• il y a 2 ans
À 98 ans, Ginette Kolinka, survivante du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, où elle fut déportée à 19 ans, témoigne inlassablement de son passé, pour notre avenir. "Marie Claire" l'a accompagnée à Drancy, où elle fut détenue en camp d’internement et de transit durant deux mois, avant d’être désignée pour le convoi 71, direction l’indicible et l’inimaginable. Son père, son frère, et son neveu furent assassinés à l’arrivée du convoi.

Pourquoi la retrouver à Drancy ? Le mémorial de la Shoah y a dévoilé, dimanche 1er octobre 2023, l’exposition "Ginette Kolinka, itinéraire d’une survivante d’Auschwitz". Essentiel, pédagogique (et gratuit) parcours consacré au cheminement d’une des dernières survivantes de la Shoah, pensée à partir de la bande dessinée "Adieu Birkenau" (Albin Michel). Alors, qui mieux que l’extraordinaire Ginette Kolinka pour nous - et vous - guider sur les traces de son histoire ? De notre Histoire.
Transcription
00:00 Quand je suis rentrée à Paris, je ne faisais plus que 26 kilos,
00:03 alors qu'au départ, j'en avais 66.
00:05 26 kilos, et encore, c'était parce que j'avais été bien nourrie
00:14 à Thérésine Schatt.
00:15 On m'avait soignée, je suppose qu'on m'avait nourrie.
00:18 Vous voyez, les régimes qui ont fait la publicité à la télé,
00:21 il y en avait un qui était formidable, celui-là, et c'était gratuit.
00:25 J'aime bien blaguer, ça ne sert à rien de pleurer.
00:28 Vous dites que vous n'arrivez plus à pleurer depuis bien longtemps.
00:30 Moi, je ne sais plus pleurer, c'est exact.
00:32 Je crois qu'il y a très, très, très longtemps
00:35 que je n'ai pas eu la larme à l'œil.
00:36 Je suppose que j'ai laissé tout ça à Birkenau.
00:40 Vous avez laissé les larmes à Birkenau.
00:41 J'ai laissé la sensibilité à Birkenau.
00:44 Dans cette exposition, il y a une photo de vous
00:46 avec Simone Veil et Marceline Lauride d'Ambiance.
00:49 Vous avez été déportée dans le même convoi.
00:51 Marceline, j'ai toujours été avec elle,
00:56 depuis la prison jusqu'à tout le temps, tout le temps.
00:59 Mais Marceline avait 15 ans et moi, j'en avais 19.
01:03 Quant à Simone, je l'ai connue surtout par petite anecdote.
01:09 Alors, tout de suite en arrivant, on a fait les corvées ensemble.
01:13 Jamais Simone n'a fait la différence.
01:16 Elle est ministre et nous, on est des déportées.
01:19 Quand des déportées allaient la voir,
01:22 elles pouvaient parler à tous les présidents du monde.
01:25 Elle allait dire bonjour à ses copines.
01:27 J'ai reçu la première décoration de la Légion d'honneur
01:31 et c'est elle qui me l'a décernée.
01:34 Tout à l'heure, vous allez aussi recevoir une autre décoration.
01:36 Qu'est-ce que vous ressentez dans ces moments-là ?
01:38 Il ne faut pas cracher dessus, ce n'est pas désagréable.
01:41 Mais je trouve, pourquoi moi ?
01:43 Alors, moi, ça me gêne.
01:44 Je ne trouve pas que ce soit tellement mérité.
01:47 Elle a cette force de caractère
01:50 qui en fait vraiment quelqu'un qui est une force de la nature,
01:54 véritablement, même si a priori, on n'a pas cette impression-là
01:57 parce qu'on voit un petit bout de femme allégée.
02:00 Elle dit qu'elle a survécu à cause de la chance.
02:02 Moi, je pense que sa survie, elle la doit avant tout à elle-même
02:05 et à cause de sa force à elle.
02:08 Il y a une photo aussi dans cette exposition,
02:10 du camp sous la neige.
02:12 Vous dites qu'il ne faut pas visiter Auschwitz-Birkenau
02:15 quand il fait beau et quand il ne fait pas chaud.
02:16 Oui, naturellement.
02:17 Ça m'est arrivé d'y aller au mois d'avril,
02:20 une belle journée d'avril.
02:22 Vous voyez les gens en shorts.
02:24 Le Birkenau des déportés, ce n'est pas celui que vous voyez.
02:29 Nous, on était dans la crasse, on était dans la saleté,
02:31 dans la brutalité.
02:33 Il y a peut-être eu des journées comme ça
02:35 parce qu'on y a été quand même en juillet,
02:36 on y a été en août, mais on ne les voyait pas.
02:39 Nous, on voyait les capos qui nous battaient.
02:41 On ne voyait pas tout ça.
02:42 Mais de toute façon, je n'ai jamais vu des étendues de prairies
02:48 comme on voit maintenant quand on va à Birkenau.
02:51 Vous voyez même des lièvres qui passent,
02:53 vous avez des biches.
02:54 Non, on n'a jamais eu ça, même pas un oiseau.
02:57 Pour vous, Birkenau, c'est le froid ?
02:59 Pour moi, Birkenau, d'abord, c'est la mort.
03:02 Puis c'est la faim, le froid, la brutalité, la sauvagerie.
03:07 Je ne pourrais même pas dire la solidarité
03:10 parce que moi, je n'ai pas connu.
03:12 J'ai tort de dire que je n'ai pas connu
03:14 puisque Simone Weil m'a donné une robe et que ça m'a sauvée.
03:17 Mais des gens qui se priveraient de leur nourriture
03:21 pour partager avec l'autre à côté,
03:24 je n'ai pas vu et je ne sais même pas si ça a existé.
03:28 Vraiment, c'est un monde tout à fait spécial
03:32 que le corps de Birkenau.
03:33 Hitler ne voulait plus qu'on soit des êtres humains
03:36 et il a eu la façon de nous déshumaniser
03:40 très, très, très rapidement.
03:43 Je crois même tout de suite.
03:44 Avec le tatouage, d'abord ?
03:46 Le tatouage, la nudité, être mal habillé,
03:49 on vous enlève vos cheveux, il n'y a plus de blondes,
03:52 il n'y a plus de brunes, il n'y a plus de beaux cheveux heureux.
03:55 Non, on n'est plus rien et on est tous au même niveau.
03:59 Attention, attention, tout ce qui s'est passé,
04:04 c'est la haine qui a conduit Hitler à faire ce qu'il nous a fait subir.
04:09 J'espère qu'au moins quelques-uns, ça leur restera
04:14 et que s'ils ont envie de dire "c'est un musulman,
04:17 j'ai horreur des musulmans", "c'est un juif, quelle horreur",
04:20 j'espère que même s'il a l'idée de vouloir le dire,
04:24 "ah non, attention, je me rappelle ce qu'a dit Ginette".
04:27 ...

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