Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Place aux nouvelles têtes, Mathilde Serrel, ce matin votre invitée à 36 ans, elle prend
00:04le cinéma par les cornes, la réalisatrice Emma Benestan est dans notre studio.
00:10Bonjour Emma Benestan ! Bienvenue dans l'arène, au coin du feu aussi ! Vous vous souvenez
00:28de la première fois que vous avez vu une course camargaze ? Oui, c'était quand j'avais
00:3314 ans, dans l'arène de Palavas-les-Flots.
00:37Et ça vous a marquée ? Oui, ça marque toujours en fait, le taureau, moi j'ai grandi pas
00:42loin de là où j'ai filmé et le taureau est omniprésent donc je pense que la première
00:46fois qu'on voit un taureau vraiment c'est assez impressionnant.
00:48Vous êtes née à Montpellier, c'est vrai que vous avez grandi en Camargue, vous connaissez
00:51ce milieu qui est différent de la Corrida, il faut le dire, les rasteurs comme on les
00:55appelle sont ceux qui font des courses camargazes et qui rasent le taureau de près mais ne
01:00le tuent pas.
01:01C'est un face-à-face beaucoup plus animal en fait, avec la bête, animal, c'est le titre
01:05de votre deuxième long métrage qui a été présenté en clôture de la semaine de la
01:09Critique à Cannes qui sort mercredi prochain et ça se passe dans une manade, le lieu où
01:13on élève les taureaux et on se prépare aussi aux courses avec une héroïne, une jeune
01:17femme, une rasteuse on peut le dire, qui est seule dans un monde de mecs, Nejma Chokri,
01:22incarnée par l'exceptionnel Oulaya Amamra, on s'en souvient, César du Meilleur Espoir,
01:26c'était pour le film Divine, elle montait sur la table et engueulait sa concert d'orientation.
01:30Elle était déjà dans votre premier film, vous l'avez écrit pour elle celui-ci ?
01:34Oui, je l'ai tout à fait écrit pour elle, c'est la troisième fois qu'on collabore
01:38ensemble et je pense qu'à l'écriture, je pensais à elle parce qu'elle a quelque
01:43chose de très fort dans le corps Oulaya et puis elle prend à bras le corps justement
01:47c'est les personnages et puis c'était tellement un rôle particulier et hyper singulier,
01:54il fallait venir en Camargue avant, je voulais vraiment quelqu'un qui puisse venir avec
01:57moi, m'accompagner, monter à cheval, connaître les bêtes, passer du temps là-bas et je
02:01savais qu'Oulaya serait à la hauteur de ça pour qu'on puisse croire à cette fille Nejma.
02:06Nejma, il va lui arriver quelque chose de très bizarre au lendemain du soir où elle
02:10va fêter sa première course mais d'abord je voudrais qu'on se mette un peu dans l'ambiance
02:13des vestiaires.
02:15Nejma est venue avec des ambitions, elle est en train d'affûter le crochet à la vise
02:17les gars.
02:18C'est ça ? Tu l'as dans le viseur non ? Ah c'est la première fois qu'on met une
02:23fille, on a le droit de brancher un petit peu.
02:25Il rentre toute sa peau à l'étouffement, on n'est pas d'habitude.
02:27Bon les gars, attention, je crois que Nejma parle à Fashion Week là.
02:32C'est pas toi qui voulait mon rouge à lèvres tout à l'heure ?
02:37C'est une grande première, je vous demande de m'applaudir, Nejma Chaudrier.
02:43Et on est dans l'arène, Nejma va faire la fête, il va se passer quelque chose de
02:50terrible dont elle ne se souvient pas.
02:52En fait vous avez décidé de transposer ce qu'est un viol au cinéma dans une atmosphère
02:58d'horreur, de western et pas du tout au premier degré.
03:03Pourquoi vous avez voulu absolument profiter de ce cadre là pour décaler ce qu'on peut
03:08raconter d'habitude au cinéma par rapport à ce genre d'acte ?
03:13Moi déjà j'ai grandi avec Buffy contre les vampires.
03:20Buffy et les films de genre m'ont beaucoup inspirée parce que je trouve que c'est une
03:23façon très forte métaphoriquement de parler de traumatisme.
03:26Et pour moi c'était hyper important dans ce film d'essayer d'être un maximum dans
03:32la tête de cette jeune femme qui perd pied du monde qui l'entoure et qui s'interroge
03:36progressivement qui est la bête, où est la violence vraiment, qui est l'ennemi intime.
03:41Et donc c'est dans cette envie là vraiment qu'est né le film.
03:45Et surtout j'avais fait deux documentaires avant en Camargue.
03:48C'est vrai que la course camargaise n'a rien à voir avec la corrida.
03:50Il n'y a pas de mise à mort mais surtout il y a une dimension très animiste.
03:53On va vraiment voir le taureau pour le taureau.
03:55Ils ont tous des prénoms.
03:57On va les voir souvent.
03:58Et du coup cette dimension animiste et du taureau me faisait vraiment penser au mythe
04:01du minotaure avec lequel aussi on peut grandir.
04:04Enfin je lisais les Métamorphoses de Vide je me rappelle en terminale et du coup ça
04:07m'avait pas mal inspirée.
04:08Et je trouvais ça intéressant de lier la jeune femme et le taureau qui est un animal
04:13très masculin.
04:14Et du coup tout ça me venait au fait que je me disais comment j'essaie de renverser
04:18les codes et d'essayer de faire que le spectateur vive cette expérience avec elle et puisse
04:23être touché d'une autre manière en tout cas d'inverser ce rape and revenge pour qu'en
04:28fait le rape soit à la fin et pas au début.
04:31Parce que c'est le trauma total et c'est l'endroit de la violence ultime pour moi.
04:36Oui pardon faut pas trop révéler le film et vous verrez de toute façon c'est prégnant
04:40à l'image, c'est très angoissant.
04:42Et à la fois c'est très beau aussi parce que c'est les images aussi du chef opérateur
04:46de Titane de Grave qui va comme ça mettre une réalité presque onirique, fantasmagorique
04:52au sein de scènes complètement de plein pied.
04:55Et en fait c'est intéressant quand même parce que vous auriez pu faire du Tarantino.
04:59C'est-à-dire qu'il y a aussi des choses jouissives chez Tarantino comme on est dans
05:02Boulevard de la Mort par exemple.
05:04On voit que les filles peuvent se venger contre le conducteur tueur et là vous n'avez pas
05:08voulu prendre ce plaisir de la revanche ?
05:11J'étais plutôt partie sur It Follows qui était une de mes grandes références.
05:15Je crois que j'avais très envie que la violence soit une violence sourde, soit la
05:18violence du corps.
05:19Il y a un bouquin que je trouve incroyable qui s'appelle Le corps n'oublie rien et
05:22c'était surtout sur ce travail-là que j'avais envie d'immerger le spectateur.
05:27C'était ce déni en fait, la mémoire que ce soit sonore ou corporelle qui commence
05:33à revenir et l'animal qui commence à raconter la possibilité de la résilience de cette
05:37jeune femme.
05:38Donc ça c'était vraiment important pour moi.
05:40Est-ce que vous, vous avez l'impression dans le cinéma que vous n'êtes plus seule
05:42dans un monde d'hommes aujourd'hui les réalisatrices ?
05:45Oui il y en a plein, c'est super je trouve.
05:47En tout cas je vois qu'il y en a plein.
05:49Après quand je suis sortie de l'école il y avait une certaine parité à l'école
05:53et puis après l'école c'était plus compliqué mais j'ai l'impression qu'il y a de plus
05:56en plus de propositions et j'ai moi-même plein d'amis réalisatrices femmes qui
06:01s'en réjouissent.
06:02Ça s'est ouvert ?
06:03Je te remettrai depuis combien de temps à peu près ? Une dizaine d'années ?
06:06Un peu moins je dirais.
06:08Mais après il y a encore tout à faire je pense.
06:11Catherine Biglot, Jane Campion sont les pionnières pour vous.
06:14Ce sont vos modèles.
06:15Vous dites qu'elles racontent ce qu'elles ont profondément envie de raconter.
06:19Parce qu'on met du temps avant de vraiment choisir le récit.
06:23Qu'est-ce que vous vouliez profondément raconter ?
06:26Je pense que j'avais profondément envie de...
06:28Dans mon premier film j'avais parlé de la fragilité masculine et j'avais profondément
06:32envie de raconter la puissance féminine.
06:34Alors elle a des cornes.
06:36Et attention parce qu'en effet c'est quand même aussi un revenge.
06:40Vous êtes obsédée aussi par le western.
06:43Vous n'êtes pas du sérail.
06:44Votre père c'est un cinéphile.
06:46C'est lui qui vous a formé au cinéma.
06:48Là vous vous êtes offert votre western.
06:50C'est vrai que j'ai grandi avec un père cinéphile qui m'a beaucoup montré du western
06:54et en fait je ne m'y retrouvais jamais.
06:56Que ce soit en tant que fille d'immigré ou en tant que femme.
07:00Souvent c'était soit les personnages qui étaient maltraités.
07:02Il y avait souvent des viols etc.
07:04Mais ce n'était jamais le premier plan de l'histoire.
07:06Ce n'étaient pas les personnages féminins.
07:08Et je crois que j'avais très très envie de placer ce personnage-là dans un genre où on ne le voit plus.
07:13Vous avez fait votre western.
07:14En tout cas vous êtes aussi co-scénariste du film « Les chiens de la casse »
07:16je signale qui est exceptionnel.
07:18Et puis vous rêvez souvent de saupalins violents la nuit.
07:22Vous l'avez dit dans votre questionnaire.
07:23Donc ça peut être un thème pour le prochain film.
07:25Exactement.
07:28Emma Benestan, bonne route pour ce film animal qui sort en salle mercredi prochain.
07:32Et merci à Marion Philippe qui m'aide à préparer « Nouvelle Tête ».
07:35Merci Mathilde.