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00:00 face aux nouvelles têtes avec vous Mathilde, tous les matins vous invitez un nouveau talent
00:04 à la table du 7-10 et cette fois c'est une nouvelle plume dont le premier roman très
00:09 « gourmand » affole cette rentrée littéraire.
00:12 Juliet Toury, bonjour !
00:14 Bonjour Mathilde Serrel !
00:15 Imaginez un monde où les rôles du sexe et de la nourriture sont inversés.
00:19 Le soir on s'invite à baiser entre amis, le midi on fait des pauses masturbatoires
00:23 entre collègues.
00:24 Mais les ébats culinaires, eux, sont réservés à la sphère intime.
00:27 Ce monde, c'est celui du premier roman, celui de vous, Juliet Toury, dès que sa bouche
00:32 fut pleine chez Flammarion, une des publications, attention c'est lourd, les plus alléchantes
00:37 si je puis me permettre de cette rentrée littéraire.
00:39 Pour une énarque de 34 ans, diplômée de l'école des ponts et chaussées et ancienne
00:43 conseillère du ministère des Finances, le sujet peut paraître surprenant.
00:46 Quoique, vous adorez aussi Virginie Despentes et avec Bruno Le Maire, Bercier est devenu
00:51 une nouvelle référence en matière de romancérotique.
00:55 Aujourd'hui, vous êtes à la fois primo-romancière et directrice du pôle accompagnement de l'agence
01:01 de l'innovation santé.
01:02 Est-ce que vos collaborateurs ont lu votre livre ?
01:04 Oui bien sûr, pas encore tous puisqu'il est sorti il y a quelques jours.
01:08 Mais certains ont eu des petites avant-premières, des exemplaires que j'avais.
01:12 J'ai la chance d'avoir des collègues supérieurs et des collaborateurs extraordinaires.
01:18 Je suis très soutenue et très encouragée dans cette double voie.
01:22 Bonne ambiance à la séance dédicace.
01:24 Sérieusement, qu'est-ce qui se passe entre les énarques et la littérature érotique ?
01:28 C'est une bonne question.
01:31 On est quelques-uns maintenant sur ce créneau.
01:38 Non je plaisante.
01:39 Non mais la littérature tout court, il se trouve que ça fait partie de la vie, que
01:45 ce sont des questions qui font partie de la vie.
01:46 Quand on écrit des livres, on a envie de toucher toutes les parties de la vie, si j'ose
01:50 dire.
01:51 Il y en a peut-être d'autres choses, plus de choses à sortir ?
01:53 Je ne crois pas.
01:55 En tout cas pour moi, ma vie professionnelle n'a pas été une source d'inspiration
01:59 à cet égard-là.
02:00 Mais en revanche, côtoyer des gens qui écrivent des livres, vivre des situations intenses
02:06 et aussi l'engagement dans le travail.
02:08 Écrire un livre, c'est aussi beaucoup de travail.
02:10 Le temps qu'on consacre à ses activités professionnelles et aussi le miroir du temps
02:14 qu'on peut consacrer à d'autres activités et d'autres tâches qui demandent de la
02:18 persévérance et de la ténacité.
02:20 On en verra donc beaucoup des livres de romances érotiques qui vont sortir des plumes de l'ENA.
02:25 Dans ce premier roman, dès que sa bouche suit pleine, vous installez une réalité inversée.
02:30 C'est la nourriture qui est à bout et le sexe qui apprit le rôle social de la nourriture.
02:33 Par exemple, le matin, en écoutant la radio, on s'adonne à son rapport sexuel matinal.
02:38 C'est sain, c'est recommandé, c'est comme le petit déjeuner le soir avant de
02:41 passer en banquette.
02:42 On fait ses courses au porno-prix avec un beau choix de lubrifiant et d'ustensile.
02:47 En revanche, tout ce qui est comestible est planqué derrière le rayon adulte.
02:50 Les dents sont considérées comme tabous, ce qui, avouons-le, Léa, ne nous arrangerait
02:55 pas.
02:56 Et les films porno sont des recettes de cuisine.
03:01 Juliette Houry, pour vous, c'était un rêve ou un cauchemar ?
03:04 On voit vos dents Léa, attention !
03:06 Il paraît qu'il faut sourire.
03:08 Non, c'est plutôt un cauchemar.
03:11 Pour moi, c'est un miroir de la réalité.
03:13 Une réalité où aujourd'hui le tabou du sexe existe encore.
03:16 C'était un des propos que je voulais aborder dans ce livre en inversant quelque chose de
03:19 très trivial et quelque chose qui est encore tabou.
03:21 Et c'est vrai qu'on m'a dit que le tabou du sexe n'existait plus.
03:23 Ce avec quoi je ne suis pas d'accord, qui ne correspond pas au vécu que je peux avoir
03:27 ou que je peux ressentir chez mes amis.
03:29 Et donc, ce n'est ni un rêve ni un cauchemar.
03:31 C'est un miroir de la réalité qui n'est pas mieux que notre réalité, je pense.
03:35 Dans le livre, on s'interroge pourquoi un besoin si naturel que manger est devenu tabou.
03:39 Et c'est pareil avec le sexe.
03:40 C'est un livre extrêmement drôle.
03:42 A la radio, on entend que Mme Renne-Claude a été incarcérée.
03:46 C'est un réseau de cuisine clandestine, c'est terrible.
03:48 Et on en discute entre collègues.
03:50 Le clou du spectacle, une grande salle avec une immense table au milieu.
03:53 Assez grande pour asseoir facilement une douzaine de personnes.
03:56 Vous imaginez la suite ? Ils l'ont dit dans le reportage purée.
03:59 C'était vraiment, vraiment chaud chez la vieille.
04:01 La table, c'était une table à manger.
04:04 Dans une salle à manger.
04:06 Vous voyez le délire ?
04:07 Donc ça, c'est votre livre.
04:09 Vous êtes bien marré à l'écrire dans Julia Toury.
04:11 Comment vous faisiez ça ? Où vous faisiez ça ?
04:14 Je me suis surtout beaucoup concentrée sur les descriptions d'aliments.
04:17 Parce qu'il y a aussi des scènes, c'est un peu difficile à avouer,
04:20 il y a aussi des scènes de nourriture, de cuisine dans ce livre.
04:23 Et des descriptions que j'ai eu beaucoup de plaisir à écrire,
04:26 de tomates, de ratatouilles, de tout un tas de légumes.
04:29 Et pour ça, il faut manger des légumes et se concentrer sur exactement ce qu'on ressent
04:33 et à quoi ils ressemblent et trouver des mots nouveaux,
04:35 ce qui m'a beaucoup amusée pour réussir à décrire la sensation
04:38 et tout ce que la nourriture peut avoir de très sensuel.
04:40 Il y a toute une série de conventions bourgeoises qui vont s'appliquer à ce monde inversé.
04:43 Il faut avoir du beau linge de lit quand on reçoit des amis à baiser
04:46 et les autres se mettent toujours nus avant leurs invités pour pas qu'ils n'attrapent froid.
04:50 Alors, ça peut faire penser un peu au Fantôme de la liberté de Louis Bunuel.
04:54 Vous l'avez vu, Julia Toury ?
04:55 Étonnamment, je l'ai vu très tard. Je l'ai vu, je crois, la semaine dernière.
04:58 On m'en a beaucoup parlé quand j'ai commencé à parler de mon livre autour de moi.
05:02 Je l'avais mis de côté et je ne sais pas pourquoi.
05:04 Mais c'est vrai que cette scène dans le Fantôme de la liberté
05:07 où les invités sont autour d'une table mais pour y effectuer leurs besoins naturels,
05:11 donc ils sont assis sur des toilettes,
05:14 travaille aussi très bien l'inversion.
05:15 Et cette inversion, comme je crois dans le livre, permet toujours de décaler le regard,
05:20 d'interroger les conventions et d'interroger nos façons de vivre.
05:23 J'ai une question qui me brûle les lèvres. Sandy Stevens, vous l'avez déjà écoutée ?
05:26 J'ai faim de tout ce que tu es, le bon, le mauvais.
05:33 Tu es tout ce qui me plaît.
05:35 C'est en 1989, un an après votre naissance, Julia Thorey.
05:40 Même l'année de ma naissance ? Non, je ne la connaissais pas.
05:43 Mais de toute façon, le rapprochement entre l'appétit et le désir,
05:47 et entre la sexualité et la nourriture, l'inversion marche
05:50 parce qu'il y a du commun entre ces deux pôles.
05:52 Et donc on retrouve évidemment des expressions de nourriture et inversement dans les deux domaines.
05:58 Chez vous, vous écoutiez plutôt Renaud.
06:00 Vous avez grandi à Boulogne-Biancourt dans une famille de quatre enfants, dont vous.
06:05 Et puis vous avez fait Sciences Po, l'ENA, l'école des ponts et chaussées, je le disais.
06:09 Et vous avez eu faim d'écrire un jour en découvrant les œuvres complètes de Guillaume Dustan en 2013.
06:14 Un mot là-dessus ?
06:15 Je ne sais plus si j'étais à Sciences Po ou si je venais d'entrer à l'ENA.
06:18 Je suis tombée sur ce livre lorsqu'il était édité.
06:21 Les œuvres complètes ont été éditées chez POL.
06:25 Et pour moi, ça a été une révélation parce que je m'étais engagée dans un parcours très normé.
06:29 Et Guillaume Dustan est énarque lui-même, a une vie assez intense.
06:36 Évidemment, fort différente de la mienne pour tout un tas de raisons.
06:38 Mais voir qu'on pouvait être énarque et écrire des choses pareilles,
06:42 évidemment une écriture du soi qui est aussi très différente, c'était révélateur pour moi.
06:45 Comme la nouvelle tradition du 7-10 le veut.
06:47 Je vous laisse les commandes, Juliet Toury.
06:49 Vous êtes venue avec un inédit, enfin, vous avez écouté Renaud, je l'ai dit.
06:52 Mais pas que.
06:54 * Extrait de Renaud *
07:07 Quand j'étais enfant, ma famille écoutait Michel Sardou.
07:11 Je ne savais pas à l'époque.
07:12 Et j'adorais la chanson « Être une femme », « Une femme des années 80 ».
07:16 J'avais compris qu'il faudrait que j'en devienne une, un jour.
07:18 Et cette chanson regorgeait de conseils.
07:20 Alors je l'écoutais.
07:21 Et je croyais qu'être une femme, c'était réussir l'amalgame de l'autorité et du charme.
07:24 C'était être à la fois poète et mannequin.
07:27 C'était être banquière, d'accord, mais panthère aussi.
07:29 J'entendais bien les pelles, patins et autres gamelles qu'il faudrait rouler au Steward, au conscrit et au planton.
07:35 Ça faisait beaucoup de monde pour moi qui n'avait jamais embrassé personne.
07:38 Mais ça ne me faisait pas trop peur.
07:39 Il y avait un passage qu'on ne chantait pas.
07:41 Un passage énigmatique, mais dont je sentais musicalement l'importance.
07:46 Chez nous, on laissait un blanc entre s'installer à la présidence et femme égardienne de prison.
07:52 J'ai d'abord pensé profiter de cette carte blanche sur la première radio de France pour prononcer ces mots tabous,
07:56 et de là faire bander la France.
07:58 Et puis j'ai changé d'avis.
08:00 C'était bien en fait d'oublier ce passage où la France est un homme,
08:03 et où l'objectif ultime de toute émancipation est de nourrir son désir.
08:07 C'est vrai que dans la chanson, les voix de femmes n'ont qu'une seule réplique.
08:10 Femme, être une femme.
08:12 Pour le reste, c'est Michel qui décide, avec son regard d'homme, avec son habitude de pouvoir dominer,
08:17 de pouvoir désirer, et de pouvoir le dire.
08:20 C'est peut-être à cause de ces silences que j'ai mis du temps à retrouver ma voix,
08:30 que j'ai choisi pour mon premier roman la libération d'une héroïne,
08:32 dans un monde où la nourriture et le sexe sont inversés.
08:35 Je ne l'avoue pas facilement, mais on est entre nous.
08:37 Parfois, j'écoute encore cette chanson, et je rêve à une version écrite par les choristes.
08:41 Merci infiniment, Juliette Toury, pour cette contribution au débat.
08:45 On laissera Michel Sardoué et ses choristes vous répondre.
08:47 Votre premier roman, dès que sa bouche fut pleine, la mienne aussi, vient d'être publié.
08:52 Chiffre à Marion.
08:53 Merci Mathilde !
08:55 - Vous l'avez mis dans un livre !
08:57 - Bonjour Nicolas ! - Bonjour Nicolas !