dans les cités aujourd'hui,
28:46 systématiquement maintenant on vend de la cocaïne aussi,
28:49 à côté de la résine de cannabis ou de l'herbe de cannabis.
28:52 Et puis il y a d'autres acteurs qui sont venus s'implanter,
28:55 notamment en France, je parle des mafias albanaises,
28:58 notamment sur le marché de l'héroïne, qui se sont installées depuis 10 ans,
29:02 qui étaient très fortes en Suisse et qui ont traversé la frontière
29:06 pour répondre à la demande d'héroïne qui se développe dans la région Savoie,
29:11 Haute-Savoie, et puis ça touche de plus en plus vers l'ouest
29:15 des départements ruraux comme l'Ardèche, le Puy-de-Dôme, etc.
29:19 – Alors vous avez évoqué rapidement tout à l'heure, Michel Gandillon,
29:22 qu'on y revienne, le fait que vous avez parlé de la balance commerciale,
29:27 et on sait depuis quelques années que maintenant la France compte
29:31 dans son PIB les revenus de la drogue, alors ça gonfle notre PIB de combien exactement ?
29:37 – Pas tellement, c'est pas le marché des drogues qui va nous sauver,
29:41 puisque ça doit représenter aujourd'hui, le dernier chiffre de l'INSEE,
29:45 je crois que c'est autour de 4-5 milliards d'euros de chiffre d'affaires,
29:48 alors au regard du PIB français c'est 0,2%,
29:51 mais au regard du milieu criminel c'est bien sûr énorme.
29:55 Et oui, il faut savoir que la dynamique de ce marché est quand même très importante,
30:00 puisqu'entre 2010 et 2020, le chiffre d'affaires des drogues en France a doublé.
30:07 – Est-ce qu'il y a des liens, Michel Gandillon,
30:10 entre les trafiquants et les politiques françaises ?
30:14 – Alors il faut savoir ce qu'on appelle politique,
30:17 il y a eu dans les années 60 effectivement des phénomènes,
30:22 j'en parle notamment à Marseille,
30:25 de sorte de compromis entre le milieu criminel et la classe politique,
30:29 notamment contre le parti communiste,
30:31 et puis parce qu'il s'agissait à l'époque de contenir la poussée après la guerre des Rouges,
30:37 et notamment les étrus en Corse ont servi aux services d'ordre,
30:42 Gaëtan Zampa était au service d'ordre de Gaston de Fer par exemple,
30:47 mais la droite n'était pas en reste,
30:49 donc ça ces phénomènes de corruption à Marseille étaient bien connus.
30:53 Ce qui est inquiétant je dirais aujourd'hui,
30:55 c'est avec le développement des points de l'île partout en France,
30:58 dans les grandes métropoles, bien sûr dans les banlieues, dans les villes moyennes maintenant,
31:03 c'est que ces milieux criminels ont les moyens par la corruption
31:07 d'établir des rapports avec des classes politiques locales,
31:10 et il y a un certain nombre de scandales qui ont défrayé la chronique.
31:14 – Est-ce que vous pouvez nous en citer un ou deux ?
31:16 – Il y a eu en 2007 notamment l'affaire Sylvie Andrieux,
31:20 députée ou sénatrice socialiste de Marseille,
31:24 qui avait des accointances via des financements,
31:27 via la politique de la ville, d'associations contrôlées par des cahiers de la drogue,
31:32 donc elle a été condamnée d'ailleurs à de la prison.
31:37 Il y a eu le scandale d'assaut à Corbeil-Essonne,
31:41 où effectivement pour ramener des voix, il n'a pas hésité…
31:45 – C'était un élu de l'UMP.
31:46 – Oui c'était un élu de l'UMP, oui la droite, mais la droite, la gauche, le centre,
31:50 les derniers scandales qui ont défrayé la chronique ces dernières années
31:55 montrent que tous les partis politiques sont compromis.
31:58 Et puis il y a des affaires qui sont très inquiétantes en Seine-Saint-Denis,
32:03 où effectivement il y a beaucoup de trafic de drogue,
32:07 et notamment avec des affaires assez graves à Bagnolet, à Saint-Denis, à Aubert-Villiers,
32:14 où on voit qu'effectivement il y a une pénétration du crime organisé
32:18 par le recrutement d'employés municipaux au sein même des municipalités.
32:23 Des affaires de corruption assez graves.
32:25 Je voudrais inviter vos téléspectateurs à lire le petit livre de Didier Daninx,
32:32 un auteur de gauche d'ailleurs, communiste, qui a dû quitter Aubert-Villiers
32:36 où sa famille était implantée depuis 30, 40, 50 ans.
32:40 C'était citoyen d'Aubert-Villiers, partisan du Parti communiste,
32:45 mais plutôt à l'ancienne, et qui a dû quitter la ville,
32:49 parce que la rage au cœur, parce qu'effectivement il avait commencé
32:54 à dénoncer un certain nombre de scandales et d'accointances.
32:57 Donc ce livre s'appelle "Banlieue naufragée",
33:00 et ça donne un état des lieux de la situation en Seine-Saint-Denis.
33:03 – Alors, vous expliquez aussi que cet usage des drogues
33:07 concerne l'ensemble des classes de la société.
33:11 Géographiquement, ça concerne les grandes métropoles,
33:15 les banlieues, mais aussi maintenant les campagnes.
33:18 – Oui, la massification du marché a fait que maintenant
33:23 toutes sortes de territoires sont touchés,
33:26 toutes sortes de classes sociales.
33:30 Effectivement, vous prenez l'exemple de la cocaïne effrappante,
33:33 dans les années 80, on saisissait quelques kilos de cocaïne par an.
33:38 C'était plutôt consommé par des gens extrêmement privilégiés,
33:42 et la massification des consommations de cocaïne,
33:45 la baisse du prix a fait qu'elle est devenue plus accessible,
33:48 et a fini par toucher tout un ensemble de couches sociales
33:52 qui sont des classes moyennes supérieures, aux ouvriers, aux marins-pêcheurs,
33:57 aux routiers qui pour tenir les cadences prennent de la cocaïne.
34:01 Donc ça touche un spectre social très important.
34:05 – Alors, on entend souvent notre ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
34:09 se vanter d'avoir fait fermer plusieurs points de vente.
34:13 Est-ce que l'État français mène réellement une guerre contre la drogue,
34:19 notamment dans les milieux politiques ou dans le milieu du show business ?
34:23 – Alors ça, je n'ai pas d'éléments sur le show business et politique.
34:27 De toute façon, le gros de l'offre est concentré effectivement
34:33 dans la périphérie des grandes métropoles, dans ce qu'on appelle les cités, les banlieues.
34:41 Je pense que l'involonté des policiers de terrain,
34:45 des gens de l'Office antistupéfiants de la Brigade des stups n'est pas à mettre en cause
34:49 puisqu'on saisit d'énormes quantités de drogues en France.
34:52 En 2022, on a assisté même à des records historiques de saisie de cannabis,
34:56 de cocaïne et même d'héroïne.
34:59 Donc les douaniers et les policiers ne sont pas à mettre en cause.
35:04 Je pense que ce qui est à mettre en cause, c'est peut-être la stratégie globale de l'État.
35:08 Il y a une sorte d'effet Rustin, on le voit très bien,
35:11 avec la vague d'homicides en cours à Marseille,
35:14 où effectivement on réagit au coup par coup en annonçant des renforts policiers.
35:19 Je regardais en 2010 par exemple, il y a eu un scandale à Marseille
35:22 parce qu'un jeune de 16 ans avait été tué, ou même plus jeune, 11 ans je crois.
35:27 Il avait pris une balle perdue et puis un jeune de 16 ans qui était guetteur.
35:30 Donc ça avait beaucoup marqué la société française à l'époque
35:33 et le ministre de l'Intérieur de l'époque qui s'appelait Brice Hortefeux
35:36 avait décidé l'envoi de...
35:39 Vous superposez les déclarations d'Armanin et d'Hortefeux, c'est exactement les mêmes.
35:44 Donc il faudra une stratégie à plus long terme, un plan pluriannuel de lutte.
35:49 Parce qu'il y a une injustice fondamentale qui est faite à une partie de la population,
35:52 c'est qu'on l'oblige à vivre au sein de territoires qui sont occupés par le crime organisé,
35:58 avec toutes les nuisances qui vont avec.
36:00 Les plus graves sont les règlements de comptes mortels, les homicides.
36:03 – Vous évoquiez les sociétés de contrôle avec les checkpoints,
36:06 les agressions contre les services de l'État.
36:09 – Absolument, l'intimidation des habitants, puis le fait de vivre au quotidien
36:12 au milieu des trafics.
36:14 – Alors vous citez à ce moment les grandes prises,
36:18 ce que font la police, ce que font les douanes,
36:23 des saisies record, dites-vous, en 2022.
36:26 Est-ce que c'est le contre-coup du Covid-19,
36:29 des confinements à l'époque où toute l'économie avait été bloquée ?
36:35 – Alors oui, il y a eu un effet reprise incontestablement,
36:38 mais même pendant le Covid, les saisies sont restées quand même très élevées,
36:44 c'est-à-dire, sauf pour la résine de cannabis, où elles se sont effondrées.
36:48 Et là, c'est une démonstration par l'absurde que les frontières peuvent être utiles.
36:52 C'est-à-dire que Maroc avait fermé ses frontières avec l'Espagne,
36:54 l'Espagne avec la France, et on a assisté à des phénomènes de pénurie de résine de cannabis.
36:59 Pour la résine de cannabis, c'est vrai.
37:01 Donc les frontières peuvent servir à quelque chose.
37:03 – Donc ça, c'est une contre-publicité pour Schengen, ça ?
37:06 – Oui, d'ailleurs, je cite une sociologue marseillaise qui dit que Schengen a permis,
37:10 vu cet avantage extraordinaire pour les trafiquants,
37:13 de favoriser la libre circulation des drogues.
37:15 Donc bon, mais c'est le monde du libre-échange, c'est pareil pour les containers,
37:19 voilà, les millions de containers qui arrivent.
37:22 Voilà, ça, c'est le monde mondialisé, sans frontières qui…
37:26 – Mais vous dites qu'avec le téléphone, la cocaïne est le deuxième emblème de la mondialisation.
37:31 – Oui, c'est un emblème de notre post-modernité, en quelque sorte.
37:35 C'est une sorte de marchandise clandestine, un signe d'appartenance,
37:39 enfin, il y a une dimension symbolique très forte dans la cocaïne.
37:42 Aujourd'hui, quand on prend de la cocaïne, on appartient en quelque sorte,
37:46 je sais qu'on est sur TV Liberté, mais de winner, de gagnant, en quelque sorte.
37:51 Donc voilà.
37:53 – Qu'est-ce que vous avez pensé des sorties d'ouvrages de ce monsieur
37:58 qu'on avait d'ailleurs reçu à l'occasion à TV Liberté,
38:01 qui s'appelle Gérard Fauret, qui avait un peu défrayé la chronique.
38:04 – Je ne les ai pas lus, ça ne m'intéresse pas.
38:07 – Bon, ça n'est pas très scientifique à vos yeux, j'imagine.
38:10 Alors, on va rentrer dans quelque chose qui est tout à fait plus sérieux.
38:15 Vous citez dans votre ouvrage une étude qui montre que la France
38:20 est l'un des pays de l'Union Européenne où les peines infligées
38:24 pour le trafic de drogue sont les plus faibles.
38:27 Alors, cet angélisme pénal, ce que vous appelez l'angélisme pénal,
38:31 c'est dû à quoi ?
38:33 – Alors, l'angélisme pénal, ça peut être lié, alors, effectivement,
38:37 revenons un petit peu sur ce rapport qui est un rapport très sérieux
38:41 où un chercheur, ou une équipe de chercheurs, ont fait des comparaisons
38:44 entre les différents pays européens, notamment sur les peines appliquées
38:49 pour la saisie d'un kilo de résine de cannabis,
38:51 un kilo d'héroïne, un kilo de cocaïne, etc.
38:53 et montraient que la réponse pénale était la moins forte en France,
38:57 de tous les pays européens, c'est à peu près ça.
39:01 Donc, une réponse pénale insuffisante.
39:03 Je pense que la réponse pénale à l'égard des trafiquants,
39:07 des gros trafiquants, est insuffisante aujourd'hui.
39:10 – Alors, qu'est-ce que c'est ? Est-ce que ça vient des textes de loi
39:13 ou est-ce que ça vient de l'interprétation qu'en font les juges ?
39:16 – Ça ne vient pas des textes de loi puisque, j'explique,
39:19 notamment l'outil qui a été beaucoup utilisé pour lutter
39:23 contre les filières Corso-Marseillaise dans les années 60-70,
39:26 ça a été la fameuse loi de 70 qui a durci considérablement les peines
39:30 pour les trafiquants, on est passé en gros de 5 ans de prison
39:34 pour production et trafic d'héroïne, l'affaire Césarie,
39:39 à après 70, la loi avait changé, l'affaire n'était plus du tout la même
39:45 puisqu'on risquait 20 à 30 ans de prison.
39:47 Donc beaucoup d'acteurs se sont retirés de ce marché en disant
39:52 "le jeu n'en vaut plus la chandelle, autant risquer 3 à 4 ans de prison
39:56 au regard au profit réalisé, ça peut être effectivement rationnel,
40:01 risquer 20-30 ans de prison, ça ne l'est plus".
40:04 Donc ça a contribué effectivement à ce que beaucoup d'acteurs arrêtent.
40:09 Aujourd'hui le problème c'est que les lois sont toujours là,
40:12 elles sont très dures mais elles ne sont pas appliquées.
40:15 – Est-ce que cela vient du travail que font certains sociologues,
40:19 vous en citez un, Laurent Mukieli, qui font des délinquants,
40:23 des victimes en puissance de la société ?
40:26 – Alors je pense qu'effectivement il y a plusieurs facteurs.
40:28 Alors il y a un facteur qui est lié, je pense qu'est structurel,
40:32 qui est lié au sous-dimensionnement de l'appareil judiciaire en France,
40:35 au manque de magistrats, et au manque notamment de magistrats
40:38 spécialisés sur les questions de crimes organisés.
40:41 Donc il y a ça, ce facteur-là, ce qui fait que,
40:44 notamment à Marseille, beaucoup de magistrats sont débordés,
40:47 il y a tellement d'affaires, il y a 120 points de deal à Marseille,
40:51 les homicides, etc., les affaires d'importation,
40:55 donc les magistrats ne sont pas assez pour gérer les choses.
40:57 Donc on tend à correctionnaliser certaines affaires,
41:00 des affaires qui devraient relever des assises,
41:02 passent en correctionnel.
41:04 Et puis bon, il y a une idéologie chez certains magistrats
41:07 qui font effectivement du criminel une sorte de victime de la société.
41:13 – Est-ce que le syndicat de la magistrature, qu'on voit souvent placé à gauche
41:17 de l'échiquier politique, a une responsabilité là-dedans ?
41:20 – Alors moi je ne connais pas bien le syndicat de la magistrature,
41:24 mais bon, il est évident que cette sorte de culture,
41:28 cet angélisme pénal, ce qu'on appelle la culture de l'excuse,
41:32 est un facteur, disons, une musique d'ambiance
41:35 dans un contexte effectivement de crise,
41:37 de sous-dimensionnement de la réponse pénale aujourd'hui en France.
41:40 – Alors on peut terminer par la question de la légalisation du cannabis.
41:44 Certains à gauche invoquent une régulation,
41:47 un contrôle de son marché par l'État.
41:50 Quelle est votre position ?
41:51 Quels arguments vous pourriez retourner à ceux qui sont pour la légalisation ?
41:56 – Alors je consacre le dernier chapitre de mon livre
41:59 à la légalisation réellement existante.
42:02 On parlait de socialisme réellement existant.
42:04 C'est-à-dire qu'il y a l'utopie de la légalisation,
42:06 il y a les résultats concrets.
42:07 Et notamment aux États-Unis, où la légalisation telle qu'elle a été adoptée
42:12 par les États locaux, puisqu'il y a une vingtaine d'États aujourd'hui
42:16 qui ont légalisé le cannabis à des fins commerciales,
42:19 ce système qui est mis en place est à mon avis désastreux
42:22 et potentiellement désastreux.
42:24 C'est-à-dire qu'ils ont confié effectivement la production de cannabis
42:26 à des entreprises privées, une sorte de petit "produ pharma" du cannabis
42:31 qui ont intérêt effectivement à vendre le plus possible
42:34 et qui vendent des produits d'ailleurs qui n'ont plus de grand rapport
42:37 avec la marijuana, mais avec des produits, des huiles, des résines,
42:41 avec des taux de THC de 50, 60, 70%.
42:44 Donc avec des effets potentiellement désastreux pour la santé publique.
42:48 Donc ce modèle-là est à vraiment exclure.
42:51 Après les arguments de la légalisation peuvent être entendables.
42:54 Il y a eu la prohibition aux États-Unis, on avait prohibé l'alcool
42:57 et ça a fait le jeu de la mafia.
42:59 On dit "on va retirer le marché du cannabis et 2 milliards d'euros".
43:05 Mais on se rend compte que la légalisation,
43:09 quels types, quelques types qu'elle appartiennent,
43:13 si vous voulez, posent un certain nombre de problèmes.
43:16 Quel est le statut des entreprises, monopole de l'État,
43:19 est-ce qu'on l'interdit aux mineurs ou pas,
43:21 est-ce qu'on autorise les particuliers à cultiver du cannabis chez eux
43:24 à condition qu'ils ne le vendent pas,
43:26 est-ce qu'on fixe des taux de THC limite
43:28 et donc ce qu'on voit notamment aux États-Unis,
43:32 ce qui est intéressant, c'est que malgré le système très libéral mis en place,
43:36 le marché noir reste quand même encore très important.
43:40 Les dernières données, c'est 30% à peu près, ce qui est considérable.
43:44 – Alors peut-être pour rappeler que les effets des drogues,
43:48 vous les rappelez, schizophrénie, psychose, angoisse généralisée
43:52 avec un taux de criminalité élevé évidemment dans les zones
43:56 où elles sont consommées et vous citiez juste avant
44:01 le rôle des grandes entreprises, est-ce que vous pourriez nous donner
44:05 des noms de grandes entreprises puisqu'elles existent,
44:08 qui investissent des entreprises mondialisées dans le cannabis ?
44:12 – Alors sur le premier aspect de votre question,
44:15 effectivement sur la question des psychoses,
44:17 alors bien sûr toute personne qui consomme du cannabis
44:20 ne développe pas des psychoses ou des schizophrénies,
44:24 c'est plutôt la population des mineurs qui est à risque
44:27 au moment de la formation du cerveau.
44:30 D'ailleurs aux États-Unis, les États prohibent le cannabis,
44:38 donc c'est une légalisation partielle puisque le cannabis
44:41 continue d'être interdit aux mineurs, mais il est devenu
44:44 tellement accessible via la légalisation qu'effectivement
44:48 il y a des consommations, notamment chez les mineurs,
44:52 de produits concentrés et le Colorado vient de sortir
44:55 un rapport sur la question de santé publique liée notamment
44:59 au développement des psychoses chez des adolescents
45:02 qui se livrent à ces consommations, donc c'est un vrai sujet au Colorado.
45:07 Le deuxième aspect de votre question, c'est qu'effectivement
45:11 les États-Unis ont légalisé, l'Uruguay a légalisé,
45:14 le Canada a légalisé, l'Allemagne vient de légaliser,
45:17 le Luxembourg vient de légaliser, donc il y a une sorte de vague mondiale
45:20 à laquelle il va être très difficile d'échapper.
45:23 Donc revient la question du modèle qu'on décide d'adopter
45:26 et aujourd'hui ce qu'on voit c'est que des grandes entreprises
45:29 du tabac, de l'alcool, s'investissent maintenant dans le marché du cannabis
45:34 parce qu'effectivement la consommation d'alcool et de tabac baisse
45:38 et ces groupes veulent préserver leur rentabilité,
45:41 conquérir de nouveaux marchés, donc s'investissent.
45:44 On est très loin si vous voulez aujourd'hui dans l'économie du cannabis,
45:47 de Woodstock et des utopies 68 tardes.
45:50 Aujourd'hui c'est une affaire de Nasdaq, de bourse, de PER,
45:56 Price-Earning-Ratio, d'enjeux boursiers et capitalistiques,
46:02 d'ailleurs il y a toute une presse économique là-dessus,
46:05 donc le capitalisme vert en quelque sorte est en train de monter
46:10 en puissance aujourd'hui dans le monde.
46:13 – Et vous citez d'ailleurs les grandes entreprises comme Malboro
46:16 et Neuken qui s'investissent dans le secteur du cannabis.
46:20 Merci Michel Gandilon, on va peut-être terminer cet entretien
46:24 par une citation que j'ai trouvée dans votre ouvrage,
46:28 une de Baudelaire, vous connaissez un peu, il avait expérimenté
46:32 le hashish, le laudanum, il avait d'ailleurs écrit cet essai,
46:35 "Les paradis artificiels", il écrivait ceci,
46:38 "Si il existait un gouvernement qui eut intérêt à corrompre
46:42 ces gouvernés, il n'aurait qu'à encourager l'usage du hashish",
46:47 on pourrait peut-être même élargir à l'usage de n'importe quelle drogue.
46:52 Merci Michel Gandilon d'être venu sur le plateau de TV Liberté,
46:57 je rappelle le titre de votre ouvrage,
46:59 "Drugstore, drogues illicites, trafic en France",
47:02 merci à vous de nous avoir suivis, merci aussi de cliquer sur le pouce en l'air
47:07 en bas de cet écran, de nous laisser vos commentaires
47:10 et de partager cette vidéo, merci encore monsieur,
47:13 et quant à nous on se retrouve la semaine prochaine.
47:16 [Générique]

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