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Berangère Lepetit et Elsa Marnette, journalistes au Parisien, signent "Babyzness. Crèches privée : l'enquête inédite" (Robert Laffont). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-07-septembre-2023-6752302

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00:00 Sonia Devilleur, vos invités sont journalistes aux Parisiens, aujourd'hui en France.
00:04 « Baby's nest », leur enquête choc sur les crèches privées, parait aux éditions
00:08 Robert Laffont, ou comment de grands groupes se font de l'argent sur le dos de nos bébés.
00:12 Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, bonjour à toutes les deux.
00:16 Bonjour.
00:17 Alors, on a tous en tête cette histoire atroce dans une crèche People and Baby à Lyon.
00:22 Une petite fille de 11 mois, morte aspergée au destop par une auxiliaire puéricultrice
00:28 qui faisait le ménage en même temps qu'elle accueillait les bébés et qui était seule.
00:31 Est-ce que la maltraitance est l'apanage des crèches privées Bérangère Lepetit ?
00:36 Non, non, non, ce n'est pas l'apanage des crèches privées, ça on le rappelle dès
00:39 l'introduction de notre livre.
00:41 Nous, on a décidé de centrer notre attention sur les crèches privées parce qu'en fait
00:48 c'est un secteur en pleine expansion en France.
00:50 Il faut savoir qu'aujourd'hui c'est 80% des places de crèches qui ouvrent appartiennent
00:53 au secteur privé lucratif.
00:55 Et par ailleurs, ça a commencé en mars 2022, donc avant ce qu'on a appelé le drame de
01:00 Lyon, que vous venez de rappeler, on a été, Elsa et moi, contactés par des parents qui
01:07 en Ile-de-France, dans les Yvelines et en Seine-Saint-Denis, nous ont fait part de dysfonctionnements
01:12 graves qui touchaient les micro-crèches privées de leurs enfants, qui avaient des soupçons
01:17 de négligence, il y en a même un qui a porté plainte pour mise en danger de la vie d'autrui.
01:22 Et on s'est dit là qu'il y avait quelque chose à creuser.
01:24 Elsa Marnette, vous égrenez les coupures de presse à Bordeaux, dans les Hauts-de-Seine,
01:32 dans le nord de la France, dans le sud de la France, en Seine-et-Marne, vous égrenez
01:37 les coupures de presse.
01:39 Vous égrenez aussi des histoires terrifiantes, des histoires terrifiantes que les enfants
01:44 ne peuvent pas raconter, parce qu'on parle là d'une population qui ne peut pas s'exprimer.
01:48 Oui, les enfants ne peuvent pas parler.
01:52 On a des parents qu'on a rencontrés qui ont porté plainte pour ce qui est arrivé
01:58 à leurs enfants.
01:59 Et souvent, ces plaintes sont classées sans suite, justement pour ça, parce qu'il n'y
02:06 a pas de témoin, les auxiliaires, les personnels ne vont pas forcément raconter ce qui s'est
02:14 passé.
02:15 Et on arrive à des situations où personne ne sait ce qui s'est passé.
02:18 On parle d'enfants qui s'enfuient à quatre pattes d'une crèche parce que la crèche
02:22 est ouverte.
02:23 On parle d'enfants retrouvés le visage couvert d'hématomes en sortant de la crèche.
02:27 Oui, on a notamment rencontré une maman des Yvelines dont l'enfant a passé près d'une
02:35 heure hors de la crèche, parce qu'une auxiliaire de périculture avait laissé la porte ouverte
02:42 et personne ne s'est rendu compte que l'enfant est parti, jusqu'à ce que la directrice
02:47 sorte de réunion et dise "mais attends, tu avais quatre enfants et tu n'en as plus
02:53 que trois".
02:54 Il en manque un.
02:56 Bérangère Lepetit, vous égrenez aussi toutes les mesures d'économie sur le matériel.
03:02 On parlera ensuite de la pénurie de personnel.
03:04 Mais que vous racontent les personnels qui travaillent en crèche ?
03:07 C'est ça.
03:08 Donc en fait, on a rencontré beaucoup de directrices, de salariés, d'anciennes salariés qui
03:15 étaient partis parce qu'elles étaient un peu dégoûtées.
03:17 Ce qu'elles nous racontent, c'est qu'en fait c'est assez informel, rien n'est
03:21 inscrit noir sur blanc, mais il y a des quotas de couches, donc ce n'est pas plus de trois
03:25 par jour par enfant, même si l'enfant est malade.
03:27 Ça va être des rationnements aussi sur les repas, donc toujours prévoir un petit
03:32 peu moins au cas où il y aurait un enfant absent, ce serait trop dommage qu'il y ait
03:36 un reste.
03:37 Voilà, tout est décidé à l'économie, il est joué aussi.
03:41 J'ai rencontré une salariée qui me disait qu'il n'y avait que deux livres dans la
03:44 crèche, donc elle racontait tous les jours 40 fois la même histoire.
03:47 Elle me disait que même pour nous, finalement, ce n'est pas agréable de travailler dans
03:54 ces conditions-là.
03:55 On nous a parlé de chauves-biberons défectueux qui brûlaient les enfants, qui faisaient
04:00 des tâches sur les bras des enfants.
04:02 On nous a raconté aussi des salariés qui arrivent le matin et il n'y a pas à manger,
04:08 donc elles sont obligées d'aller faire les courses à la super-aide du coin ou de
04:11 ramener des goûters de chez elles, de piocher dans les bissuits de leurs propres enfants
04:17 pour donner à manger aux enfants de la crèche, de bananes coupées en trois pour le goûter.
04:21 Enfin voilà, on a eu beaucoup de témoignages comme ça.
04:24 Elsa Marnette, il y a un vrai focus dans le livre sur ce qu'on appelle des micro-crèches.
04:28 Vous allez nous expliquer ce que c'est ? Parce que la micro-crèche, ça donne l'impression
04:31 aux parents que c'est un cocon justement, où il y aura une vraie proximité entre les
04:36 parents et le personnel encadrant et justement où l'enfant sera choyé.
04:41 Au contraire, on voit là qu'il y a une vraie opacité dans le fonctionnement des
04:45 micro-crèches.
04:46 En fait, les crèches privées, elles ont commencé à ouvrir au début des années
04:49 2000 et en 2010, c'est le décret Morano qui généralise les micro-crèches.
04:55 Donc au départ, on peut accueillir neuf enfants dans une micro-crèche et en fait, au fil
05:00 des années, la puissance publique n'aura de cesse d'augmenter le nombre d'enfants
05:06 qu'on peut accueillir dans ces micro-crèches.
05:08 Maintenant, on est passé à 12 voire à 14 dans certaines conditions dérogatoires.
05:12 Et en fait, c'est des petites structures où il y a moins de normes, où le matin
05:18 ou le soir, une professionnelle peut être seule pour s'occuper des enfants.
05:22 Et c'est des structures qui sont moins surveillées.
05:25 Ça a explosé en fait dans les années 2010-2020.
05:30 Et voilà.
05:31 Oui, Bérangère Le Petit, c'est aussi l'histoire de structures que peut ouvrir n'importe
05:39 qui d'entre nous s'il a un peu de trésorerie.
05:40 On n'est pas obligé d'être diplômé de la petite enfance pour ouvrir sa micro-crèche.
05:43 C'est ça, c'est quand même assez étonnant.
05:45 En fait, finalement, il faut avoir quand même un peu d'argent de côté pour ouvrir
05:50 sa micro-crèche.
05:51 Mais aujourd'hui, quiconque peut ouvrir une micro-crèche.
05:54 La condition par contre, c'est d'employer ce qu'on appelle un référent technique
05:59 qui lui sera diplômé de la petite enfance et devra ensuite gérer la structure.
06:04 Mais bon, n'empêche que le gestionnaire lui-même, il n'a aucune compétence en
06:08 la matière.
06:09 Babylou, Les Petits Chaperons Rouges, People and Baby, La Maison Bleue.
06:13 Voilà les quatre grands groupes qui dominent très largement le marché de la crèche privée
06:19 lucrative.
06:20 Dans les crèches privées, il y a aussi les crèches privées associatives.
06:22 Mais là, on parle des crèches privées lucratives.
06:25 C'est un marché qui rapporte, Bérangère Le Petit, 6% de rentabilité, qui attire même
06:29 les fonds d'investissement.
06:30 Et là, on parle de groupes qui ont grandi très vite.
06:33 Qui ont grandi très vite, oui.
06:35 Alors, vous dites 6% de rentabilité, il y a même un rapport de Ligas qui disait que
06:39 ça pouvait monter jusqu'à 40%.
06:41 Voilà, donc ça dépend forcément des établissements, de leur position géographique.
06:47 En tout cas, aujourd'hui, c'est 80% des places de crèche qui ouvrent, je l'ai dit
06:52 tout à l'heure.
06:53 Ça représente 25% des crèches en France.
06:57 Et aujourd'hui, les communes, en fait, qui elles, ont des baisses de dotations, préfèrent
07:03 souvent passer par des entreprises.
07:06 Parce que c'est vrai qu'ouvrir une crèche dans une commune, ça prend du temps, c'est
07:10 des sous, c'est de l'argent, c'est chronophage.
07:13 Et du coup, on préfère, par souci d'économie, de praticité, passer par une entreprise.
07:20 Et par ailleurs, Elsa Marnet, c'est un secteur qui s'est largement structuré en
07:25 termes de lobbying.
07:26 C'est un lobbying même assez agressif.
07:30 C'est-à-dire que les communes, les collectivités territoriales sont draguées, approchées
07:34 en permanence et qu'au moindre drame, tout est verrouillé.
07:37 Au départ, en fait, il n'existait rien.
07:41 Et petit à petit, en fait, il y a une concurrence qui s'est mise en place entre ces groupes
07:46 qui maintenant comptent des centaines d'établissements, qui vont se livrer concurrence pour racheter
07:52 des réseaux, pour s'étendre sur le territoire près des entreprises.
07:57 Et on a rencontré lors de notre enquête des commerciaux qui nous ont raconté comment
08:03 ça faisait partie de leur mission d'ouvrir le plus de crèches possibles.
08:07 Il y a aussi une attention toute particulière portée au groupe People and Baby, dirigé
08:17 par Christophe Durieux, une politique très agressive, une politique expansionniste très
08:21 agressive, notamment vis-à-vis de la concurrence et puis des fournisseurs avec lesquels on
08:26 négocie très durement.
08:27 Une pression mise aussi sur les salariés, sur les directrices de crèches.
08:31 C'est ça, oui.
08:32 C'est ce que, en fait, un chef d'entreprise qui nous a dit, Christophe Durieux, et au
08:37 deal broglin, parce que c'est un couple, ils sont deux, c'est lui qui a développé
08:41 finalement le low cost de la petite enfance, le terme est assez fort.
08:44 Et c'est eux qui ont commencé à baisser vraiment les coûts, ça a fait s'effondrer
08:52 le marché.
08:53 Et aujourd'hui, ils proposent à des tarifs défiant toute concurrence des places en crèche
08:59 aux villes.
09:00 En fait, ça a commencé comme ça.
09:02 Du coup, les villes contentent aussi de pouvoir proposer des places de crèche aux habitants.
09:08 Un dernier mot pour toutes les deux.
09:10 Aurore Berger vous répond, elle dit qu'elle n'a pas encore lu votre livre.
09:13 Aurore Berger vous répond que, évidemment, le gouvernement est au courant, l'État
09:18 est au courant, l'administration est au courant.
09:20 Il y avait déjà eu une inspection de l'IGAS, que votre enquête arrive après, en réalité,
09:25 les inspections administratives.
09:26 En fait, il y avait déjà eu d'autres rapports de l'IGAS en 2017, en 2021, qui pointaient
09:33 déjà la rentabilité des entreprises de crèche privée.
09:36 Donc là, c'est un troisième rapport.
09:39 Il va falloir attendre de voir ce que ça va donner.
09:45 Effectivement, le gouvernement a annoncé pas mal de choses début juin, le service
09:49 public de la petite enfance.
09:50 Après, ce qu'on peut dire, c'est que le rapport de l'IGAS, c'est pour les "initiés".
09:55 L'idée, c'est de faire quelque chose de grand public, que les citoyens, les familles,
10:00 les parents de jeunes enfants s'approprient aussi ce sujet et soient mieux informés.
10:05 Et achète ce livre "Babysness" qui paraît chez Robert Laffont.
10:08 Merci à toutes les deux.

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