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Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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00:00 grâce aux nouvelles têtes avec vous Mathilde Serrel. Ce matin, une cinéaste qui a impressionné
00:04 la semaine de la critique au dernier festival de Cannes avec le ravissement, son premier
00:09 long métrage, Iris Kaltenbach, est dans notre studio et ça commence évidemment par un
00:14 portrait sonore.
00:15 Il y avait tout un folklore, un folklore de maman au travail, on rentrait c'était chut,
00:21 on allait ouvrir la porte. Oui, tu me donnais aussi quelques fois ton opinion sur les gens.
00:25 Celui-là tu ne vas pas le soigner, parce que celui-là il n'a rien du tout, il va très
00:28 bien. Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents psychanalystes. Elle, si, elle
00:33 a grandi dans le murmure des patients derrière la porte du bureau, comme Carlos et sa maman
00:37 Françoise Dolto, sauf que chez elle, les deux parents sont psys.
00:40 Millenium Mambo du Taïwanais ou Saocien, mais aussi des films d'Hitchcock ou Kieslowski,
00:54 Ado construit toute sa culture cinéphile à elle, dans un de ses temples de l'avant-streaming,
00:59 les vidéoclubs.
01:00 Au cours de ce bal, le fiancé de Lolle est tombé amoureux d'une femme. Lolle a assisté
01:06 à cet amour naissant jusqu'à se perdre de vue elle-même. C'était si merveilleux
01:11 cet améantissement de Lolle qu'elle en a été marquée pour la vie.
01:15 En lisant Le ravissement de Lolle Weinstein de Marguerite Duras, elle entrevoit sans le
01:19 savoir le point de départ de son premier long métrage, le déni de chagrin d'une jeune
01:23 femme qui se fait ravir son amour et glisse dans l'abîme.
01:26 Elle, elle se voyait plutôt avocate pénaliste. Après le droit, la philo, c'est l'école
01:32 de cinéma La Femmise dont elle sort avec les félicitations du jury, où elle trouve
01:36 le meilleur moyen d'approcher ces grands questionnements de l'âme humaine. Aujourd'hui,
01:40 sort en salle Le ravissement, premier film et coup de maître. Iris Kaltenbach, bonjour.
01:44 Iris Kaltenbach - Bonjour.
01:45 Saskia de Ville - Et félicitations, mais qu'est-ce qu'il reste de l'avocate que vous avez failli
01:48 devenir dans ce premier long métrage ?
01:50 Iris Kaltenbach - En fait, il restait de la frustration. C'est-à-dire, j'avais assisté,
01:55 j'avais travaillé pour une avocate pénaliste et j'avais assisté à beaucoup de procès.
01:58 Et finalement, j'avais le sentiment que le procès étant quand même une immense fiction,
02:02 parce qu'il faut juger, il faut donner une réponse. La voix de l'accusé, et souvent
02:07 je voyais des femmes accusées, était complètement engloutie. Et donc, j'ai eu envie de partir
02:12 de cette frustration. C'est pour ça que ce n'est pas du tout un film de procès. Et d'essayer
02:16 de construire le portrait de cette femme à travers des fragments, à travers la voix
02:20 off de Milos, mais justement sans jugement.
02:24 Saskia de Ville - Votre héroïne, Lydia, qui est incarnée par Abza Herzi, est racontée
02:27 par l'homme qui a failli l'aimer, donc Milos, qui est jouée par Alexi Manetti, comme dans
02:31 le roman de Marguerite Duras, Le ravissement de l'Holwe Stagne. Vous l'avez tout de suite
02:35 entendue comme ça, dans le film, cette narration ?
02:37 Iris Kaltenbach - Oui, parce que c'était très important pour moi qu'il y ait à la
02:40 fois le point de vue de Lydia, qu'on soit très proche d'elle, le plus possible pour
02:44 glisser dans la spirale de mensonges avec elle et essayer de la comprendre. Et en même
02:48 temps, qu'il y ait un point de vue extérieur qui s'interroge avec moi, dans la même démarche
02:52 que moi en tant que cinéaste, sur cette femme et qui accepte qu'il y a un mystère et que
02:58 je ne vais pas résoudre tous les mystères. Et qui donne aussi une complexité à ce personnage
03:01 masculin qui ne va pas juste s'en aller, mais qui va vraiment prendre le temps de réfléchir
03:08 et de se poser la question "Est-ce que moi aussi, finalement, je n'ai pas une part de
03:11 culpabilité dans cette histoire, au moins inconsciente et de complicité ?"
03:15 Saskia de Ville - C'est un fait divers que vous aviez lu comme ça, entre les pages d'un
03:20 journal, un peu à la François Truffaut d'ailleurs, qui a trappé ses idées de scénario dans
03:23 les pages des journaux. C'est quoi ce fait divers ?
03:25 Iris Kaltenbach - Ce fait divers, c'était vraiment quelques phrases qui disaient "Une
03:28 jeune femme emprunte l'enfant de sa meilleure amie et fait croire à un homme que c'est
03:31 le sien". Et je me suis dit que finalement, il y avait sûrement une très belle histoire
03:35 d'amitié et la naissance potentielle d'une histoire d'amour autour de ce mensonge.
03:39 Je trouvais ça passionnant, ce vrai et ce faux imbriqué.
03:41 Saskia de Ville - C'est un double ravissement, puisqu'elle se fait ravir l'homme qu'elle
03:44 aime au début et va ravir le bébé de sa meilleure amie. C'est aussi un film sur le
03:48 mensonge qui est une forme de ravissement. C'est votre côté fille de psy, cette façon
03:53 de tourner autour d'un mot ?
03:54 Iris Kaltenbach - Je ne sais pas honnêtement, mais c'est vrai que j'aime beaucoup les mots,
03:59 les doubles sens. Oui, peut-être, je ne sais pas.
04:02 Saskia de Ville - Il y a une autre inspiration majeure de ce film, on n'en parle pas assez,
04:05 c'est "La Belle et le Clochard".
04:06 Iris Kaltenbach - Oui, effectivement, c'est un film que j'ai beaucoup, beaucoup regardé
04:10 petite. Et c'est vrai que la belle est chassée de chez elle au moment où un bébé arrive.
04:15 La belle, c'est la chienne, au moment où un bébé arrive dans la famille.
04:18 Saskia de Ville - Elle est chassée de sa maison par ses maîtres. Les critiques sont
04:21 unanimes, on parle d'un film magistral, du plus beau rôle d'Avia Erzy, qui a été
04:24 révélé et césarisé en 2007 pour la graine et le mulet. Lors de votre prix à Cannes,
04:29 la cygnase d'Elfine Glaze a dit que le film était fait avec tant d'intelligence et de
04:33 retenue qu'on avait envie d'embrasser toute l'équipe. Comment vous recevez l'arrivée
04:38 de ce film au monde ? Sachant que vous attendez vous-même un d'envoi dans peu de temps.
04:43 Iris Kaltenbach - C'est génial, en fait. C'est surtout, en fait, ça donne une visibilité
04:47 au film qui est extraordinaire. Et pour ça, je pense que la Semaine de la Critique et
04:52 Ava Kaehn ont fait un travail incroyable pour ce film. Et donc voilà, maintenant, je suis
04:57 très heureuse. Mais j'ai surtout envie que les spectateurs et le public aillent le voir
05:01 et ressentent des émotions avec ce film et soient tenus sur leur chaise parce qu'il
05:06 y a aussi un côté assez thriller dans ce film, à la Hitchcock ou à la Truffaut, du
05:10 fait de la voix off, etc. Donc j'ai envie qu'ils soient tenus et que le film les accompagne
05:14 par la suite.
05:15 Saskia de Ville - On a peur, c'est-à-dire qu'on ne sait pas si on va être dans un ravissement
05:18 ou si on va être dans le Chanson douce de Leïla Slimani.
05:20 Iris Kaltenbach - On est très loin de Chanson douce.
05:21 Saskia de Ville - Mais il y a quelque chose qui saisit quand même. On a peur du pire.
05:26 Avec ce personnage d'Avier Azi qui est tellement sourd.
05:29 Iris Kaltenbach - Oui, en tout cas, on suit la spirale de mensonges. Mais je vous rassure,
05:32 on est très loin de Chanson douce.
05:33 Saskia de Ville - Alors lui, il est conducteur de bus, enfin machiniste, précise-t-il. Elle
05:37 est sage-femme, enfin maïoticienne. Comment est-ce que vous vous définissez votre métier
05:42 de cinéaste ?
05:43 Iris Kaltenbach - Moi, j'adore le mot cinéaste en fait. Et comment le définir ? Je pense
05:50 que c'est des anthropologues, des sociologues, des philosophes, des peintres. Les cinéastes,
06:00 je crois que c'est au croisement de tellement de choses que je ne saurais pas. Voilà.
06:03 Saskia de Ville - Moi, je propose que c'est une forme de psychanalyse des images. Et on va l'écouter.
06:08 - Tu te souviens quand on disait que tout était possible ? Quand on passait le bac il y a 15 ans. Comment la vie peut rétrécir à ce point-là en 15 ans ?
06:17 - Ecoute, c'est juste une phase. Tout est encore possible. Tu peux tout faire. Il faut
06:21 juste que tu prennes soin de toi.
06:22 - Non, non, mais arrête. J'en ai marre de cette injonction de bien-être. Putain, on
06:26 n'est pas des putains de bouddhistes. Vous me faites chier avec votre yoga prénatal,
06:31 post-natal, rééducation de mon cul et la méditation de merde. Si maman va bien, bébé
06:36 va bien. Et donc quoi ? Si maman va mal, bébé se suicide ?
06:41 - Vous l'avez écrit ce dialogue. C'est entre Salomé incarné par Nina Meurice et
06:48 donc Lydia aversé sa meilleure amie, sage-femme. Il y a des sujets qui ne sont pas embrassés
06:54 non plus. Aujourd'hui, c'est cela aussi que vous mettez dans votre film. Ce sont
06:58 ces images de la maternité, du couple, qui font mal et qu'il faut analyser.
07:02 - En tout cas, j'interroge le mythe de la maternité dans ce film à travers ses deux
07:08 amis. Une qui n'a pas de désir de mère et qui va petit à petit avoir des sentiments
07:14 qu'on pourrait qualifier de maternel pour un enfant. Et une autre qui est la mère
07:18 naturelle de cet enfant, qui va lui donner naissance et qui va vivre la violente solitude
07:23 du post-partum. Des sentiments qui ne sont pas du tout évidents vis-à-vis de cet enfant
07:27 tout de suite et immédiat. Et finalement, ça parle de deux femmes qui sont un peu écrasées
07:31 par le mythe de la maternité et le poids qui est encore existant dans la société.
07:36 - Donc, à voir absolument dans Le Ravissement. Et vous, vous voyez où dans 10 ans Iris
07:41 Kaltenbach ? - J'aurais fait 7 films. Allez !
07:45 - Paris, prix sur France Inter. Merci beaucoup. C'est un film, je ne vais pas le dire ravissant,
07:52 mais c'est surtout très fin et très ample dans sa délicatesse. Le Ravissement, le 11
07:57 octobre, c'est aujourd'hui. Le prix est à sa céder à la semaine de la Critique.