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Hugues Nancy
documentariste
Le documentaire signé Hugues Nancy et Fabien Béziat mélange un siècle et demi d’archives et témoignages de salariés d’usine

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00:00 Bonjour Hugues Dancy. Bonjour Céline Bagnac-Darco. Votre précédent film "Nous paysans" avait
00:04 remporté un très gros succès en 2021, 5,5 millions de téléspectateurs. Est-ce que ce
00:09 nouveau documentaire a un lien ? Parce que beaucoup de paysans sont devenus au fur et
00:12 à mesure des ouvriers. C'est en tournant le premier que vous avez pensé raconter l'histoire
00:17 des ouvriers ? Alors oui, mais c'est une histoire qui est un tout petit peu plus longue
00:21 parce qu'on avait avec Fabien réalisé un film la première fois sur les mineurs de
00:26 charbon qui s'appelait "L'épopée des gueules noires" où on avait découvert déjà ce
00:29 monde si particulier de la mine et des mineurs. Et puis après on a poursuivi. En fait ce
00:37 qu'on recherche avec Fabien c'est de raconter un peu les mutations du siècle, les mutations
00:41 de la société française au plus proche de la vie des Français. Et c'est vrai que ce
00:46 basculement de la paysannerie vers l'usine dès la fin du 19e siècle, ça nous avait
00:53 beaucoup frappés. Mais on a aussi la conviction qu'il y a un paradoxe ouvrier en France.
01:01 C'est à la fois une catégorie qui a eu un rôle très important économiquement,
01:07 politiquement, socialement et qu'on a pratiquement oublié aujourd'hui. C'est-à-dire que non
01:10 seulement on a un peu oublié leur histoire, mais on a l'impression aussi qu'ils ont
01:14 disparu. Et c'est ce paradoxe-là qu'on voulait montrer. Il y a encore 5 millions
01:19 en France d'ouvriers. Un Français sur 5, un homme sur 3 au travail est considéré
01:24 comme ouvrier. Mais on nous a tellement dit qu'il y avait des délocalisations, on nous
01:28 a tellement dit que des usines avaient fermé, on nous a tellement montré que les usines
01:32 étaient détruites, qu'on a ce sentiment que les ouvriers n'existent plus, que c'est
01:38 de l'histoire ancienne. Et ce qu'on veut montrer dans le film, et ce que les téléspectateurs
01:41 découvriront, c'est qu'on voit à l'image beaucoup d'ouvriers aujourd'hui. Ils sont
01:46 nombreux dans ce pays et ils ont l'impression qu'on ne parle pas d'eux.
01:50 - A juste titre ou pas ?
01:51 - Oui, plutôt. Il y a eu une invisibilisation des ouvriers dans les médias, mais aussi
01:58 dans nos récits. Et sans doute dans les discours politiques. Je crois que le message qu'ils
02:04 veulent faire passer, c'est que les partis politiques ne semblent plus s'adresser à
02:08 eux alors qu'ils sont un nombre très important dans notre pays.
02:11 - Vous mélangez des témoignages d'ouvriers retraités ou encore actifs et des images d'archives.
02:15 D'où viennent les images les plus anciennes ? Il y en a une extraordinaire qui ouvre le
02:19 documentaire d'ailleurs, ce sont des images des Frères Lumière.
02:22 - Alors, le cinéma a été inventé. Les Français disent que ça a été inventé par les Frères
02:27 Lumière. En Allemagne, ou dans d'autres pays, à peu près au même moment, c'est-à-dire
02:31 à la fin du 19e siècle, il y a l'équivalent des Frères Lumière qui ont aussi inventé
02:35 le cinéma. Mais en France, le cinéma a été inventé en 1895 par les Frères Lumière.
02:40 Et le tout premier film de l'histoire du cinéma des Frères Lumière, c'est une vue de la
02:47 sortie de leur usine lyonnaise. En fait, ils fabriquaient des plaques pour la photographie,
02:54 les Frères Lumière, à Lyon. Et ils ont posé leur machine qu'ils venaient d'inventer
02:59 devant la sortie de leur usine. Et on voit la sortie des ouvrières Lumière. Et c'était
03:04 pour nous symboliquement intéressant de montrer que le tout premier film de l'histoire du
03:08 cinéma concernait les ouvriers.
03:10 Vous, vous êtes allé tourner à l'intérieur des usines. Ça a été facile de se faire
03:13 ouvrir les portes par les entreprises ?
03:14 Non, pas toujours facile. Parce que je comprends aussi qu'il peut y avoir une méfiance.
03:21 Il y a ce sentiment aussi qu'on va peut-être dévaloriser le travail, les conditions de
03:27 travail. Et puis, on a rencontré d'abord des chefs d'entreprise qui ont accepté de
03:34 jouer le jeu. Et donc, évidemment, on remercie beaucoup ces chefs d'entreprise d'avoir
03:38 accepté. Parce que ce qui était important pour nous, je vous le disais tout à l'heure,
03:41 c'est qu'on voit à l'image, plutôt que de dire aux Français qui vont regarder le
03:46 film ce soir, oui, les ouvriers, ça existe encore. Eh bien, il fallait les montrer. Il
03:50 fallait qu'on voit qu'on fabrique encore de la porcelaine à Limoges, qu'on voit qu'il
03:54 y a encore des sardinières à Doisneau-Nez dans les conserveries, qu'on voit qu'il y
03:58 a des chaînes d'automobiles chez Renault avec beaucoup, beaucoup de gens qui travaillent
04:02 pour fabriquer une voiture. Il fallait que ça se voit, comme chez Michelin ou dans le
04:09 textile également. On va écouter un extrait. Ce sont deux ouvriers entrés très jeunes
04:12 à l'usine à 14 ans pour le premier. J'ai vu la scérie qui crachait, le feu. J'étais
04:20 très impressionné par tout ça. Surtout le feu, les projections qu'on voyait. Donc,
04:27 on nous disait il faut faire très attention à tout moment. Vous risquez. Il faut savoir
04:32 qu'on risque notre vie à 14 ans. On a un enfant. C'est là où j'ai vu les premiers
04:37 au fourneau avec la fonte coulée, les aciérés qui faisaient des étincelles. De l'extérieur,
04:42 on voyait des fumées rouges, des trucs. On se demandait ce qu'ils faisaient là dedans.
04:45 On a enjambé le caniveau de coulée de la fonte et en dessous, il y a la fonte rouge
04:52 qui coulait à 1100 degrés. Ça fait peur. On se dit c'est l'enfer là-dedans. C'est
04:59 quoi ? La pénibilité, le danger, la peur. Je voudrais
05:02 quand même qu'on s'arrête sur le travail des enfants Hugues Nancy. À 14 ans, certains
05:07 étaient déjà à l'usine. C'est complètement dingue.
05:09 En même temps, c'était un énorme progrès. On le raconte au début du film. On n'a pas
05:14 fait un trop long passage sur ce sujet. Mais les enfants dès l'âge de 5 ans étaient
05:19 embauchés. Il y en avait beaucoup. Ça représentait jusqu'à 20% de tous les ouvriers de la deuxième
05:26 moitié du 19e siècle. Parce qu'ils étaient petits, qu'ils pouvaient aller sous les machines,
05:30 derrière les machines. C'était en plus des conditions de travail particulièrement
05:33 difficiles. C'était un peu la jungle, la révolution industrielle dans les entreprises.
05:39 Il a fallu qu'il y ait des règles qui soient établies. La première loi sociale de notre
05:44 pays, avant qu'il y ait un ministère du travail, ça a été pour interdire le travail
05:48 des enfants sitôt. Ça a été un long combat. Il y a eu plusieurs étapes. On a fini par
05:55 l'âge de 13 ans en 1892 avec l'idée qu'il fallait avoir un certificat d'études pour
06:00 être embauché. À partir du moment où il y avait cette règle, on a embauché les jeunes
06:05 juste après, à 14 ans. Pendant très longtemps en France, on a travaillé à partir de 14
06:10 ans. Ça nous a beaucoup frappé tous ces ouvriers que l'on a interrogés. Ils ont été très
06:17 marqués par leur entrée dans le monde du travail à 14 ans. C'est un moment, quand
06:20 on a des enfants, comme c'est mon cas, c'est un peu troublant. C'est une parole qui est
06:25 très forte. Ils ont été au cœur de tous les grands combats sociaux français, les
06:31 ouvriers. La France a obtenu, en tout cas les salariés, ont obtenu beaucoup de choses
06:36 grâce à la mobilisation des ouvriers. En mai 68, évidemment, ils étaient mobilisés.
06:41 Les usines paralysées, 3 millions d'ouvriers en grève. Mais finalement, ils n'ont pas
06:45 obtenu grand-chose. Oui, c'est un des paradoxes de notre histoire politique. Souvent, les
06:55 ouvriers obtiennent, après de longs combats, certaines avancées. Et généralement, dans
07:00 les années qui suivent, on fait en sorte de leur enlever ou en tout cas de faire en
07:04 sorte que ça ne s'applique pas. Je ne vais pas refaire toute la liste des conflits sociaux.
07:09 Mais en mai 68, c'est un peu étonnant parce que c'est un mouvement qui a été le plus
07:15 important de notre histoire. Il y a eu le plus grand nombre de greffistes, le plus grand
07:19 nombre d'ouvriers en grève en mai 68. Mais ce qui était le cœur de leur revendication
07:24 n'a pas du tout été abordé à la suite. Et donc, il y a un sentiment de frustration
07:28 chez les ouvriers après mai 68 parce que ce qui était le cœur de leur revendication,
07:32 c'était les cadences, c'était le chronométrage et cette idée qu'avec la rationalisation
07:38 du travail, on s'est mis à chronométrer chaque geste des ouvriers. Et donc ça, ça
07:43 va courir tout au long du siècle et jusqu'à mai 68.
07:49 Ce qui ressort des témoignages dans votre film, Huguenin, si c'est de tous les témoignages,
07:53 c'est la fierté d'être ouvrier et même l'amour de ce métier.
07:57 Avec Fabien Béziès qui nous a beaucoup frappés, et qui se retrouve assez beau, après c'est
08:02 à chacun de se faire son sentiment ce soir. C'est cette ligne de crête un peu étonnante
08:09 où on est entre la difficulté du métier, vous avez parlé de la pénibilité, des accidents
08:14 du travail. Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup d'ouvriers sont morts au travail. Et en même
08:19 temps, à chaque fois, effectivement, la fierté, la fierté d'un savoir-faire, la fierté
08:26 d'avoir appartenu aussi à ce qu'on appelait la classe ouvrière. C'est un sentiment d'appartenance
08:31 collective qui aussi donnait la force de se battre. Et puis le fait d'avoir l'impression
08:37 d'appartenir à un groupe. Et cette fierté, elle ressort du film parce qu'elle est ressortie
08:42 de chacune de nos interviews. Et ce qui nous a le plus frappés, c'est que des mineurs
08:49 de charbon puissent raconter la peur et en même temps ils disent "si demain ça recommençait,
08:55 j'y retournerai". Et c'est un paradoxe, mais c'est un peu une ambivalence, mais qui est
09:00 un peu dans chacun d'entre nous.
09:01 - Alors il y a eu "nous paysans", "ce soir nous les ouvriers", "le prochain, nous".
09:06 - Non, je crois qu'avec Fabien, on a fini un cycle et on a raconté les grandes mutations
09:14 de cette société française avec ses héros principaux.
09:19 - Donc ça s'arrête là ?
09:21 - Il ne faut jamais dire jamais, mais a priori ça s'arrête là.
09:25 - Merci beaucoup Ignancy d'être venu sur France Info.
09:27 - Merci Céline.

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