• l’année dernière
La suppression de l'aide médicale d'État "coûterait à la fin plus cher et constituerait un choc pour l'hôpital public", dénonce Nicolas Revel, directeur général de l'AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris), invité du 7h50 de France Inter, jeudi 9 novembre.

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 C'est 7h49, Sonia De Villers, votre invitée ce matin et directeur général de l'APHP.
00:05 L'établissement public qui chapeaute les hôpitaux de Paris, soit 10 millions de patients
00:10 soignés chaque année.
00:11 Il y a 24 heures, dans le cadre de l'examen du projet de loi sur l'immigration, les sénateurs
00:17 ont voté la suppression de l'aide médicale d'État, dispositif qui prend en charge les
00:21 frais médicaux des personnes en situation irrégulière sur le sol français.
00:24 Bonjour Nicolas Revel !
00:25 Bonjour !
00:26 Vous, dont les 38 hôpitaux et les 25 services d'urgence sont en première ligne, vous réagissez
00:33 comment ?
00:34 Ce que je vais vous livrer ce matin, c'est à la fois la réaction du directeur de l'APHP
00:38 que je suis, mais aussi de la communauté médicale et soignante, très majoritairement,
00:44 parce que nous en parlons beaucoup depuis quelques jours, et qui exprime une très vive
00:49 inquiétude face à ce qui n'est pas encore une réforme des signes, mais un projet, parce
00:55 que la conviction que nous avons, c'est que si cette réforme allait au bout, elle
01:00 aurait un effet délétère sur notre système de santé, elle coûterait à la fin plus
01:05 cher et elle constituerait un choc pour l'hôpital public.
01:09 Alors expliquez-vous !
01:10 Je pense qu'il faut d'abord revenir au texte qui a été adopté par le Sénat, qui, on
01:16 dit supprime l'AME, mais en fait la remplace par autre chose.
01:20 Dorénavant, si cette réforme était votée, elle serait prise en charge des personnes
01:26 qui, soit sont atteints de pathologies graves, soit subissent des douleurs aigües.
01:41 Par enthèse, je pense qu'il sera très difficile d'établir quelle est une douleur
01:46 aiguë quand il s'agira de prendre en charge et de décider de savoir si c'est prise
01:49 en charge ou pas par l'AME ou le futur dispositif.
01:52 Alors on pourrait se dire finalement, dès lors qu'on prend en charge les pathologies
01:55 graves et les douleurs aigües, tout va bien.
01:57 En fait, je pense que faire ça, c'est orienter le système de santé vers quelque chose qui
02:03 est justement un contresens par rapport à ce qui fait qu'un système de santé fonctionne
02:07 bien.
02:08 Pourquoi ?
02:09 Parce qu'attendre que quelqu'un soit très malade pour pouvoir le soigner et le prendre
02:13 en charge, c'est faire tout le contraire de ce que l'on veut faire, qui est d'essayer
02:17 - et c'est comme ça que le système de santé fonctionne et se protège - d'essayer de
02:21 diagnostiquer les gens le plus vite possible, de les traiter et de les soigner le plus tôt
02:26 possible pour éviter, soit quand ils sont infectieux et contaminants, qu'ils diffusent
02:30 la maladie autour d'eux, soit quand tout simplement ils ont des maladies graves qui
02:34 ne sont pas transmissibles comme un cancer ou un diabète ou bien d'autres choses,
02:38 qu'ils s'aggravent, qu'ils deviennent des patients beaucoup plus lourds à prendre
02:42 en charge avec des hospitalisations plus longues et beaucoup plus coûteuses.
02:47 Et tout notre système de santé, tous les systèmes de santé, cherchent à orienter
02:52 leur stratégie vers cela, prévenir, diagnostiquer et intervenir le plus tôt possible.
02:58 De sorte que ma conviction, c'est que dans cette réforme, il y a à mon sens un risque
03:03 d'aggravation des dépenses.
03:05 On ne les aura pas tout de suite dans les premières années, mais assez vite on va voir arriver
03:10 des patients qui arriveront dans nos hôpitaux, dans nos services d'urgence, plus gravement
03:14 atteints et nécessitant des soins plus lourds.
03:16 Et qui vont encombrer les services d'urgence, c'est le risque ?
03:17 On aura un double risque, c'est ce que je disais, c'est que vous allez à la fois
03:20 avoir un hôpital public qui va prendre en charge des patients lourds qu'on va devoir
03:23 hospitaliser sur des durées plus longues avec des traitements plus lourds.
03:26 Et puis on aura probablement des personnes qui vont chercher malgré tout à essayer
03:30 d'accéder au système de soins sans attendre.
03:32 Et où est-ce qu'ils iront ? Ils vont voir aide médicale d'urgence, ils vont aller dans
03:35 les services d'urgence.
03:36 Et vous le savez, aujourd'hui, toute notre politique c'est d'essayer de faire en
03:41 sorte que nos systèmes d'urgence tournent le mieux possible.
03:43 Il y a beaucoup de monde dans nos systèmes d'urgence et ce qu'on essaie de faire en
03:45 sorte c'est que n'y viennent que les gens qui en ont vraiment besoin.
03:48 Et donc l'idée d'essayer de désaturer nos services d'urgence ne serait pas à mon
03:52 avis facilitée par cette réforme.
03:53 Et sur un plan déontologique, Nicolas Revelle, vos soignants auront-ils à opérer une sélection
03:59 parmi les malades, entre ceux qui peuvent être soignés et ceux que l'on doit laisser
04:03 à leur sort ?
04:04 C'est ce que je vous indique.
04:05 Je pense qu'aujourd'hui, toute personne qui arrive dans un service d'urgence, on
04:10 ne va pas demain, si on devait fonctionner sous ce régime, je ne vois pas les médecins
04:14 de la PHP ou de n'importe quel hôpital renvoyer un patient au motif que sa douleur
04:18 ne serait pas suffisamment aiguë ou que sa pathologie ne serait pas encore suffisamment
04:23 grave.
04:24 Donc voilà, on voit bien d'ailleurs, vous savez quand on est en médecine et qu'on
04:29 applique une thérapeutique, je pense que d'ailleurs ça s'applique quelque part au
04:31 travail législatif, souvent on fonctionne sur la notion de balance bénéfice-risque.
04:35 On change quelque chose en disant ça va être quoi l'impact concret de ce qu'on
04:39 fait, quels en seront les bénéfices, quels en seront les risques.
04:42 Je pense que les risques, on les voit de manière claire.
04:45 Je pense que les bénéfices attendus de cette réforme par ceux qui l'ont conçue, je
04:52 ne les vois pas tellement non plus.
04:53 Parce qu'on pourrait nous dire tout ce que vous craignez n'arrivera pas parce que
04:58 notre réforme va permettre en fait de faire qu'il y aura moins d'arrivées sur le
05:02 sol, moins de personnes en situation irrégulière sur le sol français.
05:07 Vous n'aurez pas cet afflux et vous n'aurez pas ce risque sanitaire.
05:10 C'est l'intention.
05:11 En fait, on n'a aucune étude, mais à la limite, qui démontre qu'aujourd'hui,
05:17 beaucoup de gens viendraient pour l'AME.
05:19 Mais quelque part, si on raisonne et qu'on se met à la place de ces personnes, on se
05:23 dit peut-être que ceux qui pourraient choisir la France au motif que l'AME existe, c'est
05:27 quand même plutôt des gens déjà malades, plutôt que des gens jeunes et bien portants.
05:31 Et quand en fait, on est déjà malade parce qu'on a un cancer, un diabète ou quelque
05:34 chose et qu'on se dit tiens, je vais plutôt aller en France plutôt qu'ailleurs parce
05:37 qu'il y a un dispositif, un système de santé.
05:39 En fait, le paradoxe, c'est que quand vous regardez le texte voté par le Sénat, ces
05:44 gens-là seront pris en charge.
05:45 Ils seront pris en charge.
05:46 Et donc, je ne vois pas en quoi en réalité ça va t'arriver.
05:48 Aujourd'hui, c'est 400 000 personnes qui sont bénéficiaires de l'AME.
05:52 420 000 personnes.
05:53 420 000 personnes.
05:54 Et par ailleurs, il y a de nombreux détracteurs de l'AME.
05:56 Pas seulement les républicains, pas seulement ceux qui souhaitent faire des économies.
06:00 Il y a aussi beaucoup de gens qui pointent son dysfonctionnement, le labyrinthe administratif
06:04 infernal que ça représente et le fait qu'il y ait énormément de gens qui y auraient
06:07 droit et qui n'y ont pas accès.
06:08 C'est vrai que vous avez...
06:09 Parce que c'est extrêmement difficile à mettre en place.
06:11 Alors, tout simplement parce que peut-être en effet, il faut aller faire une demande
06:15 auprès de la caisse primaire, prouver qu'on est présent sur le sol national depuis un
06:18 certain nombre de mois et on sait qu'on a à peu près la moitié des personnes en situation
06:22 régulière qui ne sollicitent pas l'AME.
06:24 C'est ça.
06:25 Je voudrais vous poser une question, Nicolas Revelle, sur la bronchiolite.
06:28 Car nous voyons le niveau monté des alertes.
06:33 Aujourd'hui, l'épidémie s'accélère.
06:34 Il y a dix régions touchées en métropole, dont l'île de France.
06:38 L'an dernier, ça a été une épidémie sans précédent.
06:41 C'est des dizaines de milliers d'enfants de nourrissons qui ont été reroutés vers
06:46 les hôpitaux.
06:47 Où on en est aujourd'hui ? Est-ce que vous êtes inquiet ?
06:49 Alors, on est vigilant.
06:51 On est exactement dans la période où l'épidémie commence à circuler.
06:55 On en voit déjà un premier effet sur nos services d'urgence et d'hospitalisation.
06:58 Mais nous ne sommes pas dans la même situation que l'année dernière, qui avait été une
07:02 année très particulière où on avait été amené à transférer hors de l'île de France
07:07 plus d'une cinquantaine de jeunes patients.
07:09 Aujourd'hui, quand on mesure l'impact, on a à peu près la moitié de ce qu'on a
07:14 subi l'année dernière.
07:16 Quand on avait par jour à peu près 40 à 50 enfants hospitalisés dans nos hôpitaux
07:21 à la PHP pour bronchiolite, aujourd'hui on en a à peu près une vingtaine.
07:24 Il existe aujourd'hui une injection d'anticorps qui s'appelle le BFortus, qui est une sorte
07:28 de traitement préventif, on va dire.
07:30 On s'inquiète aussi du manque d'injections disponibles, du risque de pénurie ?
07:36 D'abord, je pense qu'on peut se féliciter qu'en France, on ait eu le BFortus, parce
07:39 qu'on a été l'un des quatre pays au monde qui avons fait le choix d'acheter du BFortus
07:43 et d'administrer, de proposer ce produit aux jeunes parents.
07:47 A la PHP, on a été en première ligne et avec un succès inattendu, puisque 80% des
07:55 parents qui ont eu un enfant né dans nos maternités ont accepté que le BFortus soit
08:00 administré à leurs petits.
08:02 Je pense que ça, on va attendre, on fera des études, mais ma conviction, mon intuition,
08:07 c'est que le BFortus joue un rôle dans le fait que...
08:09 Vous allez en manquer ?
08:10 On va à la fin des fins, par définition, épuiser le stock des 200 000 doses qui ont
08:14 été achetées par la France, mais on ne les a pas encore du tout, aujourd'hui, épuisées.
08:18 Et quelque part, c'est maintenant que ça se passe et si on en manque fin décembre,
08:23 on aura quelque part passé le plus long de la bataille.
08:25 Un dernier mot, vous êtes le premier employeur d'Île-de-France, 100 000 personnes travaillent
08:29 pour la PHP et vous produisez des chiffres étonnants, c'est-à-dire que vous avez réduit
08:34 l'hémorragie des départs, -16% sur les départs, +20% de recrutement d'infirmiers,
08:40 400 lits ouverts supplémentaires à la fin 2023, sur quel levier vous avez joué ?
08:44 Ce sont des premiers signes, effectivement, très encourageants.
08:48 J'étais venu il y a un an sur votre antenne pour expliquer ce que nous allions faire,
08:53 pour essayer d'endiguer une hémorragie qu'on avait connue depuis 4 ans.
08:57 On avait perdu 12% de nos infirmiers, on avait fermé 10% de nos lits.
09:00 Et donc, on a travaillé sur des leviers qui sont des conditions de recrutement, d'accueil,
09:05 de formation, d'intégration, le sujet du logement.
09:08 L'organisation du temps de travail dans la semaine pour faire en sorte que nos soignants
09:11 ne travaillent pas 5 jours sur 7, mais essayent d'aller plutôt vers du 3 ou du 4 jours.
09:15 La cohésion dans les services, le collectif, la notion de projet et de sens.
09:21 C'est 30 leviers, puisqu'on a essayé de travailler sur plein de leviers à la fois.
09:25 Ça commence, mais il faut rester prudent, ça va être long, c'est fragile, et donc
09:29 on n'est pas en train de dire "ça y est, c'est gagné".
09:31 On a encore beaucoup de chemin à faire.
09:33 Merci Nicolas Revel.
09:34 Merci à vous.

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