• l’année dernière
L’année 2023 marque les 10 ans de la Mission French Tech, déployée dans le but de soutenir et structurer l’écosystème des start-up françaises. Une décennie marquée par de nombreux programmes d’accompagnement déployés dans l’hexagone et à l’international. Pour l’occasion, le ministre délégué au numérique, Jean-Noël Barrot a notamment annoncé de nouveaux avantages fiscaux pour les start-up. C’est l’un des sujets du grand débrief avec Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique, Henri d’Agrain, délégué général du CIGREF et Éric Le Quellenec, avocat au cabinet Simmons & Simmons.

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00:00 Pour débattre de cette actualité que nous avons sélectionnée dans Smartech, j'ai
00:08 convié Bernard Benhamou.
00:09 Bonjour Bernard.
00:10 Bonjour.
00:11 Secrétaire général de l'Institut de la Souveraineté Numérique.
00:13 A vos côtés Eric Lequelennec, avocat associé.
00:17 Bonjour Eric, spécialiste évidemment en droit du numérique chez Simons & Simons.
00:22 Et Henri Dagrin.
00:23 Bonjour Henri, délégué général du SIGREF.
00:26 Je vous propose qu'on démarre tout de suite parce que je sais que le temps passe très
00:29 vite avec vous, avec ce sujet, la redevance pour copies privées qui pourrait arriver
00:34 sur les ordinateurs.
00:36 On va rappeler quand même cette redevance qui a été créée il y a bien longtemps,
00:39 en 1985, pour répondre à ces usages dans le domaine privé autour des copies que nous
00:46 faisons des oeuvres culturelles et qui se développent évidemment grandement avec le
00:53 numérique.
00:54 Donc cette copie privée, elle n'a fait que grossir, que grandir et là elle pourrait
00:55 arriver sur les ordinateurs.
00:56 Est-ce que vous dites là stop, c'est trop ou au contraire oui, il est temps évidemment
01:02 de passer à cette redevance sur les ordinateurs.
01:04 Qui veut démarrer ?
01:05 Je veux bien, Delphine.
01:10 Cette copie, cette redevance sur la copie privée, ce que l'on constate, c'est que
01:17 les ayants droit au sein de la commission qui gère ce sujet n'ont fait au cours du
01:23 temps que rajouter les différents procédés qui permettent éventuellement de copier des
01:30 oeuvres sans jamais prendre en compte l'évolution des usages.
01:34 Or aujourd'hui si on prend par exemple la musique, la consommation de musique se fait
01:41 maintenant essentiellement par du streaming, donc avec des ayants droit qui sont rémunérés
01:46 par les plateformes et plus du tout par qui aujourd'hui copie un morceau de musique
01:51 sur un device, sur un équipement.
01:55 Et donc il est assez légitime me semble-t-il de la part de l'industrie des équipements
02:04 de demander à ce qu'il y ait un rééquilibrage, en tous les cas des études régulières qui
02:08 soient faites pour contrôler la façon dont les oeuvres qui relèvent des ayants droit,
02:15 pour lesquelles les ayants droit peuvent prétendre une rémunération, sont effectivement copiées
02:20 sur des supports numériques.
02:22 D'autant que Copie France qui est en charge de la collecte a récolté à peu près 300
02:27 millions d'euros en 2021, c'est une somme considérable si on compare par ce qu'il
02:33 fait juste autour de nous en Europe.
02:35 Donc voilà, ça c'est un premier point qui est discuté et puis ensuite on a la Fédération
02:41 française des télécoms qui effectivement dénonce la manière dont sont réalisées
02:45 les études d'usages, donc vous êtes tous en phase avec ça.
02:48 Oui, c'est surtout ça le problème.
02:51 On peut être qu'en phase, surtout qu'en réalité ce projet de taxe n'a rien d'innovant,
02:56 on ressort du placard ce qu'on a appelé la taxe TASCA en 2001, qui justement a été
03:01 écartée à l'époque parce qu'on avait pu considérer qu'un ordinateur portable
03:07 ça servait aussi à chercher un emploi, à faire des démarches administratives, ou
03:11 d'ailleurs c'est une source d'économie à hauteur de plusieurs milliards d'euros
03:15 pour l'administration publique en France et finalement c'était finalement un seul
03:20 usage qu'on pénalisait, lié à la sphère privée et qu'il s'agissait effectivement
03:24 de ne pas appliquer cette taxe à l'époque.
03:27 On y revient maintenant parce qu'on a vu que...
03:29 Parce qu'il y a aussi de nouvelles formes de piratage.
03:31 Voilà, c'est aussi via quand même son ordinateur portable qu'on va accéder aux grandes plateformes
03:36 cloud, lesquelles sont censées mettre en place, c'est vrai, des filtrages qui ne sont
03:40 pas toujours très effectifs et à ce titre finalement les ayants droit souhaitent recouvrir
03:46 des sommes complémentaires.
03:48 Sachez quand même qu'en novembre 2021 cette taxe a déjà été étendue aux appareils
03:53 reconditionnés, ce qui d'un point de vue pour le projet de protection de l'environnement
03:56 est quand même assez dommage.
03:57 Et d'ailleurs là on parle des ordinateurs neufs et reconditionnés également, qui seraient
04:02 touchés par cet élargissement.
04:04 Il est clair qu'il y a, il y a et il y aura, puisque là on a parlé de l'existant, comme
04:10 le rappelait Henri et comme le rappelait Monsieur, mais il y aura effectivement des problèmes
04:14 nouveaux autour du partage de la valeur, de la rémunération des artistes.
04:18 On pense en particulier à l'intelligence artificielle et toutes sortes de débats qui
04:22 devront exister.
04:23 Et là dessus effectivement on a toujours un décalage entre les technologies et évidemment
04:29 tout à l'heure il était question du décalage avec les usages, mais il est évident qu'il
04:32 y aura aussi un décalage par rapport aux technologies dans les temps à venir.
04:35 Et donc c'est vrai que, pour revenir, puisqu'on reparlait effectivement de l'histoire des
04:41 fonds bâtissements, de ces redevances, l'idée était évidemment d'une juste rémunération
04:47 effectivement de la création et de la propriété intellectuelle.
04:49 L'idée pour l'avenir c'est évidemment d'éviter que les créateurs au sens large
04:56 ne deviennent la variable d'ajustement des modèles économiques, des grandes plateformes,
05:00 et en particulier maintenant essentiellement entre Google et Microsoft.
05:03 Est-ce que c'est la bonne réponse pour adresser le sujet de la rémunération aujourd'hui
05:07 des archives ?
05:08 J'ai souvenir d'une discussion enflammée que j'avais eue à Science Po avec un certain
05:13 Pascal Negre, l'un des grands acteurs dans ces domaines autour de la musique.
05:17 Et effectivement je me souviens, on était avant Adopi, c'était loin, et je me souviens
05:23 que lui disait "mais il faut favoriser les offres légales".
05:27 Aujourd'hui malheureusement les offres légales existent, elles ne sont pas européennes.
05:30 Et pour l'essentiel effectivement...
05:31 Si, quand même on a Spotify.
05:32 Un peu Spotify, un peu.
05:34 Mais en volume je pense effectivement que derrière les très gros, je pense qu'ils
05:38 sont derrière.
05:39 Mais fondamentalement, et on pourrait même dire que Spotify pour beaucoup ce sont des
05:42 investisseurs qui ne sont pas européens.
05:44 Je peux dire Deezer aussi, j'ai oublié quand même Deezer.
05:47 Et puis le troisième m'échappe.
05:49 Aujourd'hui c'est Apple Music.
05:51 Bon c'est pas un majeur le troisième, ça me reviendra, pauvre.
05:55 Kobuz.
05:56 Kobuz, c'est YouTube aussi pour effectivement la musique qui est de plus en plus.
06:02 Donc fondamentalement, je crois qu'effectivement il y a une vraie réflexion de fond sur une
06:08 façon d'agir de manière préemptive et non pas simplement de façon réactive.
06:12 Or j'ai peur, au vu évidemment de la redistribution dans ces domaines, qui est eu souvent, et
06:17 c'est le cas pour cette redevance, mais ça a été le cas je dirais depuis 20 ans, qui
06:21 est souvent une action réactive plus qu'une réflexion de fond sur les évolutions en
06:26 cours.
06:27 Et donc l'avocat aussi pense que c'est pas la bonne réponse, la copie privée, pour
06:30 adresser le sujet de la rémunération des artistes aujourd'hui à l'ère du numérique.
06:33 Ça nous enferme dans des modèles économiques anciens et on ne va pas justement pousser
06:39 la réflexion vers un nouveau modèle d'affaires.
06:42 On a parlé de l'audience et de sa mesure et donc de sa valorisation, ce qui me fait
06:46 penser aussi à une époque aux discussions autour de la taxe Google, qui par rapport
06:50 à la publicité en ligne aurait justifié qu'on aille plus loin et réellement qu'on
06:55 place finalement l'imposition au bon niveau.
06:58 Là ce qu'on peut regretter aussi dans le dispositif qu'on est en train d'étendre,
07:03 c'est qu'on a des problèmes finalement d'inflation et que c'est encore une fois
07:07 le consommateur qui va "prinquer".
07:08 Oui, juste attention mon chatte fond du brut.
07:12 Ah pardon.
07:13 Oui et puis je crois qu'il y a un des sujets, c'est quand même cette schizophrénie entre
07:22 d'un côté la rémunération des auteurs et de leurs ayants droit à partir d'un
07:30 support, mais qui décorrèle complètement de la réalité de la consommation des œuvres.
07:35 Et ça je pense que c'est un sujet également qu'il faut que l'on aborde parce que les
07:42 artistes eux-mêmes, et bien à mon sens, enfin en tous les cas si j'étais un artiste,
07:48 je ne m'y retrouverais pas.
07:49 Oui.
07:50 Je ne m'y retrouverais pas.
07:51 Allez, on enchaîne avec notre deuxième sujet, là c'est Laurent Wauquiez qui estime
07:55 qu'il est temps d'expérimenter la reconnaissance faciale aux abords du lycée.
07:58 Évidemment c'est une déclaration qu'il a fait aux parisiens après l'attaque d'Arras
08:04 qui a valu l'assassinat d'un professeur Dominique Bernard.
08:06 Alors il demande donc pour cela au gouvernement de modifier la loi parce que, Eric Le Guesnec
08:12 vous confirmez, aujourd'hui on ne peut pas utiliser cette reconnaissance faciale dans
08:15 le domaine public.
08:16 Alors dans le domaine public non, en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme
08:21 il peut y avoir des aménagements d'exception mais extrêmement limités, encadrés et qui
08:26 doivent d'ailleurs faire l'objet finalement d'un avis préalable de la CNIL dont on sait
08:30 qu'elle prétend être le garant du pacte républicain et ne peut octroyer ses dérogations
08:36 que de manière très exceptionnelle après ce qu'on appelle une analyse d'impact où
08:40 tous les risques par rapport au droit et à la liberté des personnes doivent être très
08:43 concrètement évalués.
08:44 Donc c'est quand même des hypothèses tellement étroites que la CNIL avait même refusé
08:49 par exemple il y a deux ans, donc l'autoriser, le contrôle vous savez d'accès aux stades,
08:55 aux interdits de stade par la reconnaissance finalement évidemment faciale.
09:01 Ce qui aurait pourtant simplifié la mise en œuvre d'un tel contrôle reposant lui-même
09:06 sur une base légale solide.
09:07 On voit que ça reste quand même très étroit, très compliqué et même je voudrais élargir
09:12 un tout petit peu sur ce qu'on appelle la surveillance auditive, donc on ne peut avoir
09:18 des micros associés à des caméras, rien que ça la CNIL est très réticente.
09:23 Alors pour en arriver à la reconnaissance faciale on voit que le chemin est semé d'embûches
09:27 juridiquement.
09:28 Mais ça voudrait dire quoi aussi ? Si on imagine qu'on installe ce type de solution,
09:33 de système, ça voudrait dire qu'il faudrait scanner l'ensemble des élèves qui vont rentrer
09:38 dans les lycées ?
09:39 Non, si j'ai bien compris la proposition, il s'agit juste d'avoir un fichier avec
09:47 l'empreinte faciale des, ce qui est demandé en tous les cas, des fichiers S pour terroristes.
09:55 Ça veut dire que par défaut la caméra va capter l'ensemble des visages ?
09:59 Oui, mais ça ne veut pas dire qu'on va l'utiliser ?
10:04 Non, la question que l'on peut se poser c'est, sommes-nous en train de rentrer dans Minority
10:12 Report ? Un peu.
10:13 Pour l'instant le gouvernement n'a pas dit oui, on n'est pas en train de modifier la
10:18 loi.
10:19 Il est clair que lorsqu'il est question de sécurité nationale, on sait très bien que
10:24 les arguments que peuvent opposer, parce qu'il faut avoir en tête que lorsqu'il est question
10:28 de sécurité nationale, il n'y a pas de double check, de revérification européenne, c'est-à-dire
10:36 que c'est du domaine souverain des États et réfléchissons à ce qui risque de se
10:41 passer pour les JO, on sait très bien qu'il a été question de mettre en place des dispositifs
10:45 de ce genre dans le cadre des JO.
10:47 Donc il n'y aura pas de reconnaissance facile.
10:48 En revanche, on a accepté l'utilisation de caméras dites intelligentes, augmentées,
10:54 pour repérer les mouvements de foules.
11:00 Ça s'appelle l'analyse comportementale, telle que nos amis chinois la pratiquent abondamment
11:04 au travers de l'ensemble de leurs millions de caméras sur le territoire chinois.
11:07 Mais sans reconnaissance faciale.
11:08 Mais il n'est pas impossible d'imaginer qu'une évolution en cas de durcissement de la situation
11:14 sécuritaire, ce qui malheureusement, cas de Yonepes vu la période, n'est pas une chose
11:17 qu'on peut écarter du revers de la main, ça fait partie des choses dans lesquelles
11:22 nous devons effectivement être vigilants parce que c'est le profil de l'activité
11:26 sociale dans nos sociétés qui serait modifié.
11:28 Et donc là-dessus, la vision qu'avait un Eric Schmidt qui disait "la vie privée c'est
11:34 une chose du passé", si vous ne voulez pas qu'une chose se sache, vous n'avez qu'à
11:38 pas la faire, c'est une vision qui rejoint terriblement les visions des dictatures.
11:43 Henri Dagran, ça vous inquiète également ?
11:44 Ce n'est pas une question d'inquiétude ou de crainte à titre personnel, mais je ne
11:52 suis pas certain que nous voulions d'une société dans laquelle il y a ce type d'intrusion
11:59 des technologies numériques dans notre capacité à vivre de manière libre et non surveillée.
12:05 On y arrivera peut-être parce qu'à un moment donné, la demande sociale sera plus forte.
12:12 Ce n'est pas quelque chose qu'il faut écarter, mais à titre personnel, et j'estime que
12:18 dans nos sociétés démocratiques, libérales, nous devons pouvoir vivre de manière sereine
12:25 sans être en permanence surveillés par l'ensemble d'un système électronique.
12:32 Mais c'est expérimenté dans d'autres pays aussi.
12:35 Il y a cette pression internationale.
12:38 Avec l'expérience à Victoria Station, une des gares les plus fréquentées de Londres,
12:43 la Metropolitan Police a dû renoncer à son expérimentation parce qu'il y avait des
12:49 taux d'erreur très importants, au-delà des 20 %, et certains activistes disaient
12:56 que c'était même 70 % d'erreur.
12:58 Là, c'est peut-être exagéré.
13:01 En tous les cas, l'expérience a tourné court et on voit bien que la CNIL est d'autant
13:05 plus vigilante et réticente qu'avec le précédent Clearview, qu'elle avait pu sanctionner
13:11 très sévèrement, il y avait aussi des questions de référentiel et notamment de collecte
13:18 des photographies des individus par le dispositif lui-même en lien et en comparaison avec notamment
13:24 d'autres sources et réseaux sociaux qui posent des questions de légitimité de la
13:30 source de la donnée.
13:31 N'ayez aucun doute, la technologie fera les évolutions nécessaires pour résoudre
13:37 ces problèmes.
13:38 Les 20 % de taux d'erreur seront de 2 % dans 2 ans, dans 3 ans, dans 5 ans, seront
13:42 de 0,2 % dans 10 ans, dans 15 ans.
13:45 N'ayez aucun doute là-dessus.
13:46 C'est ça qui est dangereux d'ailleurs, c'est de se dire "c'est tellement performant,
13:51 c'est tellement fiable qu'on ne va pas se tromper".
13:53 On rappellera quand même qu'aux États-Unis, de nombreuses personnes ont été arrêtées
13:56 à tort parce que reconnues, en particulier, on remarquera que les personnes noires ont
14:04 un taux de reconnaissance qui est beaucoup moins efficace que les personnes dites caucasiennes,
14:09 c'est comme ça qu'on les appelle là-bas, c'est-à-dire les blancs.
14:10 Et donc là-dessus, je pense que les biais qui peuvent porter dramatiquement préjudice
14:15 aux personnes sont des choses qu'on doit surveiller.
14:17 Alors là, c'est un peu différent puisqu'il aurait été question des fichés.
14:19 Alors là, tout ça, ça dit en gros "il faut expérimenter pour pouvoir corriger,
14:24 pour prendre les bonnes décisions".
14:25 Nous avons déjà d'énormes moyens de surveillance des gens, on l'oublie, le téléphone qui
14:29 est un outil de traçage extraordinairement efficace, de bornage, de géolocalisation.
14:34 Les FADEP.
14:35 Voilà, donc il ne faut pas penser qu'on est totalement démuni.
14:39 De même, je sais que ce n'est pas notre débat aujourd'hui.
14:41 Et puis ce n'est pas une baguette magique non plus.
14:43 Bien sûr, mais les autorités de police partout dans le monde réclament, encore réacris
14:47 ces derniers temps, des portes dérobées dans nos téléphones.
14:49 C'est aussi une chose qui revient périodiquement, tous les 5 ans, tous les 10 ans, et c'est
14:55 une chose qui est, elle aussi, très inquiétante si elle devait être mise en œuvre.
14:58 Absolument.
14:59 Les 10 ans de la French Tech.
15:01 Je ne sais pas si vous êtes allé célébrer l'événement.
15:04 Donc on rappelle que cette mission French Tech, c'est une mission de l'État qui
15:09 est chargée de soutenir notre écosystème de start-up française, rattachée à la DGE,
15:14 à la Direction Générale des entreprises, au sein du ministère de l'Économie.
15:17 Quel regard vous portez, vous, 10 ans après la naissance de cette French Tech ?
15:20 Je vais peut-être commencer.
15:23 Bernard.
15:24 Oui, parce que j'étais là, au niveau des cabinets ministériels, lorsque la chose
15:27 a été créée, à l'époque, effectivement, il y a une dizaine d'années.
15:30 Et Dieu sait que l'idée est séduisante, c'est-à-dire, effectivement, créer un
15:34 label, faire en sorte, effectivement, d'aider les entreprises dans ces domaines.
15:37 Mais là, je vais me permettre d'être un peu plus critique.
15:40 Je crois que le résultat n'est pas à la hauteur des espérances telles qu'elles
15:44 avaient été suscitées au tout départ.
15:45 C'est-à-dire qu'on a un très bel écosystème, magnifique écosystème de start-up et de
15:50 PME dans le domaine numérique.
15:51 Nous n'avons pas, et ça, je pense que c'est un « nous » collectif, nous n'avons
15:55 pas réussi à transformer l'essai pour faire en sorte qu'elle ne reste pas start-up
15:58 ou qu'elle ne soit pas rachetée, comme ça a été trop souvent le cas pour les plus
16:01 prometteuses d'entre elles, par des intérêts américains en grande partie.
16:05 Et je crois, effectivement, qu'on a fini par perdre l'objectif.
16:10 L'objectif, ce n'est pas de se dire « nous avons un énorme tissu de start-up »,
16:15 c'est de faire émerger des champions de demain.
16:17 Et là-dessus, puisqu'on parlait effectivement de nos…
16:20 Oui, mais là-dessus, il faut de l'investissement, notamment.
16:22 Pas que, il faut de la commande publique.
16:24 Et là-dessus, l'État n'a pas joué son rôle.
16:27 Je suis un ardent défenseur du renforcement de la commande publique au travers de ce qu'on
16:32 appelle le « small business act ». Il se trouve que c'est un serpent de mer.
16:35 Moi, je suis avocat de ça depuis dix ans et je sais, effectivement, qu'on commence
16:39 à en reparler au niveau européen, mais avec grande réticence de la part des grands groupes
16:43 et évidemment de nos interlocuteurs américains.
16:46 Mais il faut imiter, c'est le cas de le dire dans ce cas-là, l'Amérique qui l'a
16:50 fait depuis, je le rappelle, 1953.
16:52 Vous avez raison Bernard, mais j'ai essayé d'amener une habile transition vers l'annonce
16:58 faite par le ministre du numérique Jean-Noël Barrault à l'occasion de ses dix ans, qui
17:02 a dit « en plus, je vais arriver avec un cadeau, ce sont des avantages fiscaux ».
17:07 La French Tech, aujourd'hui, c'est effectivement dix ans.
17:13 Dix ans où on a fait des erreurs, on a beaucoup appris, notamment, et c'est là où je peux
17:18 m'exprimer, c'est sur les relations entre les grands groupes et les startups, où il
17:22 y a eu des relations, au début, qu'on pourrait qualifier bien souvent de toxiques, et pas
17:31 que de la part des grands groupes, mais également de la part des startups, et ça a tué beaucoup
17:35 de belles initiatives, parce que cette relation entre startups et grands groupes n'était
17:41 pas toujours abordée par le bon côté et pour les bonnes raisons.
17:45 Aujourd'hui, je crois qu'on est revenu à quelque chose de beaucoup plus raisonnable,
17:50 et d'ailleurs, ça fait partie du dispositif qui a été lancé au moment du salon de Vivatech.
18:01 Je choisis la French Tech, qui est un dispositif sur lequel le CYF s'est engagé, mais comme
18:07 beaucoup d'autres organisations, en partant du constat qu'une startup a besoin de financement,
18:16 certes, et la première chose qui la fait vivre, la raison profonde qui fait que ça
18:20 a un succès, c'est quand elle a des clients.
18:23 Et les startups qui crament du cash sans client, uniquement avec des promesses, c'est le plus
18:29 délétère pour l'ensemble de l'écosystème.
18:31 L'excellent député Philippe Latombe a eu l'occasion, dans son rapport sur la souveraineté,
18:35 de dire que 1 euro d'achat, ça équivaut en termes de modèle économique pour une startup,
18:39 à 7 ou 8 euros de subvention.
18:41 C'est donc structurant, efficace, et là-dessus, je le rappelle, la commande publique joue
18:48 et doit jouer son rôle, elle ne le joue pas.
18:50 Il y a l'arrivée aussi d'un nouveau site internet pour ces 10 ans de la French Tech
18:54 qui doit nous donner un peu plus de lisibilité sur l'action publique.
18:57 C'est vrai qu'on en a besoin quand même.
18:59 La transparence ne suffira pas.
19:01 Il faut aller bien au-delà, vers l'obligation, ce qui se passe aux Etats-Unis.
19:04 Bernard a tout à fait raison.
19:06 L'action publique, une politique publique, c'est au moins trois leviers qui doivent être
19:11 actionnés de manière très harmonieuse.
19:13 Les trois leviers dont dispose le pouvoir politique, c'est bien sûr le réglementaire,
19:19 et notamment la fiscalité en fait partie, c'est le financement, l'investissement public,
19:24 la BPI France pour ça fait son travail, et le troisième levier, c'est la commande publique.
19:31 Il faut que ces trois leviers soient articulés de manière harmonieuse.
19:36 Un chiffre, aux Etats-Unis, 26% de la commande publique fédérale est attribuée à des PME.
19:40 Si nous en sommes à plus de 10% en France, je serais extraordinairement étonné.
19:44 Je voudrais quand même ajouter que pour les startups que j'ai la chance d'accompagner,
19:49 dans le mouvement de la French Tech, c'est quand même bénéficier d'un relais d'images
19:53 de notoriété non négligeable, y compris à l'international, j'étais moi-même à
19:57 Singapour, et à une délégation très dynamique, et à tout point de vue, on voit bien quand
20:02 même qu'y compris dans la valorisation de ces structures, c'est aussi une marque non
20:08 seulement de fabrique, mais aussi un gage de qualité d'avoir eu cet accompagnement
20:12 tout particulièrement.
20:13 On peut dire quand même aussi un mot, parce que cet anniversaire s'est accompagné d'autres
20:17 événements justement à l'international, et on a 500 entrepreneurs French Tech justement
20:22 qui ont manifesté leur soutien avec ce qu'ils appellent la Startup Nation, c'est une inspiration
20:27 en matière d'innovation aujourd'hui Israël, donc voilà cet appel qui a été lancé, un
20:32 appel au don, et puis à aider les populations de quelque façon que ce soit.
20:38 On enchaîne avec l'actualité autour de X, je l'ai décrite comme chaotique, j'ai eu
20:45 du mal à tout lister, mais enfin on va commencer par cette question, est-ce que X pourrait
20:50 bloquer son service en Europe, est-ce que vous y croyez à cette hypothèse ?
20:55 Alors je vais vous poser une question, si X s'arrête demain…
21:01 En Europe ou partout ?
21:03 S'arrête demain, on va voir…
21:05 Ah ben oui parce que ça fait une différence !
21:06 Disons, elle est en Europe, qu'est-ce qui se passe ? 24 heures de gros chagrin, et puis
21:12 rien du tout, je suis convaincu qu'il ne se passera rien.
21:16 Oui d'ailleurs on est à la veille du No Twitter Day, pour ceux qui souhaiteront le…
21:20 Alors quand on sera diffusé ce sera déjà passé, donc je ne sais pas…
21:23 Je suis désolé.
21:24 Non mais c'est important de le dire, je ne sais pas si ce sera très suivi ou pas,
21:29 je sais pas si vous allez faire la grève du tweet par exemple autour de cette table.
21:31 Oui, ça ne me coûtera pas grand-chose, j'en fais très peu.
21:33 La question n'est pas là.
21:36 Donc vous vous dites que ça ne change rien si Elon Musk décide de fermer le mobilinaire
21:41 en Europe ?
21:42 Non, d'abord, il ne le fera jamais, parce que ce serait un signal désastreux envoyé
21:45 à ses investisseurs, malgré tout il y est malgré tout sensible, après avoir dépensé
21:49 42 milliards, et donc par définition je crois qu'il ne le fera pas.
21:52 Mais les menaces, ou en tout cas les lettres, les injonctions qui lui ont été envoyées
21:57 par Thierry Breton, qui s'exprimaient encore ce matin, enfin qui s'exprimaient il y a
22:00 quelques jours…
22:01 Jeudi on peut le dire, oui non ?
22:04 Ne lui ont manifestement pas fait de grands effets, puisqu'il lui a répondu "c'est
22:10 à vous de me dire ce que je ne fais pas bien", sous-entendu, en gros ça s'appelle renverser
22:14 la charge de la preuve, pour ce qui est des juristes.
22:17 Donc par définition, je crois qu'il est dans une telle logique, qui est une logique
22:21 de pouvoir politique, qui est une logique d'affirmation idéologique, qui n'est
22:25 plus une logique business, puisqu'on le voit bien, les financeurs, et en particulier
22:29 les annonceurs, commencent à se méfier de l'image qui pourrait leur être accolée
22:33 si effectivement ils continuent à investir dans cette plateforme.
22:36 Donc je crois qu'on est là face à un activisme politique auquel doit répondre une réaction
22:41 de la puissance publique européenne, sur le mode "si vous ne faites pas les choses,
22:45 nous vous sanctionnerons".
22:46 L'idée n'est pas de le couper, l'idée c'est de le sanctionner.
22:49 Et je pense que si on tape au portefeuille, il y a un moment où tout milliardaire qu'il
22:53 soit, se prétendant financer ou racheter quasiment Wikipédia parce qu'il trouvait
22:58 que Wikipédia ce n'était pas bien, tout milliardaire...
23:00 - C'est-à-dire qu'il part un peu dans tous les sens aussi, c'est parce que j'ai du mal
23:03 à adresser la liste des sujets autour de lui.
23:05 - Il est devenu toxique.
23:06 - Mais il est devenu toxique, ok, cela dit, j'ai quand même envie d'apporter un éclairage
23:11 autour du DSA, puisque ce règlement européen ne fait pas peur qu'à X et Elon Musk.
23:17 On a aussi Mark Zuckerberg qui a décidé de ne pas lancer son réseau social en Europe.
23:21 - Parce que les actions encourues justement vont au-delà de celles du RGPD, le RGPD
23:26 c'est 4% du chiffre d'affaires mondial, le DSA c'est quand même 6%.
23:30 Et vous ajoutez même quand tout va bien, que ces grandes plateformes vont payer, alors
23:35 on ne sait pas très bien si c'est un impôt ou une redevance, ou en tous les cas ils
23:39 devront payer 0,05% de leur chiffre d'affaires annuel mondial d'ores et déjà pour avoir
23:44 la chance d'être supervisé par la Commission européenne.
23:46 Donc se retrouver dans un modèle comme ça d'économie dirigée d'une certaine manière
23:51 avec des contraintes très fortes, je reprends leur terme, en termes de modération de contenu,
23:57 c'est trop leur demander, s'en veut-il.
23:59 - Non, 0,05% soyons très clairs, ça fait psychologiquement un peu mal, mais pas en
24:04 termes de bilan.
24:05 Et de surcroît il faut quand même rappeler que DSA, DMA et peut-être d'autres textes
24:09 à venir ne s'adressent qu'à des très très grandes plateformes.
24:13 C'est-à-dire qu'on ne s'adresse pas aux tout-venants.
24:16 - En disant que nous ça ne nous gêne pas beaucoup, on n'a pas de grandes plateformes.
24:19 - Tout le problème est là, c'est-à-dire que nous sommes obligés d'être défensifs,
24:25 tout à l'heure nous rejoignions avec Henri sur la nécessité d'une politique industrielle
24:29 offensive, ce qui n'est pas le cas en Europe et surtout pas en France.
24:32 Je pense qu'il est temps d'arrêter de se lamenter de notre absence.
24:36 - Mais cette ultra-régulation, elle pénalise aussi parfois l'écosystème.
24:39 Là on n'est pas concerné.
24:40 - Non, elle pénalise les gros.
24:41 - Mais parfois, non, non, non.
24:42 - Les gros ?
24:43 - Bah nous, l'écosystème humain, il existe quand même.
24:44 - Non, non, mais d'accord, mais la régulation de X va vous pénaliser ?
24:48 - Ah non, c'est parce que je dis, je dis qu'aujourd'hui...
24:52 - C'était l'argument et il n'est pas juste puisque justement...
24:54 - Non, je dis qu'aujourd'hui les plateformes manifestent quand même une certaine inquiétude
24:59 vis-à-vis de ces règlements très restrictifs aujourd'hui.
25:02 - Bien sûr.
25:03 - En Europe et que sur d'autres sujets, par exemple sur l'intelligence artificielle, là
25:07 l'écosystème européen dit "attention, il ne faudrait pas non plus trop nous gêner
25:10 dans nos croissances".
25:11 - Ça dépend là encore si on établit des seuils.
25:13 Si on établit des seuils à partir duquel une société qui va développer une activité
25:17 ou un service, et ça sera surtout vrai, il faut le rappeler, des mêmes usuels suspects
25:22 du cloud puisque ce sera des services accolés à leur service de cloud.
25:26 Donc par définition, si effectivement on ne vise qu'intelligemment, c'est ce qu'on
25:31 appelle faire des lois ad hoc, si on vise intelligemment comme ça a été le cas pour
25:34 le DSA et le DMA, historiquement je rappellerais que le droit antitrust porte ce nom parce
25:39 que Standard Oil était incorporé de trust.
25:41 Donc c'était une loi pour une société.
25:43 - Il y a aussi des entreprises et des associations et des clubs de la cybersécurité comme le
25:48 Clusiv qui décident de partir de la plateforme X.
25:51 Quelle est la position du Cygreve, par exemple ?
25:53 - On utilise Twitter pour une communauté et pour lui présenter les publications que
26:05 l'on a sur notre site.
26:06 - Vos adhérents l'utilisent beaucoup ?
26:07 - Oui mais en même temps, je suis convaincu que si, je vous le redis, ça ne changera
26:16 pas grand chose.
26:17 Twitter, ça agite beaucoup les esprits mais c'est très momentané.
26:21 En une semaine on oublierait Twitter.
26:23 - Et le modèle payant chez X, ça vous semble intéressant ?
26:30 - Je serais ravi parce que je pense que l'un des problèmes de ces plateformes en termes
26:33 de dérive vers les propos de haine, vers l'amplification des rumeurs, du complotisme
26:38 etc. est lié au fait qu'il n'y a pas de tarif d'entrée et que des robots peuvent
26:42 s'y inscrire massivement par millions.
26:44 Donc si l'on avait un seuil d'entrée économique, je pense que la contagion à laquelle on assiste
26:53 massivement en ce moment en termes de désinformation russe, chinoise et d'autres, et d'extrémistes,
26:59 serait considérablement limitée.
27:00 - Et pour beaucoup de gens, laisser son numéro de carte bleue sur le site pour aller dire
27:05 des insanités ?
27:06 - Ça peut être effective si on a une transparence algorithmique qui permette aussi d'initier
27:14 d'avoir une modération efficace.
27:16 - C'est assez exceptionnel mais c'est l'avocat qui a pu le moins s'exprimer au cours de cette
27:20 table.
27:21 Merci beaucoup.
27:22 - C'est forte partie.
27:23 - Le Kelley-Neck, avocat associé spécialiste en numérique chez Simon & Simon, Bernard
27:26 Benhamou secrétaire général de l'Institut de la souveraineté numérique et Henri Dagrin
27:29 délégué général du CIGREF.
27:31 C'était Smartech, merci de nous suivre.
27:33 - Merci.
27:34 - Au revoir.
27:34 - Au revoir.

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