Le prix des carburants va-t-il baisser ?

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00:00 Bonjour Guillaume, bonjour à tous, bonjour Patrice Joffron.
00:02 Bonjour.
00:03 En ce matin, une question, le prix des carburants va-t-il baisser ? Alors que le litre de gazole
00:09 et d'essence flirte avec les 2 euros, le gouvernement fait pression sur les distributeurs
00:14 qui s'engagent disons à reculons.
00:16 Patrice Joffron, vous êtes économiste, vous êtes directeur du Centre de Géopolitique
00:20 de l'énergie et des matières premières à l'université Paris-Dauphine.
00:23 On le sait, le sujet est explosif, socialement, 2 euros le litre c'est une barrière psychologique ?
00:29 Oui, ça frappe les esprits, on va parler naturellement des mesures du gouvernement
00:35 qui essaient de conduire la grande distribution à baisser ses prix mais fondamentalement
00:40 il faut regarder que derrière tout ça, on a une augmentation du prix du baril, très
00:44 forte, d'à peu près 20 dollars si on compare avec ce qu'étaient les chiffres à la fin
00:50 juin, on est ce matin à 95 dollars donc il faut déjà avoir à l'esprit que le contexte
00:54 est un contexte, vous l'avez dit, explosif, précisément parce que nous en France on
00:57 importe 99% de notre pétrole et de nos carburants, qu'on n'a absolument pas la main sur les
01:02 prix et que les prix à l'heure actuelle font l'objet de discussions, d'une coordination
01:07 sur le long terme entre la Russie et l'Arabie Saoudite.
01:09 Donc on n'a pas la main et on est conduit à prendre des mesures un peu dans l'urgence,
01:13 un peu étranges mais j'imagine qu'on va en parler.
01:15 Tout à fait Patrice Joffron, l'an dernier les 2 euros le litre, ce signal psychologique
01:21 important, ont été allègrement franchis.
01:23 En mars le litre de gazole était à 2 euros 2 centimes en moyenne, au mois de juin il
01:28 atteignait 2 euros 10, le gouvernement avait alors décidé de toute une série d'aides.
01:33 Comment expliquez-vous qu'en cette rentrée ils refusent de dépenser un centime ? Comment
01:38 comprenez-vous ce changement de doctrine ?
01:40 Le bilan a été fait de ce qu'il en a coûté à la collectivité des mesures de l'an
01:46 dernier, à peu près 8 milliards d'euros sur des ristournes qui ont pu atteindre 30
01:50 centimes le litre à certains moments.
01:53 L'état avait déjà demandé par ailleurs à Total de faire un effort et Total avait
01:58 accepté de plafonner le prix dans ses pompes à 1,99 euro.
02:04 Mais ces mesures ne sont pas soutenables pour toute une série de raisons.
02:07 Des raisons qui relèvent naturellement de l'état des finances publiques et puis qui
02:11 relèvent également du signal qui est envoyé à un moment où l'impératif est de se décarboner.
02:17 Et donc il me semble qu'il est préférable, et j'espère que l'état sera plus précis
02:22 sur ce point, d'utiliser les finances publiques pour des subventions notamment à la décarbonation,
02:28 à l'accélération en particulier du déploiement des véhicules électriques ou toute une série
02:32 de dispositifs, le covoiturage notamment, de telle manière à réduire notre dépendance
02:37 pétrolière parce qu'on n'est pas à l'abri de se retrouver dans une situation où dans
02:41 quelques mois le prix du baril serait à 150 dollars ou c'est les circonstances qu'on
02:45 pourrait avoir à rencontrer également à l'avenir.
02:48 Et donc gardons à l'esprit que le seul antidote sur le long terme c'est la décarbonation.
02:53 Du point de vue des aides apportées par le gouvernement, il y avait quand même une petite
02:56 évolution dans la pratique.
02:59 On était passé d'aides universelles à des aides plus ponctuelles aux ménages les
03:03 moins favorisés ou qui avaient le plus besoin de leur voiture.
03:07 Ça il n'en est plus question aujourd'hui.
03:09 Alors si, il y a toujours des soutiens mais de fait les dispositifs sont globalement moins
03:15 coûteux.
03:16 On devrait à la fin de l'année en faire le bilan mais très probablement le coût
03:20 pour la collectivité aura été divisé par 4 à peu près par rapport à ce qui était
03:24 peut-être par 5 par rapport à ce qui avait été engagé l'an dernier.
03:27 Donc je rappelle 8 milliards.
03:29 D'où cette volonté de l'État de modifier les règles et de faire pression, en tout
03:35 cas de donner la possibilité à la grande distribution de vendre à perte ce qui dans
03:39 le code du commerce jusqu'alors fait l'objet d'une interdiction.
03:42 On va y venir parce qu'en effet depuis le début du mois de septembre c'est un véritable
03:46 bras de fer qu'a engagé l'État avec les distributeurs.
03:49 Alors Total a finalement accepté de conserver un plafond à 1,99€.
03:53 Intermarché et Système U reprennent les opérations à prix coûtant et samedi vous le disiez
03:58 Elisabeth Born a fait une annonce exceptionnelle, une loi pour autoriser les distributeurs à
04:02 vendre le carburant à perte.
04:04 Alors deux questions Patrice Geoffron.
04:05 D'abord quels sont les arguments du gouvernement face aux opérateurs privés et puis qu'est-ce
04:10 que vous pensez de cette dernière mesure, cette inédit, ça va mécaniquement fausser
04:15 la concurrence, déstabiliser le marché peut-être ?
04:17 Oui, ce sont évidemment les deux questions qui me semblent les plus importantes.
04:23 Sur le premier point, jusqu'alors et encore une fois de par la loi, il y avait l'interdiction
04:28 de revendre à perte ce qui est une volonté notamment de ne pas déstabiliser par des
04:33 rabais excessifs la concurrence et notamment de ne pas nuire aux indépendants dans ce
04:41 domaine.
04:42 On parle souvent à la fois de Total, évidemment qui est le premier réseau, on parle de la
04:47 grande distribution qui représente à peu près 50% des points de distribution de carburant
04:52 mais il y a à peu près 2500 petites stations, souvent en milieu rural ou en milieu périurbain
04:57 et qui ont très peu de marge de manœuvre.
04:58 Et donc ce verrou s'apprête à sauter, enfin sous réserve d'une modification de la loi
05:03 et cela à partir du 1er décembre.
05:05 Donc ça soulève évidemment toute une série de questions sur les conditions de mise en
05:08 œuvre et sur la fragilisation de ces petites stations.
05:12 Je crois savoir qu'hier des discussions ont eu lieu à Bercy de telle manière à mettre
05:16 en œuvre des mécanismes de compensation mais on voit bien qu'on est en train d'imaginer
05:20 une usine à gaz.
05:21 Et puis par ailleurs si on regarde précisément les marges de manœuvre dont peut disposer
05:25 la grande distribution, on a quand même quelques doutes sur ce point.
05:28 On est dans la grande distribution, il y a des marges qui sont assez réduites et donc
05:31 il y a de bonnes raisons d'imaginer que les efforts qui seront faits à n'en pas douter
05:36 à la pompe se paieront ailleurs dans les rayons.
05:39 Il n'y a pas de raison notamment, il me semble que c'est un ordre de grandeur qui a fait
05:44 valoir Olivier Véran, qu'on ait des restournes de 50 centimes par litre.
05:48 Il me semble que ça ne fait pas de sens ou si ça devait être le cas ce serait très
05:50 ponctuel.
05:51 Et comment le gouvernement fait pour conduire les distributeurs à cette vente à perte
05:55 au-delà du verrou légal qui saute ?
05:57 Après le jeu de la concurrence peut jouer, je ne doute pas qu'il y aura des opérations.
06:02 L'essence ayant de tout temps été un produit d'appel, donc ça va être un facteur d'attractivité
06:08 et assez probablement il y aura des opérations assez visibles.
06:12 Sans doute pas, me semble-t-il, jusqu'à une réduction de 25%, c'est-à-dire de 50
06:18 centimes d'euro.
06:19 Mais en tout cas économiquement, je ne vois pas comment cet effort ne se retrouverait
06:24 pas par ailleurs en rayon.
06:26 Donc on a là quand même beaucoup de vigilance à avoir dans ce domaine.
06:29 Vous l'aviez dit, la hausse des prix à laquelle on assiste est à la fois géopolitique et
06:35 durable.
06:36 Mais d'un point de vue écologique, on pourrait espérer que décarburant cher favoriserait
06:40 la décarbonation des mobilités.
06:42 Ça ne semble pas vraiment le cas.
06:43 On a l'impression qu'on se dit qu'il faut attendre un retour complètement hypothétique
06:47 à la normale, que c'est juste une mauvaise passe à passer.
06:50 Qu'est-ce qu'il faudrait faire dans un objectif de décarbonation ?
06:54 Ce serait quoi finalement ? Pas tant gérer la hausse que stabiliser les prix ?
06:57 Et qu'est-ce que serait le bon niveau des prix ?
06:59 Le bon niveau des prix, je ne le connais pas.
07:02 Mais en tout cas, ce dont nous avons besoin, c'est d'un peu de visibilité.
07:06 De ce point de vue, on peut tout à fait imaginer, c'est compliqué à mettre en
07:09 nom, mais on peut imaginer que la fiscalité, qui aujourd'hui a plutôt tendance à renforcer
07:14 les chocs.
07:15 La fiscalité est composée de différents éléments, mais notamment de la TVA.
07:18 Et la TVA, c'est un pourcentage.
07:20 On connaît tous et toutes le mécanisme.
07:22 Ça renforce l'effet de variation du prix du baril.
07:27 Et donc, on pourrait tout à fait réfléchir.
07:30 Ça avait été mis en œuvre il y a une vingtaine d'années sous Lionel Jospin à une fiscalité
07:34 qui au contraire amortisse les chocs.
07:36 Lorsque le prix du baril est bas, la fiscalité peut augmenter.
07:39 Et inversement, lorsque le marché se retourne.
07:42 Parce que nous avons besoin, encore une fois, d'échapper à ces chocs.
07:46 Il n'y a pas si longtemps finalement, notamment durant la crise Covid, on a eu des prix qui
07:51 étaient à 1,20€ et on a pu imaginer que même si la situation était exceptionnelle,
07:55 on avait devant nous une période de prix des carburants bas.
07:59 Il faut se sortir de tout ça à l'esprit.
08:01 En fait, un bon litre de carburant, ce n'est pas un litre à 1,20€ plutôt que 2,20€.
08:06 C'est un litre qu'on n'aura pas à consommer.
08:08 Encore une fois, gardons à l'esprit, on importe tout notre pétrole, on n'a pas la
08:11 main et donc décarbonons-nous.
08:12 Une taxe flottante pourrait être une solution.
08:15 Merci beaucoup Patrice Geoffronde de ces explications.
08:17 Je vous rappelle que vous êtes économiste, directeur du Centre de géopolitique de l'énergie
08:21 et des matières premières à l'Université Paris Dauphine.
08:24 Merci Marguerite Caton.

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