Avec Gilles Kepel, Professeur des Universités et titulaire de la Chaire Moyen-Orient Méditerranée.
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NewsTranscription
00:00 - Il est 8h33, bonjour à toutes et à tous et merci d'être avec nous.
00:04 C'est un plaisir de vous retrouver.
00:06 Notre invité ce matin, Gilles Kepel, professeur des universités, orientaliste, écrivain.
00:12 Gilles Kepel, bonjour. - Bonjour.
00:14 - Merci d'être avec nous. Vous publiez "Prophètes en son pays" aux éditions de l'Observatoire.
00:18 C'est un récit.
00:20 On vous suit dans le monde arabe, musulman, dans les banlieues de l'islam en France, ou en Europe, ou plus loin,
00:26 en Égypte ou ailleurs, plus de 40 années passées à observer, rencontrer, analyser, comprendre le monde musulman.
00:35 Un récit, hein Gilles Kepel ? - Oui, tout à fait.
00:37 - Avant tout. - C'est un récit très incarné, puisque d'une certaine manière c'est à la fois ma vie,
00:42 depuis mon départ en Égypte il y a 25 ans jusqu'à aujourd'hui, où l'université me dit de partir le plus vite possible.
00:49 Et en même temps, à travers l'expérience qui a été la mienne, c'est en réalité une sorte de réflexion sur le bouleversement du monde.
00:58 En Égypte, en 1981, je suis là quand Sadat est assassiné.
01:04 Et aujourd'hui je suis encore très présent sur l'actualité, en accompagnant tel dignitaire à l'étranger,
01:12 ou en observant les choses qui se passent dans la société française de très près.
01:16 - Alors Gilles Kepel, je reviendrai sur l'Égypte d'ailleurs, parce que l'exemple égyptien est très intéressant dans la montée de l'islamisme.
01:23 L'interdiction de l'Abaya et du Kami a agité évidemment la rentrée scolaire, dans le secondaire, provoquant de violents débats.
01:30 Pourquoi, j'avais envie de vous poser la question Gilles Kepel, pourquoi tant de débats,
01:35 tant de débats occultant finalement tous les autres sujets de la rentrée ? Pourquoi selon vous ?
01:42 - Alors, il y a quelque chose de symbolique qui est très fort, et moi ça me rappelle, et c'est aussi dans le récit que vous évoquez,
01:47 la commission Stasi dont j'ai été membre il y a exactement 20 ans, nous nous réunissions.
01:53 Jacques Chirac nous avait convoqués, réunis à la fin juin, et on faisait des quantités d'auditions
01:59 de toutes sortes d'acteurs de la société civile, éducative et autres,
02:03 pour essayer de comprendre pourquoi il y a eu la volonté de porter le voile dans l'espace scolaire,
02:11 subventionné par l'Etat ou directement étatique, privé, conventionné ou non.
02:16 Et on s'est rendu compte que c'était l'organisation des frères musulmans,
02:21 qu'on appelait à l'époque l'Union des organisations islamiques en France,
02:24 qui était derrière et qui avait pour but de marquer que désormais pour eux,
02:29 la France faisait partie de ce qu'ils appelaient le dhar al-Islam.
02:32 C'est-à-dire que pour les jeunes musulmans et musulmanes, ou les plus âgés de la société française,
02:36 qui étaient nés en France et élus en France, ils devaient pouvoir faire respecter les injonctions de la charia
02:42 dans leur domaine personnel, disait-il.
02:44 Et c'est quelque chose qui nous avait amené beaucoup à réfléchir,
02:49 et qui avait abouti à ce qu'on avait appelé la loi de 2004,
02:55 qui prohibait le port de signes religieux ostentatoires dans l'espace public.
03:00 Il y avait ensuite eu des manifestations de femmes qui défilaient avec des voiles tricolores, etc.
03:05 Mais finalement, après le vote de la loi, les chefs d'établissement, les proviseurs, les directrices, les principaux, etc.
03:13 ont pu normalement vaquer à leurs occupations éducatives,
03:15 alors que depuis des années, ils étaient empoisonnés en passant leur temps à faire des choses qui n'étaient pas leur boulot,
03:22 c'est-à-dire préparer les dossiers pour le tribunal administratif, puis pour le conseil d'État.
03:26 Le conseil d'État avait tergiversé avec un certain nombre d'avis, si vous voulez,
03:30 depuis l'époque de Lionel Jospin, qui depuis, vous l'avez remarqué, d'une certaine manière,
03:35 entre-temps, il est passé aux affaires comme Premier ministre,
03:37 il a peut-être une meilleure appréciation des choses,
03:39 et il a dit qu'au fond, il a regretté à l'époque ça, d'avoir pas bien compris le phénomène à avoir analysé,
03:46 et à partir du moment où il y avait eu une loi, les choses ont été beaucoup plus simples.
03:50 La situation aujourd'hui n'est pas complètement différente,
03:53 puisque simplement, les frères musulmans ne sont plus en position de force,
03:57 le Qatar, qui les soutenait beaucoup, n'a plus besoin d'eux contre l'Arabie Saoudite,
04:02 l'Arabie Saoudite elle-même, c'est ça qui est tout à fait frappant,
04:04 a complètement supprimé le port obligatoire de l'Abaïa,
04:08 depuis que Mohammed Ben Salmane est là, c'est fini,
04:11 et j'ai eu l'occasion de raconter que cet été, sur la côte d'Azur,
04:14 je rencontrais des jeunes saoudiennes en short et en crop top,
04:17 qui se faisaient des selfies, alors bon, comme je parle arabe,
04:20 je disais à discuter avec elles, je dis "oui c'est formidable, maintenant c'est fini", etc.,
04:23 y compris à l'aéroport de Nice,
04:25 et à côté de ça, vous avez d'autres dames musulmanes,
04:29 d'origine, de nationalité française, papiers français,
04:33 qui ont l'Abaïa, qui ont le vol...
04:35 - Ça veut dire qu'en Arabie Saoudite, on s'éloigne de l'Abaïa,
04:38 et en France, on s'en rapproche, on va partout.
04:40 - Pas dans toute la France, évidemment, mais si vous voulez, le paradoxe...
04:43 - Certains s'en rapprochent, le paradoxe est là, ça c'est très très intéressant.
04:47 - Si vous voulez, ça pose aussi la question,
04:49 ça va, il y a le débat, si c'est un signe religieux, c'est moins signe religieux.
04:52 - Alors, attendez, je vais, avant de vous poser cette question,
04:55 parce que je vais vous la poser, mais je voudrais qu'on regarde l'actualité,
04:58 vous avez vu ces lycéens enseignants de St'Ain, Seine-Saint-Denis,
05:02 qui ont manifesté, qui se mettent en grève,
05:04 qui ont même crié "non" à la police du vêtement,
05:06 fiers d'être musulmanes.
05:08 - Au collège Maurice Utrillo, oui.
05:10 - Vous avez vu aussi peut-être l'émission de Cyril Hanouna,
05:13 vous avez vu ce témoignage ? - Non.
05:15 - Non, vous n'avez pas vu le témoignage de Neila,
05:17 c'est une jeune fille de 16 ans, voilée de la tête aux pieds,
05:19 à l'exception du visage,
05:21 qui, avec son père, expliquait que la baïa n'est pas un vêtement religieux,
05:24 mais une robe.
05:25 Le père, qui est un militant islamiste, d'ailleurs,
05:28 membre de l'association qui gère une mosquée,
05:30 strasbourgeoise fermée pour radicalisation.
05:32 C'est donc très intéressant, elle n'était pas là par hasard,
05:35 et le père ne l'a pas faite venir par hasard,
05:38 elle n'est pas venue par hasard.
05:40 Bien, ça veut dire quoi ?
05:42 Voilà ce que disait ce père, il disait
05:45 "l'État n'a pas le droit de définir ce qui est religieux ou ne l'est pas".
05:49 C'est vrai ou pas ?
05:51 - Il ne faut pas faire attention, je ne connais pas le cas que vous mentionnez,
05:54 mais je me rappelle quand même une histoire de père
05:57 qui avait interprété des propos, à l'époque du reste,
06:01 qu'on a découvert mensonger de sa fille
06:03 pour incriminer un professeur qui aurait monté des caricatures du prophète,
06:06 ça avait abouti, le président de la République l'a rappelé récemment,
06:09 dans une interview avec Hugo.
06:11 - À la mort de Samuel Paty.
06:12 - À l'assassinat.
06:13 - Exactement.
06:14 - À l'exécution de Samuel Paty.
06:16 - Je pense qu'il ne faut quand même pas exagérer,
06:18 parce qu'aujourd'hui, dans une France qui a été traumatisée
06:21 par les 272 morts, au moins causées par Daech,
06:24 milliers de blessés, jusqu'à l'assassinat d'un professeur Samuel Paty.
06:28 Maintenant, je voudrais aussi abonder dans votre sens,
06:33 parce que l'abaya serait l'arbre qui cache la forêt des problèmes de la jeunesse.
06:40 C'est un problème qu'il faut traiter en soi.
06:43 Et pourquoi on parle, s'il est pas sans religieux ou non,
06:46 laissez-moi terminer, parce que justement,
06:48 la loi telle qu'elle est sortie des réflexions de la commission Stasi,
06:52 il y a 20 ans, était justement le port de signes religieux ostentatoires.
06:58 - L'impliquité.
07:01 - Oui, c'est aussi, les gens qui souhaitent l'abaya,
07:04 veulent dire, si ça n'est pas un signe religieux,
07:06 la loi ne s'applique pas.
07:07 C'est ça l'argumentaire de ce père ou d'autre.
07:10 Alors, l'abaya comme tel n'est pas un signe musulman,
07:14 puisqu'on peut être musulman de mille manières.
07:17 On n'est pas obligé de porter l'abaya, c'est un signe du salafisme.
07:20 C'est tout à fait différent.
07:21 C'est le marqueur du salafisme, ça a été mis en place dans la péninsule arabique.
07:26 Abaya c'est un terme en arabe, ça veut dire une robe longue, c'est tout.
07:30 Ça n'a rien de particulier.
07:31 Et le kamis, on prononce le S, la chemise.
07:34 Ça veut dire le mot chemise et le mème d'ailleurs.
07:36 Et donc, c'est quelque chose qui a été imposé par le salafisme,
07:40 rigoriste en Arabie Saoudite, ultra rigoriste, c'est le wahhabisme,
07:44 au moment où les femmes sortaient des harems, sortaient dans l'espace public.
07:48 Aujourd'hui, tout ça en Arabie Saoudite, ça n'existe plus.
07:50 Il y a des gens qui continuent à le pratiquer s'ils le désirent,
07:52 mais ça n'est plus du tout une obligation.
07:54 Mohammed bin Salmane a éliminé cette obligation.
07:57 Et comme je vous l'ai rappelé tout à l'heure,
07:59 un grand nombre de Saoudiennes ne veulent plus en entendre parler.
08:02 Pour elles, c'est la fin de l'oppression.
08:04 Alors, donc, ce n'est pas un vêtement religieux,
08:07 c'est un vêtement salafiste, d'une typique...
08:10 de musulman, au sens large, mais salafiste,
08:12 c'est-à-dire d'une conception ultra rigoriste de l'islam,
08:15 qui, et on avait déjà vu ça au moment de la commission Stasi,
08:18 qui surtout a pour but d'influencer les autres jeunes filles
08:22 de confession musulmane, en leur disant,
08:25 si tu n'es pas comme ça, tu es une mauvaise musulmane,
08:27 tu es une mécréante, etc.
08:29 Et c'est ça, c'est ce processus-là que nous avions voulu...
08:33 - Qui se réitère, qui se renommasse.
08:36 - Voilà, mais on a changé de monde en 20 ans,
08:40 Jacques Bourdin, vous le savez.
08:42 Aujourd'hui, c'est les réseaux sociaux,
08:44 il n'y a plus ces organisations, disons, léninistes
08:47 du monde islamique, qui étaient les frères musulmans,
08:50 mais il y a des réseaux sociaux qui, en permanence,
08:53 dénoncent les mécréants,
08:55 c'est ce qu'on appelle dans le langage salafiste et en arabe,
08:58 "al-walaa wal-baraa".
09:00 "Al-walaa", ça veut dire l'allégeance complète
09:03 à la religion dans ses normes les plus strictes,
09:05 donc là, on est dans le fait du vêtement
09:07 qui est une injonction religieuse,
09:09 même si le vêtement lui-même n'est pas religieux,
09:11 et c'est pour le Conseil d'État que je dis ça,
09:13 et d'autre part, "al-balaa", ça veut dire
09:15 on se libère, on se déclare innocent,
09:18 on se désavoue, dans le sharabia des traductions,
09:21 "d'avec", se désavouer d'avec, ça se dit pas en français,
09:24 des normes et des lois de la société française.
09:27 Ce sont les mécréants, on n'a pas à vivre comme eux.
09:29 - Le Conseil d'État qui va rendre sa décision aujourd'hui.
09:33 - Voilà, on va bien voir ce qu'il dira.
09:35 - Vous espérez que le Conseil d'État approuve la décision du ministre ?
09:40 - Je n'espère rien, le Conseil d'État dit la loi dont je l'attends.
09:44 Je viens de donner mon interprétation des choses,
09:48 après on verra si le Conseil d'État considère
09:51 que le propos de l'orientaliste a de la valeur ou non.
09:53 - Est-ce que vous avez vu qu'il y a une campagne de diffamation
09:56 contre la France ? Vous avez vu ça, venu de Turquie, évidemment,
09:59 après l'interdiction. - Oui, ça c'est habituel,
10:01 M. Erdogan est ce que mon collègue Bernard Rougier
10:05 appellerait un "entrepreneur de colère".
10:07 Rappelez-vous, au moment de l'affaire Samuel Paty,
10:11 et surtout après le discours des Mureaux,
10:13 le discours sur le séparatisme,
10:15 le séparatisme, ça n'est rien d'autre,
10:17 quand le président de la République a utilisé ce terme,
10:19 ça n'est rien d'autre que la traduction en français
10:21 du concept de "Elwala Walbaraa", si vous voulez,
10:24 le président l'avait bien compris.
10:26 Et donc Erdogan a monté cette gigantesque campagne
10:30 en disant que Macron était fou, qu'il devait aller consulter un psychiatre,
10:34 il était peut-être fou, mais 15 jours après,
10:36 dans le même département des Yvelines,
10:38 à quelques kilomètres de l'endroit où il avait fait le discours,
10:40 aux Mureaux, en hommage au policier Jean-Baptiste Salvin
10:44 qui avait été poignardé, ainsi que sa femme,
10:47 par Larocie Abadla, lequel m'avait ensuite condamné à mort
10:50 après, en vidéo.
10:53 Donc, 15 jours après, Samuel Paty
10:56 était tué, au nom de ces mêmes principes,
10:59 dans ce département.
11:00 Donc, malheureusement, le président avait,
11:02 non pas été pris d'une crise de folie,
11:04 mais avait parlé par anticipation.
11:06 Le problème, c'est qu'on n'avait pas réussi à l'époque
11:09 à empêcher ce geste.
11:10 Depuis lors, la prévention de ce type de phénomène
11:13 est beaucoup plus importante.
11:15 Et bien évidemment, il est de la responsabilité
11:18 des dirigeants politiques d'éviter qu'il y ait de nouveau
11:21 ce type de risque qui en condamne,
11:23 qui en aboutit à ce que vous avez.
11:25 Mais je voudrais revenir sur une question
11:26 à laquelle je n'ai pas répondu, mais j'ai posé.
11:27 - Allez-y.
11:28 - Est-ce que ça n'est pas l'arbre qui cache la forêt ?
11:30 Évidemment, ça intervient dans un contexte
11:33 où l'éducation nationale est dans une situation très difficile.
11:37 Premièrement, et je le dis comme professeur,
11:39 fus professeur des universités,
11:41 je me sens en totale solidarité
11:43 avec tous mes collègues d'enseignement
11:45 depuis les instituteurs de maternelle,
11:48 du primaire et du secondaire,
11:51 qui sont aujourd'hui traités par l'État français
11:54 et ses Françaises,
11:55 comme le lumpenproletariat.
11:57 Les salaires des enseignants n'ont jamais été revalorisés
12:00 par rapport aux privés.
12:01 Aujourd'hui, quand vous êtes prof,
12:03 trouver un logement ou une location,
12:04 c'est la croix et la bannière.
12:06 Autrefois, les enseignants étaient ce qu'on appelait
12:08 les hussards noirs de la Troisième République.
12:10 Ils étaient correctement payés,
12:12 ils étaient reconnus et valorisés.
12:14 Aujourd'hui, ils sont totalement dévalorisés socialement.
12:17 Et ce sont eux à qui on demande,
12:19 en les traitant aussi mal,
12:20 de défendre la République face à ses atteintes.
12:23 Là, il y a une véritable réflexion,
12:25 une véritable urgence,
12:26 et j'en appelle à M. Attal,
12:28 qui semble désormais très aux manettes
12:31 dans son ministère,
12:32 et au Président de la République lui-même,
12:34 pour faire quelque chose,
12:35 pour s'adresser aux malaises de ces enseignants.
12:38 Après, il ne faut pas s'étonner
12:39 si le corps enseignant, aujourd'hui,
12:42 est séduit par les sirènes d'un côté et de l'autre,
12:45 parce que l'État, dont ils sont le socle principal,
12:48 les a laissés tomber.
12:50 - Alors, j'ai mille questions à vous poser, Gilles Kepel,
12:52 mais je voudrais regarder politiquement,
12:55 y a-t-il exploitation politique de cette situation ou pas ?
12:59 Aujourd'hui, à gauche, vous êtes à l'origine un homme de gauche,
13:01 votre père était communiste...
13:03 - Voilà, moi j'ai été protesquiste quand j'étais jeune,
13:06 mais d'une secte très anti-mélenchoniste.
13:08 - Vous avez vendu "Rouge" ?
13:09 - Oui, j'ai vendu "Rouge",
13:10 qui était le journal dirigé par Hedou Plenel,
13:12 à l'époque le camarade Krasny,
13:14 lequel me crache dessus régulièrement,
13:16 mais bon, je suis prêt à débattre avec lui,
13:18 s'il le souhaite.
13:19 - Bon, beaucoup accusent élites et opinions d'islamophobie
13:24 à la moindre critique de l'islam.
13:26 Est-ce que c'est une posture de victimisation ?
13:30 Est-ce qu'il y a aujourd'hui la volonté d'être...
13:33 justement, de se positionner comme victime
13:37 pour effacer, pourquoi pas, des crimes ?
13:40 - Alors, je sais pas si c'est pour effacer des crimes,
13:42 mais la victimisation est effectivement une posture
13:44 qui s'inscrit dans une logique politique
13:47 qui est très...
13:49 dans le vocabulaire politique de l'islam,
13:51 on distingue, dès l'époque prophétique,
13:54 ce qu'on appelle la phase de force,
13:55 "marhalat el-temkine" en arabe,
13:57 et la phase de faiblesse,
13:58 "marhalat el-ested'af",
13:59 c'est-à-dire que,
14:00 lorsque la communauté est forte militairement,
14:04 elle passe à l'offensive.
14:05 La communauté, ou ceux qui imaginent la représenter,
14:08 ils comptent par exemple les extrémistes.
14:09 L'exemple de force, c'est Daesh,
14:12 qui estime qu'ils ont pas de force,
14:14 et qui va commencer à faire ces attentats
14:16 et ces massacres sur le territoire français,
14:18 espérant ainsi une réaction de solidarité
14:22 des musulmans,
14:23 qui s'en sont totalement dissociés,
14:25 et qui l'ont, dans leur immense majorité,
14:27 rejeté, marginalisé.
14:28 Aujourd'hui, Daesh ayant été affaibli,
14:31 ceux qui partagent plus ou moins
14:33 cette idéologie de rupture,
14:35 qu'elle soit en principe non-violente salafiste,
14:37 ou violente djihadiste,
14:39 l'idéologie de rupture,
14:40 l'idéologie de l'wala wal-bala,
14:41 dont je vous ai parlé tout à l'heure,
14:43 ceux-là, pour se renforcer,
14:45 adoptent une posture de victimisation.
14:48 Pour dire, pour faire des adeptes,
14:51 et dire "vous voyez, nous sommes dénoncés comme musulmans".
14:53 Je crois qu'il faut le répéter mille fois,
14:55 qu'on interdire la baïa,
14:57 quelle que soit la décision qu'on prendra
14:59 le Conseil d'État tout à l'heure,
15:00 ça n'a rien d'une stigmatisation
15:02 des musulmans en général.
15:04 L'immense majorité de nos compatriotes musulmans,
15:08 et je voudrais le répéter,
15:09 sont parfaitement intégrés en France,
15:12 sont heureux d'être français,
15:13 et du reste, si autant de gens qui viennent
15:15 du sud de la Méditerranée,
15:17 et qui sont originaires du monde musulman,
15:19 veulent s'installer en France,
15:21 de manière légale ou illégale,
15:23 c'est peut-être aussi parce que la France
15:24 n'est pas le pays monstrueux
15:26 qui est dépeint par les adeptes de l'islam politique.
15:30 - Voilà, de l'islam,
15:32 les islamo-gauchistes,
15:33 l'islam politique,
15:35 finalement, à leurs yeux,
15:37 la laïcité française est devenue fascisante.
15:40 On en est presque là.
15:41 - Oui, c'est pire, c'est l'abomination de la désolation,
15:43 si vous voulez.
15:44 Pourquoi ? Parce que justement,
15:45 la laïcité permet l'expression
15:48 de toutes les religions dans l'espace public,
15:51 à condition de respecter l'ordre public.
15:53 Et à partir du moment où la vie scolaire
15:56 est perturbée dans les établissements publics
15:58 ou les établissements subventionnés
16:00 par ce type de revendications,
16:02 l'ordre public n'est plus respecté.
16:04 - À tel point, et c'est un paradoxe,
16:06 qu'on voit des militants LFI,
16:08 ou des dirigeants LFI,
16:10 et certains écologistes,
16:12 ressembler à des libéraux anglo-saxons.
16:14 Maintenant décomplexés.
16:16 - Oui, alors ça c'est une autre question.
16:19 C'est cette chose tout à fait stupéfiante
16:21 qu'on pourrait appeler le pacte de Médine,
16:23 qui a été signé avec le rappeur en question.
16:27 Si vous regardez Jean-Jacques Bourdin,
16:28 "Médine" sur l'internet,
16:29 vous avez que l'homonymie des moteurs de recherche
16:32 fait qu'on ne sait plus de quoi il s'agit.
16:34 "Médine" y a écrit "rappeur islamique français"
16:37 et "Ville Sainte" présentement en "Arabie Saoudite".
16:40 Et donc ce pacte que, du côté des écolos,
16:44 on a eu 37 degrés hier à Paris,
16:47 on pourrait penser que l'écologie est une cause
16:49 aujourd'hui importante,
16:51 qui mérite qu'on s'intéresse surtout
16:53 aux dérèglements climatiques,
16:55 et pas à...
16:56 Alors c'était très étonnant, Mme Tondelier,
16:58 à accueillir à bras ouverts un rappeur
17:01 qui publie son rap "Donte laïque"
17:03 début janvier 2015,
17:06 une semaine avant les assassinats de Charlie Hebdo,
17:09 dans lequel il faut scier l'arbre de la liberté
17:11 avant de le mettre en terre.
17:12 Donc avec un rappeur qui scie les arbres,
17:14 on appréciera cette vision d'écologie au passage.
17:17 Et il faut crucifier les laïcars comme un Golgotha.
17:20 Mais je crois qu'il y a surtout là
17:23 une volonté de la part de cette mouvance
17:26 de s'agréger des voies aussi
17:30 de profiter de la victimisation.
17:33 Et c'est ça, ça me surprend,
17:34 vous avez mentionné,
17:35 effectivement, j'ai toujours voté à gauche
17:37 toute ma vie,
17:38 dans une vision de la gauche qui était universaliste
17:40 et surtout intégratrice.
17:42 Je suis aussi un fils d'immigré,
17:43 je sais ce que c'est.
17:45 Mon père, qui a été communiste,
17:47 vous le rappelez aussi,
17:48 a souffert, quand il était jeune,
17:50 d'un sentiment de ne pas être pleinement intégré
17:52 chez les Françaises.
17:53 Il en a ajouté peut-être pour l'être ensuite.
17:55 Et le résultat, c'est que
17:58 au lieu de favoriser l'intégration
18:02 des étrangers dans l'Etat français,
18:04 de leur permettre de s'épanouir comme Français,
18:07 cet alliance, ce pacte de Médine
18:10 que fait l'extrême-gauche,
18:11 LFI, les autres,
18:13 avec des musulmans radicaux,
18:15 a pour conséquence qu'on redouble
18:18 le clivage de classe dont on veut sortir
18:20 par le travail,
18:21 par une sorte de clivage identitaire,
18:24 de réification identitaire.
18:26 Comme s'il fallait rendre prisonnier
18:29 d'une identité qu'on ne pouvait pas dépasser
18:31 des gens qui habitent
18:33 dans des quartiers défavorisés,
18:35 et obtenir lors des prochaines municipales,
18:37 par exemple, des votes de blocs,
18:40 des blocs de voix identitaires
18:42 qui vont permettre à tel ou tel
18:43 d'obtenir des municipalités.
18:45 Alors après, ça c'est une conception du politique,
18:47 mais dans ce cas-là, il faut le dire,
18:49 ça fait partie du débat.
18:50 - Mais le "hawkisme" vient aussi du monde anglo-saxon.
18:53 Même chose, même chose.
18:55 - C'est ça qui est autant plus frappant.
18:56 - Et l'islamo-gauchisme font bon ménage.
18:59 - Ils s'entendent très bien,
19:00 ainsi que le décolonialisme,
19:01 c'est tout ça qui est en train de me pousser
19:03 dehors de l'université,
19:04 vous le comprendrez par les propos que je tiens,
19:06 et qui sont basés sur mon expérience vécue
19:09 dans le monde universitaire.
19:11 Le master sur le monde arabe et musulman,
19:14 où on a exigé la connaissance de la langue,
19:16 a été fermé pour être remplacé par quelque chose
19:18 sur le sud global.
19:20 Et donc,
19:21 rien à voir avec celui de Radio, je précise,
19:23 et donc, effectivement,
19:25 ce qui est très frappant,
19:26 c'est de voir que tous ces gens
19:28 qui pourfendent la langue française,
19:30 la langue des lumières,
19:31 comme une langue quasiment pré-nazie
19:34 qui a préparé les crimes de la colonisation, etc.
19:37 le font en anonnant les termes
19:40 qui viennent de l'impérialisme américain,
19:42 c'est l'ancien gauchiste qui parle,
19:44 sans avoir la moindre distance critique avec eux,
19:46 et qui transposent des débats
19:48 sur le genre, sur le woke,
19:51 sur le politiquement correct, etc.
19:53 qui viennent des campus américains,
19:55 qui ne sont pas complètement innocents non plus,
19:57 dont on ne fait pas l'analyse au passage.
19:59 Et c'est ça que je trouve tout à fait stupéfiant.
20:01 - Bien, moi je voudrais vous parler
20:03 des autodafés de Coran au Danemark.
20:06 Le Danemark a décidé d'interdire
20:09 ces autodafés de Coran.
20:11 Est-ce que le délit de blasphème est réinstauré ?
20:14 C'est ce que dit Charlie Hebdo ?
20:17 - Oui, j'ai eu mes différences
20:21 avec Charlie Hebdo dans le passé.
20:24 Moi, je ne trouve pas que
20:27 on avait eu avec Maître Malka,
20:31 lorsqu'était parue la Une de Charlie,
20:34 où on voyait quelqu'un qui montrait
20:37 son postérieur avec une étoile dedans,
20:39 avec, je ne sais plus qui était,
20:41 un prophète aîné, un truc comme ça.
20:43 Je trouvais que ça n'était plus
20:45 du blasphème contre une religion,
20:47 ce qu'on a le droit de faire.
20:49 On peut attaquer les religions tant qu'on veut en France,
20:52 mais que c'était quelque chose
20:54 qui avait passé la barrière
20:56 et qui humiliait des individus
20:58 appartenant à telle ou telle religion
21:00 en train d'exercer leur dévotion,
21:02 ce qu'ils ont le droit de faire.
21:04 Je me refuse à franchir cette ligne.
21:06 Il ne s'agit pas de loi, il s'agit de santé nationale.
21:08 Je l'avais dit à Maître Malka,
21:10 qui s'était fait un peu fâcher, d'ailleurs,
21:12 sur une autre antenne d'une radio publique
21:14 où on m'invitait à l'époque.
21:16 - Vous n'en aviez plus, d'ailleurs ?
21:18 - Plus beaucoup.
21:20 - Wauquisme ?
21:22 - Donc, si vous voulez,
21:24 je suis là-dessus.
21:26 Sur le blasphème même,
21:28 la situation au Danemark
21:30 et en Scandinavie,
21:32 qui sont des pays
21:34 qui ont eu une politique
21:36 extrêmement libérale,
21:38 d'accueil,
21:40 parce qu'ils avaient déjà une crise démographique importante
21:42 bien avant nous, d'accueil de populations
21:44 réginaires du Moyen-Orient, etc.
21:46 - Oui, mais le Danemark
21:48 est un pays qui a fermé ses frontières.
21:50 - Qui justement, du fait de la non-mise
21:52 en place de politiques,
21:54 d'intégration culturelle,
21:56 se sont retrouvés face
21:58 à des phénomènes d'enclave et de ghetto
22:00 qui, tout d'un coup, ont terrorisé la population,
22:02 qui se sont traduits par ce qui
22:04 nous pend au nez ici, si on laisse cette situation
22:06 se continuer, c'est-à-dire
22:08 une montée en puissance gigantesque
22:10 de l'extrême droite,
22:12 qui s'est emparée du système du pouvoir
22:14 et qui, aujourd'hui, a mis en place des mesures
22:16 complètement contraires.
22:18 Donc, il me semble que ce n'est pas une histoire blasphème,
22:20 c'est surtout
22:22 est-ce qu'on prend des mesures qui permettent
22:24 qu'il y ait une intégration
22:26 harmonieuse des populations
22:28 qui s'installent en France,
22:30 qui sont issues
22:32 de cultures différentes
22:34 de la tradition judéo-chrétienne,
22:36 ça, ça fait déjà l'entraîne, et je crois que
22:38 la France met en place ce genre de choses
22:40 et c'est ce qui nous permet
22:42 d'éviter, parce que le déni
22:44 et la politique de l'autruche, quand les élites
22:46 sont dans la politique de l'autruche, ensuite
22:48 l'extrême droite fait ses choux gras
22:50 de ça et rafle la mise électoralement.
22:52 C'est ce qui s'est passé en Scandinavie,
22:54 j'espère que
22:56 nos gouvernants seront suffisamment bien
22:58 inspirés pour que nous n'en soyons pas
23:00 nous n'arrivions pas là.
23:02 - Bien, merci Gilles Kepel
23:04 d'être venu nous voir,
23:06 c'est un peu le...
23:08 je disais "récit" au début, "un prophète
23:10 dans son pays", édition de l'Observatoire,
23:12 "récit", c'est un peu le récit d'une vie,
23:14 hein ? - Oui, ben c'est un demi-siècle,
23:16 j'ai commencé à étudier l'arabe
23:18 il y a à peu près 50 ans,
23:20 et je ne le connais toujours pas, vous savez,
23:22 quand on est entre arabisans,
23:24 ce qu'on peut dire de mieux d'un autre,
23:26 parce qu'on se déteste tous, comme les journalistes,
23:28 comme les politiciens, etc.,
23:30 c'est de dire "il sait
23:32 de l'arabe", et
23:34 jamais l'arabe, et
23:36 c'est une langue que j'adore,
23:38 j'en parle un certain nombre, mais vraiment,
23:40 et chaque jour j'apprends des mots,
23:42 et grâce à l'internet,
23:44 maintenant j'ai un clavier arabe sur mon téléphone,
23:46 je peux communiquer en arabe
23:48 avec mes copains arabes, etc., que ce soit
23:50 en langue classique ou en dialecte,
23:52 et c'est vraiment quelque chose de formidable,
23:54 et je trouve que justement, et je regrette,
23:56 que la langue arabe ne soit pas mieux
23:58 et plus enseignée en France,
24:00 puisque la déshérence de l'arabe
24:02 à l'université et
24:04 au lycée, ça veut dire que
24:06 cette langue est aujourd'hui prise en otage
24:08 par les salafistes qui en font l'usage.
24:10 - Et ça veut dire qu'on devrait développer
24:12 le prénomnement de l'arabe dans le secondaire en France ?
24:14 - Je pense qu'il est malheureusement...
24:16 Alors, il y a deux obstacles,
24:18 d'un côté, il y a un certain nombre de dirigeants
24:20 d'associations religieuses
24:22 radicales qui disent que c'est interdit
24:24 aux infidèles d'enseigner la langue du Coran,
24:26 parce qu'eux font des cours payants
24:28 aussi, donc c'est le denier du culte,
24:30 et puis il y a aussi une réaction
24:32 hostile d'une grande partie de nos compatriotes
24:34 qui disent "Ouh là là,
24:36 l'arabe c'est la langue des immigrés,
24:38 c'est la langue du fanatisme", pas du tout,
24:40 il y a une immense culture,
24:42 il y a un trésor extraordinaire
24:44 de la langue arabe, de la culture
24:46 et de la civilisation arabe,
24:48 qu'elle soit musulmane, chrétienne ou même juive,
24:50 qui est absolument fantastique,
24:52 qui est aujourd'hui complètement en voie
24:54 d'ignorance et de marginalisation
24:56 par rapport à la prise en otage
24:58 par les radicaux. - Apprendre la langue
25:00 ne veut pas dire apprendre le djihadisme,
25:02 que les choses soient très claires. - C'est même probablement
25:04 la meilleure antidote à celui-ci. - La meilleure antidote.
25:06 Merci beaucoup Gilles Kepel,
25:08 d'être venu nous voir, prophète en son pays,
25:10 aux éditions de l'Observatoire.
25:12 Il est 8h59.