C’est une travailleuse sociale qui, à l’aube de la cinquantaine, publie un premier roman, "Mon petit", finaliste de plusieurs prix littéraires. Nadège Erika est ce matin l'invitée de Mathilde Serrell.
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00 grâce aux nouvelles têtes avec vous Mathilde Serrel. Et ce matin, une travailleuse sociale
00:04 devenue primoromancière, Nadej Erika est dans notre studio, on est très content de
00:09 la recevoir, portrait sonore !
00:11 Paris est cerclé de collines, des villages dans la ville. Belleville c'est un peu la
00:17 montagne. Je suis allée voler des raisons. Alors je dis le dimanche, les maris jouaient
00:24 à la belote chez monsieur Abrial. Elle a poussé entre les pavés populaires de Belleville,
00:30 avant les kebabs à 9 euros et les cafés matcha. Dans sa fratrie, les enfants sont
00:35 de toutes les couleurs et les pères, tous déserteurs.
00:38 Au pays de Candy, comme dans tous les pays, on s'amuse, on pleure, on rit, il y a des
00:47 méchants et des gentils. Entre chez maman et chez grand-maman, le dessin animé Candy
00:54 s'accompagne. Au fil de sa non-enfance, elle rêve aussi de son prince des collines. Comme
00:59 Candy, celui qu'elle rencontre lui fait deux jumeaux à 19 ans et l'entraîne en enfer.
01:04 Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants, et l'émistral gagnant.
01:14 Si elle était une chanson, ce serait l'émistral gagnant, parce qu'avant le rap qu'elle écoute
01:22 beaucoup, c'est Renaud, sa B.O. Et parce que dedans, il y a le rire des enfants. Ce
01:28 qu'elle défend dans son métier d'éducatrice spécialisée, celui qu'elle a perdu à
01:32 cause d'un médecin qu'il ne faut pas déranger pour rien.
01:35 Si t'étais allé à l'école, tu saurais la haine attire la haine.
01:38 J'ai pas été à l'école, je suis de la rue, moi, qu'est-ce qu'il y a ? Elle m'a
01:44 appris que si tu donnes ta joue, tu te fais niquer ta mère et puis c'est tout, tu me
01:49 fais niquer ta mère. Plutôt que de laisser le tic-tac de la haine
01:51 exploser, comme dans le film du même nom, elle a raconté, puis reprisé son histoire
01:56 dans Mon Petit, aux éditions des Livres Agités, un premier roman dont personne ne sort indemne.
02:01 Nadège Eryka, bonjour. Bonjour Mathilde.
02:04 C'est votre pseudo, Nadège Eryka. C'est mon pseudo, c'est mes deux prénoms,
02:08 mon premier et mon deuxième prénom. Disons que j'ai jugé utile d'abord lire mon patronyme
02:16 pour foutre la paix à ma famille et pour que ma famille me rende la pareille, pour
02:23 le coup. Il vous laisse tranquille malgré ce que
02:26 vous dites dans vos pages. Vous publiez donc ce premier roman nécessaire à 49 ans, vous
02:31 êtes toujours éducatrice spécialisée et vous aviez raconté une première fois votre
02:35 histoire sur France Inter dans un reportage qui est repassé d'ailleurs récemment.
02:39 C'est en l'entendant ce reportage que vous avez voulu écrire.
02:42 Oui, j'avais besoin de témoigner des conditions qui pouvaient être faites à une femme noire,
02:47 racisée, métisse, pauvre, en l'occurrence en France, de surcroît.
02:52 Je suis passée par la radio, parce que la radio c'est quand même la résidence secondaire
02:58 de mes oreilles. Mais je n'ai pas eu besoin d'écouter l'émission, sauf qu'un jour
03:03 je l'ai entendue par hasard en replay. Et là je n'ai pas voulu l'éteindre et j'ai
03:08 vu mon histoire en face comme je l'avais traversée, vécue, subie par certains aspects,
03:15 mais je ne l'avais pas regardée cette vie. J'ai eu besoin de l'écrire en entendant
03:20 ça. Cette histoire, elle est longue à raconter,
03:24 mais elle démarre notamment avec une maman qui est surendettée et qui fait que vous
03:28 vivez en alternance. Elle est aide-soignante chez votre mère et votre grand-mère. Il
03:32 y a ces jumeaux dont vous êtes enceinte à 19 ans. Ce garçon qui va mal vous parler,
03:38 qui va vous violenter. Et cet enfant, un des deux jumeaux, qui meurt suite à la visite
03:43 d'un médecin qui n'a même pas voulu examiner l'enfant parce qu'il vous engueule.
03:46 Vous l'avez dérangé pour rien, il n'a pas de chèvre le bébé.
03:48 C'est en effet ce qui s'est passé. J'étais toute jeune, je suis bien la fille de ma mère,
03:53 j'ai eu mes enfants très tôt. C'était des enfants qui ont été très prématurés.
03:58 Un des jumeaux était un peu plus fragile et un soir il n'était pas bien. J'ai fait
04:03 venir un médecin de SOS Pédiatrie et il a jugé utile qu'au motif que l'enfant n'avait
04:08 pas de fièvre, il n'allait pas l'examiner. J'ai écouté le docteur comme je l'écris
04:13 dans mon roman, mon petit. J'ai couché l'enfant qui ne s'est pas réveillé.
04:19 Et vous en voulez toujours à ce docteur machin ?
04:22 Bien entendu. Je lui en veux plus que tout. Je lui en voudrais toujours. Autant que je
04:29 m'en veux d'ailleurs d'avoir fait venir ce type et pas un autre. Ou ne pas être allé
04:34 aux urgences.
04:35 On le sent dans ce livre qu'au fond, oui vous naissez dans ce quartier de Belleville,
04:40 que votre mère vous fait des dîners biscotte-banania avec la bougie tout simplement parce qu'elle
04:46 n'a pas payé les factures d'électricité. Qu'on vit modestement chez votre grand-mère
04:50 mais malgré tout de manière très soignée. Et qu'au fond vous ne vous sentez pas pauvre
04:54 avant que vous soyez confrontée peut-être à ce médecin qui a cette manière de vous
04:59 traiter comme ça. Ce garçon plus aisé aussi qui vient d'une famille plus aisée, qui
05:04 vous traite d'animal stupide.
05:06 Belleville c'est mon troisième parent d'une part. Sauf que c'est un parent qui est très
05:11 gentrifié. Que pas mal de gens plus confortablement installés se sont appropriés et qui n'ont
05:19 pas de gêne à nous regarder de haut. D'où aussi le titre de mon roman "Mon petit".
05:24 Et en effet, il se trouve que j'ai rencontré un garçon comme ça. J'étais très jeune.
05:29 Je ne sais pas si on avait tous les deux conscience de notre appartenance de classe. En tout cas
05:32 nos classes se sont très mal rencontrées. De la même façon que nos psychismes se sont
05:37 rentrés en collusion.
05:38 Vous avez choisi ce pseudo Nadej-Erika comme Naël aussi. Ça résonne avec le nom de votre
05:44 narratrice. Moi j'y entends toujours Nana, l'héroïne de Zola, qui incarne la misère
05:49 du monde ouvrier. C'est depuis et pour ce monde-là que vous écrivez Nadej-Erika ?
05:54 C'est depuis ce monde-là encore. Même si aujourd'hui je suis un peu plus confortablement
06:00 installée dans mon quotidien. Et c'est pour eux parce que je suis toujours auprès d'eux.
06:05 Les gens du quartier populaire. Même si là je suis en pause par rapport à la promo.
06:09 Je suis toujours auprès des gens les plus vulnérables, les plus souffrants. Donc c'est
06:14 aussi pour eux que j'écris.
06:15 Et vous sauvez également dans la vie une jeune femme. C'est-à-dire dans le roman.
06:20 Parce que vous allez auprès de son bébé au moment où il le faut. Il faut dire que
06:24 vous avez repris vos études à 30 ans. Vous aviez quitté l'école en troisième. Vous
06:29 avez travaillé comme couturière chez Paco Rabanne, Chloé Thierry Mugler pour payer vos
06:35 études. Vous avez été auxiliaire de vie, baby-sitter, femme de ménage. Pourquoi c'est
06:39 toujours le social auquel vous êtes retournée ?
06:41 Parce que je pense que certaines professions, certains choix sont des aveux autobiographiques.
06:47 Je pense qu'il ne faut pas aller chercher beaucoup plus loin. Il y a un désir de réparation
06:51 aussi dans le choix de certains métiers.
06:53 Vous avez l'antenne pour vous, Nadejda Jirika. C'est sujet libre. Et vous avez choisi une
06:58 lettre que votre grand-mère a écrite à 14 ans à sa propre mère. Nous sommes le
07:02 mardi 21 avril 1942.
07:04 Mère chérie, je voudrais pouvoir cette année te prouver ma reconnaissance. Essayer de combler
07:12 la dette que j'ai contractée envers toi, maman. Je comprends maintenant combien ta
07:16 vie qui me semblait facile lorsque petite je partais à l'école est fatigante. Je
07:21 comprends combien il t'était encore pénible de vaquer aux soins du ménage et me consacrer
07:25 quand même une partie de ta journée. Je crois malheureusement que je n'arriverai pas
07:29 à te remercier entièrement de ton dévouement, de ton amour qui te dictait des devoirs pénibles
07:34 à remplir mais qui te semblait léger, facile car tu travaillais pour moi. Oh, combien je
07:39 voudrais pouvoir t'alléger la tâche, te procurer une joie en obtenant chaque mois
07:44 un bon classement et t'aider à la maison et surtout réparer les torts et les fautes
07:49 du passé. Je finis ma lettre ne pouvant te prouver ma reconnaissance et mon amour. Ta
07:54 fille qui t'aime.
07:55 Merci Nadejda Jirika, mon petit. Votre premier roman est publié aux éditions Livre Agité.
08:02 Il est finaliste de plusieurs prix dont celui des Unrock qui sera remis ce soir.
08:06 Bonne chance et bonne route.
08:07 - Merci Mathilde.