• il y a 4 jours
Vendredi 13 décembre 2024, SMART IMPACT reçoit Jérôme Saddier (Président du conseil d'administration, groupe Crédit Coopératif)

Category

🗞
News
Transcription
00:00Prêt pour l'impact, c'est une nouvelle rubrique dans notre émission, c'est la question que je pose chaque semaine à un ou une CEO, chef d'entreprise, ministre, économiste, personnalité, engagé, ce succède sur ce plateau et je suis très heureux d'accueillir Jérôme Sadier, bonjour.
00:18Bonjour à vous.
00:19Bienvenue, vous êtes le président du Crédit Coopératif. Tiens, on va commencer par une question toute bête, c'est quoi une banque coopérative ?
00:26C'est tout simplement une banque qui appartient entièrement à ses clients, ça c'est d'un point de vue juridique, et puis la plupart du temps, les histoires de nos banques coopératives,
00:36puisqu'il y a le Crédit Coopératif bien sûr depuis 1893, mais les banques populaires, les caisses d'épargne, le crédit agricole, le crédit mutuel, sont les banques coopératives françaises
00:46et qui d'ailleurs pèsent la majorité, de loin, du marché de la banque de détail en France.
00:50Il est né le Crédit Coopératif il y a quoi, il y a près de 130 ans c'est ça ?
00:54Alors oui, en 1893, son histoire c'est qu'à l'époque, en fait la grande banque de l'époque, dont certaines grandes banques existent encore,
01:01ne finançait que les grandes familles et la révolution industrielle et pas du tout les besoins des entrepreneurs de terrain, etc.
01:08Le Crédit Coopératif, lui, est né de la demande des coopératives ouvrières qui n'avaient pas accès au crédit,
01:13comme les banques populaires sont nées des petits entrepreneurs ou des commerçants ou des artisans qui n'avaient pas accès au crédit non plus,
01:21les agriculteurs n'avaient pas non plus accès, donc chacun a créé ses banques pour y parvenir.
01:25C'est quoi le périmètre du Crédit Coopératif aujourd'hui ?
01:28Le Crédit Coopératif sait tout faire, il sait faire tous les métiers de la banque absolument sans exception.
01:36Il fait évidemment de la banque de détail pour d'abord des entreprises et des associations, des mutuelles, des coopératives,
01:45en fait c'est son terrain de jeu initial.
01:47On est d'abord une banque de personnes morales, comme on dit, et puis on est devenu une banque de particuliers progressivement à partir des années 1990
01:55et de plus en plus aujourd'hui à vrai dire, donc on touche un public large mais un public qui se retrouve d'abord dans ce que le Crédit Coopératif affirme comme principe d'action.
02:05Prêt pour l'impact ? C'est la question centrale de cet entretien, de ce grand entretien.
02:13Évidemment quand on est présent du Crédit Coopératif, on l'est peut-être un peu plus que dans d'autres banques,
02:19mais ça veut dire quoi l'engagement pour la transition environnementale ?
02:22Écoutez, on a parfois un débat entre nous sur le terme impact.
02:26Comme il est rentré dans le langage courant et qu'il englobe pas mal de dimensions, on l'a fait nôtre également,
02:33alors on préfère qualifier l'impact plutôt que de choisir le terme tout seul impact.
02:37On peut rajouter positif derrière.
02:39Il peut être positif, c'est quand même mieux, il peut être négatif.
02:41Si vous avez un impact sur votre pare-brise de voiture, je ne suis pas sûr que ce soit positif en fait, mais dont acte.
02:46Parlons d'impact, évidemment le Crédit Coopératif a un projet qui émane de ses clients eux-mêmes en fait,
02:52et de sociétaires qui ont demandé au fil des années que leur argent ne serve pas à n'importe quoi.
02:58Historiquement c'était pour servir aux besoins de ses clients exclusivement.
03:02D'ailleurs on était une banque, comme toutes les banques coopératives au départ, une banque coopérative fermée.
03:06On ne prêtait qu'à ceux qui devenaient sociétaires de la banque et donc qui avaient des dépôts.
03:11Après nous nous sommes ouverts parce que la réglementation bancaire nous y a conduit de toute façon,
03:16mais on a décidé de rester fidèles à l'idée que ce sont nos sociétaires qui décident ce qu'on doit faire de l'argent.
03:22Et des sociétaires, de façon de plus en plus nombreuses, nous ont d'abord demandé d'agir dans leurs intérêts directs,
03:28une économie réelle, ancrée sur les territoires.
03:31Ensuite, puisqu'on s'est ouvert beaucoup au monde associatif, au secteur sanitaire et social,
03:35le monde du handicap, le monde de la solidarité internationale,
03:38des organisations nous ont demandé de ne pas faire n'importe quoi avec leur argent et de l'orienter vers eux principalement.
03:44Et puis on a eu aussi le tournant de la transition écologique.
03:47Il y a pas mal d'années maintenant, on nous a demandé d'être pionniers dans le financement des énergies vertes par exemple.
03:54Ça c'était pour la partie positive et en même temps de réduire nos engagements, à vrai dire on n'en avait pas trop,
04:00sur un certain nombre de secteurs qui, eux, étaient censés avoir un impact négatif, comme on parlait avec Lebo d'aujourd'hui.
04:05Oui, donc ça veut dire qu'il y a des secteurs que vous ne financez pas, très clairement. Lesquels ?
04:08Absolument. On a choisi d'exclure certains secteurs.
04:11Ça fait déjà 30 ou 40 ans qu'on est sur ces sujets-là.
04:14Dans le secteur de l'énergie, on exclut tout financement d'une énergie carbonée.
04:19On était pour le coup assez pionniers.
04:21Et aujourd'hui, 100% de nos financements vers le secteur de l'énergie sont tournés vers les renouvelables.
04:27On était pionniers, il y a du solaire, en France.
04:29Et aujourd'hui, tout le monde s'y met.
04:31Donc on est un peu moins en position majoritaire.
04:35Mais on a été aussi engagés sur la transformation des terres agricoles en terres bio.
04:41On était les premiers à le faire.
04:43Mais on exclut parallèlement à ça les phytosanitaires.
04:46On exclut l'industrie du tabac, le secteur de l'armement aussi.
04:50Même si ça peut être aujourd'hui sujet à débat d'exclure.
04:53Mais aujourd'hui, tout le débat qu'on a, c'est de ne pas raisonner seulement en termes d'exclusion.
04:59Mais aussi de raisonner en termes proactifs.
05:02Dire que sur certains secteurs qui sont vraiment dans la transition, il faut qu'on mette le paquet.
05:06Et pas l'énergie nucléaire.
05:08Est-ce que ce n'est pas justement un modèle un peu daté de refuser de financer l'énergie nucléaire ?
05:14Je pense qu'il y a un sujet à débat.
05:16Je ne pense pas que les grands producteurs d'énergie nucléaire aient besoin du crédit coopératif pour financer leurs activités.
05:21Pour être tout à fait honnête.
05:23Ce débat-là sur l'énergie nucléaire, en fait, il a été chez nous mené dans les années 70.
05:28Lorsqu'il y avait encore grande confusion.
05:30D'abord entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire.
05:34C'est la première chose.
05:36Deuxièmement, c'est vrai que par rapport au choix...
05:38Et puis il y avait la grille de lecture idéologique des verts allemands.
05:41Qui ont été les premiers, les plus offensifs et qui s'est imposée un peu partout.
05:44Oui, c'est vrai.
05:45Même si, objectivement, ça n'a pas vraiment d'écho en tant que tel dans notre sociétariat.
05:49C'est un peu tout qui est pragmatique par rapport à ses besoins.
05:52Mais c'est vrai qu'il y avait ce grand débat qui n'a pas vraiment évolué de manière constructive, on va dire, dans notre pays.
05:58Après, moi je suis prêt à ce qu'on ait un débat.
06:01Mais jusqu'à nouvel ordre, l'énergie nucléaire n'est pas non plus une énergie renouvelable.
06:05Le jour où elle sera renouvelable, on pourra, je pense, en reparler plus sereinement.
06:08Mais par rapport au choix stratégique que nous devons faire en tant que pays et pas forcément en tant que banque.
06:12C'est celui qu'il faudra choisir.
06:14L'une des rubriques de cette interview, c'est la question du CEO.
06:19Alors, la semaine dernière, mon invité, notre invité, c'était Julien Denormandie, l'ancien ministre.
06:24Qui est aujourd'hui à la fois dans la start-up Sweep et dans le fonds Impact Raise.
06:28Et voici ce qu'il voulait vous demander.
06:31On écoute.
06:32Bonjour Monsieur Sadier.
06:33Julien Denormandie.
06:34Je suis très heureux de vous poser une question.
06:36Je sais votre engagement vis-à-vis du groupe coopératif.
06:39Il me semble, il me semble que le capitalisme est chronophobe.
06:44C'est-à-dire qu'il a peur du temps.
06:46Souvent on dit, le temps c'est de l'argent.
06:48Je pense qu'en fait, la réalité, c'est que pour le capitalisme, toute minute perdue est de l'argent non gagné.
06:54Comment dans le monde coopératif, comment dans ce monde financier que vous appelez de vos voeux,
06:59prenez-vous en compte cette tyrannie des temps ?
07:02Cher par exemple à Mac Carné.
07:04Merci beaucoup.
07:06La tyrannie des temps.
07:08Toute minute perdue pour le capitalisme est de l'argent non gagné.
07:12Comment vous prenez en compte cette tyrannie des temps ?
07:15Est-ce que vous la ressentez ?
07:17Évidemment qu'une banque coopérative, elle est par définition orientée vers le temps long.
07:22L'essentiel de ce que nous faisons, à vrai dire, n'a pas d'impact immédiat.
07:26Nos financements sont plutôt des financements de long terme, d'ailleurs appuyés sur la ressource de long terme.
07:32Puisque, je le dis au passage, nous ne travaillons qu'avec l'argent de nos déposants.
07:36On ne va pas se financer sur les marchés financiers.
07:38Nous ne financerons que ce qui vient de nos sociétaires et de nos clients qui déposent de l'argent chez nous.
07:43Ce qui nous fait une forme de garantie par rapport aux crises financières.
07:50Ça nous protège, à vrai dire.
07:51Donc nous, évidemment, on est plutôt orienté vers le temps long.
07:54Après, on a une régulation financière qui n'est pas toujours suffisante
08:00pour limiter les aspects qu'évoquait Julien Denormandie de prédation
08:08qui sont aujourd'hui, je ne pense pas qu'ils soient ontologiquement liés au capitalisme en tant que tel,
08:13mais qui aujourd'hui sont devenus une caractéristique du monde capitaliste
08:16qui a besoin de rentabilité immédiate dès lors que, d'abord,
08:20le capitalisme est devenu moins un outil de financement de l'économie en tant que tel,
08:24mais d'abord un outil de maximisation du profit aidé par des modèles mathématiques d'une part,
08:29aidé par la technologie d'autre part, qui favorisent cette rendabilité à très très court terme.
08:34Et les investisseurs de ce monde capitaliste dans le domaine financier
08:38cherchent essentiellement du profit à court terme et donc une maximisation des rendements.
08:43Avec des machines de l'IA qui font qu'on essaye d'aller de plus en plus vite,
08:48de gagner la micro seconde.
08:51D'aller plus vite et d'agréger de plus en plus de données par ailleurs
08:54qui sont favorables à la décision dans le monde financier,
08:57ce qui peut accélérer les mouvements de va-et-vient dans les entreprises en termes d'investissement.
09:02Ce qui n'est pas le cas dans le monde coopératif non plus,
09:04parce que nous finançons, non seulement nous sommes une banque coopérative,
09:06nous finançons beaucoup de coopératives qui elles-mêmes ne sont pas soumises aux investisseurs extérieurs,
09:11donc sont protégées par rapport à ça.
09:14Et ce qui pose la question de la compréhension par l'humain lui-même
09:17des mécanismes de prise de décision de machines dopées à l'IA
09:22qui vont de plus en plus vite et qui sont de plus en plus complexes.
09:25Tout à fait, ce qui fait que dans notre coopérative bancaire,
09:27parce que j'aime dire que nous sommes d'abord une coopérative bancaire,
09:30une banque coopérative, nous essayons de faire l'éducation financière
09:33de façon à ce que nos clients comprennent comment ça marche par ailleurs.
09:36Parce que je pense que dès lors qu'on ne comprend plus les phénomènes,
09:39ça affaiblit notre relation, en l'occurrence à une banque,
09:44mais au-delà de ça, ça affaiblit notre confiance en la démocratie, je pense.
09:47Vous avez publié, je crois que c'est la sixième édition de votre observatoire,
09:51« Du sens de l'argent ».
09:53Déjà, je trouve que le titre est intéressant.
09:56Pourquoi chercher le sens de l'argent ?
09:59Déjà, il y a une première raison.
10:01On s'est dit au Crédit coopératif que ce serait bien
10:03qu'en tant que banque, nous parlions publiquement d'argent.
10:06Figurez-vous qu'il n'y a pas beaucoup de banques
10:08qui parlent d'argent dans leur communication.
10:10On est un peu à rebours de ce qu'on a pu faire nous-mêmes pendant des années.
10:14On a parlé beaucoup de valeurs, de principes d'engagement.
10:17On le fait toujours, à vrai dire.
10:19Mais j'observe que la plupart de nos concurrents sont d'abord sur les valeurs
10:21et pas du tout sur l'argent.
10:23Pourquoi ces banques-là, on honte de parler de leur métier principal
10:27et de la raison pour laquelle les clients les choisissent ?
10:30Peut-être parce qu'ils ne sont pas tout à fait fiers
10:32de ce qu'ils font de l'argent de leurs clients.
10:34Nous, comme on n'a pas à rougir de ce que nous faisons de l'argent de nos clients,
10:37on va parler d'argent.
10:39C'est vrai qu'aujourd'hui, dans la grande transformation économique et sociale
10:43dans laquelle nous sommes en train,
10:45on est plongé dedans, on ne se rend pas toujours compte, à vrai dire.
10:49Quand on regardera l'histoire dans 20 ou 30 ans,
10:52on se dira que cette période-là a été une période de grande transformation.
10:55Il n'y a pas de raison de ne pas interroger le sens de l'argent
10:58dans cette période de transformation.
11:00Chaque année, nous faisons un observatoire des sens de l'argent
11:03où nous choisissons un angle particulier.
11:05Cette année, c'était sur les jeunes.
11:07Des jeunes qui sont moins pessimistes qu'on pourrait imaginer.
11:1180% des 16-24 ans se déclarent heureux.
11:1471% confiants en l'avenir.
11:17Est-ce que ça vous a surpris ?
11:19Ou est-ce que finalement, vous ressentiez ça
11:22avec vos jeunes clients et les projets qu'ils peuvent porter et vous proposer ?
11:27D'abord, première observation,
11:29si les jeunes commençaient à être pessimistes, on est mal barrés.
11:32C'est vrai qu'on a une génération qui souffre aujourd'hui
11:35et qui a beaucoup souffert, notamment de la période du Covid.
11:37Il faut y faire très attention.
11:39Mais généralement, à vrai dire, les Français ne sont pas malheureux
11:42dans la sphère privée.
11:44Ils expriment le fait qu'ils ont une vie qui leur paraît plutôt bonne.
11:47Évidemment, on connaît des difficultés économiques,
11:50de logement, d'emploi, relationnelles aussi.
11:53Il y a une forme de souffrance, de solitude, de rupture des liens.
11:57Parfois, une certaine nostalgie.
11:59Mais fondamentalement, les Français ne sont pas malheureux.
12:01C'est ce que disent les enquêtes sérieuses.
12:03Il n'y a pas de surprise par rapport aux jeunes.
12:07Par contre, évidemment que la grande bascule par rapport aux jeunes,
12:10c'est ce qu'ils expriment dans cet observatoire,
12:12dont 77% de mémoire,
12:14à dire qu'ils veulent que leur argent serve à quelque chose d'utile.
12:18Utile à eux, ils l'expriment sans fard.
12:21Très bien, c'est logique d'ailleurs.
12:23Ce ne me paraît pas totalement anormal.
12:25Mais aussi, en même temps, utile à la société.
12:27C'est ce que je résume par rapport aux formules qui ont été employées
12:30par des sociologues.
12:32Ils nous recherchent à la fois le bonheur privé par l'argent,
12:35soit financer des projets, gagner de l'argent,
12:37ça fait du bien quand même quelque part,
12:39mais aussi bonheur public.
12:41C'est-à-dire que l'argent qui est le leur,
12:43au-delà de l'argent public en tant que thème,
12:45l'argent qui est le leur, qu'ils confient à leur banque,
12:47serve au bonheur public également.
12:49Donc, ça veut dire que cet argent doit être employé
12:51à des choses qui sont utiles à la société et à l'environnement.
12:54On va ouvrir nos rubriques.
12:56Je vous propose une photo dans ce prêt pour l'impact.
13:00C'est la photo de Benoît Hamon.
13:02Pourquoi Benoît Hamon ?
13:04Vous avez travaillé pour plusieurs ministres,
13:07et notamment entre 2012 et 2014,
13:09chef de cabinet de Benoît Hamon
13:11au ministère de l'économie sociale et solidaire.
13:13Déjà, c'est la question qui a été posée à Juvien de Normandie
13:17la semaine dernière,
13:19en comparant le levier de l'action politique
13:21et le levier du secteur économique.
13:24Où est-ce que vous vous sentez le plus efficace ?
13:26Là où vous êtes aujourd'hui,
13:28ou à l'époque, avec Benoît Hamon, en lançant des réformes ?
13:30Ce n'est pas le même registre.
13:32Il n'y a pas une comparaison d'efficacité.
13:34Dans l'action publique,
13:36on est efficace un certain temps.
13:39C'est souvent borné par le temps.
13:41Parfois, c'est très court.
13:43On peut en parler en ce moment.
13:45Il y a des cabinets ministériels
13:47qui sont en train de faire leur baise.
13:49Effectivement, trois mois, c'est court pour faire quelque chose.
13:51L'action politique,
13:53peut-être malheureusement à certains égards,
13:55n'a pas le temps devant elle.
13:57C'est bien le problème qu'ont aujourd'hui
13:59ceux qui s'engagent dans la voie politique,
14:01ce qui n'est pas mon cas,
14:03mais qui s'engagent dans la politique
14:05parce qu'il faut rechercher un impact,
14:08qui soit aussi court que possible.
14:10Le problème, c'est qu'il ne faut pas confondre ça
14:12avec la communication.
14:14Ancrer l'action publique dans l'urgence
14:16et dans le temps long, ce n'est pas simple.
14:18On a cette demande contradictoire.
14:20C'est une injonction contradictoire
14:22que la politique soit efficace tout de suite
14:24alors qu'on sait très bien qu'elle peut rarement l'être.
14:26Il faut marquer les esprits
14:28et s'inscrire dans le temps long,
14:30ce qui est un peu l'inverse de l'entreprise.
14:32D'ailleurs, ça incite certains politiques
14:34à ne pas se préoccuper des thématiques
14:37ou des décisions qui auront un effet
14:39dans 15 ou 20 ans.
14:41Oui, mais l'inverse est vrai aussi.
14:43C'est vrai aussi de certains chefs d'entreprise
14:45qui ont le nez sur leur guidon,
14:47qui ne voient pas forcément au-delà de leurs intérêts.
14:49Moi, je pense que l'entreprise doit être aussi politique
14:51au sens de sa conception,
14:53de sa place dans la cité,
14:55de sa responsabilité sociale, environnementale,
14:57bien sûr, mais aussi territoriale, par exemple.
14:59Je pense que la politique n'a pas de leçons
15:01à donner à l'entreprise,
15:03mais l'inverse est vrai aussi.
15:06On n'est pas sous le même registre,
15:08mais par contre, si on pouvait réconcilier
15:10les domaines d'activité et la façon
15:12de comprendre l'intérêt collectif
15:14qu'il y a à avancer ensemble,
15:16je pense qu'en fait, le pays s'en sortirait mieux.
15:18Devenir ministre, c'est une proposition
15:20qui ne se refuse pas ?
15:22Pour ce qui me concerne, en général.
15:24Moi, je suis très heureux
15:26dans ce que je fais aujourd'hui,
15:28très sincèrement, on va dire.
15:30Je pense que, pour répondre
15:32à votre question précédente,
15:34le crédit coopératif s'inscrit dans le temps long.
15:36L'action ministérielle,
15:38aujourd'hui, me semble effectivement
15:40parfois un peu trop fugace
15:42pour permettre de s'épanouir.
15:44Après, je suis un bon républicain
15:46attaché à mon pays,
15:48attaché à l'intérêt général,
15:50au-delà des convictions personnelles que je peux avoir.
15:52Je respecte celles des autres,
15:54et si la question devait se présenter,
15:56évidemment que ça se réfléchit.
15:58On ne dit pas non par principe à ce genre de choses,
16:00mais qu'en fait, il s'en va pour quoi faire.
16:02– Vous avez, alors,
16:04ministère de l'économie sociale et solidaire,
16:06ensuite, vous avez présidé l'ESS France,
16:08l'organisation qui représente les acteurs,
16:10les actrices de cette économie sociale et solidaire.
16:12Ils continuent de gagner du terrain,
16:14ce modèle ?
16:16On se posait la question d'un nouveau capitaliste
16:18qui est en train de se réinventer,
16:20ou en tout cas de se remodeler.
16:22Est-ce que c'est de ce côté-là
16:24qu'il faut chercher les bonnes pratiques,
16:26les exemples à suivre ?
16:28– Moi, je pense que l'ESS ne gagne pas suffisamment de terrain.
16:30Il y a un regret que j'ai par rapport à la loi
16:32que nous avions fait en sorte
16:34de promouvoir en 2014,
16:36c'est qu'elle n'a pas été suivie
16:38de grandes politiques publiques
16:40qui auraient pu mettre de l'ESS un peu partout.
16:42Je ne pense pas que l'OSS va remplacer
16:44toutes les autres formes d'économie.
16:46Par contre, dans certains secteurs d'activité,
16:48ou pour réfléchir
16:50à la façon dont l'entreprise, en général,
16:52doit évoluer demain en termes de gouvernance,
16:54de représentation de ses parties prenantes,
16:56je pense qu'il est matière à nourrir
16:58un grand débat, voir des stratégies.
17:00On a eu France 2030 qui n'a laissé
17:02aucune place à l'économie sociale et solidaire.
17:04Ça, je pense que c'est effectivement dommage.
17:06Après,
17:08l'OSS, je pense
17:10qu'elle a pas mal
17:12de points positifs par rapport
17:14au moment que nous sommes en train de vivre.
17:16– Vous la financez beaucoup d'ailleurs
17:18avec le Crédit Coopératif, par définition.
17:20– Le Crédit Coopératif a été quasiment créé pour ça,
17:22à l'origine, parce que je rappelle
17:24que l'économie sociale et solidaire,
17:26toutes les coopératives,
17:28de commerce, de banque, je ne vais pas citer de marque,
17:30les commerces, les banques bien évidemment,
17:32mais aussi les scopes,
17:34il y a des coopératives d'artisans,
17:36des coopératives dans à peu près tous les domaines de la vie,
17:38dans l'industrie aussi, par ailleurs,
17:40mais les associations, les mutuels,
17:42les entreprises aujourd'hui qui se disent
17:44engagées et qui choisissent ce modèle-là,
17:46donc on finance au Crédit Coopératif
17:48à peu près tout ce qui existe dans l'économie sociale et solidaire.
17:50On a été longtemps,
17:52non seulement les premiers,
17:54les seuls à la financer,
17:56aujourd'hui on est plusieurs et c'est tant mieux à vrai dire.
17:58Le Crédit Coopératif garde un temps d'avance
18:00évidemment par rapport à cet environnement
18:02qu'il a contribué à structurer par ailleurs.
18:04– Vous êtes également le Président de Bouchetoncoq.
18:06Bouchetoncoq, c'est un mouvement
18:08citoyen et solidaire au service
18:10de la revitalisation des territoires ruraux.
18:12Si on rentre dans le détail, ça passe par quelles actions ?
18:14– Ah, écoutez,
18:16moi mon engagement il est personnel,
18:18pour le coup, il n'est pas lié au Crédit Coopératif,
18:20mais parce que je suis
18:22d'une famille qui est plutôt originaire
18:24de la ruralité à vrai dire.
18:26– De quelle région ?
18:28– De Haute-Savoie historiquement.
18:30Et de petites villes qui auparavant
18:32étaient à la fois rurales mais en même temps
18:34avaient aussi de la petite industrie et formaient
18:36des ensembles à peu près cohérents de populations
18:38qui rayonnaient dans un territoire.
18:40Tout ceci a été
18:42fragilisé, pour parler par euphémisme,
18:44voire même plus gravement atteint
18:46par la désindustrialisation d'abord
18:48qui a tué en fait la petite industrie
18:50de notre pays,
18:52et son étant suivi derrière
18:54la disparition des services publics,
18:56les difficultés
18:58de transport,
19:00et puis la vie a changé par ailleurs,
19:02l'agriculture n'est plus aussi pesante qu'elle l'était auparavant,
19:04le monde rural qui n'est pas que l'agriculture
19:06par ailleurs, c'est ces gens qui ont
19:08mode de vie, subis ou choisis,
19:10qui décident
19:12de vivre en harmonie avec
19:14si ce n'est la nature, du moins l'environnement,
19:16moins minéral que les villes,
19:18qui ont le droit d'y vivre en fait.
19:20C'est étonnant de dire ça quand même.
19:22Oui mais ça me semble important de le rappeler en fait,
19:24c'est qu'on n'est pas tous obligés d'aller vivre en ville
19:26pour avoir un emploi, pour avoir accès aux services publics,
19:28et aujourd'hui malheureusement,
19:30c'est les deux domaines d'action qu'on a choisis,
19:32ce sont les épiceries,
19:34on a créé 200 épiceries associatives,
19:36on aura d'ici la fin de l'année créé 200 épiceries
19:38associatives dans des villages
19:40où il n'y avait plus rien, et ces épiceries
19:42rendent un service, mais à vrai dire,
19:44au-delà du service direct, elles rendent plein de services
19:46directs, elles organisent de la mobilité pour les personnes,
19:48ça redevient un lieu de convivialité,
19:50il n'y a même plus un café pour se retrouver,
19:52ça permet à des gens, même dans des villages, de se rencontrer
19:54et de se connaître alors qu'ils ne se connaissaient pas,
19:56ni se rencontraient auparavant.
19:58Le deuxième domaine d'action, c'est l'accès à la médecine,
20:00puisque l'accès à la médecine
20:02de campagne, comme on disait auparavant,
20:04est aujourd'hui
20:06dans une situation extrêmement inquiétante,
20:08je ne parle même pas des spécialistes,
20:10là c'est une catastrophe,
20:12et je ne vois pas comment on peut se résigner
20:14à ce que ça soit comme ça,
20:16sans qu'on fasse rien.
20:18J'ai reçu, il reprend le temps,
20:20les médecins solidaires, j'imagine que vous connaissez.
20:22On est co-fondateurs des médecins solidaires.
20:24C'est pour ça que...
20:26Je suis co-président des médecins solidaires.
20:28Petite erreur dans ma préparation de l'émission,
20:30je n'avais pas cette info.
20:32Alors d'ailleurs,
20:34vous avez participé à ce livre
20:36« Toi des villes et moi des champs »
20:38consacré aux ruralités du XXIe siècle,
20:40publié par la Fondation Jean Jaurès
20:42dans les éditions de l'Aube,
20:44et on y a puisé une citation,
20:46voici la citation de ce prêt pour l'impact,
20:48qui dit de ceci,
20:50« La société rurale, elle est vivante,
20:52dynamique, solidaire,
20:54tout en étant percluse d'inégalités
20:56et de mauvais traitements publics. »
20:58Je voudrais qu'on se concentre
21:00sur ces mauvais traitements publics.
21:02De quoi il s'agit ?
21:04D'abord, j'assume totalement
21:06cette citation,
21:08elle est de moi effectivement.
21:10La société rurale n'est pas plus
21:12ni moins dynamique que le reste de la société.
21:14En fait, nos sociétés bougent de partout.
21:16C'est totalement sous les radars.
21:18Malheureusement, les politiques ne le voient quasiment pas.
21:20On ne va pas revenir sur pourquoi,
21:22parce que ce n'est pas l'objet de l'émission.
21:24Mais ce n'est pas parce qu'on est dans la ruralité
21:26et qu'il y a des difficultés
21:28que les gens ne se bougent pas.
21:30Ils font plein de choses en fait.
21:32D'ailleurs, dans l'ESS, 25% des emplois privés
21:34sont en zone rurale.
21:36Ce n'est pas pour rien.
21:38Il y a des associations, il y a le rôle des mutuelles
21:40qui est important également, et des coopératives agricoles
21:42dans le monde rural.
21:44Il existe plein de choses.
21:46Par contre, les services publics se sont retirés.
21:48Et ça, c'est gravissime à vrai dire.
21:50Et quand je parle de mauvais traitements publics,
21:52c'est qu'en fait, malgré le fait
21:54que des élus locaux,
21:56malgré le fait que des réseaux associatifs
21:58tirent la sonnette d'alarme en permanence,
22:00je ne peux pas qualifier ça autrement
22:02que des mauvais traitements.
22:04Les mauvais traitements, c'est intentionnel.
22:06Quand on ne réagit pas,
22:08et ça fait des années qu'il n'y a plus de réaction,
22:10voire même, à contrario, un repli des services publics,
22:12on ne traite pas les gens comme il faut.
22:14Et c'est pour ça que j'appelle ça,
22:16un peu crûment, des mauvais traitements
22:18publics, parce que les décideurs politiques
22:20ne sont pas à la hauteur de ce qu'il faudrait faire
22:22pour des personnes qui, encore une fois,
22:24ont le droit de vivre dans ces zones-là.
22:26Ils sont propriétaires
22:28de leur maison, de leur logement,
22:30la plupart du temps, ils ont envie de vivre comme ça.
22:32Ils assument le fait
22:34d'être parfois loin
22:36des centres de vie, d'emploi, etc.,
22:38de faire des déplacements
22:40un peu longs, qui leur coûtent de l'argent,
22:42pour ça qu'ils ont besoin de voitures,
22:44que les débats sur le carburant
22:46ne sont pas neutres, évidemment.
22:48Ils ont le droit d'avoir des loisirs,
22:50d'avoir l'accès à la santé, ils ont le droit,
22:52ils paient des impôts comme tout le monde,
22:54donc il y a des décisions à prendre en considération.
22:56Pourquoi elles ne sont pas prises ou plus prises ?
22:58C'est une logique de rentabilité
23:00appliquée à la décision publique,
23:02au service public.
23:04Il coûte trop cher de maintenir des services publics
23:06pour des populations moins importantes.
23:08L'effort de management public a amené à ça.
23:10Il y a un problème de raréfaction de la ressource publique,
23:12si ce n'est raréfaction,
23:14à mon sens, de mauvaise orientation
23:16des dépenses publiques.
23:18Il y a un problème de représentation politique aussi,
23:20puisque la plupart des décideurs politiques
23:22ne sont plus issus, ne sont plus élus
23:24dans les zones rurales, alors que ça représente
23:26des dizaines de millions de Français.
23:28Je pense que tout ça,
23:30mis bout à bout,
23:32il y a d'autres phénomènes,
23:34tout ça fait qu'il y a
23:36une forme d'invisibilisation de ce monde rural
23:38qui nous semble aujourd'hui
23:40très problématique.
23:42Il a des conséquences électorales
23:44et il ne faut pas s'en étonner,
23:46et il est en rupture avec notre histoire.
23:48Notre histoire est fondée aussi sur le monde rural.
23:50Est-ce qu'un Emmanuel Macron
23:52qui s'est présenté comme le président
23:54de la Start-up Nation quand il est arrivé
23:56a mis trop de temps
23:58à se retourner, et s'il tentait
24:00qu'il se soit tourné vers le monde rural ?
24:02Je pense qu'il ne s'est jamais tourné vers le monde rural,
24:04hormis l'épisode des cahiers de doléances
24:06du Grand Débat National.
24:08Je ne sais pas s'il a lu
24:10des cahiers de doléances, à vrai dire.
24:12Il a rencontré dans le Grand Débat National
24:14certes un auditoire
24:16sélectionné, mais néanmoins
24:18je pense qu'il ne peut pas
24:20ne pas avoir touché du doigt
24:22la réalité qui était exprimée.
24:24On ne peut pas dire qu'il se soit en suivi
24:26d'une chose de concret. Je pense que
24:28de toute façon, le fait d'incarner
24:30à sa demande une Start-up Nation
24:32suivi en cela par la façon
24:34que les services publics organisent leurs activités.
24:36L'exclusion numérique
24:38est un sujet qui est aujourd'hui majeur dans notre pays
24:40et notamment au monde rural.
24:42Non pas seulement parce que les gens ne sont pas formés
24:44aux outils, mais parce qu'on n'a pas accès
24:46au réseau, tout simplement.
24:48Moi j'habite dans la Nièvre, où heureusement que la fibre
24:50est arrivée grâce au département il y a deux ans,
24:52mais avant ça je n'avais pas la 4G.
24:54On ne peut pas y travailler.
24:56Quand on vous demande de faire des démarches
24:58pour accéder aux services publics,
25:00alors même que vous n'avez pas de réseau internet pour y parvenir,
25:02c'est problématique.
25:04Je vais vous citer l'anecdote.
25:06Chaque année, en zone semée rurale,
25:08les McDo
25:10accueillent un pic de connexion
25:12au moment des parcours SUP.
25:14Parce que c'est l'endroit
25:16où on peut se connecter sans trop de problèmes.
25:18Je pense que c'est quand même un sujet.
25:20Pardon pour l'anecdote.
25:22Non, mais ce n'est pas une chaîne de fast-food
25:24de devenir un service public.
25:26On est bien d'accord.
25:28Merci beaucoup Jérôme Sadié, c'était passionnant.
25:30Merci d'avoir participé à ce grand entretien
25:32et à bientôt sur BeSmart for Change.
25:34On passe à notre rubrique Start-up tout de suite.

Recommandations