L'expert en stratégie militaire Pierre Servent et le journaliste Charles Enderlin, ancien correspondant de France 2 à Jérusalem, reviennent sur les premiers jours de guerre entre Israël et Hamas.
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Sonia Devillere, deux invités ce matin pour évoquer les questions de stratégie militaire.
00:04 Après l'attaque du Hamas sur Israël, je reçois le journaliste franco-israélien Charles Anderlin.
00:09 Bonjour.
00:10 Bonjour.
00:11 Charles Anderlin, vous avez été chef du bureau de France 2 à Jérusalem pendant 35 ans.
00:15 Vous avez été longtemps aussi réserviste de l'armée israélienne.
00:18 A vos côtés, Pierre Servan.
00:20 Bonjour.
00:21 Bonjour.
00:22 Spécialiste des questions de défense, également officier de réserve de l'armée française.
00:26 Charles Anderlin, voici Benjamin Netanyahou, président israélien, muet en chef de guerre.
00:32 Mais quel rapport entretient Netanyahou avec la guerre et avec l'armée ?
00:37 Avec l'armée, des rapports déplorables.
00:40 Il voulait, il n'y a pas très longtemps, limoger le ministre de la Défense qui était
00:45 opposé à la politique du premier ministre Netanyahou de changer le régime en Israël,
00:52 de transformer le judiciaire, le mettre à la botte du pouvoir.
00:56 Avec les généraux, cela va très mal.
01:00 Au cours des deux derniers mois, un certain nombre de membres de l'état-major voulaient
01:06 expliquer à des ministres du gouvernement, surtout à ceux qui n'ont jamais fait l'armée,
01:10 vous savez, il y a des fondamentalistes, des ultra-orthodoxes au gouvernement qui disent
01:16 qu'il est plus important d'étudier la Torah que de porter l'uniforme.
01:19 Ce n'est pas très bien vu du côté des laïcs et des gens qui, eux, font l'armée.
01:25 Et puis les généraux ont essayé d'expliquer les dangers.
01:28 Attention, il risque de se passer des choses, non seulement avec Gaza, mais aussi en Cisjordanie
01:34 où la tension monte et puis à la frontière.
01:35 Et ils n'ont pas été entendus ?
01:36 Personne.
01:37 Des généraux ont attendu des journées entières à la Knesset, le parlement israélien, jusqu'à
01:42 ce qu'on vienne tout simplement leur donner leur avis.
01:44 Alors, qu'est-ce qui est arrivé ?
01:46 Comment la frontière avec Gaza était totalement dégarnie de force ?
01:52 Pourquoi le général commandant le secteur a accepté ?
01:55 A-t-il été obligé d'envoyer les unités qui normalement sont totalement déployées
02:01 là en alerte ?
02:03 Ont-elles été envoyées en Cisjordanie pour protéger les colons et empêcher éventuellement
02:07 de nouveaux attentats ?
02:09 On le saura probablement lorsqu'il y aura une commission d'enquête après cette guerre.
02:13 Après ce gigantesque fiasco, Pierre Servan, la question se pose aujourd'hui à Israël
02:21 de la stratégie envers le territoire de Gaza.
02:24 Les frappes s'intensifient sur Gaza, on l'a vu cette nuit.
02:27 Des attaques aériennes peuvent-elles, à votre avis, suffire à détruire les infrastructures
02:33 du Hamas ?
02:34 Et combien de temps cela prendrait-il ?
02:36 Non, si c'était vraiment efficace, ça se saurait.
02:39 C'est la première fois qu'on a une attaque de cette ampleur.
02:45 Ce n'est pas la première fois que Tsahal, l'armée israélienne, attaque le Hamas sur
02:50 la bande de Gaza.
02:51 Donc, ce ne sera pas suffisant.
02:52 La frappe aérienne n'est pas suffisante ?
02:56 Non, non seulement elle n'est pas suffisante, elle ne l'a jamais été, parce que ça ne
02:59 permet pas de détruire… Il y a deux Gazas, vous avez un Gaza de surface et un Gaza de
03:03 souterrain.
03:04 Là où se trouvent les dépôts d'armes, les PC de commandement, etc.
03:09 C'est pour ça d'ailleurs qu'Israël a monté plusieurs reprises des opérations
03:13 au sol pour aller détruire dans le sous-sol les forces du Hamas.
03:18 Et par ailleurs, pardonnez-moi si je vous interromps, plus on frappe par les airs un
03:24 terrain de guerre et plus ensuite pour les forces au sol c'est difficile de pénétrer
03:28 et de circuler ?
03:29 Oui absolument, surtout dans une zone, si vous voulez, vous avez une concentration de
03:32 population qui est la plus grande de la planète.
03:34 Donc on voit bien les images, c'est un territoire petit qui est hyper construit.
03:39 Plus vous détruisez d'immeubles, plus une fois que vous pénétrez au sol, vous allez
03:43 vous retrouver face à des éboulis et donc ça peut créer des passages obligés pour
03:49 l'armée israélienne où ils seront attendus.
03:52 Le point qui est vraiment très important pour comprendre le dilemme dans lequel se
03:56 trouve Israël, c'est qu'il faut considérer que cette opération a été montée certainement
04:00 au moins depuis le mois de mai.
04:01 Alors je parle du mois de mai parce qu'à ce moment-là il y avait des tensions avec
04:05 la bande de Gaza, avec le djihad islamiste et on avait été surpris du fait que le Hamas
04:10 ne se joigne pas au djihad pour frapper Israël et donc je pense que c'est une affaire de
04:16 longue main et d'ailleurs on le voit dans les axes de pénétration, les objectifs, commissariat,
04:22 casernes, centre civil, l'Arafat-Parti, tout ça est organisé, planifié, conseillé
04:28 de longue date et qu'est-ce qui se passe dans un état-major quand vous préparez ça ?
04:32 Vous préparez le coup d'après, vous vous arrêtez pas à l'opération que vous allez
04:35 mener, les prises d'otages, la guerre de communication en parallèle et puis autour
04:40 de l'état-major du Hamas avec certainement des conseillers du Hezbollah ou des conseillers
04:44 iraniens, la question c'est que va faire Israël derrière ? Et là-dessus la marge
04:49 de manœuvre n'est pas très large et nous, qu'est-ce qu'on prépare ? Et à mon sens,
04:54 l'option d'Israël, les options sont très réduites et s'il y a une pénétration au
04:59 sol, l'armée israélienne sera attendue.
05:02 Comme l'armée israélienne en 2006 avait été attendue par le Hezbollah.
05:07 Si je comprends bien, pour Benjamin Netanyahou, c'est un piège.
05:11 C'est ma conviction.
05:12 Le coup d'après est déjà préparé par le Hamas, avec quelle ampleur, avec quel type
05:16 d'armement, avec quelle mobilisation ?
05:18 Charland-Berlin, on peut imaginer l'armée israélienne avancée dans Gaza, on peut imaginer
05:24 les soldats israéliens occuper Gaza, comme le rêve en gros l'extrême droite israélienne
05:31 depuis 2005.
05:32 Je crois que ce n'est pas l'extrême droite israélienne qui en rêve, mais aujourd'hui
05:35 toute la population, il y a une telle colère.
05:38 Écoutez, on parle aujourd'hui d'un bilan qui atteindra certainement les mille morts.
05:44 Les histoires qui sortent de ce qui est arrivé, vous savez quand même, pour la première
05:50 fois depuis la création de l'état d'Israël en 1948, des localités israéliennes ont
05:55 été occupées, terrestres.
05:57 21 localités, et vous savez, on m'a dit, 10 à 20% des habitants de ces localités
06:05 ont été assassinés, ont été tués.
06:07 Avec des histoires épouvantables, des infirmes, des enfants égorgés.
06:12 Il y a une colère à plus.
06:14 Les obsèques vont commencer aujourd'hui, demain, dans les jours qui viennent.
06:17 Donc cette colère est là.
06:20 Israël a décidé, il le fera peut-être dans cette guerre, peut-être dans une autre,
06:28 mais le Hamas doit disparaître, ou au moins tous.
06:30 Donc on va vers l'invasion terrestre.
06:33 On y va, si cela ne se fait pas, je suis persuadé que les grandes foules qui manifestaient il
06:39 y a quelques jours encore pour la démocratie contre Netanyahou, ces foules iront à l'assaut
06:45 de la présidence du conseil pour obliger le gouvernement d'agir.
06:49 Le sentiment est, l'armée n'a pas protégé le public, n'a pas protégé les Israéliens,
06:56 et là il doit y avoir un changement fondamental.
06:58 Situation extrêmement grave, situation exceptionnelle Pierre Servan.
07:03 On parle entre 100 et 150 otages, on n'a pas de chiffre précis des otages civils.
07:09 Est-ce que vous avez enlevé par le Hamas, kidnappé par le Hamas, retenu par le Hamas
07:14 et arraché à la population israélienne ? Est-ce que vous avez connu une situation similaire
07:21 en terrain de guerre Pierre Servan ?
07:23 Non, j'ai cherché, je n'ai jamais trouvé de situation de ce type.
07:28 Vous avez eu ce que les forces spéciales appellent les POM, les prises d'otages massives.
07:33 On pense par exemple au théâtre de Moscou, il y a une vingtaine d'années, où des Tchétchènes
07:38 avaient pris, je crois qu'il y avait 300 personnes dans le théâtre.
07:41 Mais vous voyez que c'est assez différent.
07:42 C'est le fait de se porter sur un endroit où il y a le Bataclan par exemple, où il
07:47 y a des personnes qui se trouvent qui sont désarmées.
07:49 Donc c'est un lieu unique.
07:50 Voilà, qui sont prises au piège.
07:52 Il y avait aussi l'école de Beslan, donc au SETI du Sud, en fédération de Russie.
07:57 Il y avait quand même un millier d'élèves, de professeurs qui avaient été faits prisonniers.
08:03 Il y a eu, je crois, plus de 300 enfants qui ont été tués dans cette opération.
08:07 Mais de ce type-là, c'est-à-dire une force paramilitaire venant d'un proto-État terroriste,
08:15 pénétrant une démocratie, une puissance militaire en profondeur, 25, 30 kilomètres,
08:22 Charles Renderlin a raison de dire, c'est un traumatisme majeur.
08:25 Je rappelle aussi, c'est un détail qui n'a pas été cité depuis le début de
08:29 cette affaire, Israël est une puissance nucléaire.
08:31 Et normalement, une puissance nucléaire sanctuarise son territoire.
08:35 C'est-à-dire le fait d'avoir une arme nucléaire, ça sanctuarise le territoire.
08:40 Évidemment, c'est totalement inopérant, puisque le Hamas est passé par en dessous.
08:44 Mais quelque part, par rapport au sentiment de puissance et de protection que les Israéliens
08:49 pouvaient avoir, tout ça a volé en éclats.
08:51 Donc non, je ne connais pas d'autres exemples de ce type.
08:54 Vous disiez que c'est un piège pour Benjamin Netanyahou, c'est un piège, l'invasion
08:58 terrestre, le fait d'entrer dans Gaza et en même temps, Charles Renderlin ne peut
09:02 pas ne pas y aller.
09:03 Et là, il y a la question des otages.
09:04 Oui, voilà.
09:05 Parce qu'effectivement, sans ça, bon, 120, 130...
09:07 Donc comment on s'en débrouille pour l'armée israélienne ?
09:09 Écoutez, cette fois, ça va être différent.
09:11 Cette fois, ce ne sera pas comme le soldat Gilad Shalit, le franco-israélien, qui pendant
09:16 cinq ans et demi a attendu que le Hamas fasse un accord avec Israël.
09:20 Cette fois, l'élément temps ne joue pas.
09:23 Les Israéliens veulent rapidement agir.
09:26 Les raisons pour lesquelles les frappes aériennes se poursuivent, c'est Israël en tente de
09:32 faire payer le prix le plus fort possible au Hamas.
09:36 Mais payer le prix le plus fort possible au Hamas, c'est risquer de sacrifier les otages
09:41 israéliens.
09:42 Écoutez, 1000 morts, 2000 et quelques blessés.
09:46 On est en guerre.
09:47 Les Israéliens feront leur calcul.
09:49 Je ne sais pas jusqu'où ça ira.
09:51 En tout cas, les décisions sont prises et les Israéliens feront des opérations militaires
09:56 jusqu'à ce que le plus rapidement possible, on avance vers une solution au problème des
10:02 otages.
10:03 On a parlé de l'extrême faillite du renseignement israélien dans cette affaire depuis samedi.
10:09 Pierre Servan, on a peu dit à quel point en réalité le renseignement palestinien
10:15 avait extrêmement bien opéré dans cette affaire.
10:17 Puisque tous les objectifs étaient dûment préparés.
10:22 Oui, effectivement, il y a vraiment du côté du Hamas, un travail de fond, un travail sur
10:26 les réseaux sociaux pour savoir aussi comment les gens fonctionnaient dans les villages,
10:30 dans les kibbutz, la ref party, etc.
10:32 Tout ça a été documenté, préparé, intégré.
10:36 Et du côté israélien, le point fort, sachant que dans la bande de Gaza, normalement, Israël
10:43 depuis longtemps a truffé la bande de Gaza d'indicateurs, d'espions, de personnes
10:47 qui sont là pour surveiller.
10:48 Là, quand vous voyez l'ampleur, 600 combattants du Hamas avec toute l'assaut, si je puis
10:54 dire, militaire qui va autour et pas un renseignement solide qui monte.
10:57 Ou alors, comme le dit Charles Anderlin, si ce renseignement est monté sur Benjamin
11:01 Netanyahou et son gouvernement et n'a pas passé les filtres de leur aveuglement, là
11:05 c'est un crime terrible.
11:06 Et le problème pour Israël par rapport à ce que disait Charles, c'est comment faire
11:12 pour résister à la pression populaire et à la colère ? Et comment faire en même
11:15 temps pour ne pas se retrouver avec 200, 500, 1000 soldats israéliens qui vont se faire
11:20 tuer dans Gaza ? Plus les otages.
11:23 Donc on est dans ce nœud aujourd'hui.
11:24 Je vous remercie tous les deux.
11:27 Charles Anderlin, je renvoie nos auditeurs vers Israël, l'agonie d'une démocratie
11:31 qui est ce libelle que vous venez de publier au sol et qui est un petit texte extrêmement
11:35 clair et percutant.
11:36 Merci Pierre Servan.