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00:00 7h-9h, les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 La question du jour.
00:07 La France bain un nouveau record, celui de son déficit commercial qui est tombé en
00:11 2022 à 164 milliards d'euros.
00:14 Il faut précider que celui-ci correspond à la différence entre les importations et
00:18 les exportations de biens entre la France et le reste du monde, sur fond de crise énergétique
00:24 et de désindustrialisation.
00:26 Est-elle grave que disent ces chiffres de la place de la France dans le monde, dans
00:31 la mondialisation ?
00:32 Bonjour Sébastien Jean.
00:33 Bonjour.
00:34 Vous êtes professeur titulaire de la chaire d'économie industrielle du CNAM.
00:38 Pour la première fois, ce n'est pas seulement la balance commerciale qui est dans le rouge,
00:42 mais également la balance des transactions courantes qui prend en compte.
00:45 Donc non pas seulement les échanges de biens, mais aussi les échanges de services.
00:49 Alors il faut nous expliquer à quoi correspondent ces différentes balances et ces différents
00:54 déficits.
00:55 Effectivement, elles disent deux choses assez différentes.
00:58 La balance courante qui inclut toutes les transactions avec l'étranger nous renseigne
01:05 sur la capacité de financement de notre économie.
01:08 C'est donc un indicateur macroéconomique qui nous dit si l'économie française dans
01:12 son ensemble a besoin d'emprunter à l'étranger pour se financer pour ses besoins courants,
01:19 ou bien si elle y arrive toute seule globalement.
01:21 Donc l'an dernier, on était légèrement excédentaire sur la balance courante.
01:25 Cette année, il y a un déficit d'un peu plus de 50 milliards d'euros, ce qui est
01:28 quand même assez significatif pour le pourcent du PIB.
01:30 Ça veut dire quoi pour que l'on comprenne bien ? Ça veut dire que les ressortisants,
01:35 les nationaux ne peuvent plus financer la dette ?
01:38 Ça veut dire qu'il s'agit des résidents pour être précis.
01:41 Et ça veut dire qu'ils dépensent plus en termes monétaires que leurs revenus.
01:46 Donc, il a fallu l'emprunter à l'étranger.
01:51 Et si on avait été excédentaire, ça veut dire qu'on aurait eu une capacité à prêter
01:54 à l'étranger de l'argent.
01:55 Donc c'est un indicateur macroéconomique sur notre capacité nette de financement.
01:59 Elle était négative cette année, elle était légèrement positive l'an dernier.
02:01 Quelles conséquences ?
02:02 La conséquence, c'est le problème, c'est si on est dans un déficit structurel, durable,
02:11 parce qu'on se met à devoir emprunter de plus en plus à l'étranger.
02:13 On devient donc dépendant des financements étrangers avec tous les risques que ça comporte.
02:17 Et donc, ça expose.
02:19 Parce qu'on n'arrête pas de dire, par exemple, que le Japon a certes une dette importante,
02:24 mais comme elle est possédée par des résidents, eh bien, ce n'est pas si grave que cela.
02:29 Absolument.
02:30 Le Japon est un exemple d'une économie qui a une dette publique de l'État qui est très
02:35 importante, mais elle est essentiellement détenue par ses résidents.
02:38 Et en revanche, l'économie japonaise dans son ensemble a une position extérieure nette,
02:43 en fait, la somme cumulée, si vous voulez, pour simplifier, de ses excédents courants
02:47 passés, qui elle, est très importante.
02:49 Donc, l'économie dans son ensemble, public plus privé, a une épargne nette placée
02:55 dans le reste du monde, en fait.
02:56 Donc, ça, c'est une chose.
02:59 L'autre chose, c'est un déséquilibre en matière de biens.
03:03 Là, cette fois-ci, ça signifie que les Français achètent plus à l'étranger qu'ils n'exportent.
03:09 Voilà, et donc là, on est spécifiquement dans nos échanges de marchandises, donc industrie,
03:15 agriculture, énergie.
03:17 Et on est dans une situation très différente de ce point de vue là, qui est marquée par
03:21 une dégradation forte, jusque au début des années 2000, enfin, en tout cas, en 2003
03:27 encore, on était légèrement excédentaire sur le commerce de marchandises.
03:32 Il y a une dégradation très forte du solde.
03:35 On est arrivé à un déficit très significatif au début des années 2010.
03:38 C'est notamment le constat qui avait la préoccupation qui avait donné lieu au rapport
03:42 gallois en 2012.
03:43 Et au fond, ce qu'on constate depuis, c'est qu'on n'a pas réussi à redresser la barre.
03:50 Ça, c'est plutôt un peu aggravé.
03:51 Première chose, c'est assez structurel.
03:53 Et deuxième chose, je ne sais pas s'il faut dire conjoncturel, parce qu'on ne sait pas
03:57 combien de temps ça va durer, justement, mais nouvelle en tout cas, la crise de l'énergie
04:01 qui a énormément augmenté notre facture énergétique.
04:04 Donc, justement, si on isole cela parce qu'évidemment, il y a une augmentation du déficit commercial
04:11 en valeur, mais pas forcément en volume.
04:13 On peut même imaginer qu'en volume, sur le plan énergétique, ce déficit n'augmente
04:18 pas.
04:19 Sébastien Jean, donc, j'ai presque envie de dire que ce n'est pas juste.
04:22 Si on isole ça, qu'est ce qui se passe pour le reste ?
04:25 Or, énergie, la compétitivité de l'économie française en 2022 ne s'est pas dégradée.
04:34 D'autant qu'en fait, quand on peut focaliser sur l'énergie, mais il y a aussi des secteurs,
04:39 en particulier la chimie, la métallurgie, qui sont très intensifs en énergie, qui
04:43 eux sont indirectement touchés par l'énergie.
04:45 Sur le reste, il y a eu une légère amélioration.
04:47 On peut regarder, par exemple, la part de marché de la France dans les exportations
04:51 de la zone euro.
04:52 Elle s'est légèrement améliorée en 2022 après une dégradation les années précédentes.
04:57 Donc, on a du chemin à rattraper aussi.
04:58 Donc, voilà, ça, c'est un indicateur légèrement positif.
05:01 Autre indicateur positif, l'emploi dans l'industrie a un peu progressé.
05:04 Il y a un certain nombre d'annonces d'ouverture de sites.
05:08 Donc, il y a des petits signes d'amélioration, paradoxalement, hors énergie.
05:11 Ce n'est pas si paradoxal que ça, parce que pour la première fois, on évoque, on
05:16 évoquait cela déjà pendant la crise du Covid, pendant le premier confinement.
05:20 On évoque la question de la souveraineté industrielle.
05:23 Donc, j'imagine quand même que, même si le discours ne fait pas tout, on a déjà
05:28 commencé à relocaliser certaines activités, je me trompe Sébastien Jean ?
05:32 Donc, il y a une volonté politique très affirmée, je crois assez largement partagée.
05:39 D'ailleurs, je pense que c'est un constat assez frappant, dont les signes de concrétisation
05:44 économique existent, mais sont relativement limités pour l'instant.
05:48 Alors, de toute façon, ce ne sont pas des indicateurs que l'on peut espérer retourner
05:52 du jour au lendemain.
05:53 Tout ça est lent.
05:54 Donc, il y a effectivement quelques signes d'amélioration que je viens de nommer.
05:59 On le voit aussi dans les projets qui sont annoncés en France.
06:02 Donc, oui, le choc énergétique vient contrarier ça potentiellement parce qu'il faut bien
06:10 souligner aussi qu'il y a des interactions très fortes entre le prix de l'énergie
06:14 et la compétitivité industrielle.
06:15 Et finalement, les deux sont très liés.
06:18 Donc, aujourd'hui, la grande question qui se pose, c'est est-ce que ce renchérissement
06:22 de l'énergie va être durable ? Est-ce qu'on va arriver à trouver une solution
06:26 pour ramener le prix de l'énergie à un niveau plus acceptable ?
06:29 Il faut quand même savoir que sur l'an dernier, les prix du gaz, qui est une énergie très
06:33 utilisée dans l'industrie, étaient en Europe, en France en particulier, 5 à 7 fois plus
06:38 élevés qu'aux Etats-Unis.
06:39 Donc, ça, ça veut dire qu'il y a un certain nombre d'activités industrielles sur lesquelles
06:42 les arbitrages sont très modifiés par rapport à précédemment.
06:46 Avec une question, évidemment, de compétitivité.
06:49 Ensuite, il y a les services, les exportations de services.
06:52 Là, c'est plus étonnant.
06:53 Qu'en est-il, Sébastien Jean ?
06:55 Alors, sur les services, la France est structurellement excédentaire, en particulier du fait de ses
07:01 bonnes performances dans le tourisme, naturellement, et puis dans les services aux entreprises
07:05 banques, mais aussi services autres, banques, assurances et services aux entreprises.
07:11 On a aussi, j'allais dire, un nouveau, un point fort un peu nouveau qui est arrivé,
07:16 c'est le transforme maritime, avec les résultats de CMA, CGM en particulier, qui sont spectaculaires.
07:22 C'est particulièrement énorme, parce que c'est 25 milliards d'excédent pour une entreprise.
07:28 Pour une entreprise.
07:29 Donc, ça veut dire là, vraiment, qu'une entreprise pèse, entre guillemets, dans la
07:33 balance française.
07:34 Oui, ça veut dire qu'elle pèse même fortement, puisqu'on parlait tout à l'heure d'un déficit
07:39 de 50 milliards pour une part de cette balance.
07:43 Donc, 25 milliards d'euros d'excédent, ça donne un ordre de grandeur.
07:47 Ça signifie aussi, finalement, que la compétitivité française, notamment en matière de salaire,
07:53 parce qu'on ne cesse de dire que le coût des salaires en France pèse particulièrement
07:59 lourd, mais il ne freine pas la compétitivité en matière de services, Sébastien Jean.
08:04 Alors, il faut voir que, quand on parle de CMA, de CGM, par exemple, les salaires, et
08:10 notamment les salaires en France, dans le bilan d'une entreprise comme ça, sont quand
08:14 même une part relativement modérée.
08:16 Mais, en tout cas, on a une position excédentaire dans les services, de façon structurelle,
08:23 depuis des années, et elle est très significative.
08:26 Voilà, donc, souvent de l'ordre, effectivement, de 40 à 50 milliards d'euros pour les années
08:31 récentes.
08:32 En conclusion, le thème de la réindustrialisation, est-ce que là, il faut passer des paroles
08:39 aux actes ? Est-ce qu'on a déjà débuté avec la relocalisation, si vous deviez conclure
08:44 à ce sujet ?
08:45 On est déjà passé aux actes, dans le sens où il y a eu un certain nombre de mesures
08:52 annoncées, de plans de financement, je pense par exemple à France 2030 récemment.
08:56 Il y a eu beaucoup de décisions et même d'argent déjà pour essayer de favoriser
09:05 cette relocalisation.
09:06 Maintenant, c'est quelque chose de compliqué, il y a beaucoup de facteurs en jeu.
09:10 Donc, il y a quelques facteurs, on voit quelques signes positifs de résultats, et il y a encore
09:18 beaucoup de chemin à faire, et l'interrogation liée au prix de l'énergie est importante,
09:22 disons.
09:23 Merci Sébastien Jean.
09:24 professeur titulaire de la chaire d'économie industrielle du CNAM.

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