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00:00 Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle émission dans laquelle on va parler de la rémunération des
00:16 PDG et puis vous le verrez un peu dans la fin de l'émission, on va parler aussi de la rémunération
00:19 des gérants de fonds, des gérants de portefeuille. Parce qu'aujourd'hui c'est tout à fait normal de
00:23 voir un PDG qui a une partie de sa rémunération, et souvent une grosse partie, sous forme de
00:28 variable et notamment sous forme soit d'action de l'entreprise, sous forme de stock option. C'est
00:33 quelque chose de tout à fait admis et les anglo-saxons ils aiment beaucoup ça, ils aiment
00:37 beaucoup parler d'incentive, ils aiment beaucoup parler de skin in the game. En français on parle
00:41 souvent d'alignement des intérêts entre le PDG et les actionnaires. Et la référence sur le sujet
00:46 c'est le livre de Nassim Taleb, Skin in the Game, et c'est notamment ce livre qui a fait rentrer
00:52 l'expression, qui existait bien sûr déjà avant, mais qui a fait rentrer l'expression très souvent
00:57 aujourd'hui quand on parle d'incentive, on parle aussi de skin in the game. Et l'idée de Nassim
01:01 Taleb, elle est simple, c'est qu'on ne peut pas prendre des décisions risquées si on ne subit pas
01:05 soi-même les risques qui sont pris. Et dans le cas d'un PDG, s'il ne détient aucune action de
01:10 l'entreprise, ou bien si sa rémunération elle dépend pas du tout du cours de bourse, il va prendre
01:14 des décisions sans en subir les conséquences, ou plutôt souvent sans en subir les conséquences
01:18 négatives. Et Nassim Taleb prend comme exemple de Skin in the Game l'un des premiers textes connus,
01:24 qui est le code de Hammurabi, qui est un texte de loi gravé dans la pierre par le roi de Babylone.
01:28 Et dans ce texte, il est écrit que si un architecte construit une maison et que cette
01:33 maison s'effondre et tue son propriétaire, alors l'architecte doit être condamné à mort. Et si
01:38 c'est le fils du propriétaire qui meurt, le fils de l'architecte doit mourir, etc. Et ça c'est un
01:43 exemple évidemment de skin in the game qui pousse à construire une maison le mieux possible. On
01:48 imagine bien que vous pouvez mettre toutes les normes de construction que vous voulez,
01:51 un architecte pourrait éventuellement essayer de les contourner, alors que si vous mettez ce type de
01:55 règles, évidemment il va construire la maison la plus solide possible. Alors lié la performance
01:58 des PDG à celle de leurs entreprises, ça peut paraître une idée évidente, mais en fait ça n'a
02:03 pas toujours été le cas. Et en fait ce qui a fait bouger les choses, c'est un article très connu de
02:07 Michael Jensen, un prof de Harvard, qui a écrit un article en 1990. Et dans cet article, il explique
02:12 que la rémunération des PDG devrait être liée à la performance du cours des actions. Et il montre
02:17 déjà que les PDG ne sont pas si bien payés que ça, et il montre que depuis les années 30,
02:22 finalement, la rémunération est quasi stable si on prend en compte l'inflation, voire même que
02:28 certains PDG sont un petit peu moins payés que dans les années 30. Et surtout, il montre que
02:34 leur rémunération n'est absolument pas liée à la performance. Et son étude montre que pour un
02:38 gain de 1000 dollars pour l'actionnaire, le PDG ne voit sa rémunération n'augmenter que de 2,59$.
02:44 Et dans son étude, il prend en compte les salaires, les bonus, les stocks options, les actions détenues,
02:48 etc. C'est vraiment du tout compris. Résultat, beaucoup de talents, des étudiants qui sont les
02:56 plus intelligents, qui ont fait les meilleurs universités, etc. se dirigeaient à l'époque vers
03:01 les banques d'investissement de Wall Street, se dirigeaient vers les cabinets de son conseil,
03:04 se dirigeaient vers les cabinets d'avocats, etc. où ils avaient souvent des plus belles carrières
03:09 qui les attendaient. Et Michael Jensen, qui était peu connu avant cet article, s'est retrouvé d'un
03:14 coup très connu parce que cet article a bien sûr été rapidement utilisé par les PDG eux-mêmes,
03:19 mais aussi par les cabinets de conseil, par les McKinsey, les Bain, etc. qui se sont empressés
03:24 de conseiller les entreprises pour changer les méthodes de rémunération. Résultat,
03:29 les rémunérations des dirigeants ont explosé pendant les années 90. Et quand je dis explosé,
03:34 c'est que ces rémunérations ont augmenté de 500% dans les années 90, beaucoup plus que la
03:40 performance de la bourse à l'époque. Alors on l'a vu, augmenter la part de variables ou surtout
03:45 lier la part de la rémunération des PDG au cours de bourse, ça part d'un bon sentiment. On se dit
03:49 qu'ils vont être motivés pour faire mieux, on se dit qu'ils vont aussi limiter les risques vu
03:52 qu'ils ont du skin in the game. Donc ça part vraiment d'un bon sentiment. Mais en fait,
03:57 ça c'est un petit peu dans un monde rêvé parce que ça a pas mal d'effets pervers. Le premier
04:01 effet pervers, c'est que dans la fixation des compensations, plutôt que de fixer le juste
04:06 prix, ce qui a été fait, c'est souvent de regarder un peu le PDG à côté, combien il gagnait. Et il
04:11 y a eu un jeu un peu de sur-enchaire entre les différents PDG, ce qui explique en partie cette
04:17 explosion des rémunérations. Deuxième effet pervers, c'est qu'en fait, comme c'était
04:22 principalement la rémunération des PDG, des CEOs qui étaient comme ça très liés au cours de bourse,
04:28 les numéros 2, numéro 3, tous les autres top dirigeants, les directeurs financiers, etc. ont
04:33 vu un écart se creuser entre la rémunération du PDG et leur propre rémunération. Ce qui fait qu'il
04:41 n'y a pas une seule personne qui dirige l'entreprise, c'est toute une équipe de senior management,
04:44 et tous ces senior managers se sont retrouvés potentiellement démotivés de voir ce gap.
04:49 Et ensuite, et ça c'est quelque chose qu'on constate très largement aussi aujourd'hui,
04:53 c'est qu'il y a un écart qui s'est creusé entre la rémunération du PDG et celle de tous les
04:59 salariés. Et avec un dernier impact, on a parlé senior management, on a parlé de tous les
05:03 salariés de l'entreprise, et un gros impact aussi sur le public, parce que quand on voit les
05:07 rémunérations des PDG ou quand on les compare à la moyenne des salariés, ça peut parfois choquer.
05:12 Dernier effet pervers que j'ai failli oublier, c'est le fait que le PDG, forcément si sa
05:16 rémunération est extrêmement liée au cours de bourse, cours de bourse qui réagit beaucoup à
05:19 court terme, il va être incité à faire plaisir au marché financier, donc à montrer de bons résultats
05:24 trimestriels plutôt que de faire des investissements à long terme. Par exemple, s'il a de gros
05:29 investissements à faire et qui vont payer uniquement dans une dizaine d'années, il ne sera
05:33 probablement plus dans l'entreprise dans une dizaine d'années, et donc il va être incité à ne pas
05:37 rentrer dans ses programmes en terme, mais plutôt faire du cost-cutting à court terme, etc. pour
05:43 faire plaisir aux analystes et pour que le cours de bourse monte dans les six mois, un an, deux ans,
05:47 trois ans. Mais il y a encore d'autres effets négatifs. C'est que, typiquement, ça marche
05:52 quand le cours de bourse se porte plutôt bien. Mais quand le cours de bourse est vraiment chahuté
05:57 et chute beaucoup, alors là les choses changent, notamment si le PDG a une grosse partie de sa
06:02 rémunération en stock option, parce que les stock options, c'est en fait une option, donc on vous
06:07 donne l'option d'acheter l'action à un cours donné, à un prix d'exercice. Donc par exemple,
06:12 admettons que vous ayez touché des stock options qui vous permettent d'acheter le cours de l'action
06:16 à 100 euros, si le cours de l'action est actuellement à 90 euros, alors vous êtes incité
06:21 à le faire monter au-dessus de 100. Déjà c'est totalement faisable et en plus, dès que le cours
06:28 va passer au-dessus de 100, vos options vont commencer à avoir une valorisation qui va très
06:33 fortement augmenter. Il y a un gros effet de levier. Mais si à l'échéance, parce que ces stock options
06:37 ont toujours une échéance, si à l'échéance le cours est en dessous des 100 euros, alors les stock
06:41 options ne valent plus rien. Donc tant qu'on est un peu en dessous des 100 euros ou au-dessus des
06:47 100 euros, vous êtes toujours bien incité à faire le mieux pour l'entreprise et pour les actionnaires.
06:51 Mais le problème se pose quand il y a une crise qui a lieu, quand l'entreprise ne marche pas très
06:56 bien et que le cours de bourse s'effondre. Si vous avez un cours de bourse qui est à 50 euros et que
07:01 vous avez des stock options à 100 euros, et on parle ici souvent de millions de dollars,
07:05 on parle de montants qui peuvent changer la vie du PDG, il ne faut pas s'imaginer que tout PDG
07:11 arrive déjà avec un petit matelas de 50 millions et qu'il n'en a rien à faire de combien il va
07:15 gagner dans l'année. Ce n'est pas vrai. Donc ça, c'est une grosse incitation pour eux. Et donc,
07:20 quelqu'un qui se retrouve avec un cours de bourse à 50 et des stock options à 100 euros, il va être
07:25 tenté de prendre des paris risqués parce que pour lui, finalement, que le cours de bourse soit à 50,
07:30 55, 60, ça n'a aucun impact, en tout cas en termes financiers directs, alors que si le cours de bourse
07:36 passe au-dessus de 100, il va retrouver ses centaines de milliers ou ses millions d'euros.
07:41 Donc on le voit bien, surtout la partie stock options, ça peut avoir des effets néfastes en
07:47 termes d'incitation. Et ce type de comportement, c'est typiquement ce que j'ai vu dans des salles
07:51 de marché, soit au niveau des traders de banque, mais je l'ai vu aussi dans des hedge funds.
07:54 Parce qu'en fait, les hedge funds vont surtout gagner leur vie en prenant des frais de performance.
07:59 En gros, ils prennent des frais fics de frais de gestion de 1 à 2%, qui sont surtout pour payer
08:04 vraiment les frais minimum, mais là où ils gagnent vraiment de l'argent, c'est en prenant
08:08 une partie des performances du fonds, en général entre 15 et 20%. Donc quand le fonds gagne 20%,
08:14 le gérant de fonds va garder 4% pour lui et va reverser 16% aux investisseurs. Alors en général,
08:21 c'est un tout petit peu plus complexe, il y a souvent ce qu'on appelle un hurdle rate, c'est-à-dire
08:24 un taux de gain minimum, soit un taux du trésor, soit un taux monétaire, soit un taux fixe,
08:31 disons 3%, et ça va être la partie au-dessus de ces 3% qui va avoir ces frais de performance.
08:37 Mais bon, ça c'est du détail. Donc il est incité effectivement, avec ses frais de performance,
08:42 il est incité à faire une bonne performance, ça c'est le bon côté des choses. Là, on voit un
08:47 certain alignement des intérêts entre les investisseurs et le gérant de fonds. Mais en
08:50 fait, tout ça, ça peut se retourner contre les investisseurs, parce qu'en fait, Hedge Fund,
08:53 il ne fait pas juste 10% de performance tous les ans, il a une performance qui varie. Donc il va
08:59 faire +15, -5, +20, -10, etc. Donc en fait, il ne peut pas prendre de frais à chaque fois qu'il
09:07 gagne de l'argent, parce que peut-être que l'argent qu'il gagne, c'est de l'argent qu'il
09:09 avait en fait perdu dans le passé. Donc en fait, il va prendre des frais de performance uniquement
09:14 s'il est à son plus haut, s'il a dépassé son plus haut. C'est ce qu'on appelle le concept de
09:18 "high water mark". Donc "high water mark", ça veut bien dire ce que ça veut dire. C'est-à-dire que
09:22 c'est comme dans le cas d'une inondation, la marque laissée sur le mur, ça va être la marque la plus
09:27 élevée de l'inondation, laissée par l'eau. Et dans le cas des performance fees, le fonds va noter
09:34 comme ça la performance la plus haute sur laquelle les frais ont été pris dans le passé, et dès que
09:38 ça va repasser au-dessus, ils vont prendre des frais. Et le problème de ce système, en fait,
09:44 mais on ne peut pas faire beaucoup mieux, le problème c'est que quand il y a une crise et que
09:47 le fonds tombe très en dessous de sa "high water mark", et ça arrive souvent, il y a eu bien sûr
09:51 2008, mais on peut facilement se retrouver avec une baisse de 10, 20, voire plus de pourcents.
09:55 Donc admettons, vous êtes gérant de fonds, votre fonds a baissé de 30% par rapport à son plus
10:00 haut. Comme vous savez, il va falloir que le fonds remonte de 43%, c'est 30 sur 70, avant de pouvoir
10:07 reprendre des frais. Donc quand vous êtes gérant de fonds, quand vous savez que vous n'allez pas
10:10 avoir de bonus tant que vous n'avez pas 43% de gains, là on retombe sur des effets pervers.
10:16 En fait, le gérant va être incité à faire deux choses, soit il va être incité à prendre beaucoup
10:20 de risques, et puis là on ne parle pas d'un PDG, on parle quand même d'un trader, on parle d'un
10:23 gérant de hedge fund, donc ils sont vraiment capables de prendre beaucoup de risques, d'augmenter
10:27 le levier, etc. Parce que pour lui, c'est qui tout double. Tant qu'il ne regagne pas ses 43%,
10:31 il n'a pas de bonus, donc il doit faire ça idéalement le plus rapidement possible. Ou bien,
10:35 ce qui est fait certaines fois, c'est qu'il va fermer le fonds, parce qu'il sait qu'il ne va
10:38 plus toucher de fees de ce côté-là. Il ferme le fonds, il rend l'argent à ses investisseurs,
10:42 il rouvre un nouveau fonds, un nouveau fonds qui va redémarrer à prendre de la performance tout
10:46 de suite. Donc qu'est-ce qui se passe avec ces anciens investisseurs ? En fait, les investisseurs,
10:50 quand le fonds montait, le fund manager prenait ses 20% ou ses 15%, il prenait ses fees, ses fees,
10:56 ses fees. Ça s'effondre, le fonds est clôturé. Et donc, en fait, les investisseurs ont payé beaucoup
11:00 plus que 15 ou 20% de performance fees, parce qu'à la fin, ils ont une performance qui était
11:04 bien moins bonne que celle du Highwater Mark, voire même certaines fois une performance négative.
11:09 Mais pour autant, ils auront payé des frais de performance. Donc en fait, ces frais de
11:13 surperformance, ces frais de performance pris par les hedge funds, c'est une fausse bonne idée.
11:17 En tout cas, selon mon point de vue, en termes d'incitation, ce n'est pas un vrai alignement,
11:22 parce qu'il y a cet aspect optionnel. Donc, ce n'est pas un vrai alignement avec les investisseurs,
11:26 de la même manière que les stock options, ce n'est pas un vrai alignement avec l'intérêt des
11:29 actionnaires. Il vaut beaucoup mieux que le gérant de fonds et une grosse partie de son patrimoine
11:34 investit dans le fonds, c'est le plus classique, ou bien il faut que le PDG touche des actions,
11:39 plutôt que cet aspect optionnel, donc des stock options ou bien des frais de performance. Mais
11:44 c'est un sujet compliqué, la compensation, la rémunération soit des gérants de fonds,
11:50 soit des PDG, c'est quelque chose de compliqué, parce que même quand on essaie de rajouter des
11:54 règles, ça peut toujours avoir ces fameux effets pervers. Par exemple, dans les PDG,
11:59 il a été classique de bloquer les actions le plus longtemps possible, justement pour qu'ils aient
12:04 cette vision long terme, pour qu'ils s'engagent sur des projets beaucoup plus long terme. Mais
12:07 le problème, si vous commencez à bloquer les actions sur cinq ans pour un PDG, c'est qu'il y
12:12 en a certains qui vont commencer à être vraiment risque adverse, à prendre beaucoup moins de
12:15 risques, etc. Donc vraiment, c'est un arbitrage compliqué à faire pour la paie des PDG. On sait
12:21 comment attirer les meilleurs, mais sans démotiver les autres personnes de l'entreprise, etc.
12:25 Bon, personnellement, je n'aimerais pas trop avoir ce genre de décision à prendre. Mettez-moi bien
12:29 sûr en commentaire ce que vous pensez de tout ça. Merci encore pour votre fidélité, merci pour tout.
12:34 Ceux qui me notent pour le podcast, merci pour tous vos likes, merci pour tous vos nouveaux
12:38 abonnements. Je le répète à chaque fois, mais ça me fait vraiment plaisir. Et puis,
12:41 bien sûr, à bientôt pour une autre émission.