• l’année dernière
Transcription
00:00 *Musique*
00:10 12h-13h30, les midis de culture, Géraldine Mosnassavoy
00:16 Place à la critique et aujourd'hui, place au manga.
00:20 Vous connaissiez Miyazaki, le réalisateur dont le dernier film "Le garçon et le héros" vient de sortir sur les écrans.
00:25 Vous allez découvrir Miyazaki, le mangaka, avec un inédit, enfin traduit en français, 40 ans après sa sortie au Japon.
00:32 Et parce qu'il n'y a pas que le merveilleux dans la vie, un peu d'horreur et de verre maléfique,
00:37 avec un deuxième manga, Onimbo, où l'histoire d'une petite créature joufflue qui ronge vos traumas.
00:43 Et on en débat ce midi avec vous, Fausto Fazulo, bonjour.
00:46 Bonjour.
00:47 Vous êtes fondateur de la revue Atom et co-directeur artistique du festival d'Angoulême.
00:52 Et bonjour à vous, Pauline Croquet.
00:53 Bonjour.
00:54 Vous êtes journaliste au Monde, rubrique Pixel.
00:57 Soyez les bienvenus tous les deux dans l'émilie de culture.
00:59 Et on commence avec le voyage de Shuna de Hayao Miyazaki.
01:11 Au fond d'une vallée creusée par un glacier, un royaume, venteux et sans soleil, miné par la famine.
01:39 Son prince, Shuna, ne peut s'y résoudre et décide alors de partir à la quête d'une graine miraculeuse,
01:45 capable de féconder les sols et de remédier à la faim.
01:49 Évidemment, le voyage ne sera pas de tout repos pour Shuna, accompagné de son fidèle Yakuru, mélange de yak et de bouctin.
01:56 Traite humaine, cité corrompue, dieu vicieux, il devra braver tous les dangers, y compris perte de mémoire et de parole.
02:03 Inspiré d'un conte tibétain, tout en aquarelle et en quelques mots sorti il y a 40 ans au Japon, alors que Miyazaki n'était pas encore Miyazaki.
02:10 Ce voyage vaut-il le coup, Pauline Croquet ?
02:13 Tout à fait, il vaut vraiment le coup et c'est d'autant plus intéressant que ce récit a été dessiné deux ans avant la création du studio Ghibli.
02:21 Donc en 1983, le studio Ghibli est créé en 1985.
02:24 Absolument, et ce qui est intéressant c'est qu'on voit déjà à l'œuvre plein de thématiques et aussi plein d'esthétiques de Miyazaki avant le studio.
02:33 Alors pour ceux qui ne connaissent pas Miyazaki, même si je pense que c'est un peu difficile de ne pas savoir qui c'est,
02:37 parce qu'il est quand même surplébiscité, très connu, le Garçon et le Héron s'est sorti mercredi dernier, ça fait quand même un tonnerre d'enfer.
02:45 À quoi ça ressemble Miyazaki ?
02:47 Miyazaki, on a des contes en deux secondes !
02:50 Quelle question ! J'espère qu'elle ne va pas me la poser en fait ! Alors Miyazaki, sa vie, son œuvre, vous avez deux secondes !
02:56 Non mais ça va être votre toit après, faut que vous allez voir !
02:58 En tout cas, je parlerai de quêtes oniriques de jeunes gens, souvent ce sont des jeunes héros et héroïnes,
03:02 parce que Miyazaki a quand même esquissé des héroïnes très tôt, et des quêtes oniriques,
03:07 c'est-à-dire qu'on est aux frontières entre le réel, des situations très difficiles, mais aussi un monde peuplé de créatures fantastiques.
03:13 Ok, assez simple ! Donc, vous avez été plutôt convaincu par ce Miyazaki, surtout parce qu'en fait vous y avez vu ce qui était déjà en germe dans son œuvre.
03:21 Est-ce que c'est pareil pour vous Fausto Faziulo ?
03:23 C'est vrai que c'est assez...
03:24 Et vous allez nous dire en quoi consiste Miyazaki !
03:26 Non mais c'est assez intéressant et drôle d'avoir cet objet aujourd'hui entre les mains,
03:31 parce que c'est vrai qu'à l'heure actuelle on sait à peu près tout de Miyazaki, il y a eu beaucoup de littérature produite autour de lui,
03:36 donc il ne cesse de repousser l'arrêt de sa carrière, sa retraite,
03:43 donc on a vraiment une vue d'ensemble de son œuvre qui est tellement précise,
03:48 que découvrir aujourd'hui un inédit déclenche une drôle de sensation,
03:54 on a l'impression à la fois de tout connaître et de rien connaître, de tout connaître,
03:58 parce qu'évidemment il y a à peu près tout dans ce livre, qui n'est d'ailleurs pas tout à fait un manga,
04:03 mais qui est plus un récit illustré en réalité,
04:07 et en même temps, son abstraction parfois,
04:12 parce que c'est une sorte de récit un peu en pointillé, il n'y a pas véritablement de fin, il y a plein de zones d'ombre...
04:17 Il y a quand même un peu une idée de la fin.
04:19 Oui, il y a une idée, mais en fait on est quand même sur une structure qui est beaucoup plus flottante,
04:24 et qui je pense correspond assez à la période très particulière dans laquelle était Miyazaki quand il l'a créé,
04:31 c'est-à-dire un peu entre deux eaux...
04:35 Il faut dire que c'était au début des années 80, donc c'était une traversée du désert pour lui,
04:38 son premier film d'animation avait fait un flop en 1979,
04:43 il n'a pas encore créé le studio Ghibli, donc il s'essaye au manga d'une certaine manière.
04:49 En fait le manga a toujours été présent dans sa vie,
04:52 lui c'est quelqu'un qui dans sa prime jeunesse caressait justement l'envie, l'idée de devenir mangaka,
04:58 mais qui a été rattrapé par le cinéma d'animation,
05:02 j'aime pas trop ce terme, le cinéma en découvrant le serpent blanc,
05:05 qui lui a donné envie ensuite de travailler justement dans ce milieu.
05:09 Et ensuite il n'a jamais vraiment trop lâché le manga, il lui est revenu, il en est reparti...
05:15 Et ce qui est assez drôle, c'est que le voyage de Shuna c'est à la fois une oeuvre très personnelle,
05:20 mais c'est aussi une oeuvre de commande en réalité.
05:23 C'est une proposition qu'on lui a faite, un peu comme Naoshika,
05:28 qui est aussi un manga qui est devenu un long métrage très célèbre par la suite.
05:32 Donc c'est assez drôle de voir que d'une certaine manière c'est un peu de la contrainte
05:37 qu'ont pu naître des oeuvres qui renfermaient toutes les thématiques qu'il allait effectivement développer ensuite.
05:43 Alors vous allez nous le dire Fausto Faziolo, toutes les thématiques qui allaient être développées après,
05:49 lesquelles ? Miyazaki en quelques mots, le voyage, les mots...
05:52 Oui c'est ça, je vais enfiler les lieux communs comme les verres,
05:55 puisqu'on connaît très bien Miyazaki, donc l'écologie, la quête d'identité, le voyage,
06:02 le pessimisme aussi, qui n'est pas véritablement une thématique,
06:04 mais qui est quelque chose qui traverse vraiment toute l'œuvre de Miyazaki.
06:08 Et puis une sorte aussi de...
06:10 Oui, Miyazaki étant quelqu'un de profondément marxiste, encore aujourd'hui d'ailleurs, il le dit,
06:15 c'est assez intéressant de voir qu'il y a de cette idéologie-là en fait dans son oeuvre, dans son travail.
06:21 Donc on retrouve effectivement des personnages qui très souvent sont un petit peu en rupture,
06:25 ou qui ont des idéaux d'égalité qui parfois vont être un petit peu ébranlés.
06:29 Pauline Croquet, vous vouliez ?
06:30 On peut rajouter un peu aussi en différence, que Miyazaki, on l'a souvent aussi associé à des paysages très européens,
06:38 très fantasmés aussi, mais là pour le coup on est quand même sur un récit qui se passe en Asie.
06:43 Alors il y a d'autres films de Miyazaki qui se passent en Asie, on pense à "Princesse Mononoké",
06:47 mais là ce qui est intéressant aussi c'est qu'on a aussi tout cet univers visuel plutôt basé en Asie centrale qui est très beau.
06:54 Mais moi par exemple, je n'ai pas tant vu le Miyazaki mangaka dans cette oeuvre,
06:58 je trouve qu'on le retrouve plus dans "Nosika", c'est plus séquencé, là on est sur un récit effectivement illustré,
07:04 on est moins sur des cases de BD à proprement parler.
07:06 Ce n'est pas vraiment un manga en fait, c'est un objet bizarre ?
07:09 C'est un objet hybride, ce n'est pas tout à fait un livre d'illustration, ce n'est pas tout à fait un manga ou une bande dessinée.
07:15 Et donc du coup, on est entre deux.
07:17 Et moi je l'ai plus vu comme un petit peu, voilà on parle de Miyazaki qui a une quarantaine d'années,
07:22 il n'est pas au sommet de son art.
07:25 Et en même temps c'est une proposition, il dit "voyez ce que je pourrais faire en animation".
07:28 Parce qu'il le dit dans la postface, il y a une petite note d'auteur où il dit "j'aurais bien aimé faire cette histoire en film".
07:34 Et moi je l'ai plus vu comme un... alors pas tout à fait un storyboard non plus, parce que c'est quand même...
07:39 Un peu plus que ça quand même.
07:40 Plus abouti, on a des très très belles illustrations, ça peut s'en tirer dessus très longtemps.
07:46 Elles sont très illusives aussi certaines, donc ça fait vraiment travailler l'imagination.
07:50 Mais à la fois, ce n'est pas tout à fait séquencé, ni comme un film, ni comme une bande dessinée.
07:55 Alors moi j'ai quand même une question pour vous deux.
07:57 En gros, si ça n'avait pas été un Miyazaki, est-ce que vous auriez aimé cet objet étrange ?
08:02 Est-ce que ça vous aurait autant intéressé ?
08:04 Moi j'avoue m'être un tout petit peu ennuyée en le lisant, pardon pour lui.
08:08 Fausto ?
08:09 Non, moi je trouve ça quand même très très beau, sur la forme, le récit...
08:13 Donc je manque de goût quoi, je ne suis pas assez sensible à la beauté du Miyazaki.
08:16 Non, c'est très subjectif ça, après...
08:18 Mais non, je trouve ça vraiment très très beau.
08:21 Puis sa capacité en fait parfois à raconter une histoire, ou une intrigue, ou une sous-intrigue,
08:27 uniquement avec un seul dessin.
08:29 C'est-à-dire deviner qu'est-ce qui anime un personnage,
08:32 alors qu'on le voit juste en train de cavaler sur un territoire désertique.
08:36 Je trouve ça assez fort en fait, il arrive à quand même poser des questions et à nous faire travailler.
08:41 C'est-à-dire qu'on est un petit peu obligé de reconstituer nous-mêmes certaines parties du puzzle,
08:47 de faire nous-mêmes aussi les contours de ce récit, qui est effectivement très elliptique.
08:50 Et ça c'est un talent qui naît avant tout de la forme je pense.
08:53 Donc c'est très beau Pauline Croquis, vous êtes d'accord avec ça ?
08:56 Ah c'est en effet parce que Miyazaki...
08:57 Vous n'êtes pas un peu ennuyée comme moi ?
08:59 Non, enfin encore une fois on l'a vu, on le reçoit maintenant qu'on a tout Miyazaki.
09:04 C'est plus cette curiosité de dire "voyons ce qu'il y avait vraiment au début en fait".
09:08 Donc forcément moi je l'ai lu en parcourant en fait finalement toute la filmo de Miyazaki.
09:14 Encore une fois je trouve quand même que ça a une très grande qualité, les dessins, l'exécution est magnifique.
09:20 Vous pouvez nous les décrire peut-être un peu ?
09:22 On a pareil ces couleurs assez aquarellées, on a des couleurs...
09:25 Alors on ouvre tous notre manga.
09:27 Oui c'est ça.
09:28 Alors en page donc les auditeurs, si vous le lavez entre les mains, alors en page 55...
09:33 On a le travail, les paysages sont très beaux, les cités, on a le travail comme ça, l'opposition du sable et des couleurs sable et du bleu.
09:41 Ce n'est pas des couleurs frappantes, éclatantes au contraire, c'est très nuancé.
09:44 On a ça aussi quelque part, enfin moi ça m'a fait penser effectivement à Nozika, ça m'a fait penser à Mononoke aussi parce qu'il y a une héroïne, Thea, qui ressemble aussi,
09:54 qui est finalement un petit peu l'ancêtre de ces autres héroïnes.
09:58 Donc c'est vraiment très beau et puis effectivement...
10:00 Des textures très organiques aussi.
10:02 Tout à fait et puis surtout Miyazaki, c'est quelqu'un qui est quand même très arrêté, qui a un univers très travaillé, très réfléchi, très politique aussi,
10:12 mais qui derrière fait vraiment confiance à ses lecteurs et à ses spectateurs.
10:16 C'est-à-dire que ça va déplaire à certains effectivement, parfois il y a des moments où on a l'impression que tout n'est pas résolu,
10:22 qu'il y a des choses qui sont un petit peu mises sous le tapis.
10:25 Moi je crois, et je l'avais lu par ailleurs chez d'autres critiques, je crois qu'aussi chez Miyazaki, il y a une forme de contrat avec son lecteur et son spectateur.
10:33 Il y a aussi beaucoup d'auteurs japonais qui le font, à savoir de dire "c'est aussi à votre interprétation".
10:38 - Être le travail.
10:39 - Quelque part oui, mais c'est intéressant aussi de pouvoir actionner son imagination,
10:43 alors que Miyazaki, on a encore déjà vu beaucoup de choses de lui,
10:46 et d'avoir encore la possibilité au coin d'une case, dans un paysage, dans un jeu de regard entre deux personnages,
10:53 d'aller y chercher quelque chose qui n'est pas écrit in extenso.
10:56 - Ce qui est très rare aujourd'hui.
10:57 - Fausto Faziolo, vous avez parlé de texture organique, c'est-à-dire ?
11:00 - C'est-à-dire qu'on a l'impression de pouvoir toucher les décors en fait.
11:03 Un petit peu comme on a une sensation de trois dimensions dans ces films qui sont en deux dimensions,
11:07 parce qu'effectivement il y a un travail sur la profondeur de champ, une recherche dans les décors qui est telle qu'on a l'impression de pouvoir s'immerger dans l'image.
11:14 Là en fait on retrouve ça aussi dans le livre, ce qui est très très fort.
11:16 Et en plus, juste pour rebondir sur l'aspect politique, c'est vrai que quand il a fait ce bouquin-là,
11:20 donc au tout début des années 80, tout ce qui était lié à l'agrochimie, à Monsanto,
11:27 était vraiment très très tabou au Japon.
11:29 Et je pense qu'il a voulu mettre le doigt là-dessus à ce moment-là.
11:32 - Alors moi je me suis un petit peu ennuyée parce que l'histoire est un peu simple aussi, c'est-à-dire que...
11:36 - Elle sèche.
11:37 - Voilà, exactement.
11:38 Fausto Faziolo, dites-nous en plus sur cette sécheresse qui peut non seulement générer un petit peu de l'ennui,
11:45 mais presque aussi de la frustration, parce que vous l'avez dit, il y a des choses qui sont un petit peu mises sous le tapis.
11:49 Voir, il y a des ellipses.
11:51 On se demande même si Miyazaki en a quelque chose à faire de l'histoire en tant que telle.
11:56 - Je pense que ça ne l'intéresse pas tant que ça.
11:58 Je pense qu'il se repose beaucoup justement sur la capacité du spectateur à combler un petit peu les vides.
12:04 - Non mais ça c'est trop facile !
12:05 - Non, parce que ça raconte quand même quelque chose.
12:08 C'est un récit en ligne droite en fait.
12:10 Donc effectivement, il y a assez peu de circonvolutions, il y a quelques vagues sous intrigue.
12:15 - Il y a quelques détours au nord.
12:16 - Oui, il y a quelques vagues sous intrigue qui sont amorcées.
12:19 Mais moi en fait, ça m'a un peu rappelé, ça n'a absolument rien à voir,
12:23 mais un film qui s'appelle "Mad Max Fury Road" de George Miller.
12:25 On lui reprochait exactement la même chose,
12:27 qui était un film d'ailleurs qui partageait des thématiques assez proches du voyage de Shuna.
12:31 Et c'est vrai que George Miller et Miyazaki finalement, c'est deux profils qui sont assez similaires je pense.
12:35 Mais on avait affaire à cette espèce de récit comme ça justement en ligne droite,
12:39 où effectivement on n'avait pas des développements dramatiques complètement dingues,
12:44 mais on voyait quand même les personnages prendre de l'étoffe au fur et à mesure que le film se déroulait.
12:48 Et là, je trouve que plus on tourne les pages, plus les personnages s'épaississent.
12:52 - C'est vrai. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça Pauline Croquet ?
12:54 - Oui, je suis d'accord.
12:55 Et puis c'est vrai qu'il faut rappeler que cette oeuvre, c'est vraiment un tout petit moment dans la carrière de Miyazaki.
13:00 Et c'est vrai qu'on a l'habitude d'avoir un Miyazaki qui passe 10 ans, 10 plombes sur son travail,
13:05 à le morceler, à tout soigner.
13:08 - Oui, que les détails soient précis, que les psychologies soient travaillées,
13:11 même si ce n'est pas des oeuvres psychologisantes.
13:13 - Pour moi, c'est plus un petit tableau de bord.
13:16 Et on ne sait pas, après on ne peut pas...
13:18 En tout cas, je n'ai pas les infos là-dessus, mais je ne suppose pas...
13:21 Je ne sais pas ce qu'il aurait fait de cette oeuvre.
13:23 Peut-être qu'il la reprendra un jour, peut-être pas.
13:26 - Vous l'avez repassée en cinéma ?
13:28 - Oui, voilà. En fait, moi je me suis dit, tiens, c'est peut-être à un moment donné,
13:32 il a jeté des idées, il les a quand même...
13:34 C'est quand même un travail abouti, mais en se disant, on peut y revenir en fait.
13:38 Le Voyage de Shona, pour moi, c'est un album sur lequel on pourrait encore travailler.
13:44 Que ce soit en animation, que ce soit qu'on reprenne l'album et qu'on le retravaille.
13:50 Après, encore une fois, je n'ai pas tous les éléments en main.
13:52 Puis, Miyazaki a peut-être beaucoup d'idées à l'heure.
13:55 - C'est toute la question, c'est que, en fait, est-ce que ce n'est pas aussi un coup éditorial de se dire,
14:00 on va sortir un Miyazaki, 40 ans après.
14:03 Alors, il y a eu toute une histoire autour de cette traduction.
14:05 Il y a d'abord eu une traduction aux Etats-Unis l'année dernière.
14:09 Après, c'est la France qui a négocié les droits.
14:11 Mais finalement, c'est sorti entre-temps, je crois, en Allemagne, en Italie, en Espagne.
14:14 Ça sort ici, en France.
14:16 Hormis le fait que ce soit un petit coup, un gros coup même, éditorial.
14:21 Est-ce qu'on y prend du plaisir ? Est-ce que c'est beau ?
14:24 Est-ce que n'importe qui qui ne connaîtrait pas Miyazaki, si c'est possible, dans le monde,
14:28 pourrait aimer être enchanté par cette œuvre ?
14:30 - Oui, en plus, il suffit de se poser la question.
14:33 Est-ce qu'il y a un équivalent à un bouquin comme celui-ci,
14:35 dans le paysage manga, ou même plus largement dans le paysage bande dessinée ?
14:38 Non, en fait.
14:39 Donc, rien que pour son caractère unique, je pense qu'il mérite de figurer dans une bibliothèque.
14:42 Après, est-ce que c'est un coup de la part de l'éditeur ?
14:44 Il aurait eu tort de s'en priver, je pense.
14:46 - Oui, ça, tant mieux pour lui, après.
14:47 - C'est vrai que c'est un livre qui est resté pendant très longtemps inédit,
14:50 parce que Ghibli bloquait.
14:52 Au Japon, l'édition, elle est absolument ridicule.
14:54 C'est un tout petit format qui ne donne absolument pas, justement,
14:57 qui ne fait pas du tout honneur, en fait, au dessin de Miyazaki.
14:59 Donc là, on a une belle édition.
15:01 Enfin, en tout cas, en Occident, on a une très belle édition.
15:03 Donc, autant en profiter, oui.
15:05 - Pauline Croquet, un dernier mot ?
15:07 - Non, c'est bon.
15:08 - Je suis d'accord.
15:09 - Vous partagez.
15:10 - Merci, merci Pauline, merci.
15:11 - Je t'en prie.
15:12 - Je n'ai plus l'âge de faire un long métrage.
15:18 J'ai d'autres projets.
15:22 Dessiner des mangas, pour mon plaisir.
15:25 - Le voyage de Shuna de Hayao Miyazaki.
15:28 Traduction du japonais par Léopold Dahan.
15:30 C'est aux éditions Sarbacane.
15:32 Et c'est paru le 1er novembre.
15:34 * Extrait *
15:43 - Et maintenant, des vers et des traumas avec Oninbo Dideshi Ino.
15:48 * Extrait *
16:03 Oninbo est un yokai, mi-fantôme, mi-démon typique du folklore japonais,
16:07 assoiffé de verres.
16:09 Mais pas n'importe quels verres.
16:11 Non, des verres infernaux, de ceux qui rongent les humains,
16:13 qui les bouffent et les pourrissent de cauchemars, de peurs et de traumas.
16:17 Heureusement, Oninbo est là pour sonder les profondeurs de leur cœur
16:20 et les purifier de leurs maux, pour leur bien non plus.
16:23 Surtout pour le sien.
16:25 Manga angoissé de noir et de blanc bien morbide.
16:28 On se surprend à aimer Oninbo et à redemander de cette psychanalyse par les verres.
16:33 Vous aussi, est-ce que vous avez aimé, comme moi, Fausto Faziolo ?
16:37 - Oui, j'ai adoré.
16:38 - C'est génial !
16:40 - Le terme psychanalyse convient assez bien.
16:42 Il faudrait des psychanalystes qui aient la même force qu'Oninbo.
16:46 S'ils arrivaient à nous débarrasser de tous nos poids moraux, de toutes nos psychoses, etc.
16:52 - Ça existe !
16:53 - Ça existe, mais je pense qu'ils ne sont pas aussi efficaces que lui.
16:56 Et puis, c'est vrai qu'il y a quelque chose d'assez drôle, en fait,
16:59 dans la traduction très concrète de l'abstraction même du psychose.
17:04 Là, elle passe à travers, justement, des verres, qui sont absolument ignobles
17:08 et qui, en plus, sont, comment dirais-je, littéralement la colonne vertébrale du récit,
17:12 voire même de la carrière de l'auteur, en fait, qui a une véritable obsession pour la grouillance.
17:18 Permettez-moi d'utiliser le synologisme, je ne suis pas certain que le mot existe.
17:21 - Mais on voit très bien ce que vous faites.
17:23 - Mais c'est vrai qu'on a cette impression, à chaque page tournée,
17:26 de voir littéralement les cases bouger devant nous.
17:29 Il y a cette espèce de purulence constante.
17:32 On est éclaboussé.
17:34 Et on a aussi cette chose qui est très intéressante,
17:37 c'est une véritable empathie pour le monstrueux.
17:40 À aucun moment, ce personnage qui, au départ, nous est montré
17:43 comme une sorte de bambin farceur, mais machiavélique et sadique,
17:48 finalement, il commence à être de moins en moins noir
17:51 et on commence de plus en plus à l'aimer.
17:53 L'intérêt, c'est qu'à la fin, on l'adore littéralement.
17:56 - Pauline Croquet, vous êtes d'accord aussi ?
17:58 - Ce qui m'a plu, effectivement, c'est le décalage entre un personnage un peu grotesque.
18:02 Au départ, on a quand même ce bambin avec la crotte au nez.
18:06 - Oui, j'aurais plutôt ce genre efféminin.
18:08 - Moi, c'est une petite fille joufflue.
18:10 - Jusqu'à tant qu'il rencontre d'autres yôkais qui sont genrés féminins.
18:13 Il a des congénères avec lesquels il se bagarre un peu.
18:17 - Il se bagarre des vers, qui va manger le plus gros vers.
18:20 - Il se dispute les vers.
18:22 Et d'avoir ce petit personnage un peu grotesque, un peu comme Chucky, la poupée.
18:26 On n'y croit pas trop au départ, mais d'arriver à créer des peurs
18:30 assez palpables chez le lecteur, parce qu'au Nimbo, il hante monsieur et madame tout le monde.
18:36 C'est ça que j'aime bien, c'est qu'on a vraiment des personnages, des lycéennes, des parents, des scènes de famille.
18:42 Et voilà, on y croit parce qu'il s'insère comme ça dans le quotidien des gens.
18:47 Il attend que le vers soit à point.
18:49 Donc, en fait, il attend que les gens souffrent assez.
18:51 - Terriblement.
18:52 - En fait, au Nimbo, il n'est pas là pour aider les gens.
18:54 Il est là pour se sustenter.
18:56 Et il attend le meilleur moment, que le vers soit à point.
18:59 Donc, les gens, en fait, vraiment, sont plus mal.
19:02 Et là, il s'attaque au vers.
19:04 Donc, il est libère.
19:06 Mais avant ça, il attend quand même tapis dans un coin.
19:09 Et ça, ça me plaît beaucoup, en fait, ce côté à la fois horreur du quotidien, horreur un peu comme ça, psychique aussi.
19:17 Et avec un personnage qui n'est pas du tout crédible à la base, mais qui le devient par la force des choses,
19:22 notamment par la réaction des personnages qui sont hantés ou qui sont habités par ces vers.
19:27 - Donc, ça, c'est un petit peu pour le contenu.
19:29 Mais ça ressemble à quoi esthétiquement ?
19:31 Déjà, c'est qui Hidechi Inouf, Sotofes Ulo ?
19:33 - C'est comme pour Miyazaki, la question.
19:35 Qui est Hidechi Inouf ?
19:36 - Oui, mais là, vous pouvez vraiment le dire.
19:38 - Oui, oui, effectivement.
19:39 Ce n'est pas l'une des signatures les plus célèbres.
19:41 - Mais d'ailleurs, il n'y a aucune recension, par exemple, de ce manga.
19:44 Est-ce que ça fait partie des grosses sorties manga ?
19:46 Est-ce que c'est un manga important ?
19:47 Est-ce que Hidechi Inouf, c'est un grand mangaka ?
19:49 - Alors, Hidechi Inouf, oui, c'est un grand mangaka.
19:51 C'est un nom, en tout cas, qui compte au Japon et qui est effectivement très connu dans l'archipel.
19:57 Il fait partie des grandes signatures du manga d'horreur.
20:00 C'est quelqu'un qui a commencé sa carrière dans les années 60
20:05 et qui a commencé à être connu, on va dire, dans les années 70,
20:09 durant le premier boom de l'horreur au Japon.
20:11 Et c'est quelqu'un qui, au départ, travaillait des récits d'horreur qui étaient extrêmement introspectifs
20:16 et qui, ensuite, dans les années 80, va se tourner un peu plus volontiers du côté du public
20:21 avec des récits un petit peu plus légers, on va dire,
20:24 mais avec toujours cette espèce de profondeur sociale.
20:27 C'est-à-dire qu'on retrouve, justement, dans Onimbo,
20:30 toutes les facettes de la société japonaise et de tout ce qui vient aussi ronger cette société.
20:35 La compétitivité, le poids des traditions, la famille, etc.
20:40 On passe à peu près tout en revue.
20:42 Et Hidechi Inouf, graphiquement, pour expliquer un petit peu aux auditeurs à quoi ça ressemble,
20:47 c'est un trait, justement, qui joue beaucoup sur le choc des esthétiques.
20:52 C'est-à-dire qu'on a des décors qui sont extrêmement réalistes et travaillés
20:55 et on a des créatures qui sont extrêmement grotesques,
20:57 tout en rondeur, parfois un petit peu moelleuses, dégoulinantes,
21:01 avec des yeux qui sont gigantesques et dans lesquels on se perd littéralement,
21:04 des yeux très, très ronds.
21:06 Donc, on a cette espèce de mélange de réalisme et de grotesque
21:09 qui fonctionne et qui caractérise, je pense, le mieux son style graphique.
21:14 Pauline Croquet.
21:15 Et en même temps, dans Onimbo, on voit tout un travail de jeu d'ombre,
21:18 notamment qu'on pourrait retrouver...
21:19 Mais ça en noir et blanc, hein ?
21:20 Ça en noir et blanc, tout à fait.
21:21 Mais il y a un travail avec des silhouettes effrayantes,
21:23 par exemple quand ils tiennent des couteaux, des haches, on a comme ça...
21:26 Tout un travail d'ombre et à côté, un trait assez épais,
21:30 assez enfantin sur, effectivement, les personnages,
21:33 mais aussi parfois les vers.
21:36 Et puis aussi, Hide Shino, c'est le travail de la déformation.
21:39 On a des personnages...
21:41 Moi, ce qui m'a beaucoup plu, c'est déjà le travail des yeux,
21:44 mais aussi des cavités oculaires, des globes oculaires.
21:46 Il y a tout un...
21:47 En fait, je trouve que quasiment...
21:48 Toutes les cavités, il est très, très bon.
21:50 Tous les états des personnages passent par leurs yeux, quasiment.
21:54 Et c'est vraiment très intéressant,
21:56 parce qu'on va du plus grotesque au plus effrayant.
21:59 On a même des bébés avec des cavités vides,
22:01 parce qu'ils sont un peu bêtes, en fait.
22:04 Au début, on a une scène où Onimbo amuse un enfant,
22:08 un bébé qui a quatre pattes,
22:10 et qui a les yeux tout noirs, qui a les yeux vides.
22:13 Je trouve ça très intéressant.
22:15 Et puis après, il y a toute la déformation qu'on pourrait attribuer,
22:17 en tout cas qu'on a attribué aussi au fait qu'il est né en 1946, je crois.
22:21 Donc c'est...
22:22 Même génération que Miyazaki, en fait.
22:24 C'est ça, donc c'est un enfant...
22:25 Donc là, un univers aux antipodes, presque, non ?
22:28 Avec quand même une obsession, je pense,
22:30 des obsessions un peu communes,
22:33 et cette envie aussi de mettre le doigt parfois
22:35 sur des sujets un peu tabous qu'on trouve chez les deux.
22:38 Par exemple, lesquels ?
22:39 Les traumas d'après-guerre, en fait.
22:41 De la guerre, les traumas...
22:42 Les traumas d'après-guerre.
22:43 Et puis justement, je parlais tout à l'heure de ce souci écologique,
22:47 mais qui traverse l'œuvre de Miyazaki,
22:50 et qui est aussi très présente chez quelqu'un comme Hino, en fait.
22:54 Alors qu'on ne voit pas dans Onimbo.
22:56 Alors il faut le dire, Onimbo, c'est quand même un dispositif qui est très répétitif.
22:59 Onimbo détecte une personne rongée par les vers.
23:04 Je vais la genrer au féminin,
23:06 parce que je la vois un peu comme la poupée Chucky, moi, Onimbo.
23:09 Et donc elle se dit "Hum, je sens que là, ça ne va pas bien du tout".
23:14 Elle la guette, elle s'installe un petit nid dans la maison de la personne infectée,
23:18 elle attend que le ver grossisse,
23:20 et elle dit "Tiens, je vais sonder les profondeurs de son cœur".
23:23 Et donc c'est là où tout le travail sur les cavités apparaissent,
23:26 puisqu'elle traverse des oreilles, des yeux et des bouches.
23:30 C'est un voyage intérieur.
23:31 C'est vraiment un voyage intérieur, et elle voit tout ce qui s'est passé.
23:34 Et ce qui est intéressant dans ce dispositif,
23:36 quoiqu'un peu répétitif, c'est qu'on a plein de cas différents.
23:39 On a par exemple la fille qui a peur de rater ses études.
23:43 Il y a la fille qui maltraite des animaux et qui est harcelée à l'école.
23:47 Il y a le petit garçon qui a peur de l'eau.
23:50 Il y a la mère, j'ai trouvé ça super, qui a peur de tuer son enfant.
23:54 Et enfin, il y a les souvenirs traumatisants, par exemple d'avoir assisté à un meurtre.
23:57 Est-ce qu'il n'y a pas aussi un côté un peu répétitif, je l'ai dit, dans ce dispositif,
24:02 où à chaque fois Onimbo arrive, dit "Je vais sonder son cœur, mange le ver".
24:05 Et c'est fini, Pauline.
24:07 - Si, c'est un peu répétitif, mais je pense que c'est aussi volontaire.
24:10 C'est typiquement ces séries où on a toujours un cas, enfin on a le même schéma,
24:16 mais on a des cas pratiques différents.
24:18 Et c'est ce qui rend l'exploration d'Onimbo intéressante.
24:21 C'est aussi, on sonde, ce que disait Fausto, toute la société japonaise de l'époque.
24:25 Je trouve que Inos fait partie de ces auteurs qui ont retravaillé les légendes urbaines japonaises,
24:32 qui leur donnent un goût nouveau.
24:35 Et c'est aussi pour ça que c'est d'autant plus horrifique,
24:38 que ça touche vraiment tout le monde et ça nous renvoie aussi à nos paradoxes,
24:42 enfin aux paradoxes de la société de l'époque, aux démons intérieurs.
24:45 Tout ce qui peut paraître assez classique en apparence,
24:48 ne l'est pas forcément une fois qu'on pousse la porte d'un foyer ou d'un domicile.
24:52 Et c'est ça qui est intéressant.
24:54 Effectivement, après, le récit progresserait très peu, en fait.
24:58 On est vraiment sur une répétition, sur une série en boucle.
25:01 Mais ça, c'est un schéma assez classique de la série finalement.
25:04 Et Onimbo, est-ce qu'on en sait plus sur lui, elle ?
25:07 C'est-à-dire qu'elle croise des congénères et c'est tout, Fausto ?
25:11 C'est à peu près tout.
25:13 Si ce n'est qu'à la fin, on l'aime plus qu'au début.
25:16 Ça, c'est certain, je trouve.
25:18 Pauline, vous n'êtes pas d'accord.
25:20 Parce que moi, je suis d'accord avec Fausto, je l'ai dit.
25:22 J'adore Onimbo.
25:24 Moi, ça m'a fait penser à une autre série de Jun Jito qui est Soichi.
25:28 C'est typiquement comme ça, on a un personnage farceur, méchant.
25:31 C'est quoi cette oeuvre ?
25:33 Soichi de Jun Jito, c'est l'histoire d'un jeune garçon qui est un némi en fer,
25:37 qui est blafard et qui, en fait, se tapit tout le temps chez lui.
25:40 Et en fait, il trouble, voire même hante un peu les invités de la maison.
25:46 Et c'est un personnage comme ça, qui est hyper dérangeant, hyper bizarre.
25:51 Mais on finit par, à force de le côtoyer, de le voir toujours débarquer
25:55 et surtout attendre comme ça derrière la porte.
25:58 Il est un peu dégoûtant, mais en même temps, finit par s'attacher à lui.
26:00 Et Onimbo a un peu cette vertu-là, c'est vrai.
26:03 Alors, et comment il s'inscrit ?
26:05 Et ce sera la dernière question, dans ce paysage du manga d'horreur.
26:09 Parce que c'est quand même un manga d'horreur gentil.
26:11 Moi, je ne suis pas habituée au manga d'horreur.
26:13 C'est plutôt gentil, non, Fausto Fazulo ?
26:15 C'est pour ne pas effrayer les auditeurs et auditrices.
26:17 Non, mais je pense que c'est un manga qui est tout à fait accessible.
26:20 C'est quand même extrêmement graphique.
26:22 Sauf que ce n'est jamais un volontairement ou volontairement même malaisant.
26:28 Je trouve qu'il y a quand même une sorte de distance.
26:30 Et il y a un goût de l'entertainment chez Hideshi Ino.
26:33 Il a envie d'attraper les lecteurs.
26:35 Il a envie de les amuser, surtout, de leur faire peur aussi.
26:38 Mais je pense qu'il n'a pas forcément envie de les dégoûter.
26:40 Onimbo, d'Hideshi Ino, traduction des japonais encore par Léopold Daens.
26:44 C'est aux éditions, on dit quoi ? IMO ou I-M-H-O ?
26:48 Moi, je dis I-M-H-O.
26:50 Je pense que les deux lectures sont acceptées.
26:52 Paru le 3 novembre. Merci à tous les deux.
26:54 Fausto Fazulo, on vous lit dans la revue Atom.
26:56 Pauline Croquet, on vous lit dans le monde rubrique Pixel.
26:59 Vous retrouvez toutes les références sur le site de France Culture,
27:01 à la page de l'émission, l'émission et sur l'application Radio France.

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