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Mercredi 5 juillet 2023, SMART PATRIMOINE reçoit Olivia Blanchard (Présidente, Association des Acteurs de la Finance Responsable)

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00:00 Et nous commençons tout de suite avec Investir Responsable, le rendez-vous dédié à l'investissement durable ou responsable de Smart Patrimoine.
00:10 En l'occurrence, nous allons tenter de comprendre comment utiliser les outils réglementaires dans la mise en place d'une stratégie durable,
00:16 voire peut-être remettre en cause certains outils réglementaires comme la taxonomie européenne.
00:21 Pour en parler, nous avons le plaisir de recevoir sur le plateau de Smart Patrimoine, Olivia Blanchard. Bonjour Olivia Blanchard.
00:26 Bonjour Nicolas.
00:27 Bienvenue sur le plateau de Smart Patrimoine. Vous êtes fondatrice et présidente des acteurs de la finance responsable, les AFR.
00:33 Si je parle de l'utilisation, voire peut-être d'une potentielle remise en cause d'un certain nombre d'outils de la finance durable,
00:40 et notamment cette taxonomie européenne, c'est que depuis quelques semaines, l'aviation ainsi que le transport maritime ont fait leur entrée dans la taxonomie européenne.
00:50 Ils y sont entrés dès cette année avec quand même pour objectif que l'aviation ou le transport maritime fasse appel à des biocarburants ou des carburants durables d'ici 2028.
01:02 Pour autant, c'est aujourd'hui acté. Et les AFR, les acteurs de la finance responsable, étaient vent debout contre cette entrée et se sont organisés pour se poser à ce projet.
01:10 Vous avez d'ailleurs emmené avec vous plusieurs fonds, Mirova, OFIM, la financière de l'échec, DeGroof, Peterkam ou encore Triodos-IM.
01:17 Est-ce que cette décision, malgré le fait que vous militiez contre, remet en cause l'usage d'un outil comme la taxonomie européenne ?
01:25 Alors c'est une très bonne question. En effet, il faut, je pense, reprendre un petit peu du recul et le contexte. En 2018, pacte vert européen, l'Europe se dit
01:34 « Je veux devenir et donner l'exemple d'un continent qui sera neutre en carbone et puis de dire, voilà, on va montrer l'exemple ».
01:43 Donc pour ça, on se donne trois axes. Un, réorienter les flux vers des activités durables. Deux, améliorer sa transparence. Et trois, c'était aussi
01:52 d'inclure les risques de durabilité dans les modèles économiques. Pour ce faire, on se rend compte que le nerf de la guerre, c'est justement ce mot « durabilité ».
02:00 Et donc là, ils se disent « OK, il faut qu'on se mette d'accord sur une définition commune de ce que veut dire la durabilité ». Donc depuis 2018, ils travaillent à ce dictionnaire
02:09 de la durabilité. Ce texte-là, c'est celui dont on parle aujourd'hui, donc la taxonomie européenne. L'enjeu, c'était de se dire « qu'est-ce qu'une activité durable ? ».
02:19 Donc là, il y a eu les secteurs dits « éligibles », donc à l'origine, 13 secteurs dans lesquels on va retrouver le transport, les forêts ou autres. Et puis déjà,
02:27 en décembre 2021, on se rend compte que ça devient, on va dire, un sujet et un texte de pression. Et le 31 décembre, exactement, limite à 23h59,
02:39 on nous dit que le gaz et le nucléaire sont inclus dans la taxonomie. Donc là, c'est déjà une première fragilité du système.
02:45 Parce que ça devient stratégique. Exactement. Puisque si jamais on n'entre pas dans cette taxonomie européenne et dans les activités éligibles à la taxonomie
02:52 européenne, on peut se voir couper des financements du fait qu'on n'est pas considéré comme activité suffisamment durable. Il y a ce côté-là et puis le côté
02:59 attractif de peut-être bénéficier de financements à moindre coût. Mais tout l'objectif aujourd'hui, c'était quand même de se dire « on veut faire un état
03:07 des lieux de ce qu'on finance aujourd'hui comme activité durable ou pas ». Et donc, on se rend compte que oui, il y a un peu cet enjeu politique derrière
03:15 de « je veux être un secteur éligible à la taxonomie ». Donc, les industriels, il y a beaucoup de lubies qui se fait autour de ce texte au niveau de la
03:23 Commission européenne. Donc, première fragilité en décembre 2021 où on intègre une catégorie qui s'appelle la transition, qui sort un petit peu de
03:32 l'objectif premier de donner une définition claire de la durabilité. Mais ils y arrivent. Et là, cette année, donc, deux nouveaux actes délégués qui sortent.
03:42 Et là, on voit l'entrée du maritime et de l'aviation. Effectivement, on se dit « ok, aussi activité de transition avec des critères d'examen technique ».
03:51 Alors, pourquoi est-ce qu'on a fait cette coalition ? C'était de se dire « si on veut garder la crédibilité de la taxonomie qui, son objectif premier, je le répète,
03:58 c'était de faire un état des lieux de la durabilité, qu'est-ce qu'une activité durable ? Est-ce qu'aujourd'hui, d'y inclure l'aviation et le maritime dans le contexte
04:06 actuel technologique à ce jour, est-ce que c'est possible ? » Et c'est là où on se dit « non ».
04:12 C'est-à-dire que la question, c'est de dire « est-ce qu'inclure l'aviation aujourd'hui, alors qu'on n'est pas sûr que demain, cela puisse devenir une activité durable,
04:20 est-ce que c'est vraiment opportun de l'y inclure dès aujourd'hui ? » C'est ça la question posée ?
04:23 C'est ça. Et en fait, l'idée, c'était de dire « peut-être qu'aujourd'hui, préservant l'intégrité de la taxonomie, on ne dit pas que dans 10 ans, si la recherche
04:31 montre qu'il y a des technologies qui peuvent rendre un avion neutre en carbone, ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui, il faut bien le préciser, dans ce cas-là,
04:39 cela pourrait être inclus dans ce dictionnaire de la durabilité. Mais aujourd'hui, pourquoi vouloir inclure ce secteur, si ce n'est pour faire plaisir à du lobby industriel
04:49 qui se rend bien compte des enjeux cruciaux quant aux demandes de financement et notamment tout ce qui est relatif à l'hydrogène, etc. »
04:56 Donc là, on est en train de sortir complètement de l'objectif de ce texte, ce qui vient fragiliser, décrédibiliser tout un dispositif autour qui est celui de la finance durable.
05:06 C'est-à-dire que, alors on prend l'exemple de l'aviation, mais ça peut être pareil pour le transport maritime. D'un côté, il y a la question de « si on veut être durable demain, on a besoin de financement aujourd'hui »
05:13 et de l'autre, il y a la question de « oui, mais vous n'êtes pas durable aujourd'hui, pourquoi est-ce que vous rentrez dans le référentiel ? »
05:17 C'est deux stratégies ou deux visions finalement qui s'opposent.
05:21 Exactement. Et en fait, souvent dans le milieu, et c'est là où il faut bien toujours expliquer, il y a les activités en transition et les activités durables.
05:29 Et en fait, on a souvent tendance à bien vouloir mélanger les deux parce que ça fait plaisir, mais alors que l'objectif n'est pas du tout le même.
05:36 Financer de la transition, c'est financer de la transition. Financer des activités qui sont déjà durables ou leur durabilité, c'est un autre objectif d'investissement.
05:44 Et aujourd'hui, en fait, la frontière qui est, normalement, assez claire, ne l'est plus de ce fait par l'intégration de ces activités qui, en plus, ont des critères désamant techniques
05:56 qui ne sont pas du tout exigeants et donc qui viennent vraiment fragiliser le dispositif.
06:01 On peut le dire pour l'épargnant, la finance durable est floue et reste floue malgré la pédagogie qu'il peut y avoir sur le sujet,
06:08 mais peut-être aussi en lien avec des questionnements un petit peu sur les décisions réglementaires.
06:14 Quand on est acteur de la finance responsable, quand on accompagne des épargnants dans une stratégie de finance durable,
06:20 est-ce que ça remet en cause l'utilisation d'outils comme celui de la taxonomie européenne ou est-ce qu'il faut développer d'autres stratégies ?
06:28 C'est toute la question. Aujourd'hui, on a beaucoup de CGP au sein de l'association qui se la pose parce qu'effectivement, ils sont perdus.
06:34 Quand vous avez face à vous un épargnant qui vous dit "moi, je crois en la finance durable", que vous lui parlez d'un produit financier,
06:40 mais que finalement, ça va peut-être financer encore l'aviation, alors que dans son quotidien, l'épargnant entend qu'il ne faut plus prendre l'avion,
06:46 alors là, tout le monde est perdu. Et effectivement, pour un CGP aujourd'hui, c'est un cauchemar de savoir faire le tri des produits financiers
06:54 qui se disent responsables, durables et de conseiller au mieux son client. Et surtout, on se rend compte que les produits durables ne sont pas si nombreux que ça.
07:03 Parce qu'on rappelle que le CGP va choisir entre différents fonds dans lesquels il va proposer aux épargnants d'investir, mais qu'il n'a pas la main sur les valeurs
07:10 dans lesquelles sont investis ensuite les fonds en question. Et donc, ça rend encore plus compliquée la sélection du CGP, c'est ça ?
07:17 Exactement. Pour lui, c'est vraiment un cauchemar. Donc aujourd'hui, ils essayent de se regrouper en collectif justement pour s'aider justement sur cette sélection
07:24 parce que c'est vraiment un travail d'apothicaire que d'ensuite de prendre un fonds, d'aller regarder ligne par ligne ce que vous allez y trouver,
07:30 et pour ne pas se retrouver au milieu d'un scandale de greenwashing où l'épargnant va dire "je ne comprends pas, vous m'avez vendu de la durabilité,
07:37 mais en fait, je finance Airbus, qu'est-ce qui se passe ?" si pour ne pas parler des énergies fossiles, bien sûr.
07:42 Autre sujet, Olivia Blanchard, qui pour le coup est un sujet plus stratégique, mais presque en matière de géopolitique, même si effectivement ça concerne les entreprises.
07:51 C'est pour décider effectivement d'octroyer ou non des fonds qui sont censés aller financer des activités durables au niveau des entreprises,
08:02 il faut que les entreprises soient capables de faire remonter leurs activités via des normes. Et là, il y a une sorte de bataille de normes comptables,
08:09 on peut le dire, entre une vision anglo-saxonne et une vision européenne. Alors la vision européenne est celle qui a été décidée notamment pour la mise en place de CSRD.
08:16 Donc c'est l'EFRAG qui a mis en place un certain nombre de normes, mais l'ISSB, pour le coup, a, elle de son côté, qui est une organisation internationale,
08:25 a, elle de son côté, émis un certain nombre de normes aussi. Et là aussi, on se rend compte qu'on ne va pas chercher exactement la même chose dans des critères de durabilité
08:34 au sein des entreprises, et ça pourrait remettre en cause ce qu'on appelle "durabilité à l'européenne".
08:40 Exactement. Aujourd'hui, le concept même de tout le dispositif de la réglementation financeuse durable de ce pacte vert, c'était d'inclure le principe
08:50 dont on appelle de double matérialité. Bien sûr. Ce qui, aujourd'hui, par exemple, s'oppose au principe anglo-saxon qui ne reprend pas cette double matérialité.
09:00 On rappelle, pour ceux qui nous écoutent, matérialité financière, c'est l'impact sur votre activité du réchauffement climatique ou, effectivement, du réchauffement climatique.
09:09 La double matérialité, c'est regarder l'impact sur vos comptes, sur votre chiffre d'affaires, mais aussi l'impact que vous, entreprise, vous avez sur l'environnement.
09:16 Exactement. Et donc, c'est ce pan-là de la responsabilité, finalement, de l'entreprise sur l'environnement qui n'est pas reprise par les anglo-saxons et qui va créer
09:25 une dissonance entre les différentes informations qu'on va obtenir. Donc, d'un côté, vous avez des financeurs et des investisseurs qui sont soumis à plus de transparence
09:33 via notamment la réglementation SFDR qui fait partie de cette ambition du pacte vert encore, qui, justement, avait créé CSRD pour dire "on inclut la double matérialité".
09:43 Bien sûr. Vous allez avoir cette information aujourd'hui et vous allez ensuite pouvoir la retransmettre dans vos produits et donc à vos épargnants.
09:50 Donc, la boucle était bouclée. Bien sûr. Mais avec ce modèle anglo-saxon qui ne prend pas cette double matérialité, ça va créer une disparité de l'information
09:57 où, finalement, on était l'objectif d'harmoniser, de trouver la manière de comparer des modèles transfrontaliers, on va dire. Aujourd'hui, on n'y est pas.
10:07 Et on est encore sur des modèles complètement différents avec une petite bataille qui s'installe pour savoir quel modèle va s'imposer.
10:14 On est dans ensuite un jeu médiatique pour des personnalités qui sont plus fortes que d'autres, etc. Mais en fait, on ne parle pas du tout du vrai sujet qui est
10:24 "on fait comment pour la durabilité, on fait comment pour le règlement climatique, comment on fait pour réorienter ces flux financiers, comment on arrête juste de sortir d'un jeu politique ou médiatique".
10:33 Et de différentes méthodes de comptabilité.
10:36 Donc, non. Et si on se concentrait sur l'essentiel, c'est de dire "comment est-ce qu'on réoriente ces flux financiers aujourd'hui, comment est-ce qu'on a cette information
10:44 qui est pertinente pour prendre en connaissance de cause des choix et des décisions d'investissement".
10:50 L'Union Européenne, si je reste sur le sujet des normes comptables, avait quand même une petite avance en la matière. Elle est en train de la perdre aujourd'hui.
10:56 Et c'est au détriment peut-être des avancées qu'on avait déjà en Europe ?
11:00 Alors, est-ce qu'on la perd ou pas ? Je pense que là, c'est un peu trop tôt pour savoir. Je ne suis pas encore Madame Irma.
11:06 Bien sûr. Non, non, non, non. Oui, parce que là, ce ne sont que des recommandations, effectivement, de l'ISSB.
11:12 Exactement. Après, là, on est vraiment justement aux prémices de ce jeu qui est en train de s'installer et de ce rapport de force qui s'installe.
11:19 Et au milieu, vous allez avoir des acteurs qui sont notamment les agences de notation extra-financière qui vont exercer encore une fois,
11:28 on le revient sur des jeux politiques, de lobby, etc., pour voir quel système va encore peut-être rapporter le plus d'argent et donc perdurer.
11:37 Pour finir sur une note un peu optimiste, le fait qu'effectivement, il y ait ce flou et en même temps ces jeux stratégiques, en tout cas,
11:45 autour des normes comptables, mais même aussi de ce qui a accès à de la finance durable et donc à des capitaux orientés vers la finance durable.
11:53 Est-ce que ça ne montre pas quand même une prise de conscience globale du niveau stratégique aujourd'hui qu'est devenu la finance durable ?
12:00 Oui. C'est un petit oui. Non, en fait, effectivement, on se rend bien compte qu'aujourd'hui, c'est très stratégique.
12:07 Mais on en parlait un petit peu, c'est l'éléphant qui accouche d'une souris. C'est comment à un moment, on va quand même prendre des décisions
12:14 qui sont à la hauteur des enjeux. Voilà, ça fait quand même maintenant longtemps, ça fait trois ans que nous, qu'on existe au sein de l'association,
12:21 qu'on a un peu toujours le même discours, c'est de se dire quand est-ce qu'on va prendre des vraies décisions qui vont aller dans le bon sens et avoir un réel impact.
12:27 Attention à ne pas dévoyer les objectifs initiaux, c'est ce que vous nous dites. Merci beaucoup, Olivia Blanchard, d'être venue sur le plateau de Smart Patrimoine.
12:33 Je rappelle que vous êtes fondatrice et présidente des acteurs de la finance responsable. Merci à vous et on se retrouve tout de suite dans Enjeu Patrimoine.

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