• il y a 2 ans
Dans toute l’Europe, du Moyen-Age à l’époque moderne, des femmes furent au pouvoir, à la tête de royaumes ou d’empires puissants. À l’exception certes du royaume de France, où empêchées par une loi salique, exhumée, non pour des raisons de misogynie, mais plutôt pour de basses raisons de politique politicienne, les femmes ne pouvaient accéder au trône. Pourtant, notre Histoire regorge aussi de femmes de pouvoir. Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille, Anne de Beaujeu, Catherine de Médicis ou encore Anne d’Autriche, ces femmes prirent en main les destinées du royaume des lys. Mères de rois, elles ont exercé le pouvoir dans le cadre d’une régence qui incarne l’expression de la continuité monarchique, au nom de sa légitimité, par l’exercice du pouvoir par un tiers, en cas d’empêchement du souverain lui-même, en raison de sa minorité, ou de son absence en cas de guerre ou de captivité par exemple.
"Passé-Présent" reçoit Aubrée David-Chapy, auteur d'une biographie de Louise de Savoie (éd. Passés/Composés, 2023), mère de François 1er. Dotée d’un véritable don pour les affaires politique, d’une solide culture humaniste, diplomate hors pair, elle porta à son apogée le pouvoir au féminin.

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00:00 *Musique épique*
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00:06 *Musique épique*
00:35 Chers amis téléspectateurs de TVL, bonjour et bienvenue dans "Passé-présent",
00:39 votre émission historique présentée en partenariat avec la revue d'Histoire Européenne.
00:45 Les femmes peuvent-elles gouverner comme des hommes ?
00:48 A cette question qui peut nous paraître totalement incongrue, voire provocatrice aujourd'hui,
00:52 l'Histoire répond "oui" et plutôt "dix fois qu'une".
00:56 L'image qui prédomine le plus souvent chez nos contemporains sur la place occupée par les femmes
01:00 lors des siècles passés dans nos sociétés occidentales est doublement faussée.
01:04 D'abord, par le laïc de la bourgeoisie du XIXe siècle.
01:07 S'il ne fut pas avare lui aussi de grandes et belles figures démencipées,
01:11 il nous montre surtout une genre de féminine corsetée, encagée, infantilisée
01:15 par le règne des convenances et des règles sociales qui l'emprisonnent.
01:18 Ensuite, par un néo-féminisme gauchiste en provenance des campus californiens,
01:23 lui-même influencé par la French Theory qui, dès les années 60,
01:26 s'était vertuée à imposer l'image d'un patriarcat occidental détestable et oppresseur,
01:31 enfanté par la civilisation hélénochrétienne.
01:34 Pourtant, notre histoire regorge aussi de femmes de pouvoir.
01:37 Alienor d'Aquitaine, Blanche de Castille, Anne de Beaujeu, Catherine de Médicis
01:42 ou encore Anne d'Autriche, ces femmes prirent en main les destinées du royaume d'Elyse.
01:46 Mères de rois, elles ont exercé le pouvoir dans le cadre d'une régence,
01:49 régence qui incarne l'expression de la continuité monarchique au nom de sa légitimité
01:54 par l'exercice du pouvoir par un tiers en cas d'empêchement du souverain lui-même
01:58 en raison de sa minorité ou de son absence en cas de guerre ou de captivité par exemple.
02:03 Aujourd'hui, nous allons nous intéresser à l'une d'entre elles, je ne l'ai pas citée,
02:06 Louise de Savoie, mère de François 1er.
02:09 Dotée d'un véritable don pour les affaires politiques, d'une solide culture humaniste,
02:13 diplomate hors pair, elle porta à son apogée le pouvoir au féminin.
02:17 Et pour nous en parler, je reçois une femme, Aubrey David Chapie.
02:21 Aubrey David Chapie, bonjour.
02:23 Bonjour.
02:24 Vous êtes agrégée, docteur en histoire, spécialiste de l'histoire des femmes
02:28 au 15e et au 16e siècle et vous avez déjà publié chez Passé Composé
02:32 une biographie d'Anne de France qui fait référence.
02:35 Anne de France qui fut, non pas régente, mais vous allez corriger moi si je me trompe,
02:39 la tutrice de Charles VIII.
02:42 Vous étiez d'ailleurs venue en parler sur ce même plateau avec Philippe Conrad
02:47 et vient de sortir, toujours chez Passé Composé,
02:50 votre dernier ouvrage consacré à Louise de Savoie.
02:54 Alors après Anne de France, vous vous attaquez donc encore à une femme de pouvoir.
02:58 Est-ce que ces femmes de pouvoir vous fascinent ?
03:01 Oui, elles sont assez fascinantes et en fait, aux origines de ces deux biographies successives,
03:07 il y a en fait une thèse qui a été consacrée aux deux à la fois
03:12 parce que ce sont deux femmes qui se sont succédées dans le temps à la tête du pouvoir,
03:17 l'une en 1483, la seconde à partir de 1515.
03:21 Et ce qu'il y avait d'intéressant à étudier, deux femmes et non pas une,
03:25 c'était que l'on pouvait percevoir les évolutions dans leur pouvoir notamment
03:30 et dans leur manière de gouverner.
03:32 Voilà, donc pourquoi j'ai étudié deux femmes qui sont toutes les deux aussi fascinantes.
03:37 Vous vous lancez pas dans une série sur toutes les femmes de pouvoir au Moyen-Âge ?
03:40 Pourquoi pas ? C'est intéressant de faire un livre qui retrace justement
03:45 ce pouvoir au féminin du Moyen-Âge jusqu'au XIXe siècle.
03:47 Qui est très important et comme je le disais en introduction,
03:50 c'est vrai qu'on peut dire que l'histoire a été écrite par des hommes pour des hommes
03:53 mais qui a occulté un peu ce pouvoir qui est réel.
03:56 Oui, un pouvoir tout à fait réel et en effet, vous aviez raison de le dire,
03:59 c'est vraiment le XIXe siècle qui a mis un filtre entre ce qui s'était passé avant
04:04 et ce qui est venu après et qui a surtout un filtre qui déforme
04:08 et qui a donné l'image d'un Moyen-Âge misogyne qui ne laissait aucune place aux femmes.
04:12 Alors là, on est plus à la Renaissance mais même si l'introduction du droit romain
04:17 à la Renaissance n'est pas très favorable aux femmes,
04:19 eh bien il y a quand même de grandes possibilités d'exercice du pouvoir
04:23 et nous allons en parler aujourd'hui.
04:25 Alors qui est cette Louise de Savoie ? Elle voit le jour le 11 septembre 1476.
04:30 De quelle famille est-elle issue ?
04:32 Alors Louise de Savoie, c'est une Bressane, c'est la fille de Philippe de Bresse
04:38 qui devient plus tard Duc de Savoie.
04:40 Elle grandit donc jusqu'à ses 4-5 ans, elle grandit à Pondyn,
04:48 voilà, c'est pas très connu, donc actuellement c'est dans l'Est de la...
04:52 Dans l'Inde, j'imagine.
04:53 Voilà, c'est ça, pas très très loin de Bourg-en-Bresse.
04:56 Donc elle ne grandit pas à la cour de Chambéry qui était une cour assez fastueuse également,
05:00 évidemment moins riche que celle de la cour de France,
05:04 mais quand même une cour, comment dire, où les femmes avaient une grande culture.
05:10 Une où on... Déjà, puisqu'on a des exemples avec notamment la sœur de Louis XI,
05:14 Yolande de France, qui est Duchesse de Savoie dans les années 1450-1460
05:22 et qui est à la fois de pouvoir et une femme très cultivée,
05:25 donc elle a des femmes très cultivées dans sa famille du côté savoyard.
05:29 Et puis par sa mère, Marguerite de Bourbon, eh bien c'est une Bourbon,
05:35 et ça c'est très important, je pense qu'on en reparlera,
05:37 puisque ça la rattache au lignage royal.
05:41 - Donc ça en fait ce qu'on appelle une fille de France.
05:43 - Alors pas une fille de France parce que ce n'est pas une fille de roi,
05:45 mais elle se rattache quand même au lignage de France.
05:51 - À 7 ans, elle est envoyée à la cour de France.
05:53 - Voilà, oui.
05:54 - C'est plutôt, je veux dire, c'est la tradition d'envoyer des petites princesses,
05:58 enfin ce n'est pas une princesse d'ailleurs, quel titre est-elle ?
06:01 On la considère comme une princesse ?
06:03 - C'est quand même une princesse, oui, on peut dire une princesse de manière générique.
06:06 Est-ce que c'est une tradition ? Oui, parce que, comment dire,
06:10 elle est donc rattachée par ses deux parents au roi Louis XI, qui règne alors,
06:17 et à son épouse Charlotte de Savoie, qui est une Savoyarde donc,
06:21 et en tant que petite nièce de la reine, elle est accueillie avec son frère Philibert
06:27 à la cour de France à la mort de sa mère.
06:30 - Donc c'est le roi de France à l'époque et Louis XI.
06:33 J'aime bien aimer la description que vous faites, vous dites que c'est une cour très féminine,
06:37 ça fourmille de petites princesses.
06:38 - Oui, ça fourmille de petites princesses.
06:39 - On s'imagine des petites princesses qui courent partout dans les jardins du Louvre.
06:42 - Ce qui est amusant, c'est qu'à la même époque, dans ces années 1483-1484,
06:47 il y a énormément de petites princesses qui arrivent,
06:49 ce sont des petites filles qui ont généralement perdu leur mère,
06:52 leur père les envoie parce que c'est très prestigieux d'être éduquée à la cour de France,
06:56 en l'occurrence celle qui domine la cour de France à ce moment-là,
06:59 c'est Anne de France, la dame de l'Église, et elle les reçoit tour à tour en sa cour,
07:06 Louise de Savoie, mais également Marguerite d'Autriche qui doit épouser le jeune Charles VIII,
07:13 elle sera répudiée quelques années plus tard,
07:16 mais à ce moment-là elle est quand même considérée comme la petite reine.
07:18 On a également Philippe de Galdre, moins connu, mais tout de même qui devient duchesse de Lorraine.
07:23 - Philippe de Galdre, quand je lui lis, je ne comprenais pas pourquoi Philippe épousait René,
07:26 parce que Philippe pouvait être un prénom féminin.
07:28 - Philippe ou Philippa.
07:29 - Je ne le savais pas, je l'ai appris.
07:31 - Voilà, et donc on a tout un ensemble de petites princesses qui arrivent
07:34 et qui sont éduquées les unes avec les autres, elles sont à peu près du même âge,
07:38 et donc on a un vivier de princesses qui vont devenir des femmes de pouvoir
07:42 et qui grandissent ensemble et qui donc se connaissent assez bien.
07:45 - Et donc elles sont, à l'époque, la figure féminine importante c'est Anne de France,
07:50 et vous dites que c'est l'une des femmes à l'époque, l'une des femmes les plus puissantes d'Europe,
07:55 et est-ce que ça va vraiment être un modèle pour Louise de Savoie ?
08:00 - Oui, Anne de France c'est une femme politique de grand talent,
08:06 c'est une femme forte aussi véritablement,
08:09 elle sait s'imposer face à tous ses détracteurs et à tous ceux qui lui contestent le pouvoir,
08:16 donc elle s'impose par les armes, donc vraiment une femme forte au sens propre du terme,
08:21 et c'est aussi une femme extrêmement cultivée et qui transmet à toutes ces petites filles qu'elle éduque
08:26 son amour des livres, sa culture, c'est une culture qui va d'Aristote à Saint-Augustin
08:32 jusqu'aux humanistes des débuts de la Renaissance comme Bocas,
08:39 elle transmet aussi la connaissance de Christine de Pisan qui est un personnage fondamental,
08:44 on en reparlera, et donc en fait elle leur enseigne des choses,
08:49 très probablement de manière personnelle, probablement des conseils sur la manière de se tenir à la cour,
08:55 sur la manière de se comporter, de devenir une princesse, ça c'est une première chose,
09:01 elle leur donne aussi des précepteurs de qualité très probablement,
09:04 alors on n'en connaît pas les noms mais on sait que voilà les choses se sont passées ainsi,
09:09 et puis Anne de France leur inculque aussi une solide éducation religieuse,
09:15 puisque pour toute femme et pour tout homme d'ailleurs à cette époque,
09:19 et bien la première chose, la chose la plus importante dans l'existence c'est de faire son salut,
09:24 donc le salut passe par une vie de vertu,
09:27 et cette vertu elle se décline en de très multiples qualités,
09:33 que ce soit la prudence, la sagesse, l'humilité etc.
09:38 et il est évident qu'Anne de France a légué à Louise de Savoy son art du gouvernement
09:45 et puis aussi de très nombreux principes de vie.
09:48 Alors elle va épouser à 12 ans, c'est un mariage politique bien sûr,
09:53 elle va épouser Charles d'Angoulême, il a 29 ans,
09:59 - Oui, il est quand même un peu plus âgé qu'elle, il a fait une vingtaine d'années d'écart quand même !
10:04 - Donc elle quitte la cour de France pour aller à Cognac,
10:07 est-ce que c'est un déchirement, un déracinement ou c'est une cour qui est également cultivée ?
10:15 - Alors si on doit replacer les choses, la cour de Cognac n'a rien à voir évidemment avec la cour de France,
10:21 ça c'est une chose évidente, cependant c'est quand même une cour princière
10:26 puisque les Angoulèmes sont des Valois et sont des descendants de Louis d'Orléans
10:33 assassinés à l'époque de Charles VI.
10:36 Donc ce sont des petits-fils, ou ailleurs petits-fils de rois de France,
10:42 c'est donc une famille princière importante dans le royaume.
10:46 Charles d'Angoulême est quand même le deuxième personnage dans la liste de succession,
10:54 c'est quand même très important d'être le second personnage.
10:57 - Oui, ça va même être fondamental pour la suite.
11:00 - Voilà, c'est fondamental.
11:02 Donc c'est un beau mariage pour Louise de Savoie.
11:05 Et cette cour de Cognac, bien que modeste, parce que c'est une petite cour provinciale,
11:11 est très marquée par la culture humaniste.
11:15 Il y a beaucoup d'humanistes qui gravitent déjà autour de Charles d'Angoulême
11:17 au moment où Louise de Savoie arrive à Cognac
11:19 et elle, elle va être probablement fascinée par cette vie culturelle.
11:24 Octavien de Saint-Gelais parle du second paradis quand il parle de Cognac.
11:30 Pour eux c'est un lieu de douceur, où il fait bon vivre.
11:35 D'ailleurs il y aura aussi cette François Ier,
11:37 qui est très très attaché par la suite à la Charente.
11:41 Et Louise arrive donc finalement dans un environnement intellectuel...
11:46 - Elle n'est pas malheureuse, elle continue son éducation,
11:48 elle continue de lire, il y a une bibliothèque.
11:50 - Voilà, c'est ça.
11:51 - Elle fait rapidement, à 15 ans, entre 15 et 17 ans, deux enfants.
11:55 - Voilà.
11:56 - Marguerite et François.
11:58 Et à 20 ans, Charles d'Angoulême meurt, donc elle est veuve.
12:03 Et là c'est un tournant pour sa vie,
12:07 parce que vous avez un chapitre, un intertitre,
12:09 vous écrivez "veuve à jamais".
12:11 - Voilà, c'est ça.
12:12 Alors en effet, comme toutes les princesses et beaucoup de femmes de son époque,
12:17 elle a des enfants extrêmement jeunes.
12:19 Alors elle n'aime tant en en avoir que deux.
12:21 Marguerite d'Angoulême, qui deviendra ensuite Marguerite de Navarre,
12:27 une poétesse, écrivain, reine aussi de Navarre,
12:31 grand-mère d'Henri IV, donc une femme promis un grand avenir.
12:35 Et puis, évidemment, son second enfant, François,
12:39 celui en qui elle met tous ses espoirs.
12:41 - Son César, comme on dit.
12:42 - Voilà, c'est son César, pour qui elle éprouve un amour infini, débordant,
12:49 peut-être un peu oppressant, mais ça c'est une autre question.
12:52 - On l'abordera.
12:53 - Et ce fils, il est destiné à devenir roi.
12:56 - Ça, elle ne le sait pas encore.
12:57 - Voilà, ça elle ne le sait pas.
12:58 Enfin, elle ne le sait pas, mais...
12:59 - Il est dans la liste des sexistes de Charles.
13:01 - Il est sur la liste des prétendants au trône.
13:04 Et puis, Saint-François de Paule, qui vit à la cour de France,
13:08 qui est donc un saint extrêmement apprécié par les princesses,
13:11 lui aurait prédit qu'un jour, il deviendrait roi de France.
13:14 Alors, François s'appelle François pour deux raisons.
13:18 On a dit souvent que c'était à cause de Saint-François de Paule, justement,
13:21 mais enfin, il faut aussi dire que c'est François de la Rochefoucauld
13:24 qui est le parrain de François d'Angoulême.
13:27 Donc, ça pourrait aussi expliquer le prénom.
13:30 Donc, ces deux enfants, eh bien, sont tout pour elle.
13:33 Avec son mari, elle a certainement eu des bonnes relations intellectuelles,
13:39 mais enfin, quand elle est arrivée, il avait déjà sa maîtresse bien établie.
13:42 Il a eu des enfants avec ses maîtresses.
13:44 Louise a été quand même obligée d'élever les filles,
13:47 donc ses belles-filles, avec elle à la cour.
13:50 Donc, a priori, son mariage, ce n'était pas un grand mariage d'amour.
13:53 Voilà, et donc, le veuvage n'est pas pour elle une catastrophe.
13:58 Et à la limite, il va même s'offrir comme un espace de liberté.
14:01 Et ce qu'il faut bien voir aussi, c'est que ces hommes qui avaient des maîtresses,
14:05 ils savaient aussi faire la part des choses, entre, d'une part, leur vie privée,
14:09 et puis, ce qui relevait véritablement du politique.
14:12 Donc, en fait, cette Louise de Savoie, qu'il n'a peut-être jamais aimée,
14:16 il en a certainement quand même perçu les qualités,
14:19 et c'est pour ça qu'il a fait un, comment dire,
14:22 il a fait un testament, rédigé un testament,
14:24 qui était extrêmement favorable à Louise,
14:26 et qui lui permettait, en fait, d'avoir l'administration
14:30 de tous les biens de la famille d'Angoulême,
14:33 et puis aussi de pouvoir élever ses enfants.
14:36 Et, vous disiez, donc, veuve à jamais, oui.
14:38 - Oui, c'est-à-dire qu'elle prend une tenue, même vestimentaire,
14:41 qu'elle ne quittera pas toute sa vie.
14:43 - Voilà, c'est ça, parce que, en fait, le veuvage, lui, permet d'être libre,
14:47 puisqu'elle n'est plus sous la tutelle d'un homme et d'un mari.
14:49 - Bien sûr.
14:50 - Donc, en fait, pour elle, c'est très important.
14:52 Et puis aussi, le veuvage, c'est la femme veuve,
14:55 c'est la femme que l'on considère comme sage, comme prudente.
14:58 Et donc, cet habit noir, eh bien, lui permet de s'imposer à la cour
15:02 comme une figure de sagesse et de vertu.
15:04 Et une grande reine reprend, par la suite, cet habit noir,
15:10 qui s'impose, en fait, par son caractère un peu unique à la cour.
15:14 C'est Catherine de Médicis.
15:15 - Oui, elle reprend.
15:16 - Sur les tableaux, elle est toute en noir, au milieu d'une cour multicolore.
15:19 Donc, finalement, c'est une manière de s'imposer.
15:21 - Alors, c'est à la cour de France que va jouer son destin,
15:24 le destin de François, parce que Charles VIII meurt sans héritier.
15:29 Son successeur, Louis XII, lui n'a pas encore d'enfant.
15:33 Donc, c'est François qui devient le dauphin.
15:36 - Oui.
15:37 - Donc là, elle devient la mère du dauphin.
15:39 Est-ce que l'éducation qu'elle donne à son fils va changer à ce moment-là ?
15:43 - Alors, en 1498, à la mort de Charles VIII, en effet,
15:48 François d'Angoulême devient le premier prétendant au trône.
15:53 - Puisque Louis XII n'a pas d'enfant.
15:54 - Alors, il ne porte pas le titre de dauphin à ce moment-là,
15:56 puisqu'en fait, seuls les fils de roi, normalement, ont le droit de le porter.
15:59 Et il n'est pas le fils du roi, mais Louis XII, avec le temps,
16:03 voyant que sa femme Anne de Bretagne ne parvient pas à lui donner,
16:08 à lui offrir d'héritier, accorde le titre de dauphin en 1505,
16:13 donc à François d'Angoulême.
16:16 Et en même temps, comme il sait que le fils ne va jamais sans la mère,
16:21 finalement, il accorde le titre de mère royale à Louise de Savoie.
16:24 C'est donc lui octroyer un statut très particulier à la cour,
16:28 en tant que mère du dauphin.
16:30 Évidemment, ce dauphin, il faut, comme on dit à l'époque, l'endoctriner,
16:34 c'est-à-dire lui apporter une éducation de grande qualité.
16:37 Et Louise de Savoie est tout à fait à la hauteur,
16:41 puisqu'elle va éduquer elle-même son fils,
16:44 et puis sa fille aussi d'ailleurs, en même temps.
16:46 Et en même temps, elle va lui donner des précepteurs de très grande qualité
16:51 pour la plupart des grands humanistes.
16:54 Alors, Louis XII meurt sans enfant.
16:57 Elle tient un journal, c'est une source importante, j'imagine,
17:01 le journal de Louise de Savoie.
17:03 Elle écrit, je trouve ça charmant, "Le premier jour de janvier 1515,
17:07 mon fils fut roi de France".
17:09 C'est toujours très bref, le journal de Louise de Savoie.
17:12 Alors, on pense qu'en fait, il a été rédigé de manière un petit peu ésotérique,
17:16 puisque finalement, l'ésotérisme, la cabale, etc.
17:20 c'était en vogue sous Catherine de Médicis, mais ça commence déjà avant.
17:23 Donc en fait, elle fait très attention aux dates et aux astres.
17:26 Donc en fait, elle retient uniquement dans son journal certaines dates,
17:29 ce qui explique que parfois, certaines choses soient très importantes
17:32 et qu'elle ne les évoque pas, et puis que par ailleurs,
17:34 elle évoque des choses moins importantes.
17:36 Là, en l'occurrence, "Le premier janvier 1515",
17:39 c'est quand même très important.
17:41 Et puis "Le premier jour de janvier 1515", c'est enfin l'accomplissement
17:44 et les espoirs de toute une vie qui sont comblés.
17:48 - Alors justement, ce fils, il a quand même 20 ans.
17:50 - Oui.
17:51 - Ce qui, pour l'époque, on peut tout à fait gouverner à 20 ans.
17:54 - C'est ça.
17:55 - Mais elle ne compte pas rester dans l'ombre.
17:57 Alors, quelles sont les relations entre le fils et la mère ?
18:02 - C'est une relation extrêmement fusionnelle, je pense.
18:06 Oui, oui, on pourrait dire, c'est une certaine dévotion,
18:09 même, qu'elle éprouve à l'égard de son fils.
18:12 - Elle n'arrive pas à couper le cordon ?
18:13 - Non, très concrètement, non.
18:16 Elle l'admire énormément.
18:18 Il l'écoute, aussi.
18:20 C'est un bon fils.
18:22 C'est un fils qui aime visiblement énormément sa mère,
18:25 donc qui l'accomble de titres à peine montés sur le trône.
18:30 Il la fait duchesse, il lui accorde de très nombreux privilèges, etc.
18:35 Et donc, oui, elle l'aime énormément.
18:38 Et elles sont deux femmes, même, à être totalement dévouées à ce roi,
18:43 la mère et la sœur.
18:46 Voilà, donc elles sont deux, même.
18:48 Et tout au fil de son règne, jusqu'à la mort de sa mère,
18:52 François Ier lui est aussi totalement dévoué
18:55 et lui fait une totale confiance.
18:57 - Mais est-ce qu'elle lui fait confiance, son fils, pour gouverner ?
19:00 - Est-ce qu'elle lui fait confiance ?
19:03 L'histoire ne le dit pas, véritablement.
19:07 Elle le soutient toujours, ça c'est une chose évidente.
19:10 Et s'il y a des manques de la part de son fils,
19:14 elle, elle sait les combler.
19:16 Et notamment, on en reparlera tout à l'heure,
19:18 j'imagine, à Pavie, elle va se seconder le roi et se substituer à lui.
19:22 - Bien sûr.
19:23 Alors je vous demande, je voudrais en profiter pour parler un peu de son caractère.
19:26 Qu'est-ce qu'on sait de son caractère ?
19:27 Parce qu'on a l'image, par exemple, d'une Marie de Médicis,
19:29 un peu emportée, qui faisait des scènes épouvantables à son mari.
19:32 D'une Catherine de Médicis aussi.
19:34 Est-ce qu'on connaît le caractère de Louise de Savard ?
19:36 C'est une femme mesurée, c'est une femme...
19:39 Physiquement d'abord, comment elle est ? Elle est grande, elle est petite ?
19:41 - Alors, c'est une femme de taille moyenne,
19:43 elle a les yeux bleus gris, elle a le nez déjà assez fort
19:50 qu'elle transmet à son fils.
19:52 Il lui ressemble, elle a un regard assez perçant.
19:55 On sent quand même une certaine vie.
19:59 C'est une femme qui en veut toujours plus pour son fils.
20:04 Elle en veut toujours plus.
20:05 - Et pour elle-même aussi, non ?
20:06 - Et pour elle-même.
20:07 - Une souris d'omission.
20:08 - Et pour elle-même, parce que de toute façon,
20:09 elle se conçoit, d'après ce qu'on lit à travers les sources,
20:13 elle se conçoit dans une parfaite fusion avec lui.
20:15 Donc, en fait, ce que son fils peut avoir,
20:17 elle l'aura aussi, puisqu'elle est sa mère
20:19 et que l'un ne va pas sans l'autre, finalement.
20:21 Voilà. On n'a pas de source relatant de quelconque colère,
20:30 des crises.
20:33 En revanche, elle a un tempérament extrêmement affirmé.
20:36 Elle est certainement très autoritaire.
20:38 - Oui, mais ça transparaît un peu sur le portrait, d'ailleurs.
20:41 - Voilà. Elle sait s'imposer.
20:43 - Une autorité naturelle.
20:44 - Voilà, c'est ça. Elle a une autorité naturelle.
20:46 Et en plus, elle n'en doute pas, de cette autorité.
20:48 Elle ne doute pas de sa légitimité à gouverner,
20:52 de sa légitimité à imposer sa volonté aux autres.
20:56 - Alors, en 1515, François Ier poursuit le rêve obsédant de l'Italie.
21:01 Il part en guerre et il institue sa mère régente du royaume.
21:05 Et ce que vous expliquez, finalement, c'est la première fois que...
21:09 Bon, avant, on parlait tout à l'heure d'Anne de France
21:13 ou même de la mère de Saint-Louis.
21:15 Elles étaient lieutenants généraux du royaume,
21:17 c'est-à-dire, tenant lieu d'eux.
21:19 Là, il y a vraiment le titre de régente qui apparaît dans les textes.
21:22 - Oui. Alors, Blanche de Castille était baillistre.
21:26 On lui avait baillé, c'est-à-dire donné la tutelle du roi,
21:30 le gouvernement, voilà.
21:32 Mais il n'y avait pas de titre véritable.
21:34 Isabeau de Bavière, qu'on oublie parfois,
21:38 mais qui a quand même eu un rôle assez important,
21:40 pendant la fin de la guerre de Cent Ans,
21:42 elle a été lieutenant générale du royaume,
21:44 donc un rôle véritablement politique.
21:46 Alors qu'Anne de France, auparavant, n'a eu que la tutelle du roi,
21:50 c'est-à-dire, en fait, un rôle privé.
21:53 - Son mari, Pierre, était lieutenant général, lui, non ?
21:56 - Il est devenu, dix ans après, pendant les guerres d'Italie,
22:00 il est devenu lieutenant.
22:02 Mais en 1483, personne n'avait de titre, il n'y a pas eu de régence.
22:06 Et Anne de France, c'était en fait, accaparer le pouvoir,
22:09 parce que comme elle avait le prince auprès d'elle,
22:12 enfin, je dis le prince, le roi, auprès d'elle,
22:15 eh bien, elle avait aussi le pouvoir.
22:17 Mais elle n'avait aucun titre, voilà, hormis celui de tutrice.
22:20 Et François Ier a bien perçu toute la difficulté
22:25 que comportait cette absence de titre.
22:28 Ça induit un déficit de légitimité pour des princesses
22:33 qui souvent, déjà, gouvernent en des temps difficiles,
22:36 parce que, soit, vous l'avez dit tout à l'heure,
22:38 soit le roi est trop jeune pour gouverner,
22:40 et donc c'est un moment de faiblesse pour le royaume et pour la couronne,
22:43 soit le roi est absent, et c'est aussi un moment difficile pour le royaume,
22:48 et donc il faut absolument tout mettre en faveur,
22:52 enfin, mettre toutes les chances en faveur de la régence.
22:55 Et le XVIe siècle, c'est aussi l'époque où l'écrit s'impose,
23:01 et c'est l'écrit qui légitime, et donc il va choisir,
23:04 eh bien, de conférer la régence de manière officielle
23:08 par des lettres patentes, par des ordonnances royales.
23:11 Et là, eh bien, Louise de Savoie est légitime
23:14 parce qu'elle est la mère du roi, donc par le sang,
23:17 par la nature, mais également par le droit.
23:20 Et le droit, c'est évidemment fondamental.
23:22 C'est fondamental et ça évite les oppositions, les grands féodaux encore.
23:25 Et donc, il n'y a pas de contestation.
23:27 On peut remettre en cause sa politique, mais pas sa présence au pouvoir.
23:30 En revanche, le roi garde le sceau royal...
23:34 En 1515.
23:36 D'accord, en 1515.
23:38 Donc il y a une navette permanente entre l'Italie et la France
23:41 pour éventuellement sceller les actes ?
23:43 Ah non, ça ne se passe pas comme ça.
23:45 En fait, comme le roi est parti avec son chancelier,
23:47 et donc avec le grand sceau,
23:49 il y a des décisions à caractère véritablement fondamentale.
23:54 C'est le roi qui prend les décisions.
23:56 D'accord.
23:57 Mais Louise de Savoie, elle, ne peut utiliser qu'un petit sceau.
24:00 Et ce petit sceau, il est là uniquement pour, par exemple,
24:03 les affaires courantes.
24:05 Donc elle ne gère que les affaires courantes.
24:07 Donc, en fait, c'est un certain pari qu'a fait le roi.
24:10 Et globalement, pendant quelques mois,
24:12 les quelques mois de la première guerre d'Italie de François 1er,
24:16 les affaires du royaume se sont un petit peu suspendues à son retour.
24:20 Alors, 1515, Marignan.
24:22 Voilà.
24:23 D'où le nom de César, évidemment.
24:25 Le nom de César.
24:27 Mais après Marignan, François 1er revient au réolé de sa gloire italienne.
24:32 Mais elle reste à côté de son fils.
24:34 On pourrait imaginer qu'il revient vainqueur, il prend les reines.
24:37 Non, elle reste à côté de lui et elle fait même partie du conseil.
24:40 Voilà.
24:41 Ce qui est exceptionnel.
24:43 Une femme au conseil, c'est quand même assez rare.
24:45 C'est rare, oui.
24:46 Alors, Isabeau de Bavière avait été au conseil.
24:48 Anne de France, jamais, puisqu'elle avait un mari.
24:51 Donc, c'était son mari qui y allait.
24:53 Vous voyez, d'où l'intérêt de ne pas être mariée.
24:55 Parce qu'on peut garder des interrogatives.
24:57 Voilà, on prend des leçons.
24:58 Voilà, c'est ça.
24:59 Et donc, Louise de Savoie, elle-même,
25:02 est même autorisée par son fils à conserver le titre de régente,
25:05 alors qu'il est revenu.
25:07 Voilà, un titre qui devient plus ou moins honorifique.
25:10 Puisqu'évidemment, à partir du moment où François 1er revient,
25:14 c'est plus elle qui va prendre les grandes décisions.
25:19 Elle est quand même dans l'ordre.
25:21 Elle les prend, mais elles ne sont pas prises en son nom.
25:23 Est-ce qu'on sait justement si elle impose des décisions,
25:25 si elle souffre des décisions ?
25:26 Mais bien sûr, mais c'est une femme d'influence.
25:28 Donc, après la régence, c'est l'influence,
25:33 pendant une dizaine d'années, jusqu'à la seconde régence.
25:36 Et cette influence, elle est très très prégnante.
25:39 Elle est omniprésente, même, au conseil.
25:43 Et puis, quand ce n'est pas au conseil,
25:46 c'est auprès du roi, dans sa chambre, auprès de lui, en permanence.
25:50 Et il n'en avait pas un peu assez, François 1er, il ne s'est jamais rebellé.
25:53 Non.
25:54 Bon fils.
25:55 Non, parce que ça lui permettait, je pense, aussi…
25:57 Oui, de s'occuper de ses maîtresses et d'aller chasser.
25:59 Voilà, d'aller chasser.
26:00 Quand il était, elle, pendant que François 1er était à la chasse,
26:04 elle s'occupait de trouver des financements pour faire la guerre
26:08 ou pour les constructions, ou que sais-je encore.
26:11 Et alors, on disait tout à l'heure que c'est un homme qui est entouré de femmes.
26:13 Et donc, il y a sa mère, il y a sa femme,
26:16 qui n'a pas un rôle déterminant, d'après ce que vous expliquez.
26:20 Alors, Claude de France, c'est un personnage…
26:25 C'est quand même la fille de Louis XII, Edenne de Bretagne.
26:29 Donc, c'est une fille de France.
26:32 C'est elle qui va permettre l'incorporation du duché de Bretagne à la France.
26:38 C'est un personnage qui, quand même, est fondamental.
26:41 Qui est central, qui est pivot.
26:42 Voilà, qui est un vrai pivot.
26:43 Elle a un caractère extrêmement effacé.
26:46 Une vie certainement pas très agréable,
26:49 donc entre des grossesses multiples et puis un mari qui multiplie les maîtresses.
26:55 Elle meurt d'ailleurs d'une maladie que François 1er lui a quand même transmise.
27:00 C'est pas la pauvre.
27:02 C'est une femme extrêmement pieuse, très respectée quand même,
27:05 parce qu'elle est quand même la reine.
27:07 Et elle correspond au canon de la reine,
27:10 c'est-à-dire figure de pureté, figure un petit peu virginale,
27:14 bien qu'elle ait évidemment eu beaucoup d'enfants.
27:17 Et en plus, elle accomplit quand même ce que sa mère n'avait pas pu faire.
27:21 Edenne de Bretagne n'avait pas pu offrir de fils à d'héritiers.
27:24 Elle, elle va donner des héritiers à François 1er.
27:28 Donc, on est toujours dans cette relation où les rois ont des maîtresses,
27:33 mais en même temps, il apprécie quand même sa femme pour ce qu'elle lui apporte
27:37 et parce qu'elle est la reine.
27:39 Et donc, une fois morte, une fois qu'elle a été morte,
27:42 il s'est rendu compte en fait de la personne qu'il avait perdue.
27:45 Voilà, mais bon, c'était un peu tard.
27:47 Et donc, sa mère, sa femme, sa soeur, on en a parlé tout à l'heure.
27:52 Sa soeur, et c'est important, quand il va préparer la seconde régence,
27:55 il institue en quelque sorte héritière même de la régence.
27:59 C'est-à-dire, au cas où Louis soit empêché,
28:02 il a sa soeur de prendre la régence.
28:04 Oui, alors ça c'est en fait, donc en 1524,
28:08 François 1er repart en Italie.
28:10 Début 1525, il est fait prisonnier à Pavie.
28:14 C'est le désastre.
28:16 Il est donc fait prisonnier en Italie.
28:18 Il reste quelques semaines avant d'être transféré,
28:21 à la demande de Charles Quint, à Madrid,
28:23 où il mène une vie de seigneur.
28:25 Mais enfin, Charles Quint n'est pas très tendre.
28:27 C'est pas quelqu'un qui fait dans les sentiments.
28:30 Donc voilà, et en fait, c'est à ce moment-là
28:34 que François 1er, alors qu'il est déjà prisonnier,
28:40 il s'est dit "on ne sait pas combien de temps ça va durer".
28:42 Comme on l'a dit tout à l'heure, la force de l'écrit est fondamentale.
28:46 Il a institué sa mère à nouveau régente en 1523.
28:50 Il a renouvellé les lettres au moment de son départ en 1524.
28:54 Et il les renouvelle encore une fois en 1524,
28:57 en 1525, pardon.
28:59 En 1525, comme il ne sait pas à quel moment
29:02 il va pouvoir revenir dans le royaume,
29:04 il institue donc sa mère régente.
29:08 Il lui donne la tutelle de tous les enfants royaux,
29:11 fils et filles.
29:13 Et au cas où Louise viendrait à disparaître,
29:17 parce qu'il faut dire qu'elle est très affaiblie physiquement,
29:20 ça la mine de savoir son fils absent,
29:22 et puis à un moment malade, voire au bord de la mort,
29:25 il institue sa sœur,
29:28 sa sœur régente du royaume.
29:32 Elle ne le sera jamais,
29:34 mais ce qui est très intéressant,
29:36 c'est qu'il parle d'elle comme "Marguerite de France".
29:39 C'est-à-dire qu'en fait, comme il est devenu roi,
29:41 autour de lui, toute la famille devient de sang royal.
29:45 - C'est ce que vous expliquez, vous expliquez le concept
29:47 de la théologie du sang royal.
29:49 Est-ce que vous pouvez nous expliquer ça rapidement ?
29:52 - Eh bien, il y a cette idée qui est tout à fait exceptionnelle
29:56 et qui est un petit peu miraculeuse.
29:58 C'est l'idée qu'à partir du moment où François Ier est devenu roi,
30:03 celle qui lui a donné naissance,
30:06 et qui lui a donc apporté son sang,
30:08 voit rejaillir sur elle cette dignité royale.
30:14 Et donc, le sang princier de Louise de Savoie
30:18 se transforme en sang royal.
30:20 D'où, j'emploie même ce terme de transsubstantiation,
30:24 parce que son sang change de nature
30:30 et on connaît le caractère ô combien sacré
30:32 du sang de France et du sang des rois.
30:35 Et elle élébore ce que j'ai aussi appelé
30:38 une théologie du sang royal,
30:40 parce que pour elle, c'est fondamental pour se légitimer.
30:42 C'est très politique, évidemment.
30:45 – Alors, est-ce qu'on peut dire,
30:47 François Ier est prisonnier à Madrid,
30:51 est-ce qu'on peut dire que cette nouvelle Régence,
30:54 c'est vraiment un modèle de gouvernement, vous dites ?
30:58 – Oui, oui, alors là…
31:00 – Elle déploie tout son talent de femme politique.
31:03 – Voilà, tout son talent de femme politique.
31:05 1515, on l'a dit tout à l'heure,
31:08 d'abord François Ier ne s'est pas absenté très très longtemps,
31:11 et en plus, on avait dit, il est parti avec le grand sceau.
31:14 Elle gérait juste les affaires courantes.
31:16 En 1524-1525, et notamment à la suite de Pavie,
31:20 il faut gérer de multiples choses.
31:23 D'abord, il faut faire libérer le roi.
31:25 Là, on est dans les négociations diplomatiques avec Charles Quint.
31:30 Donc, elle gère tous les ambassadeurs en Europe.
31:32 Parce qu'évidemment, comme on est en guerre contre l'Empire,
31:36 il faut essayer d'entretenir de bonnes relations avec l'Italie,
31:39 et aussi avec l'Angleterre, pardon,
31:41 qui est un pivot de la politique diplomatique de Louis de Savoie.
31:45 Tout comme ça l'avait été d'ailleurs avec Anne de France.
31:47 Donc ça, c'est un premier élément, c'est une femme diplomate.
31:50 Il faut aussi gérer le royaume.
31:52 Le royaume, il est en proie à l'insécurité.
31:57 Cette insécurité, c'est notamment celle de tous les pillards,
32:02 de tous les gens d'armes qui reviennent de la guerre,
32:07 qui ne sont pas toujours payés, qui ne sont pas payés parfois.
32:10 Et qui vont aller piller le royaume.
32:14 Le royaume souffre véritablement des pillards et des vagabonds.
32:19 Elle va faire des ordonnances pour essayer de remettre le calme dans le royaume.
32:23 On craint aussi une invasion anglaise et impériale.
32:27 Il faut faire fortifier toutes les villes frontalières,
32:30 tous les ports, etc.
32:31 Il faut financer aussi tout cela.
32:33 Elle est en quête de finances de manière perpétuelle.
32:35 Évidemment, elle a des hommes forts autour d'elle.
32:40 Mais c'est elle qui va gérer absolument tout cela.
32:43 Elle touche absolument à tout.
32:45 Et avec talent.
32:46 Avec relativement de talent.
32:48 On sait que François 1er signe le traité de Madrid.
32:54 On va en parler de diplomatie, justement.
32:57 Ce qui est intéressant, lorsqu'elle s'attache à faire libérer son fils,
33:02 ce n'est pas n'importe quel prix non plus.
33:04 Non.
33:05 C'est continuer de négocier.
33:06 Ce sont des mois de négociations.
33:08 Ce qui est frappant, c'est que ce sont des mois de négociations entre femmes.
33:13 Il y a quatre femmes qui sont dans le coup, si je puis dire.
33:17 Il y a Marguerite d'Angoulême, fille de Louise de Savoye,
33:21 et soeur de François 1er.
33:23 Et du côté impérial, du côté de Charles Quint,
33:26 on a Marguerite d'Autriche qui est sa tante.
33:28 Oui, qui est sa tante.
33:29 Et Eleonore d'Autriche qui est la fille de...
33:32 Non.
33:33 La fille de... Non ?
33:34 La soeur de Charles Quint.
33:35 Soeur de Charles Quint.
33:36 C'est la soeur de Charles Quint.
33:37 Marguerite d'Autriche n'a pas eu d'enfant.
33:39 Ah oui, elle est... Non, c'est la nièce de Marguerite d'Autriche.
33:42 C'est la nièce de Marguerite d'Autriche.
33:43 Et donc ces quatre femmes discutent entre elles.
33:46 Discutent entre elles, voilà.
33:47 C'est ça, parce que les femmes sont mues par un idéal de paix.
33:53 Donc là, on va parler de Priscille de Pisan.
33:55 Voilà, c'est ça.
33:56 On l'a dit tout à l'heure, elles ont été éduquées ensemble,
33:59 puisqu'on s'en souvient,
34:00 l'éducatrice de Savoie a été éduquée avec Marguerite d'Autriche.
34:03 Elles sont relativement contemporaines et du même âge.
34:05 En plus, elles sont belles-soeurs.
34:06 Entre-temps, elles sont devenues belles-soeurs,
34:08 puisque Marguerite a épousé en troisième noce Philibert de Savoie.
34:12 Et elles s'entendent bien.
34:13 Et elles s'entendent suffisamment bien pour discuter.
34:16 Alors, ce qu'il faut bien voir, c'est aussi que finalement,
34:18 elles sont de la même famille.
34:20 Elles sont cousines, elles sont tantes parfois.
34:22 On peut être cousin, tante en même temps, belle-soeur, etc.
34:26 Mais elles ont quand même des intérêts politiques
34:28 totalement divergents,
34:29 puisque l'une oeuvre pour François Ier, son fils,
34:32 et l'autre pour Charles V, son neveu.
34:34 Donc, elles ont des intérêts totalement opposés à défendre.
34:38 Cependant, elles se connaissent suffisamment bien
34:42 et elles sont suffisamment pragmatiques
34:45 pour savoir qu'il faut trouver la paix,
34:47 parce que la paix ruine leur pays respectif.
34:50 – Oui, on a l'impression qu'elles veulent signer la fin de la récré.
34:52 – Elles veulent absolument…
34:53 – En disant, les garçons, ça suffit.
34:54 – Oui, c'est ça.
34:55 – Maintenant.
34:56 – Les garçons sont à sept que deux parts et d'autres,
34:58 et donc il faut cette paix.
35:00 Et cette paix, elle est indispensable,
35:04 à la fois parce que, d'un point de vue politique,
35:08 elle est nécessaire à la stabilité des États,
35:10 et aussi parce que c'est un idéal à atteindre,
35:12 et que cet idéal est très présent,
35:15 notamment chez Christine de Pizan.
35:17 Christine de Pizan, qui est une théoricienne du pouvoir
35:20 du début du XVe siècle,
35:21 qui a écrit notamment des livres pour Charles V,
35:24 pour Charles VI et pour Isabeau de Bavière,
35:27 et elle a écrit une phrase très célèbre,
35:31 c'est que la princesse, et notamment la reine,
35:33 doit être moyenneuresse de paix.
35:35 Ce mot "moyenneuresse", c'est-à-dire médiatrice.
35:38 La femme doit être médiatrice et elle doit conclure les traités.
35:43 Alors ça, elle l'a écrit au moment de la guerre de Cent Ans,
35:45 mais elle est toujours très lue au XVIe siècle.
35:49 Toutes les grandes princesses connaissent ces œuvres et sa pensée.
35:54 Et non seulement elles la connaissent, mais elles la font leur.
35:56 Véritablement, elles s'en inspirent pour gouverner,
35:59 d'où cette volonté d'arriver à la paix, de parvenir à la paix.
36:03 D'ailleurs, quand François Ier est libéré,
36:06 il va falloir vraiment conclure la paix en Europe,
36:10 et ce sont les femmes qui continuent.
36:11 Oui.
36:12 Elles continuent de négocier.
36:13 Alors, j'allais dire, où sont les hommes ?
36:15 Que font les hommes ?
36:16 On a l'impression qu'ils ne veulent plus discuter entre eux,
36:19 et on va laisser Maman et Tante Marguerite s'en occuper.
36:23 C'est ça.
36:24 En fait, on va sans cesse de paix en guerre, de paix en ligue,
36:31 et finalement, tous les ans, il y a un basculement,
36:35 sachant que l'Italie et l'Angleterre changent régulièrement de parti,
36:42 soit du côté impérial, soit ils se placent du côté français,
36:48 et encore quand je dis l'Italie, il faut quand même voir
36:51 qu'on a une multitude de petits États qui n'ont pas tous
36:53 les mêmes intérêts, ni la même politique.
36:56 Et donc, en fait, François Ier et Charles Quint ont du mal à croire en la paix,
37:01 et puis, ce qu'il faut bien voir aussi, c'est que François Ier a trahi,
37:08 en quelque sorte, le traité de Madrid qu'il a signé avec Charles Quint.
37:12 Charles Quint en a été absolument furieux, parce qu'il a libéré François Ier
37:20 en pensant récupérer…
37:21 – Il a pris ses deux fils en otage.
37:22 – Oui, il a pris ses fils en otage quand même, en échange,
37:24 mais il a pensé récupérer la Bourgogne, et puis à peine revenu,
37:27 François Ier dit "non, ce traité est caduque,
37:29 parce qu'en fait, je l'ai signé sous la contrainte".
37:32 Alors je dis, voilà, trahi, peut-être que oui, peut-être que non,
37:34 puisque finalement, si on regarde aussi le point de vue de François Ier,
37:37 il n'a peut-être pas tort, il était prisonnier quand même
37:39 depuis plusieurs mois, dans assez mauvaises conditions,
37:41 et puis bon, il a réussi finalement à s'enfuir.
37:46 Donc, les relations entre les deux princes sont très très mauvaises,
37:50 elles sont même excécrables, et ils ne croient plus véritablement en une paix,
37:54 et ce sont donc les femmes, en effet, qui vont se mettre à traiter,
38:00 sans même véritablement leur dire, au début, secrètement,
38:03 et pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois,
38:07 leurs ambassadeurs font des va-et-vient entre Paris et Malines,
38:10 enfin Paris, ou la cour de France, disons,
38:12 et Malines, qui est la cour de Marguerite d'Autriche,
38:14 ils transmettent les informations des princesses à l'aune, des propositions,
38:23 et à un moment où les choses paraissent aboutir,
38:29 là on fait entrer en jeu les princes, les rois, enfin le roi et l'empereur,
38:34 parce qu'on ne veut pas qu'un échec diplomatique puisse,
38:39 comment dire, leur être attribué,
38:41 et donc on préfère que ce soit les princesses
38:43 qui soient finalement responsables d'un éventuel échec.
38:47 – Et le mélange c'est de paix, la paix de Pembray, c'est elle qui la signe.
38:50 – C'est elle qui la signe, jusqu'au bout, en fait,
38:53 et bien elles sont dépositaires du pouvoir royal d'un côté, du pouvoir impérial,
38:59 et François Ier se déplace à Cambrai,
39:03 alors qu'au moment où la paix vient juste d'être signée,
39:06 Charles V, lui, ne se déplace même pas.
39:09 – Et donc c'est ce qu'on a appelé la paix des dames.
39:11 – C'est ce qu'on a appelé la paix des dames,
39:13 donc Marguerite et Louise de Savoie,
39:15 et puis leur, comme on l'a dit tout à l'heure,
39:18 leur nièce et fille respective, quatre femmes.
39:22 – Et alors nous allons conclure cette émission avec une question,
39:27 après avoir étudié Anne de France, Louise de Savoie,
39:30 la question qui fâche, est-ce qu'il y a un pouvoir au féminin ?
39:34 Ou est-ce que ce sont des reines qui gouvernent comme des rois ?
39:37 Je reviens à la question du début,
39:39 est-ce que c'est ces femmes qui gouvernent comme des hommes ?
39:41 – Alors, il y a un pouvoir au féminin, qui est finalement très vaste,
39:44 parce que dans le pouvoir au féminin, vous avez le pouvoir,
39:47 alors quand elles sont régentes, vous avez le pouvoir quasi-royal,
39:50 alors sans avoir la sacralité du roi, ou même de la reine,
39:54 puisque le roi de Savoie n'est pas reine.
39:56 – Mais là on parle de la France, parce que dans l'Europe entière,
39:58 nous avons des femmes qui gouvernent, donc elles…
40:00 – Oui, voilà, mais c'est une spécificité tout à fait française.
40:03 Donc, un pouvoir au féminin, c'est un pouvoir qui est calqué,
40:07 donc sur le pouvoir royal, avec des composantes aussi féminines,
40:12 comme on l'a vu, la diplomatie, la médiation, l'intercession,
40:16 certains caractères aussi au niveau religieux,
40:20 et puis aussi, je ne vais pas dire que les hommes ne s'intéressent pas aux arts,
40:24 mais ce sont des femmes qui sont très lettrées,
40:26 qui s'intéressent énormément aux arts, et Louise de Savoie,
40:28 évidemment aussi, ça part dans cela, en faisant venir,
40:31 notamment Léonard de Vinci à la cour.
40:34 – Ce n'est pas François 1er, donc qui l'aurait fait venir ?
40:36 – C'est probablement sur les conseils…
40:38 – Tout ce qu'on attribue à François 1er, c'est Louise de Savoie.
40:42 – C'est certainement sur les conseils de sa mère.
40:44 – Oui, mais ce pouvoir au féminin, il n'y a pas plus de douceur,
40:49 comme on peut dire, quand il faut faire la guerre, elles font la guerre,
40:51 quand il faut être rude, elles sont rudes.
40:53 – Oui, la seule chose qui les différencie finalement du roi,
40:56 c'est d'une part, comme je l'ai dit, la sacralité,
40:59 elles ne sont pas sacrées, donc ça c'est la première chose,
41:03 et d'autre part, généralement, elles ne font pas la guerre,
41:05 au sens où elles ne sont jamais sur le front.
41:07 Ce sont les deux choses qui les différencient.
41:11 Après, elles gouvernent probablement comme…
41:14 – Aussi bien ou aussi mal.
41:15 – Aussi bien ou… Voilà, en l'occurrence, elles gouvernent plutôt bien,
41:18 toutes, enfin mieux, je ne sais pas, mais elles sont quand même très douées en politique,
41:23 et finalement, Louise de Savoie a réussi à faire traverser
41:26 des moments très difficiles au royaume,
41:28 donc elle était douée pour la politique, au même titre que finalement,
41:31 Marguerite d'Autriche, Jeanne de France,
41:33 enfin que beaucoup d'autres princesses de son époque.
41:37 Le pouvoir est-il plus doux ?
41:39 – Pas forcément, même s'il y a justement…
41:41 – Quand on voit Elisabeth Ière d'Angleterre ou Catherine de Ruchy.
41:43 – …cet idéal de douceur quand même, il y a un idéal de douceur, de vertu,
41:48 donc on n'a pas forcément chez les hommes,
41:51 disons qu'on n'attend pas forcément les mêmes qualités d'elles,
41:54 mais elles gouvernent un peu à la manière des hommes.
41:57 – Bien. Au bris David Chapie, merci affinément, on aurait vraiment continué.
42:01 Donc je rappelle votre précédent ouvrage, Anne de France,
42:05 chez Passé Composé, et celui-ci, Louise de Savoie,
42:08 toujours chez Passé Composé.
42:10 Et autre chose, vous êtes commissaire scientifique
42:14 d'une exposition qui va se dérouler à Tours en mars 2024,
42:18 qui est "Être femme entre Moyen-Âge et Renaissance",
42:22 et l'exposition a pour titre "Le sceptre et la quenouille".
42:26 – Voilà.
42:27 – Donc commissaire scientifique de cette exposition.
42:29 Vous parlez de toutes les femmes de pouvoir ?
42:32 – C'est un peu plus vaste que ça, puisque la question du pouvoir…
42:36 – Les femmes.
42:37 – La question du pouvoir est abordée, avec des objets relatifs
42:41 au pouvoir des femmes, etc.
42:43 Mais aussi leur quotidien, les modèles féminins, etc.
42:47 La vision de la femme, c'est quelque chose qui se fait assez global.
42:50 – Vous reviendrez nous en parler.
42:51 – Voilà.
42:52 – Merci affinément.
42:53 – Merci beaucoup à vous.
42:54 – Notre émission est terminée.
42:56 Avant de retrouver Christopher Land et la petite histoire,
42:59 je vous invite bien évidemment à cliquer sur le pouce levé sous la vidéo,
43:03 à vous abonner à notre chaîne YouTube.
43:05 À bientôt.
43:06 [Générique]
43:28 Anne de Bretagne, c'est la fille du Duc de Bretagne,
43:31 François II, et de la princesse de Navarre, Marguerite de Foix.
43:34 Elle est née en 1477 dans le magnifique château des Ducs de Bretagne à Nantes.
43:39 C'est là qu'elle grandit, une enfance de princesse,
43:42 avec une éducation soignée, et très vite,
43:44 elle se retrouve en tant que fille unique du Duc,
43:47 au centre de toutes les préoccupations diplomatiques et matrimoniales.
43:50 Pour la survie du Duché de Bretagne, menacée par l'expansion
43:53 du puissant voisin français, on la promet en mariage,
43:56 dès son plus jeune âge, à tout un tas de princes.
43:59 Genre, à 4 ans, elle est déjà maquée avec l'héritier de la couronne d'Angleterre.
44:03 Non seulement c'est bizarre, mais en plus, avec un anglais,
44:06 ça ajoute un côté encore plus dégueulasse, vous voyez ?
44:08 Rien que le fait d'avoir écrit ça, j'ai dû aller me laver les mains.
44:10 Ensuite, elle est promise à d'autres, en fonction des alliances
44:13 et des intérêts du Duché, qui cherche à garder son indépendance,
44:16 et est très convoitée par toutes les puissances d'Europe.
44:19 Finalement, le Duché finit par être ruiné, affaibli,
44:22 par cette politique, infestée d'espions français même,
44:25 et en 1488, les troupes bretonnes subissent une lourde défaite
44:29 face à celle du roi de France, à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier.
44:33 On en avait déjà parlé dans la petite histoire.
44:35 S'ensuit le traité du Verger, au sein duquel il est noté qu'Anne,
44:38 la seule héritière, donc, ne peut se marier sans l'accord préalable du roi de France.
44:43 Quelques semaines plus tard seulement, François II meurt des suites
44:46 d'une chute de cheval, ça c'est con, et Anne se retrouve donc
44:49 Duchesse de Bretagne, à l'âge de 11 ans.
44:51 Sauf que, poussée par les seigneurs bretons,
44:54 qui craignent plus que tout l'appétit et la proximité du royaume de France,
44:58 on la fait épouser par procuration Maximilien Ier de Habsbourg,
45:02 futur empereur du Saint-Empire romain germanique.
45:05 Bon, c'est un bon parti, je dis pas, mais pour la France, ça va pas du tout ça.
45:09 Non seulement on nous encercle, mais en plus, c'était pas du tout
45:12 censé se passer comme ça, d'après le traité.
45:14 Les bretons, vous êtes bien gentils, mais au bout d'un moment, stop.
45:17 Du coup, bah la guerre reprend, les français prennent Nantes,
45:20 puis assiègent Rennes, et Anne doit céder.
45:23 Elle est donc décédée par épouser le roi de France, Charles VIII,
45:26 puis elle est couronnée reine de France le 8 février 1492.
45:30 Bon, Charles VIII était en soi déjà mariée à une fillette de 3 ans,
45:33 mais bon, y'a eu aucun mal à annuler ce mariage.
45:36 Je vous ai dit qu'il y avait des trucs dégueulasses dans cet épisode.
45:39 La voilà donc passée de duchesse à reine de France,
45:42 ce qui est déjà pas mal, croient qu'en pensent les bretons, mais c'est pas fini.
45:45 Déjà, le traité conclu est très défavorable aux duchés de Bretagne,
45:48 puisque l'objectif était avant tout pour la France
45:51 d'enclencher leur attachement.
45:53 Et puis dans un premier temps, ça va pas se passer de la meilleure des manières.
45:56 Anne donne au roi plusieurs enfants, qui meurent tous en bas âge,
46:00 et en 1498, c'est Charles VIII lui-même
46:03 qui finit par mourir des suites d'un accident.
46:06 Cet accident, vous le connaissez peut-être, il a lieu à Ambroise,
46:09 et le roi meurt après s'être cogné violemment la tête
46:12 dans le linteau d'une porte basse.
46:15 Voilà, c'est typiquement ce qu'on pourrait qualifier de mort de merde.
46:18 Elle se retrouve donc veuve à 21 ans et redevient pleinement duchesse.
46:22 Mais à l'automne de la même année, elle est, comme le prévoyait le traité,
46:26 remariée au nouveau roi de France, Louis XII.
46:29 Sauf que cette fois, elle va négocier bien mieux les conditions de ce mariage,
46:33 avec pour intention de faire en sorte que le duché de Bretagne, son cher duché,
46:37 conserve plus d'autonomie que dans l'accord précédent.
46:40 C'est là qu'elle se révèle en femme d'État justement,
46:42 puisqu'elle négocie sévèrement ce remariage.
46:45 En cela, alors qu'elle était retournée en Bretagne après la mort de Charles VIII,
46:48 elle s'est comportée en véritable duchesse.
46:50 Elle a repris en main l'administration,
46:52 elle a même fait frapper une monnaie à son effigie.
46:54 Ainsi, lorsqu'elle se remarie avec le roi de France,
46:57 cette fois, elle s'assure que les droits du duché seront respectés,
47:01 que leur deuxième enfant aurait tous les droits sur celui-ci,
47:04 et qu'il conserve une certaine indépendance.
47:07 Au final, ils n'auront que deux filles, et le traité ne sera pas respecté,
47:10 puisque la Bretagne rentrera pleinement dans le giron capétien
47:14 et sera définitivement annexée en août 1532,
47:18 près de 20 ans après la mort d'Anne.
47:20 Le giron capétien, moi je trouve ça trop stylé comme terme.
47:23 Et puis l'annexion, c'est les députés bretons eux-mêmes qui l'ont demandé, donc ça va.
47:27 Car Anne meurt le 9 janvier 1514 après avoir passé son règne,
47:31 non seulement à assumer pleinement son rôle de reine de France,
47:34 mais aussi à défendre ardemment les intérêts du duché de Bretagne.
47:38 C'est pour toutes ces raisons qu'elle aura été une grande femme d'État,
47:41 et surtout, c'est quand même pas rien,
47:43 une fois duchesse de Bretagne et deux fois reine de France.
47:46 Elle repose aujourd'hui en la basilique Saint-Denis, aux côtés de Louis XII,
47:50 mais son cœur, quant à lui, se trouve dans un reliquaire de la cathédrale Saint-Pierre de Nantes.
47:54 Je trouve que c'est assez symbolique,
47:56 et que ça résume bien ce que fut la vie de cette grande dame,
48:00 la plus bretonne des reines de France.
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