• l’année dernière
Transcription
00:00 Place au débat ! Aujourd'hui, nos deux critiques vont débattre, et peut-être se battre, autour
00:05 de deux mangas.
00:07 Deux mangas qui évoquent variants, rêves lucides, objets invisibles et amitiés naissantes.
00:12 C'est beau, c'est inquiétant, c'est drôle, en tout cas, selon moi, mais on verra ce
00:16 qu'en disent nos critiques.
00:17 Puisqu'on parle de combat, à ma droite, Pauline Croquet, bonjour.
00:21 Bonjour.
00:22 Journaliste au Monde, on vous lit notamment dans la rubrique Pixel.
00:24 Et à ma gauche, Fausto Fazulu, bonjour.
00:27 Bonjour.
00:28 On vous lit en revue à Tom Eco, directeur artistique du Festival d'Angoulême.
00:31 Soyez les bienvenus dans les médias de culture.
00:33 Et on commence avec le manga Le Roi des Limbes, Tom, un Dai Tanaka.
00:42 Peter, les toutes premières minutes vont être très déstabilisantes.
00:45 Et n'oubliez pas, ce n'est pas réel.
00:46 Voilà, ça nous met dans l'ambiance du Roi des Limbes, Dai Tanaka, sorti au début
01:05 de l'été.
01:06 L'histoire est assez simple, surtout quand on a connu l'épidémie du Covid-19 2086.
01:10 Après avoir été éradiqué, la maladie du sommeil revient sous un nouveau variant et
01:14 menace l'humanité toute entière.
01:16 Mais c'est sans compter sur un duo de chocs.
01:19 Le soldat un peu brut et bébête, Adam Garfield, et son partenaire, le mystérieux Roi des
01:26 Limbes, Ron Winter, qui sont appelés à y faire face.
01:29 Alors, Pauline Croquet, original ça comme point de départ ?
01:32 Le pitch n'est pas si original.
01:34 Je dirais que c'est plutôt dans l'exécution que j'ai trouvé de l'originalité et dans
01:38 sa rythmique.
01:39 Mais finalement, le pitch n'est pas ce qui m'a attiré le plus.
01:42 J'ai eu même un peu de mal à rentrer dans l'histoire.
01:44 J'étais un peu déstabilisée.
01:47 C'était trop attendu comme histoire ?
01:49 Oui.
01:50 On commence, on a une ouverture où on sait qu'on va rentrer dans un monde où on est
01:54 entre l'onirique.
01:55 Puisqu'on parle d'une épidémie où il y a une maladie du sommeil mystérieuse qui
02:01 plonge les gens dans un coma très long et dont beaucoup ne réchappent pas et ne sortent
02:05 pas.
02:06 Et en parallèle, on a le réveil du héros, d'une personne qui se réveille sur un lit
02:11 d'hôpital, qui est un ancien militaire et qui se retrouve blessée.
02:15 Au début, je me suis dit que ça ne colle pas trop, ça ne me plaît pas trop.
02:21 J'ai déjà vu ça ailleurs.
02:22 Ça fait un peu Inception, The Nolan.
02:25 Le voyage dans les rêves, ce n'est pas forcément ce qui me plaît le plus.
02:29 Pauline Croquet, vous allez peut-être nous dire après ce qui vous a plus emporté dans
02:32 ce Roi des Lames.
02:33 Est-ce que vous, Fausto Faziolo, sur ce point de départ, vous êtes un peu déconcerté ?
02:36 Pas vraiment déconcerté, mais on est plutôt dans ses pantoufles.
02:40 C'est vrai, en tout cas, si on a l'habitude des univers à l'acadique, on est plutôt
02:44 en terrain connu.
02:45 Néanmoins, ce qui frappe dès les premières pages, c'est le ton.
02:50 Je vais parler du ton, à la fois du graphisme tonal et aussi de la manière dont elle va
02:59 insérer des moments un peu plus légers.
03:01 Dès le départ, il y a une première rupture de ton puisqu'effectivement, on croit, comme
03:04 tu le disais Pauline, un soldat halité et amputé.
03:08 C'est Adam Garfield, dont je parlais dans le début.
03:10 On a une espèce d'image comme ça, qui a une sorte de réminiscence d'un film qui
03:14 s'appelle Johnny Godesgun.
03:15 Il faut avoir la référence quand même.
03:19 Oui, mais bon, en tout cas, c'est un film très important.
03:23 Si on l'a vu, on y pense.
03:25 C'est quoi cette image ? Décrivez-la nous quand même.
03:27 On a un soldat qui est halité et qui découvre régulièrement avec un membre une de ses
03:33 jambes.
03:34 L'impact dramatique est très vite désamorcé par une de ses remarques.
03:39 C'est « je viens juste de m'acheter une paire de bottes en cuir.
03:41 Est-ce que je peux au moins en ramener une histoire de me faire rembourser ? »
03:44 Qu'est-ce que je vais faire de la deuxième botte ?
03:46 Il commence aussi quand même par « quel poisse ! ».
03:47 C'est comme s'il avait juste perdu un stylo.
03:51 Ce qui est assez intéressant, c'est qu'effectivement, on se retrouve avec une mise en place typique
03:55 de la SF, avec toute la dramatisation et le côté un peu tragique que ça implique.
03:59 Très rapidement, on a un désamorçage avec cet humour-là.
04:04 C'est vrai que ce personnage-là, qui est littéralement le point d'entrée pour le
04:07 lecteur dans le drame, on va le suivre tout du long jusqu'à sa rencontre avec le fameux
04:12 O'Run.
04:13 Je ne sais pas exactement comment on le prononce.
04:15 Alors, Pauline Croquet, après, qu'est-ce qui vous a peut-être emporté ?
04:17 Moi, j'avoue, je n'ai pas été très déconcertée, mais je ne suis pas du tout
04:20 familière de la SF ni rien.
04:23 J'ai tout de suite rigolé.
04:24 C'est ça tout de suite qui m'a plu.
04:25 Vous, est-ce que c'est ça aussi après qui vous a pris ?
04:27 Très certainement, le décalage avec ses cases un petit peu plus dessinées en forme
04:32 de gag.
04:33 On a des traits d'expression très rigolos qui contrastent avec le côté thriller, épidémie
04:38 mondiale, angoisse.
04:39 On sent qu'on court à la catastrophe.
04:41 Et ce qui m'a plu, moi, c'est le cheminement que fait le héros pour en savoir plus à
04:47 propos de son futur partenaire, le fameux Run, puisqu'en fait, il ne connaît rien
04:52 de lui.
04:53 Il n'est pas du tout emballé à l'idée de nouer un partenariat avec lui.
04:57 On sent bien avec le dessin de la couverture que c'est un personnage un peu mystérieux.
05:01 Et en fait, il va en apprendre un peu plus de ce personnage à travers toutes les rencontres
05:05 qu'il fait dans le centre où il est en convalescence, avec les médecins, avec la
05:11 kiné, avec le directeur.
05:13 Et donc, en fait, il a plein d'échos de son partenaire, mais il va falloir qu'il
05:17 se fasse sa propre idée.
05:18 Et donc, le point de bascule pour moi, et le point qui a commencé à me convaincre
05:23 dans cette histoire, c'est quand on lui laisse le droit, finalement, de commencer
05:28 à se faire sa propre idée du personnage.
05:30 Et donc, d'aller à la rencontre de ce Run Winter, moi, j'ai trouvé que l'histoire
05:35 était drôle, ça c'est vrai, mais parfois pas très lisible.
05:39 C'est-à-dire que, je ne parle pas de la traduction ni des dialogues, mais vraiment
05:43 difficile à suivre parce qu'en fait, on est dans la tête d'Adam Garfield, qui est
05:47 quand même un peu bébête.
05:48 Il faut quand même revenir sur ce personnage un peu bébête.
05:50 Et on a du mal parfois à suivre son cheminement, en train de voir est-ce qu'il a envie d'y
05:54 aller, est-ce qu'il n'a pas envie d'y aller, est-ce que c'est ça l'enjeu,
05:56 est-ce qu'en fait c'est la malaise de la sorelle ?
05:57 Mais c'est ça qui est intéressant.
05:58 C'est-à-dire que l'autrice Aitanaka, elle est vraiment très rigoureuse en termes
06:02 de point de vue.
06:03 C'est-à-dire qu'à partir du moment où elle a décidé d'épouser le point de
06:04 vue de son personnage, avec tout ce que ça se comporte de maladresse, de faille et de
06:08 questionnement, elle ne s'y dérobe jamais.
06:10 Du coup, elle nous met aussi dans ses bottes.
06:17 On est éteints par les mêmes interrogations crues.
06:19 C'est ça qui est intéressant.
06:20 Et ce qui est drôle aussi, c'est que le manga a été dessiné en 2016.
06:26 Enfin, sa publication au Japon a commencé en 2016.
06:29 C'est vrai qu'aujourd'hui, quand on le lit à l'aune de ce qu'on a traversé
06:32 effectivement avec la Covid, il y a une sensation troublante un peu familière.
06:38 Alors que c'était tout à fait involontaire, mais il y a tout un vocable dans le livre
06:44 qu'on retrouve et qui aujourd'hui est complètement ralmi.
06:47 Quand on parle de variants, on n'est pas du tout déconcerté.
06:49 Exactement, d'épidémie, de variants, etc.
06:51 Et c'est vrai qu'on a cette espèce de proximité instantanée avec le récit et
06:56 une sorte d'écho avec l'actualité qui est assez troublant et qui du coup opère
07:02 immédiatement sur le lecteur.
07:03 Pauline Croquet.
07:04 Et puis en même temps, il ne faut pas oublier que ce héros se réveille.
07:08 Donc c'est son retour à la vie normale, peut-être à la vie civile.
07:12 Il est chamboulé, donc il le prend avec un certain humour et une certaine nonchalance.
07:16 Mais il y a quand même tout ce travail de "je reprends ma vie et en même temps on
07:20 me plonge dans un problème, une problématique mondiale".
07:24 Et donc je pense aussi que la part de déconcertation, elle vient peut-être aussi de là.
07:29 On est avec lui en fait.
07:31 On est avec lui et je trouvais ça assez logique finalement.
07:34 Alors ça m'a perdu et ça m'a peut-être empêché d'accrocher dès le début.
07:37 Mais en tout cas, ça me paraissait somme toute assez logique que ce personnage ne soit
07:41 pas direct "ok, je sais ce que je vais faire, je dois aller là, je serai comme ça".
07:45 En fait, pareil, quand il décide finalement de s'investir et finalement peut-être
07:51 d'aider à lutter contre ce fléau mondial, c'est à l'issue d'une scène de vie
07:57 de famille où il revoit, je pense que ce sont ses frères et soeurs.
08:00 C'est-à-dire que ce n'est pas très clair.
08:01 C'est une scène très mignonne avec des personnages très solaires qui arrivent dans
08:07 sa chambre.
08:08 C'est vraiment une scène de famille.
08:09 Et on sent qu'il y a ce moment suspendu où il se dit "je vais peut-être perdre
08:13 ça si je n'y vais pas, si je ne repars pas à la guerre".
08:16 Même si c'est une guerre onirique, psychologique et une guerre surnaturelle.
08:21 Ce combat contre la maladie, je vais peut-être perdre ce petit moment fugace.
08:25 Il y a des questionnements moraux dans cette histoire ? Il y a une forme de morale ou pas
08:31 du tout ?
08:32 Une forme de morale, je ne sais pas.
08:34 Des questionnements moraux, oui effectivement.
08:36 Il y a quand même le poids des responsabilités qui reposent sur les épaules d'Adam qui
08:43 se posait la question de se mettre au service de l'État afin de possiblement endiguer
08:48 cette reprise épidémique.
08:51 Mais quelque chose de très réussi sur le plan graphique, c'est justement tout ce
08:54 qui est de l'ordre de mise en scène un petit peu mentale.
08:58 On voit ça surtout à la fin du tome 1 quand les deux personnages plongent.
09:03 Il faut peut-être expliquer ça François Fazulot.
09:06 Parce que cette maladie du sommeil peut être éradiquée si on plonge dans la tête des
09:11 malades.
09:12 Exactement.
09:13 Maladie du sommeil ou cancer de la mémoire.
09:14 On est obligé de plonger dans la tête et dans le sommeil des personnes qui sont touchées
09:19 par cette maladie-là.
09:20 Et les plongeurs fonctionnent toujours en tandem pour éviter les accidents et afin
09:23 que l'un des deux plongeurs puisse aider l'autre au cas où l'un des deux resterait
09:29 piégé dans l'univers onirique et dans le sommeil de la personne qui est malade.
09:33 Et à la fin de ce tome-là, on voit la première plongée qui est assez intéressante d'un
09:38 point de vue graphique où il y a cette idée de représenter la réalité mais avec un
09:42 léger décalage puisqu'on est dans un rêve.
09:44 Comme nos rêves à nous, ils sont à la fois très réels et complètement irréels.
09:48 C'est vrai que ce côté légèrement déréglé, cet espèce de pas de côté avec la réalité,
09:53 c'est quelque chose que Haïtan Akkar transcrit très bien.
09:55 Pauline Croquet, vous avez été séduite aussi par ça ?
09:57 Oui, ça m'a plu mais aussi ce qui m'a intéressée c'est vraiment le côté très
10:01 pragmatique.
10:02 C'est-à-dire qu'on est dans une guerre où on parle de l'onirisme, du rêve, donc
10:05 très surnaturel.
10:06 Et en fait, les considérations du héros au départ sont assez pragmatiques.
10:09 Ce n'est pas très moral d'ailleurs de ce point de vue-là.
10:11 Il se demande "j'y vais, j'y vais pas".
10:13 C'est surtout le premier truc qu'on lui dit.
10:15 "Bon, là, t'es amputé.
10:17 Si on te renvoie à la vie civile, tu n'auras peut-être pas une pension ou pas."
10:22 Et ça, c'est intéressant parce que la première considération, c'est déjà de
10:26 penser pour soi et de voir comment on peut vivre, comment on peut réintégrer la vie
10:30 civile.
10:31 Et puis finalement, même au début aussi, la rencontre entre les deux personnages, le
10:35 moment où ils se disent qu'ils vont travailler ensemble, ce n'est pas forcément de leur
10:38 plein gré.
10:39 Il y a un côté un peu de chantage.
10:41 C'est imposé.
10:42 C'est souvent comme dans les duos d'ailleurs, dans les films où les duos sont imposés.
10:45 Là, on retrouve quand même ce côté, on fait… Elle le dit d'ailleurs à Haïtan
10:51 Aka qu'elle a voulu faire un "body mono", c'est à dire un "recit pot".
10:54 Oui, c'est ça.
10:55 C'est l'archétype même de ce qu'on retrouve au cinéma avec les "body movies",
10:57 c'est-à-dire deux personnalités opposées parce que scénaristiquement, ça fonctionne.
11:01 Si on met en scène deux personnages qui se ressemblent, ça n'a absolument aucun intérêt.
11:05 Et là, graphiquement aussi, l'intérêt, c'est d'avoir deux personnages qui physiquement
11:08 sont différents.
11:09 Et ça, ça marche graphiquement au niveau du trait, c'est-à-dire au niveau à la
11:13 fois de la psychologie d'Adam, de la représentation, de la plongée et de la différence entre
11:16 ces personnages-là.
11:17 Vous trouvez que tout se tient bien ?
11:18 Ça se tient bien, oui.
11:19 Et puis avec des espèces de ruptures de qualité dans le dessin aussi.
11:24 C'est-à-dire qu'il y a des moments qui sont un petit peu plus inspirés que d'autres.
11:27 Sauf qu'on n'arrive jamais trop à savoir jusqu'à quel point son trait est volontairement
11:31 maladroit ou pas.
11:32 Vous voulez dire qu'il a fait un dessin moche ?
11:34 Oui.
11:35 Volontairement ou pas ?
11:36 Oui.
11:37 Après, c'est bon, la beauté du trait, c'est toujours un peu subjectif.
11:39 Mais il y a quelque chose d'assez intéressant.
11:41 Il y a des espèces de dérapages graphiques.
11:44 Je ne sais pas trop comment je pourrais les qualifier autrement.
11:46 Je me demande jusqu'à quel point c'est de la maîtrise, de la conscience ou si vraiment
11:50 ça a été précipité et accidentel.
11:52 Et expérimenté aussi.
11:53 Parce que ce qui est intéressant aussi dans le traitement de ce livre, c'est qu'elle
11:59 utilise plutôt une patte graphique qu'on voit plutôt dans des récits tranche de vie
12:03 ou dans des récits du quotidien.
12:07 Il y a un côté aussi très mode dans les personnages.
12:09 Il y a quand même le travail, le design des tenues et tout ça qui finalement souvent
12:16 dans des séries de science-fiction, notamment en manga, on a des choses beaucoup plus fantastiques,
12:21 un peu cyberpunk et tout ça.
12:25 Et là, on l'enlève un peu.
12:27 Et ça, ça m'a beaucoup plu.
12:28 Il est vrai que parfois, il y a un côté comme ça un peu de… oui, ça déraille
12:33 parfois un peu graphiquement.
12:34 Et d'une case à l'autre, même, on le retrouve.
12:36 C'est intéressant, mais je me demande à quel point il y a aussi cette part d'expérimentation,
12:40 de tâtonnement.
12:41 Et tout est permis finalement quand on est dans un monde qui est entre la réalité et
12:45 le rêve.
12:46 Et comme on est dans le tome 1, qu'est-ce qui fait qu'on s'attache à leur relation,
12:52 à ce duo qui est en train de se créer devant nos yeux ?
12:55 La chimie fonctionne assez rapidement entre les deux personnages.
13:00 Je pense que c'est un peu la flaire.
13:01 Mais ça arrive tard Fausto Fasulo.
13:02 Oui, ça arrive tard.
13:03 Et puis Ron Winter, on ne l'entend pas beaucoup parler.
13:06 Oui, mais c'est aussi l'intérêt.
13:07 C'est-à-dire que c'est un personnage qui communique avec son corps en réalité,
13:12 avec sa gestuelle, avec ses postures.
13:14 Et ça, elle l'a très bien compris.
13:16 Et l'intérêt, c'est d'avoir aussi cette idée peut-être d'incommunicabilité
13:20 au départ qui va progressivement se fissurer pour laisser place à une relation qui est
13:24 peut-être un peu plus fusionnelle, voire homoérotique entre les deux.
13:27 C'est un peu ce que je ressens.
13:28 Déjà, dès le premier volume ?
13:29 Dès la couverture en fait, en réalité.
13:31 Ah oui ?
13:32 Oui.
13:33 Pourquoi ?
13:34 Dès la couverture.
13:35 C'est peut-être moi qui ai un biais.
13:37 J'en sais rien.
13:38 Mais en fait, il y a quelque chose, comme le disait Pauline, il y a quelque chose de
13:39 très modeux.
13:40 C'est-à-dire qu'on voit qu'elle soigne vraiment la petite chemise en jean, les manches
13:44 retroussées, la ceinture.
13:45 Il y a un détail en fait.
13:46 Les détails.
13:47 Ils sont un peu métrosexuels.
13:48 C'est ça que vous voulez dire ?
13:49 Ils sont un peu métrosexuels, oui.
13:50 Pourquoi pas ? Et moi, je trouve qu'il y a une sorte de, je n'irai pas jusqu'à dire
13:54 de tension homoérotique.
13:55 Mais on se demande de savoir rapprocher en tout cas des personnalités aux dessins si
13:59 différents.
14:00 Parce que de toute façon, toutes les fictions Buddy finissent par avoir ce type de sous-texte-là.
14:07 La bromance en fait.
14:08 Oui, ça arrive.
14:09 Ça pointe à un moment ou un autre.
14:11 Vous êtes attachée du coup aussi à ce duo et à cette bromance qui naît ?
14:14 En fait, ce qui m'a intéressée aussi, c'est je me suis demandé, et c'est ça qui m'a
14:20 fait tenir, c'est de me demander à quel point ils allaient découvrir quelque chose
14:23 d'eux-mêmes quand ils vont finalement plonger.
14:25 Donc, aller partager finalement ces voyages dans le sommeil.
14:28 Effectivement, on a plutôt, donc ce Ron, il est très taiseux.
14:32 Et on sent qu'on va en savoir plus en fait parce qu'il va laisser découvrir.
14:37 Et je pense qu'il le sait très bien que travailler avec quelqu'un, plonger avec quelqu'un,
14:42 c'est aussi laisser une part de tout ce qu'il verrouille en fait dans la vie réelle.
14:46 Puisque au final, on le voit, il a des rendez-vous dans des cafés, mais on ne sait pas.
14:50 Il se rend très régulièrement dans des cafés, il ne parle à personne, il prend toujours
14:54 le même repas.
14:55 Donc là, c'est le personnage mystérieux de Ron Winter.
14:57 Mais on en sait guère plus.
14:58 Et finalement, ça va être probablement, et moi c'est ce que je me suis dit et ce qui
15:02 m'a aidé à tenir, je me suis dit comment ça va fonctionner aussi dans les plongées.
15:05 Mais ça, on ne le sait pas encore.
15:06 En fait, il faut lire la suite de ce qu'on a lu.
15:10 Voilà, ça m'a donné envie de poursuivre.
15:11 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
15:40 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
15:43 Le tome 1 du Roi des Limbes d'Aït Tanaka, traduit par Johan Leclerc aux éditions Le
15:49 Lézard noir.
15:50 Et on attendra les cinq autres prochains volumes qui complèteront cette série.
15:54 On passe maintenant au manga « Blank Space ».
15:56 Et oui, toute autre ambiance pour ce deuxième volume.
16:26 Deuxième manga de ce débat, deuxième manga aussi de Kon Kumakura.
16:30 Manga déjà très repéré au Japon.
16:32 Blank Space, c'est le récit d'une amitié adolescente au lycée entre Komei Shoko, exubérante
16:38 et étourdie, et Katagiri Sui, brillante, discrète et surtout dotée d'un pouvoir,
16:43 celui de créer des objets invisibles.
16:45 Plus ou moins utiles, plus ou moins inquiétants.
16:48 On est en fait très loin d'un manga feel-good pour ado.
16:52 Vous êtes d'accord avec ça Fausto Faziolo ?
16:53 C'est bon qu'on puisse dire.
16:54 Je n'ai pas dit l'objet inquiétant, mais on va en parler.
17:00 C'est intéressant, puisque effectivement, à l'origine, ce projet-là part d'une
17:05 commande faite par l'éditeur à l'autrice Kon Kumakura, qui était de raconter une
17:11 histoire façon tranche de vie lycéenne, tout ce qu'il y a de plus standardisé j'ai
17:16 envie de dire.
17:17 Et elle, ça ne l'intéressait absolument pas.
17:19 Déjà parce que le lycée n'est pas une période qui est très intéressante à ses
17:22 yeux et puis surtout, elle n'avait pas envie de faire ça en tant qu'autrice.
17:25 L'intérêt, c'est à la fois d'établir une sorte de carcan et de contexte comme
17:33 ça, très typé et très connu des lecteurs de manga, et ensuite de le faire glisser
17:38 vers autre chose.
17:39 C'est cette autre chose qui est intéressante.
17:40 Et là, comme dans Le Roi des Limbes, on a affaire à une série de science-fiction,
17:44 mais c'est de la science-fiction douce en réalité.
17:47 Pauline Croquet, vous aussi, vous avez aimé ce manga, Pas Feel Good ?
17:52 Moi, c'est ce qui m'a plu en fait.
17:54 On a envie de se sentir mal en fait.
17:56 C'est ça, on aime se sentir mal.
17:57 C'est vrai que ça a tous les démarrages.
17:59 Au départ, on est dans la salle de classe avec une élève un peu originale.
18:03 Et moi, ce qui m'a plu assez vite, c'est l'élément fantastique au service du récit
18:07 tranche de vie, au service du quotidien.
18:10 Et alors, effectivement, c'est Pas Feel Good, mais il y a une poésie quand même
18:14 là-dedans qui est excellente parce que ça part de rien le concept.
18:18 C'est la rencontre avec une fille qui peut matérialiser des objets à partir de son imagination.
18:24 Ce n'est pas rien.
18:25 Ce n'est pas rien, mais bon, on pourrait...
18:27 C'est ça que vous appelez la science-fiction douce ?
18:30 Oui, alors ça, c'est un terme que je viens juste d'inventer.
18:32 Oui, ça, ça va être déposé dans un prochain concept.
18:34 C'est ce qui permet peut-être la poésie d'ailleurs.
18:36 C'est qu'on est quand même dans un univers connu.
18:38 C'est notre monde.
18:39 Et il y a juste cet élément qui vient changer les choses.
18:42 Et ce qui m'a aussi plu dans ce pouvoir, ce n'est pas juste elle matérialise des objets.
18:47 C'est toute la mécanique.
18:48 Et c'est ça qui le rend très science-fiction.
18:50 C'est qu'en fait, la jeune fille qui a le pouvoir de matérialiser des objets, de les inventer.
18:54 Donc, ils restent invisibles aux yeux des autres, mais ils sont fonctionnels.
18:58 Pardon, mais nous, on les voit du coup sur le dessin ?
19:01 Alors, ils sont esquissés.
19:02 Et c'est ça qui est super.
19:03 On les devine ?
19:04 On les devine.
19:05 Ils sont...
19:06 Voilà, c'est...
19:07 Mais par exemple, il faut prendre l'exemple du parapluie qui est en plus la première
19:11 rencontre entre les deux jeunes filles et donc le début de cette amitié.
19:14 Donc, il pleut à Torrent et tout à coup, Choco tombe, passe par un passage qu'elle
19:20 n'emprunte jamais et tombe sur une jeune fille qui est vraiment...
19:23 Où il y a un dôme qui la protège sans plus...
19:25 Et qui a le bras levé, le coude de repli.
19:27 Comme si elle tenait un parapluie.
19:28 Et donc, on voit juste la pluie autour et ce dôme qui la protège et elle comprend
19:31 qu'elle a un parapluie invisible.
19:33 Voilà le genre d'objet que fabrique...
19:35 Mais toutefois, ce n'est pas juste...
19:37 J'ai besoin d'un parapluie, je le matérialise.
19:39 Il y a tout un système où elle doit trouver la mécanique, les éléments.
19:44 En fait, elle doit inventer chaque composante de l'objet et le faire fonctionner.
19:49 Elle doit l'inventer, il faut l'expliquer pour les auditeurs et auditrices, pour qu'ils
19:52 comprennent bien ce pouvoir.
19:53 Elle doit les inventer en comprenant comment ça fonctionne.
19:58 Pouvoir les conceptualiser littéralement dans son esprit.
20:01 Voilà, et ça, je trouve que déjà, ça rajoute un plus.
20:04 Parce qu'il y a toute cette...
20:05 On sent aussi, il y a le côté prémédité de la fabrication.
20:08 Ce n'est pas "je ne me sens pas bien, hop, je matérialise des cailloux invisibles".
20:13 Il n'y a pas que ça.
20:14 Ce n'est pas magique.
20:15 Ce n'est pas magique.
20:16 C'est derrière "j'ai une intention, je fais des recherches parce que je vais matérialiser ça".
20:20 Et ça, ça rend aussi le côté inquiétant beaucoup plus crédible.
20:23 Alors justement, sur ce trait de l'invisible, c'était votre question.
20:26 Nicolas, comment ça se matérialise ?
20:28 Comment Kon Kumakura réussit à rendre cette transparence ?
20:32 C'était le vrai défi pour elle, c'est-à-dire dessiner l'invisible.
20:35 Et on parlait justement de cette séquence du parapluie.
20:40 L'idée, c'est de jouer justement avec les arrière-plans, avec le décor,
20:44 et de faire en sorte que l'infigurable soit figuré.
20:47 Et ce qui est très intéressant, c'est qu'on est à la fois face à une sorte d'abstraction,
20:53 mais qui finit par devenir assez concrète, et même à nous rappeler d'autres objets.
20:57 En l'occurrence, la séquence du parapluie, par exemple,
20:59 cette espèce de dôme qui protège la tête de l'une des deux héroïnes,
21:04 finit par nous rappeler, comme ça sous la pluie, une forme de méduse.
21:07 Il y a des espèces d'images poétiques qui finissent par se dégager d'objets du quotidien
21:13 qui sont parfaitement anodins, et dont, effectivement, elle a parfaitement compris la fonctionnalité.
21:19 Il y a une sorte d'ingénierie mentale qui se crée.
21:21 Et ce qui est assez beau, c'est que ces objets, quand ils deviennent invisibles,
21:26 ils sont visibles pour le lecteur, de fait,
21:30 mais aussi ils finissent par se rapprocher d'autres choses et d'autres images mentales.
21:34 Ce qui est encore plus intéressant, c'est qu'elle essaie aussi de concrétiser l'invisible
21:39 du point de vue de l'autre héroïne, en fait, qui découvre le pouvoir de son amie,
21:43 et qui a une imagination débordante, elle est un petit peu délurée.
21:46 Et donc, quand elle apprend que son amie a ce pouvoir-là,
21:49 parfois elle se met à imaginer une catastrophe, quelque chose qui tombe,
21:52 et là, pour le coup, la transparence fait vraiment des points de tillé,
21:55 où à un moment donné, il y a une étoile, comme ça, et c'est vraiment agrotré.
21:59 Et donc, c'est très performant d'arriver à faire comme ça,
22:03 de travail de la transparence, et aussi d'avoir un côté un peu caricatural de cette transparence.
22:08 Donc, c'est assez prodigieux.
22:10 Alors, moi qui n'ai pas lu le manga, je m'interroge, vous me dites depuis tout à l'heure
22:13 que ce n'est pas feel-good. Pour l'instant, je ne suis pas très inquiet dans ce que vous m'en racontez.
22:19 Où vient cette inquiétude et cette angoisse qui rend ce manga pas feel-good ?
22:23 Fausto Fazolo ?
22:25 Déjà, ne serait-ce...
22:26 Si on peut le dire !
22:27 Oui, on peut le dire. Je parlais du glissement au début, quand on pitchait l'histoire.
22:33 Mais en fait, elle ne va pas créer et inventer que des objets du quotidien
22:38 et qui nous servent de manière absolument anodine.
22:41 Il va y avoir un glissement dans les objets qu'elle va créer,
22:43 et ces objets vont avoir un impact sur le drame,
22:47 et vont aussi témoigner du mal-être du personnage qui a ce don d'invisibilité.
22:52 Donc, ça commence effectivement... Je ne vais même pas spoiler, mais je vais quand même en dire plus.
22:57 On commence par un parapluie, mais on finit quand même par des armes à feu.
23:03 Donc, forcément, il y a une progression dans le mal-être du personnage qui s'opère et qu'on ressent,
23:10 et on le voit à travers les objets qu'elle crée.
23:12 Et c'est un mélange entre un récit d'amitié et la chronique d'une catastrophe annoncée.
23:16 On voit que les choses vont glisser petit à petit,
23:19 et on sent que ça nous échappe aussi du point de vue de l'autre héroïne.
23:23 Elle ne comprend pas trop ce qui se passe.
23:24 Elle essaie de se lier d'amitié avec elle.
23:26 Elle voit aussi ce qui génère de l'inquiétude, c'est le malaise que vivent ces deux adolescentes.
23:31 Elles ne sont pas super bien dans leur basket.
23:33 On sent qu'il y a un poids.
23:35 On sent que ce sont des élèves qui sont un peu mis au banc de la classe.
23:39 On se moque un peu d'elles.
23:41 Et donc, il y a un début de...
23:43 C'est quand même un récit sur une forme...
23:45 On se pose des questions autour du harcèlement.
23:47 Et donc forcément, quand on met ce pouvoir,
23:50 c'est un pouvoir qui n'a de limite que l'imagination,
23:53 et aussi tout le travail qu'elle va fournir pour essayer de matérialiser des objets.
23:58 Mais quand ça s'est mis dans les mains de quelqu'un qui ne va pas bien,
24:01 et qui en plus...
24:02 L'adolescence, c'est le débord d'émotions.
24:04 On ne sait pas comment générer les choses.
24:06 On se sent parfois un peu isolé.
24:08 Tout ça, en fait...
24:10 Une enfant acculée avec un tel pouvoir, qu'est-ce que ça peut faire ?
24:13 Et c'est ça aussi qui crée de l'inquiétude.
24:15 Ce qui est très fort aussi dans ce manga,
24:17 c'est qu'on arrive à parler de harcèlement sans dire une seule fois le mot.
24:21 C'est-à-dire que ce n'est vraiment pas ni une chronique sur l'amitié,
24:24 ni une chronique adolescente un peu bébête...
24:26 Et sans voir les harceleurs aussi.
24:27 Voilà, c'est ça.
24:28 Ni quelque chose de conscientisé sur le harcèlement.
24:31 Il y a une approche assez impressionniste de ces problèmes-là.
24:35 Et concernant le harcèlement scolaire,
24:37 moi je trouve ça très très fort ce qu'elle fait.
24:38 C'est qu'elle procède justement par petites touches.
24:40 Et ce sont des espèces de signaux qui sont envoyés,
24:42 qui sont absolument anodins.
24:45 Comme cette bouteille de jus de raisin qui a été retournée de manière volontaire
24:49 afin de faire couler justement du liquide sur sa jupe.
24:55 Voilà, des petites choses comme ça qu'on voit.
24:58 On ne sait pas qui les a faites.
25:00 On ne voit pas les harceleurs.
25:01 On voit simplement la réaction de la personne qui est touchée,
25:04 qui est victime de ça.
25:05 Et ensuite, sa réaction qui va être de créer des objets invisibles pour...
25:08 Voilà, là je ne vais pas en dire plus.
25:10 À qui vous le conseillez ce manga ?
25:12 Est-ce que ça peut être lu par des jeunes ados ?
25:15 Des adultes ?
25:17 À qui on le conseille ?
25:18 Moi je le conseillerais à peu près à tout le monde.
25:20 Graphiquement en plus, c'est assez intéressant
25:24 puisque c'est une sorte de trait un peu rond comme ça.
25:26 Un peu douceur, un peu moelleux en fait.
25:30 C'est vrai, c'est bien dit moelleux.
25:33 Oui, il y a quelque chose de...
25:35 Et en fait, on est plutôt rassuré.
25:37 Et c'est ça justement qui est intéressant.
25:39 Cette espèce de dichotomie entre cette apparente douceur
25:43 et le contenu qui est un petit peu plus fort
25:45 sans être non plus trop explicite et trop dur pour des lecteurs non avertis.
25:48 Pauline Crochet ?
25:49 Oui, c'est graphiquement et au niveau de l'histoire aussi,
25:51 graphiquement accessible à tout le monde
25:53 et notamment des non-lecteurs de manga pourront s'y plonger sans problème.
25:56 Et voilà pour "Blank Space", le premier tome de Kon Kumakura.
26:06 Traduction d'Alexandre Fournier aux éditions Casterman Saka.
26:10 C'est sorti il y a une semaine et ce sera une série complète en trois volumes.
26:13 Merci à tous les deux.
26:15 Pauline Crochet, journaliste au monde, rubrique Pixel.
26:18 Et merci à vous, Fausto Fazulo, fondateur de la revue Atome
26:21 et co-directeur artistique du Festival d'Angoulême.
26:24 Et bien, pour connaître toutes les références,
26:26 rendez-vous sur le site de France Culture,
26:28 à la page de l'émission "Les Midis de Culture".

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