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Membre du Conseil constitutionnel, ancien Premier ministre, Alain Juppé publie ses premières Mémoires intitulées : "Une histoire française" aux éditions Tallandier. Il est répond aux questions de Amandine Bégot.
Regardez L'invité de RTL du 25 septembre 2023 avec Amandine Bégot.

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00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h41, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin Alain Juppé.
00:12 Alain Juppé, en tant que membre du conseil constitutionnel, vous avez, je le rappelle pour nos auditeurs, un devoir de réserve.
00:17 Impossible.
00:19 Impossible donc de vous demander de réagir à l'interview d'Emmanuel Macron hier soir.
00:23 Mais ça ne vous agace pas de devoir garder le silence, vous qui avez consacré toute votre vie à la politique française, à votre pays.
00:30 J'imagine qu'il y a des moments où vous bouillonnez à l'intérieur, non ?
00:34 J'ai fait un choix.
00:36 J'ai décidé de me retirer de l'arène politique et voilà, je n'applique les règles. Alors vous dire que je ne suis pas
00:42 attentivement à ce qui se passe serait mentir. Est-ce que je bouillonne ? Non.
00:46 Voilà.
00:47 Parfois ça me dérange, oui.
00:48 Quand vous entendez par exemple le président dire "la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde", vous en 2015 vous disiez "nous avons
00:55 à prendre une partie de la misère du monde".
00:57 Écoutez, c'est une citation bien connue, ça remonte à Michel Rocard, je crois.
01:01 Donc on peut la prendre dans un sens ou dans l'autre.
01:04 Et quand Emmanuel Macron annonce que la France va se retirer du Niger, j'imagine que ça aussi ça interpelle l'ancien ministre des affaires étrangères
01:10 que vous avez été et dans votre livre "Une histoire française" vous écrivez d'ailleurs
01:14 "il serait suicidaire pour nous européens d'abandonner l'Afrique".
01:18 Je crois que l'Afrique et l'Europe et l'ensemble des pays européens ont un destin lié.
01:22 Ne serait-ce que pour une question majeure qui est celle du défi migratoire.
01:26 Nous n'arrêterons pas les mouvements de population si les jeunes africains et les jeunes africaines
01:31 continuent à crever de faim et à ne pas trouver d'emploi dans leur pays. Donc il y a un enjeu majeur.
01:37 Il faut absolument que l'Europe réinvestisse en Afrique ou investisse à l'Afrique sur la base d'un partenariat d'égal à égal
01:44 pour que les inégalités de développement diminuent. C'est comme ça qu'on traitera les causes et pas simplement les effets des
01:50 problèmes migratoires qui est un grand défi pour nous et qui va être renforcé par le défi environnemental bien entendu.
01:56 L'idée c'est aussi de ne pas laisser la main à la Chine, à la Russie sur ce territoire.
02:00 Il faut que la France et l'Europe soient présentes à l'Afrique. La Chine est là et les pays africains commencent à se rendre compte que les investissements
02:06 de la Chine ne leur coûtent pas voie chère parce que beaucoup se sont
02:09 endettés dans des conditions qui les mettent aujourd'hui quasiment à genoux.
02:13 Dans ce livre Alain Juppé vous évoquez bien sûr votre parcours politique et on va y revenir, votre enfance aussi et alors j'ai découvert que
02:19 vous réviez d'être pape
02:21 à 7-8 ans. Ça n'a pas duré très longtemps. J'étais enfant de coeur et comme j'ai toujours eu de l'ambition
02:27 on me dit au passage que pour moi l'ambition est un ressort noble. Il en faut partout dans tous les métiers
02:32 donc je me suis dit enfant de coeur il faut aller au bout de la hiérarchie donc il faut être pape.
02:37 Mais ça a duré deux ans pas beaucoup plus.
02:40 À l'âge de 7-8 ans mais j'imagine que vous avez suivi la visite du pape à Marseille ce week-end.
02:44 Oui parce que ce que dit le pape
02:46 nous concerne. On peut être chrétien ou pas chrétien, catholique ou pas catholique mais c'est une autorité morale
02:53 dont
02:54 les propos et
02:56 les mises en garde
02:59 méritent attention.
03:00 La mise en garde justement, une des mises en garde elle concerne la question de la fin de vie, pardon, la perspective
03:07 faussement digne d'une mort douce a dit le pape ce week-end. Et alors c'est un sujet que vous abordez avec
03:12 beaucoup de pudeur dans ce livre en évoquant le décès de votre papa. "Je revois mon père" écrivez-vous "en phase terminale d'un cancer
03:19 sans espoir de rémission, hurlé de douleur sur son lit d'hôpital.
03:23 Un fils peut avoir la cruauté, peut-il avoir la cruauté de laisser continuer le supplice ? Je ne l'ai pas eu, pas plus que le médecin."
03:31 La vie est parfois plus complexe que la loi, la vraie vie, Alain Juppé.
03:36 Oui et les sentiments d'humanité sont parfois plus importants dans la vie quotidienne que la loi elle-même.
03:42 L'église catholique a en la matière une position bien connue sur le début et sur la fin de vie. C'est son rôle.
03:48 La parole du pape est dans la ligne de ce qu'est le dogme
03:52 catholique. Et puis après nous en faisons dans notre république ce que nous avons envie d'en faire.
03:57 C'est un sujet extrêmement sensé. Moi ce qui me
04:00 rassure sur le fonctionnement de notre démocratie c'est que les débats sur les lois bioéthiques, ça dure depuis plusieurs années,
04:06 ont toujours été des débats
04:08 sereins, enfin sereins, en tout cas équilibrés, respecteux du point de vue des uns et des autres. J'espère que ça va continuer, qu'on n'en fera pas
04:14 une raison de polémique.
04:17 Aujourd'hui c'est un des messages de mon livre, ce que je ne supporte pas c'est l'hystérisation de la vie politique.
04:22 L'hystérisation c'est quoi ? La France insoumise ?
04:24 On monte tout de suite...
04:26 Je ne désignerai personne, je vous laisse le choix de choisir,
04:29 dans tous les sens, de tous les côtés. On monte tout de suite aux extrêmes.
04:33 Ça n'a pas été toujours comme ça ? On a eu Jean-Louis Debré qui nous disait, il y a quelques mois,
04:39 au moment du débat sur les retraites, il nous disait "mais
04:42 l'Assemblée Nationale ça a toujours été un lieu de vie". C'est vrai, y compris sous la Troisième République. Aujourd'hui je pense qu'en matière
04:48 de violence verbale, débouchant sur la violence physique, on a battu tous les records. Et puis il y a quelque chose qui change tout,
04:55 c'est que sous la Troisième République, il n'y avait pas de réseaux sociaux.
04:59 Aujourd'hui ce qui se passe à l'Assemblée Nationale est immédiatement diffusé.
05:03 A des millions de téléspectateurs.
05:05 Parmi les grands défis que nous allons avoir à relever,
05:09 il y a le défi environnemental, je l'ai dit un mot rapidement, il y a le défi migratoire, il y a le défi numérique.
05:14 Les progrès de l'intelligence artificielle, c'est formidable, ça nous apporte
05:18 des bénéfices incroyables en matière de santé par exemple, et dans beaucoup d'autres domaines. Mais c'est aussi un poison redoutable.
05:24 Un monstre ! Des mensonges, du complotisme, et un danger majeur pour nos libertés. La Chine a déjà construit une société de surveillance.
05:32 Prenons garde de ne pas aller dans ce sens. Donc voilà pourquoi je suis très vigilant et je me réjouis que l'Europe
05:38 est entreprise de réguler les réseaux sociaux.
05:41 La protection des données personnelles et un certain nombre d'autres décisions qui se prennent ensemble.
05:46 Parce que c'est un défi qu'il faut relever ensemble.
05:49 Vous évoquez tous ces défis qui vous tiennent à coeur. Il y a aussi la question de l'éducation.
05:54 Maire de toutes les réformes, vous le disiez à plusieurs reprises et vous le redites dans ce livre
05:59 dans lequel vous rendez hommage à tous ces professeurs que vous avez croisés tout au long
06:03 de votre vie, qui vous ont guidé, façonné même votre vie. Je pense à Madame Dulon, votre institutrice de l'école primaire,
06:09 qui vous offre un tourne-disque, vous fait découvrir la musique classique. C'est aussi
06:13 elle, dites-vous, qui vous donne le goût de l'effort du travail. Il y a aussi Monsieur Dupont, Monsieur Feigna, et plus tard Monsieur Gautrefroid.
06:20 Nous sommes ce que l'école nous fait, écrivez-vous. Il est là le problème aujourd'hui. L'école ne fait plus.
06:25 L'école,
06:28 pas uniquement l'école, parce qu'on a tendance aussi à tout attendre de l'école. Dès qu'il y a un problème, l'école s'en occupe,
06:34 de la sexualité jusqu'à
06:36 l'environnement et ainsi de suite. Mais c'est majeur. Moi j'ai été profondément marqué par mes professeurs.
06:42 Je suis un pur produit de l'école républicaine
06:45 et j'y ai passé une bonne partie de ma vie. Nos enfants passent une grande partie de leur vie à l'école.
06:49 Donc il est très important de lui redonner les conditions de l'excellence. Et ça passe notamment par
06:55 la revalorisation de la fonction enseignante. Quand je parle de mes professeurs, je me rappelle qu'à l'époque à Montmarsan, petite ville de province,
07:02 un prof c'était un notable. Il était respecté. Quand je disais à mes parents "j'ai une mauvaise note, je la méritais pas", ma mère me disait
07:09 "tais-toi et travaille".
07:10 Aujourd'hui les parents vont en goder le prof. - Donc les parents ont aussi un rôle dans cette histoire. - Alors sur les parents on dit tout et
07:16 peut-être parfois un peu trop, parce qu'on a tendance à renvoyer les choses à des familles
07:23 stables qui fonctionnent bien. Il faut se rendre compte qu'une bonne proportion des familles sont des familles monoparentales,
07:28 avec des femmes seules qui, vis-à-vis d'adolescents, ont parfois une tâche extrêmement difficile.
07:33 Donc voilà, c'est un travail collectif mais tout passe par là évidemment.
07:37 - Autre point sur lequel vous insistez tout au long de ce livre, et on l'évoquait avant la pub, c'est l'image,
07:41 cette image qui vous a collé à la peau. Un homme froid, distant, droit dans ses bottes, arrogant, animé par un sentiment de supériorité.
07:48 Ça vous a vraiment blessé qu'on dise tout ça de vous ou pas ? - C'est pas agréable non, bien sûr, mais
07:54 il y avait sans doute une part de vérité.
07:56 Sans ça, ça ne m'aurait pas collé à la peau pendant tant d'années. - On a l'impression que vous essayez de corriger ça avec ce livre.
08:01 Je me trompe ? - Oh, corriger, j'en sais rien, mais de dire ma part de vérité.
08:04 J'ai une sensibilité comme tous les autres.
08:08 Parfois ça se voit, souvent ça ne se voit pas.
08:11 Alors pourquoi j'essayais de faire sinon mon auto-analyse, de moins de revenir un peu sur mon passé ?
08:20 Jeudi, et pardon, on n'y voyait pas une marque d'arrogance, que pendant toute ma scolarité, j'étais le premier de la classe.
08:25 J'avais beaucoup de copains et on s'amusait beaucoup, naturellement, mais ça créait quand même une relation un peu particulière avec le reste de la classe.
08:33 Et puis bon, les Landais ne sont pas des Marseillais.
08:36 - Et puis Jacques Chirac qui dit de vous "c'est le meilleur d'entre nous", ça n'a pas aidé ça ?
08:40 - Je peux difficilement vouloir à Jacques Chirac, mais ça a mis en furie tous ceux qui pensaient l'être.
08:46 - Bon, est-ce que c'est cet excès d'orgueil, ou je sais pas, de sentiments de supériorité qui vous a poussé
08:52 à ne pas remplacer François Fillon pendant la campagne de 2017 ?
08:56 Beaucoup à l'époque vous l'ont demandé et vous avez répondu "je ne suis pas un plan B".
08:59 Jamais vous ne regrettez ça ?
09:00 - Jamais, non, parce que tout simplement les conditions n'étaient pas réunies.
09:03 J'ai fait une campagne pour la primaire qui a été pour moi une période formidable.
09:08 J'ai sillonné la France dans tous les sens, y compris la France d'outre-mer. J'ai rencontré des milliers de gens.
09:12 Je garde aujourd'hui beaucoup de fidélité, notamment parmi les jeunes avec Juppé, les "J.A.J." comme ils s'appelaient.
09:17 J'ai pas réussi, j'ai pas réussi.
09:20 - Et vous ne vous dites jamais "tiens, si j'y avais été, je serais peut-être président de la rue".
09:25 - Non, parce que j'ai réagi peut-être avec une pointe d'orgueil.
09:29 Je ne suis pas un plan B, vous l'avez rappelé, mais aussi en analysant la situation.
09:32 Le rassemblement de toutes les forces autour de moi pour gagner n'était plus possible à ce moment-là.
09:37 Il y avait eu trop de différences et de fractures.
09:39 - Alain Juppé, dans ce livre, et vous ne le cachez pas, vous faites en quelque sorte le bilan de votre vie.
09:45 C'est aussi l'objectif de "Mémoire".
09:47 - J'espère qu'il n'est pas définitif et qu'il y aura une suite.
09:49 - On l'espère. Que dirait le Alain Juppé que j'ai aujourd'hui en face de moi
09:53 aux petits garçons, justement à l'élève de Madame Dulon, soit plus méchant, soit moins content de toi ?
10:00 - Moi, j'ai essayé de faire passer deux messages dans ce livre.
10:03 Le premier, c'est la confiance dans l'avenir.
10:06 Arrêtons de nous autoflageler en disant que tout va mal en France.
10:09 Il y a des gens qui souffrent. Il y a des personnes vulnérables, je le sais bien.
10:12 J'ai été élu du 18e arrondissement et de la Goutte d'Or,
10:15 élu de Bordeaux qui n'est pas uniquement peuplé de riches viticulteurs.
10:18 Mais nous avons un pays qui est un pays des merveilles, je le dis aussi, pas simplement pour les touristes.
10:23 Donc, ayons confiance en l'avenir.
10:25 Et mon deuxième message, c'est que la modération est une vertu, ce n'est pas une faiblesse.
10:29 Ce qui est une faiblesse, c'est le fanatisme,
10:32 c'est l'hubris, comme on dit quand on veut être un peu prétentieux.
10:36 Au contraire, garder son sang-froid, chercher le point d'équilibre,
10:41 écouter les uns et les autres, peser le pour et le contre, et puis décider.
10:44 Ça, c'est une force. Et j'aimerais bien que cette notion de modération,
10:47 de courage de la nuance, comme l'a écrit un de vos confrères,
10:51 soit une valeur plus respectée, plus développée en France.
10:56 - Merci beaucoup Alain Juppé.
10:57 Une histoire française, c'est donc à découvrir en librairie.
11:01 Je le rappelle, c'est aux éditions.
11:02 de la région.
11:03 [SILENCE]

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