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Comment comprendre l'invariance de la violence dans l'histoire ? Comment expliquer son omniprésence dans la société ? Comment analyser la fascination qu'elle ne manque pas d'exercer sur les esprits ? Loin de verser dans une théorie simpliste de la violence ou d'avancer des solutions univoques, Michel Maffesoli entend dans cet essai précurseur mettre en lumière les aspects structurels de ce fait social. Il est vrai que cette mystérieuse part d'ombre imprègne nos vies et nos débats, taraude nos passions et nos raisons. Mais peut-être une violence ritualisée, homéopathisée est-elle préférable à l'ennui mortifère d'une société aseptisée, génératrice d'explosions incontrôlées. Une analyse profonde et flamboyante des soulèvements passés, présents et futurs.

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Transcription
00:00 [Générique]
00:05 Bonjour à tous, bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Michel Maffesoli.
00:10 Bonjour Monsieur.
00:11 Bonjour.
00:12 Michel Maffesoli, vous êtes professeur émérite à la Sorbonne, membre de l'Institut universitaire de France.
00:17 Vous êtes sociologue et vous publiez cet ouvrage aux éditions du SER.
00:22 Et c'est sur la violence à retrouver, comme d'habitude, sur la boutique officielle de TV Liberté.
00:27 Est-ce qu'on peut commencer, Michel Maffesoli, par donner une définition à la violence ?
00:32 Oh, définition toujours, c'est délicat.
00:35 Disons, moi, je rappelle tout simplement que notre espèce animale est aussi une espèce animale.
00:41 Donc il y a, je dirais, anthropologiquement, si je puis dire, c'est-à-dire inscrit dans nos gènes,
00:47 notre race comme d'autres espèces animales, eh bien, cette violence, c'est-à-dire la force qui nous anime
00:53 et qui fait que très souvent, l'autre est un ennemi, quel que soit cet autre, d'ailleurs.
00:58 Et donc la violence, on la retrouve sous toutes ses formes, et je dirais de tout temps.
01:03 Est-ce que vous faites un distinct goût entre la force et la violence ?
01:07 Non, moi, je dirais que la violence, c'est la virtue, c'est-à-dire ce qui... c'est la force, fondamentalement.
01:15 Virtue, on le traduit par... on a oublié, on disait "vertu", mais fondamentalement, c'est la force.
01:20 En latin, excusez-moi d'être pédant, en latin, c'est "vis", V-I-S.
01:26 Et cette force, si vous voulez, qui est au cœur même de ce que chacun d'entre nous est, individuellement et collectivement.
01:33 Donc la violence, le sous-titre de mon livre, c'est "La violence banale et fondatrice",
01:40 c'est-à-dire qu'il y a toujours de la violence, tout le problème, et c'est de ce dont il faut discuter,
01:44 et c'est ce que j'explique dans ce livre, comment on se dépatouille avec cette violence.
01:49 Comment, je dirais, on la ritualise, d'une manière un peu imagée, je dis comment on l'homéopathise.
01:55 Et les sociétés équilibrées n'ont pas dénié la violence, mais s'en sont accommodées.
02:01 On a su la gérer, en quelque sorte. Voilà, le cœur battant de mon livre, il est là.
02:07 Savoir gérer quelque chose qui est là, structurellement, fondamentalement.
02:12 – Mais entre la force et la violence, on peut, par exemple, à l'égard d'un enfant,
02:15 faire preuve de force pour son éducation, pour son bien, sans aller jusqu'à la violence qui pourrait le détruire.
02:20 – Oui, oui, non, certes, soyons clairs, vous avez raison, il convient de nuancer,
02:25 au niveau des termes même que l'on emploie.
02:27 Là, je réfléchis sur la violence comme étant, je dirais, une matrice dans laquelle on baigne.
02:33 Après, ça peut se décliner de diverses manières, ça peut prendre des formes diverses,
02:38 la force en est une de cela, voilà.
02:40 Mais là, moi, je me racle, vous savez, excusez-moi, ce livre, il a été écrit en 1800,
02:46 il a paru en 1978, vous voyez, ma langue avait fourché, d'ailleurs.
02:51 Donc, c'est un livre ancien, qui est du début de ma carrière, en quelque sorte,
02:55 ça en est à sa 6e ou 7e édition, où, dans le fond, j'essaie de montrer que
03:01 mon idée de base, telle que je viens de la dire, c'est-à-dire, dans toute société,
03:05 il faut savoir gérer quelque chose qui est au cœur même de ce que nous sommes.
03:10 Chacun d'entre nous a de la violence, qu'on le veuille ou non.
03:14 Même dans la relation amoureuse, il y a une forme de violence qui est là, vous voyez.
03:18 Alors, bien sûr, d'un point de vue politique, non moins, bien évidemment.
03:21 Donc, voilà, mon propos est d'essayer d'insister sur le fait que
03:26 ça ne sert à rien de dénier quelque chose qui est là,
03:29 la dénégation, c'est que je ne vois pas, je ne veux pas voir.
03:33 Je ne veux pas voir ce que la sagesse populaire dit bien, ce qui crève les yeux, voilà.
03:37 Donc, c'est là, donc, qu'est-ce qu'on fait avec, comment on se dépatouille avec ça.
03:41 – Et quand vous dites qu'une société équilibrée a recours à la violence,
03:44 si je vous ai bien compris, est-ce que notre société est équilibrée, la nôtre, française ?
03:50 – Non. Je n'ai pas dit "a recours à la violence",
03:54 j'ai dit "la société équilibrée est une société qui sait gérer la violence".
03:58 – D'accord. – C'est un peu différent.
04:00 Je vais vous donner un peu un mythe qui est pour moi un mythe
04:02 qui m'a beaucoup marqué dans ma jeunesse, au début de ma carrière,
04:06 c'est la ville de Thèbes, qui est fondée par Cadmos, mythique.
04:12 Cadmos a deux petits-fils.
04:14 Il cède la gestion de la cité à Pinté, qui est le sage gestionnaire,
04:18 le bureaucrate du moment, l'énarque de l'époque, si je puis dire, très rationaliste.
04:23 Et le mythe commence en disant que la cité de Thèbes
04:28 rachète le fait de ne plus mourir de faim par celui de mourir d'ennui.
04:32 Tout est rationalisé, tout est bien géré.
04:35 C'est à ce moment-là que les femmes, conduites par Agave, la mère de Pinté,
04:39 curieusement vont chercher le second petit-fils de Cadmos, qui est Dionysos.
04:43 Et Dionysos est la figure, j'écris un livre sur Dionysos,
04:47 qui est la figure en quelque sorte, un peu, disons,
04:51 de celui qui va introduire une force de violence.
04:53 Ce sont les Dionysi, les Bacchanales.
04:56 – Une violence. – Le vieux grec de la fête, du vin.
04:58 – De la fête, le vin et des formes de violence aussi.
05:02 Ce sont les fameuses Bacchanales, les Dionysi.
05:05 Mais c'est une violence qui est ritualisée,
05:07 c'est-à-dire que seul Pinté est tué, à minima, si je puis dire.
05:11 Et à ce moment-là, la cité retrouve son âme.
05:13 – C'est le sacrifice, quoi. – En gros.
05:15 Mais qu'est-ce que je veux dire par là ?
05:16 Je veux dire par là que, en gros, cette cité mourait d'ennui,
05:21 parce qu'elle était trop rationnelle.
05:23 Et du coup, il convenait uniquement de ritualiser cette violence.
05:27 Disons-le, au Moyen-Âge, c'étaient les Bacchanales.
05:30 Pardon, c'était les fêtes des fous, les inversions,
05:33 le combat, les duels au premier sang.
05:36 Vous voyez ce qu'on appelait les duels au premier sang ?
05:38 C'est-à-dire, dans le fond, des moments, disons-le très simplement,
05:43 avec une expression d'Aristote, la catharsis.
05:46 La catharsis, c'est quand on se purge de quelque chose qui est en nous,
05:50 qui est dans le corps social comme dans le corps individuel.
05:53 Et donc, moi, quand je dis gérer la violence,
05:55 c'est de savoir gérer, c'est-à-dire s'empurifier de la violence, la sortir.
06:00 Moi, je m'étais, à l'époque, il y a fort longtemps,
06:03 disputé théoriquement par divers articles avec une ministre dont j'ai oublié le nom,
06:08 Ségolène Royal, pour ne pas l'en nommer, une sotte à l'époque,
06:11 qui avait écrit, qui avait fait cette loi contre le bizutage, par exemple.
06:15 Et je montrais que refuser le bizutage
06:19 allait entraîner des formes de violence beaucoup plus graves.
06:22 Vous voyez, c'est-à-dire que si on ne sait pas catharsiser cette chose,
06:25 bon, qui peut avoir des formes de violence, le bizutage, bien évidemment,
06:29 mais cela allait entraîner des éléments beaucoup moins incontrôlables.
06:33 Et on voit bien comment, de diverses manières,
06:35 les racailles de banlieues, les bagarres de jeunes actuellement ou autres,
06:39 pour moi, c'est, je dirais, la réponse du berger à la bergère.
06:42 – Vous pensez que c'est l'absence de guerre
06:44 que l'on vit sur notre territoire français aujourd'hui
06:46 qui conduit à cette violence que l'on voit dans notre société ?
06:50 – Je vais aller être un peu plus profond.
06:51 C'est parce que, justement, on a voulu par trop aseptiser toute chose.
06:55 Aseptiser ou pas septiser.
06:56 – Principes de précaution.
06:57 – En gros, le risque zéro, si je puis dire.
06:59 Ce qui s'est passé dans les trois ou deux ou trois dernières années,
07:02 port de la muselière, gestes barrières,
07:06 je ne sais plus quoi, tous les trucs comme ça.
07:08 – Les permis de sortie.
07:09 – Voilà, confinement et autres.
07:11 Voilà de la pasteurisation de l'existence.
07:14 C'est-à-dire, tout simplement,
07:16 ne pas reconnaître que notre espèce humaine, il y a de la finitude.
07:19 "Aidez-guerre, sum tot", vers la mort, c'est notre lieu, c'est ainsi.
07:24 Et donc, tout là, en quelque sorte, n'est pas de dénier la finitude,
07:28 le risque sous ces diverses modulations, mais de savoir le gérer.
07:31 Voilà le cœur bâtant de mon livre.
07:33 Encore une fois, ne pas valoriser la violence,
07:36 mais se rendre compte que, d'une certaine manière,
07:38 si on ne trouve pas les manières de s'empurger,
07:43 cela devient, dans le sens simple du terme, pervers.
07:46 Pervers, pervis, ça prend des voies détournées.
07:49 Et moi, je considère que…
07:50 J'ai écrit un livre qui s'appelle "L'ère des soulèvements",
07:53 antérieurement à celui-ci, qui est paru il y a deux ou trois ans.
07:56 Je montrais qu'il va y avoir de plus en plus de ces soulèvements,
07:59 que le sang va couler à bien des égards.
08:00 Parce que, vous voyez, dans le fond, on n'a pas su, encore une fois,
08:05 intégrer, reconnaître, accepter, et accepter, pas canoniser,
08:10 mais se rendre compte que cette violence nous constitue,
08:15 et qu'est-ce qu'on fait avec.
08:17 Comment, en quelque sorte,
08:19 j'ai dit deux ou trois fois, on s'en dépatouille.
08:21 Comment, en quelque sorte, voilà,
08:22 dans le sens, l'idée fondamentale de mon propos,
08:26 de la longue durée, vous voyez,
08:27 c'est-à-dire qu'il ne sert à rien de vrai pour un risque zéro.
08:34 Au contraire, il faut…
08:37 Je dois ça à mon maître Gilbert Durand,
08:40 qui montrait qu'il y avait toujours du nocturne au sein de nous.
08:43 Il y a de l'ombre, il n'y a pas simplement de la lumière,
08:45 et un homme sans ombre n'existe pas.
08:48 Une société sans ombre n'existe pas.
08:50 Donc tout l'art est de voir comment, en quelque sorte,
08:53 je vais en quelque sorte gérer cette ombre.
08:55 La violence est une ombre.
08:56 – Mais justement, quand vous évoquez ce risque zéro,
09:00 ce principe de précaution, on l'a bien vu lors de l'épisode
09:04 de la crise dite "sanitaire",
09:06 qu'elle a entraîné, que tout cela a entraîné de la violence.
09:09 – C'est ce que je vous dis.
09:10 – Et du sacrifice.
09:11 – Je le pense.
09:12 – Non mais la volonté du risque zéro, c'est aussi de la violence.
09:16 Ça débouche aussi sur de la violence.
09:17 – C'est un totalitarisme.
09:18 – Oui.
09:19 – Moi, ma thèse d'État à l'époque, elle était, dans les années 70,
09:23 c'est ça où j'ai développé cette idée de risque zéro,
09:27 d'hygiénisation, etc.
09:28 Je disais c'est un totalitarisme.
09:31 J'ai eu tort de dire, j'appelais ça un totalitarisme doux.
09:34 En fait, c'est un totalitarisme stricto sensu.
09:36 Voilà.
09:37 Et on l'a bien vu dans la psychopandémie qui vient de s'écouler,
09:40 si vous voulez, qui était véritablement,
09:42 qui ne peut que susciter de l'hystérie par après.
09:45 Vous voyez, tout l'art, je dirais, de la sagesse,
09:48 mon propos sur la violence et la sagesse populaire,
09:51 qui sait, le bon sens, c'est qu'il y a de la violence.
09:54 Donc, vous comprenez, je n'ai pas envie, encore une fois,
09:56 de la canoniser, la violence.
09:58 Je n'ai pas envie de dire qu'il ne faut qu'il n'y ait que ça.
10:01 Au contraire, même.
10:02 Je dis, il faut trouver les moyens, les sociétés équilibrées,
10:04 reprenons l'expression que je disais,
10:06 les sociétés équilibrées savent gérer cela.
10:08 Nous, ce n'est pas le cas.
10:10 Voilà.
10:10 Et donc, du coup, quand on ne sait pas gérer cela,
10:15 cela peut aboutir à des formes, j'ai bien dit perverses,
10:17 qui vont se développer, de mon point de vue.
10:19 C'est intéressant de voir comment, à bien des égards,
10:22 les émeutes qui ont eu lieu ces derniers mois-là, je crois.
10:25 - Oui, à la suite de la mort de ce jeune garçon,
10:27 - Ce jeune garçon, etc., qui n'était pas justifiable.
10:30 On ne va pas justifier, c'est un voyou.
10:31 Bon, de toute façon, ce n'est même pas la question.
10:33 Mais il n'en reste pas moins qu'il va y avoir
10:36 de ces émeutes de cet ordre.
10:38 Ce qui se passe dans les manifestations,
10:40 quand vous avez toujours des petits groupes
10:42 qui viennent manifestement essayer de pousser jusqu'au bout
10:48 le désordre, en quelque sorte.
10:49 Voilà, moi, je n'ai pas autre chose à dire que de dire,
10:51 tout simplement, il ne sert à rien de dénier,
10:57 si je le dis de manière un peu savante,
10:58 une structure anthropologique,
11:00 c'est-à-dire ce qui nous constitue en tant qu'hommes,
11:02 c'est ça, l'anthropos,
11:03 et qu'il ne sert à rien de dénier cela,
11:06 la violence est du nombre,
11:07 l'agressivité, peu importe les termes.
11:09 Donc, c'est la sagesse, la vraie sagesse,
11:13 c'est de voir, en quelque sorte,
11:14 de quelle manière je vais faire en sorte
11:17 que cette violence ne devienne pas exacerbée,
11:21 ne s'exprime pas, dans le sens simple du terme,
11:24 d'une manière tout à fait incontrôlable.
11:27 Et il se trouve, voyez-vous,
11:28 que c'est, à mon avis, ce qui va de plus en plus se passer.
11:31 – Comment vous l'expliquez, cette mauvaise gestion
11:34 par l'état de la violence ?
11:36 On parle beaucoup de la violence légitime de l'état.
11:39 – Ah oui.
11:39 – Et aujourd'hui, pourquoi cela pose problème ?
11:42 – Oh, là, c'est un autre débat que je ne développe pas là-dedans,
11:45 mais je peux vous le dire d'un mot tout de même,
11:46 puisque c'est quand même là aussi une de mes constantes,
11:49 c'est que les élites, sous leurs diverses modulations,
11:53 éditent ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire,
11:55 c'est-à-dire la technocratie, la bureaucratie,
11:58 les journalistes, soyons clairs,
12:00 des mainstream qui répondent à ça,
12:01 les fameux experts qui n'ont rien à dire,
12:03 d'une certaine manière.
12:05 Tous ces gens restent, je dirais,
12:07 sur une conception très ancienne du monde de la modernité,
12:10 c'est-à-dire une conception progressiste, rationaliste, individualiste.
12:15 Voilà pour moi le tripod moderne.
12:17 Et cette élite, et les pouvoirs publics en particulier,
12:21 la bureaucratie française en est l'expression achevée,
12:23 regardez comment ce mot de progressisme,
12:29 être laïque, laïcité, rationnel,
12:34 encore le président a ses mots à la bouche,
12:37 il n'a rien à dire, donc il le dit bien évidemment,
12:39 ce qu'il n'a rien à dire.
12:40 Mais c'est la technobureaucratie qui actuellement domine,
12:46 reste sur des schémas dépassés, c'est ce que je veux dire,
12:49 c'est tout, c'est-à-dire que la vieille tradition,
12:52 moi je suis maestrien, Joseph de Metz,
12:55 je suis pour une conception traditionnelle du monde
12:57 qui de mon point de vue est en train de revenir,
13:00 je considère que le sacré est en train de revenir,
13:02 ce n'est plus le simple rationalisme,
13:03 ce n'est plus simplement l'individualisme,
13:05 mais c'est le nous, à l'époque j'avais parlé des tribus,
13:07 - Les communautés, oui.
13:08 - Maintenant je dis communauté pour ne pas trop choquer,
13:10 mais dans le fond, gardons cette idée du nous,
13:13 dans le sens simple du terme.
13:15 Pour moi c'est, alors soyons clairs quand même,
13:17 dans mes derniers livres, pas dans celui-ci,
13:19 mais dans mes derniers livres j'en parle,
13:20 c'est le retour dans le vrai sens du terme
13:24 d'une belle conception catholique du monde.
13:28 Je vous prie de m'excuser cher ami,
13:30 le vrai catholisme traditionnel de mon point de vue,
13:32 - Oui, le catholique traditionnel du monde.
13:33 - Voilà, je ne vais pas aller dans le détail,
13:35 je ne vais pas aller dans le détail,
13:36 mais disons quelque chose où dans le fond
13:38 il y avait cette idée de la communauté fondamentalement,
13:41 et que dans cette idée de la communauté,
13:44 eh bien la finitude avait sa part,
13:46 on n'avait pas peur de la mort, on savait la ritualiser,
13:49 je ne sais plus dans lequel de mes livres sur les affoulements,
13:51 je montre comment à Poitiers il y a Notre-Dame de la bonne mort,
13:55 à l'abbaye de Font-Gorbeau il y a Notre-Dame du bien mourir,
13:58 vous voyez, c'est-à-dire non pas la dénégation de la finitude,
14:00 mais comment on va ritualiser cette finitude,
14:04 et ça c'est la belle idée catholique, pour le dire simplement,
14:07 et il me paraît que, puisque c'était ça votre question,
14:10 qu'est-ce qui fait que le pouvoir public,
14:12 ou je ne sais plus le terme que vous avez appelé,
14:13 - Oui, c'est le recours à la violence légitime de l'État.
14:17 - La violence légitime, bon c'est une bonne,
14:19 moi je trouve que c'est bien cette idée-là,
14:21 ne me chagrine pas, je dois vous avouer,
14:23 mais disons que c'est cet État qui ne représente plus rien,
14:28 qui n'est plus en phase,
14:31 excusez-moi je serais un tout petit peu sociologue,
14:34 moi qui n'aime pas trop la sociologie,
14:37 mais quand on voit les processus d'abstention actuellement,
14:40 dans quelque élection que ce soit,
14:42 53% d'abstention, 84% des jeunes de 18 à 34 ans qui ne votent pas,
14:49 les 3 ou 4 millions de non-inscrits sur les listes électorales,
14:54 les votes blancs, les votes nuls,
14:56 un élu, un président ou un député représente 10% de la population,
15:00 c'est ça le vrai problème,
15:02 on n'est plus dans la représentation,
15:04 et donc du coup, c'est parce qu'il n'y a plus de représentation
15:08 qu'il y a ces formes exacerbées de la violence,
15:11 puisque je ne me reconnais plus dans ce qui sont censés me représenter,
15:15 et le processus que je viens de dire est assez important,
15:18 cela ne peut qu'aboutir à des expressions à côté,
15:23 on va s'exprimer non plus dans le vote, mais dans la violence,
15:27 qui là est une violence immétrisée,
15:31 et c'est ce qui hérite de se développer.
15:33 – Qu'est-ce qui différencie l'usage de la violence
15:36 par un État dit démocratique comme le nôtre,
15:39 de celle d'un État autoritaire ?
15:43 – Vous savez, il faudrait des longs développements
15:46 que je ne peux pas faire ici,
15:47 pour moi je dois vous avouer cher ami
15:48 que c'est la fin de l'idéal démocratique,
15:51 il faut accepter cette idée-là,
15:52 c'est une grande dame de la pensée qui est Anna Arendt
15:55 qui avait montré que l'idéal démocratique
15:57 s'élaborait sur ce que je viens de dire,
15:59 j'ai une représentation philosophique, un ensemble d'idées,
16:02 j'arrive à vous convaincre, vous me donnez votre voix,
16:05 c'est la représentation politique,
16:06 pour les raisons que j'ai dites, il n'y a plus ces représentations,
16:09 le pouvoir actuel n'a plus d'idées,
16:11 donc du coup il y a cet absentionnisme etc.
16:14 Et que donc du coup, c'est un peu délicat ce que je vais dire,
16:17 mais que ce n'est plus l'idéal démocratique qui est en jeu,
16:20 il n'y a plus de démocratie,
16:21 on continue à parler de démocratie, démocratie, démocratie,
16:24 pour les raisons que je viens de vous dire,
16:26 très concrètement, ce n'est plus tout à fait le cas.
16:28 Et donc du coup, ben voilà, il y a un retour à,
16:32 peut-être à des régimes autoritaires, moi qui ne me gêne pas,
16:35 "autoritas" en latin, ça veut dire "ce qui fait croître",
16:39 donc voilà, peut-être que la démocratie a été ce qui a caractérisé la modernité,
16:43 17ème, 18ème, 19ème,
16:46 et ça s'est effiloché à partir du 20ème siècle, du siècle précédent.
16:50 Et là, actuellement, on est dans un de ces moments
16:52 où on pressent qu'est en train de s'achever quelque chose, une époque,
16:56 donc la démocratie,
16:57 on ne sait pas très bien ce qui va prendre la suite,
17:00 ça malbuffe,
17:02 mais n'ayons pas peur des mots, peut-être que l'idée de...
17:05 Alors bien sûr, en français, "autoritarisme", c'est embêtant,
17:08 ça a une connotation...
17:09 – Oui, on pense à Xi Jinping, enfin les journalistes nous disent
17:12 qu'on pense à Xi Jinping, à Poutine...
17:13 – Exactement, voilà, mais il se trouve qu'il y a là, peut-être,
17:16 moi je ne connais pas la Chine, mais il y a là,
17:18 pour ceux qui concernent la Russie, des éléments non négligeables
17:21 qui sont en jeu, qui ne sont pas simplement...
17:24 Ce qui fut un bel...
17:25 L'idéal démocratique, ce fut une belle idée,
17:27 moi je ne dis pas ça, je ne dis pas le contraire,
17:29 mais peut-être faut-il revenir à ce qu'était, je dirais,
17:32 la démocratie dans son sens original,
17:34 qui était très autoritaire, dans la CT grecque, par exemple,
17:38 les métèques ne votaient pas, par exemple, enfin bon...
17:40 – Les femmes non plus.
17:41 – Les femmes non plus, de surcroît, bon, il y a des quantités...
17:44 Peu importe, vous voyez, c'est-à-dire que,
17:46 quelque chose qui fait qu'il faut repenser ce qui est en jeu actuellement,
17:50 et il ne faut pas se contenter de la bien-pensance, en gros.
17:54 – Vous dites que le son va couler, Michel Maffesoli,
17:56 mais est-ce que notre société a besoin de ce recours à la violence
18:02 pour faire accoucher de ce qui va arriver après ?
18:05 – C'est toujours délicat, je n'aurais pas dû dire ce que je viens de dire, mais...
18:09 [Rires]
18:11 Disons que chaque fois qu'il y a un changement d'époque,
18:14 oui, il y a des formes de violence sanglantes, c'est vrai.
18:17 – Mais pourquoi est-ce obligatoire d'en passer par là ?
18:20 – Parce qu'il y a, à un moment donné, un décalage très fort
18:23 dont on vient de parler,
18:24 entre ceux qui sont censés représenter le peuple et le peuple lui-même.
18:28 Le peuple ne se reconnaissant plus là,
18:30 à ce moment-là, il y a ces processus d'insurrection,
18:33 un de mes livres s'appelle "L'ère des soulèvements",
18:35 je pense qu'on va rentrer dans l'ère des soulèvements, voilà.
18:38 Tout simplement parce qu'on ne se reconnaît plus
18:41 dans ceux qui sont censés représenter, tel que je l'ai dit tout à l'heure.
18:44 Alors, faut-il employer l'expression que j'ai dit à l'instant ?
18:48 Pas forcément, mais enfin, disons qu'il va y avoir des insurrections,
18:52 des révoltes, des soulèvements multiformes,
18:55 ne faisant que traduire en quelque sorte
18:57 qu'on ne se reconnaît pas dans la théâtralité,
19:00 la théâtralisation de ceux qui ont actuellement le pouvoir.
19:04 Et donc, de plus en plus, ça va se faire soit par l'abstention,
19:06 soit par les soulèvements, voilà.
19:08 Qu'est-ce que ça va... Je ne suis pas prophète, donc qu'est-ce que cela va donner ?
19:12 Je n'en sais rien, mais j'observe que chaque 4 siècles,
19:15 quand s'achève une époque,
19:17 quand il y a cette déconnexion entre les élites et le peuple,
19:20 immanquablement, il y a toujours des formes d'insurrection, de soulèvement...
19:25 – C'était quoi la précédente... – Avant la Révolution française.
19:28 – Oui, donc tous les 200 ans, alors.
19:30 – Oui, c'est un peu plus, 1789, bon, ça fait un tout petit peu plus,
19:35 mais il y a des hésitations quand les historiens, les philosophes disent 3, 4 siècles,
19:40 enfin peu importe en la matière, vous voyez.
19:42 Mais disons, une époque, vous voyez, c'est ça quand même, ça dure 3, 4 siècles.
19:46 Mais avant, c'était ce qui s'est passé avec la réforme protestante,
19:50 qui a été aussi une violence, la guerre des 30 ans, par exemple,
19:53 et toutes ces guerres religieuses qui ont eu lieu en Europe,
19:56 on le sait, qui n'est pas négligeable,
19:57 et très précisément à partir de la réforme protestante.
20:00 Voilà une des coupures, on pourrait s'amuser à trouver des quantités de coupures de cet ordre.
20:03 La décadence romaine fut quelque chose de cet ordre,
20:07 les grouillements à la fin du Moyen-Âge avant la Renaissance, c'est pareil.
20:11 Enfin voilà, on pourrait trouver, moi je ne suis pas historien,
20:13 mais on pourrait trouver des quantités d'autres exemples
20:16 qui montrent bien que quand il y a une déconnexion entre la technostructure,
20:21 la bureaucratie, pour nous actuellement, ceux qui nous dirigent,
20:24 et le peuple, on a peur du mot "peuple", on dit du populisme, c'est amusant,
20:30 mais non, le peuple c'est Saint Thomas d'Alcuin, "Aumnis autoritas, sapopulo",
20:34 toute l'autorité vient du peuple.
20:36 Et quand il y a une déconnexion entre le peuple et le pouvoir,
20:40 eh bien il y a des formes d'insurrection.
20:42 D'ailleurs Saint Thomas le montre bien,
20:43 il dit quand justement il n'y a plus cette représentation,
20:46 dans la Somme théologique, il parle de la nécessité de l'insurrection.
20:51 – Donc l'homme ne doit pas renoncer à la violence,
20:55 il ne doit pas chercher à renoncer à la violence.
20:57 – J'ai bien dit depuis tout à l'heure, la violence ça ne sert à rien de renoncer à elle,
21:01 il faut voir comment on la gère, c'est tout.
21:05 Alors j'ai dit vulgairement, comment on se dépatouille par rapport à ça,
21:10 comment on s'empurge, comment on trouve les rituels,
21:14 il faut la ritualiser la violence.
21:16 – Comment ?
21:17 – Je ne sais pas, moi par exemple, je le disais à la fin du Moyen-Âge,
21:21 ce qu'était le carnaval, la fête des fous,
21:25 les fêtes d'inversion dans le quartier latin où j'habite,
21:27 il y avait une inversion,
21:30 l'évêque devenait le vicaire, le professeur devenait l'étudiant,
21:36 l'étudiant devenait le… mimé, avec des formes de violence homéopathisées,
21:43 mais mimé quelque chose qui était une inversion.
21:46 Une expression que l'on a en français, auquel on ne prête pas attention,
21:50 le duel au premier sang,
21:52 c'est-à-dire qu'il y avait duel pour marquer cette violence qu'il y a entre vous et moi,
21:58 une bagarre quelconque, le sang avait coulé, l'honneur était sauf.
22:02 Vous voyez, le duel au premier sang traduit bien en quelque sorte
22:04 ce que j'appelle cette gestion d'une violence ritualisée.
22:07 – Mais la violence c'est parfois pour le meilleur ou pour le pire,
22:10 par exemple quand on imagine, quand on repense à la Révolution française
22:14 ou à la Révolution culturelle en Chine,
22:15 quand les étudiants chinois remettaient en cause
22:19 ce que leur racontait leur professeur.
22:22 – Oui, mais voyez-vous, la Révolution française,
22:24 moi je fais toujours une distinction entre la Révolution française et la terreur.
22:29 C'est-à-dire qu'il y avait quelque chose qui faisait
22:31 qu'on ne se reconnaissait plus dans l'ancien régime,
22:33 et au début d'ailleurs le roi a été très nuancé, Louis XVI à ce moment-là.
22:38 – Oui, il y avait encore beaucoup de français
22:41 qui croyaient au bienfait de la monarchie, qui aimait leur roi.
22:46 – J'entends, et la royauté ce n'était pas rien d'ailleurs,
22:49 d'une certaine manière, en plus d'un titre.
22:51 – Oui, et un équilibre qui n'était pas négligeable.
22:54 Mais peu importe, il s'est trouvé qu'il y avait cette déconnexion,
22:57 mais au début de la Révolution française,
22:59 c'était quelque chose qui exprimait cette insatisfaction.
23:04 La terreur c'est autre chose, ça devient là totalitaire à ce moment-là.
23:07 Il faudrait qu'on fasse là une distinction,
23:09 très précisément pour la Révolution française,
23:12 on ne peut pas parler de la Révolution française en son entier.
23:15 1792, là il y a quelque chose qui va être ce sur quoi a vécu
23:19 par après la bourgeoisie, qui s'est servi du peuple
23:21 pour aller au pouvoir, en quelque sorte.
23:23 C'est le développement du capitalisme,
23:25 c'est le développement de l'argent, etc.
23:27 Mais ça c'est tout à fait une récupération de la violence.
23:32 – Est-ce qu'Emmanuel Macron a aujourd'hui un rôle,
23:35 en tout cas un rôle dans la mauvaise gestion de cette violence dans la société ?
23:41 – Oh, vous savez, vous m'embêtez de parler d'Emmanuel Macron,
23:45 j'ai dit ce que j'avais à dire de lui dans divers de mes livres précédents.
23:49 Platon, dans "La République",
23:54 quand il montre comment la démocratie est en dégénérescence,
23:57 il dit "ce qui va triompher c'est la théatrocratie".
24:01 Et je me suis appuyé sur ce mot de Platon pour dire
24:04 qu'actuellement c'est exactement cela,
24:06 c'est-à-dire que notre président est un théâtreux,
24:08 il fait de la théâtralisation, il n'a rien à dire donc il le dit.
24:13 C'est ce grand théoricien qui est Raymond de Vosges qui dit
24:16 "quand j'ai rien à dire, je veux que ça se sache".
24:18 Et quand on entend un discours du président, bon, qui est un énarque,
24:23 chez moi dans mon petit village on dit "il est instruit et pas intelligent".
24:29 – Il a l'ait tout polriqueur.
24:31 – En gros, c'est une fausseté, moi j'ai eu l'occasion,
24:35 il m'a convoqué deux fois d'aller discuter avec lui
24:38 et je lui ai rappelé ce qu'il avait fait des kilos de mes étudiants
24:42 quand ils étaient, certaines de mes filles,
24:44 quand elles étaient auprès d'un éditeur, assistant éditorial.
24:48 Voyez, c'est-à-dire regarder les notes de Badpal pour voir si ça colle etc.
24:52 Et dans l'offront, il a été assistant éditorial sur un livre de Ricœur.
24:56 On a traduit ça comme étant assistant de Ricœur,
24:59 c'est un scandale absolu, c'est un mensonge.
25:01 Voilà la théâtrocratie, voilà, voilà.
25:04 Donc c'est un autre développement cela.
25:06 Mais à mon avis, la position de notre président,
25:09 et pas que de lui, par tous ceux qu'il génère, etc.
25:13 s'inscrivent dans cette théâtralisation du monde.
25:16 Le problème d'un théâtre, c'est que tant que ça marche, ça marche.
25:21 Si c'est pas bon, on siffle.
25:22 Voilà, et à mon avis…
25:24 – On envoie les tomates.
25:25 – Voilà, par exemple, je disais siffle pour dire être assez gentil,
25:28 mais ça peut être tomate ou autre chose, peu importe.
25:31 Et alors, moi c'est un peu ce qui est en train de se passer,
25:33 au-delà du président actuel,
25:35 il y a une classe au pouvoir, une élite au pouvoir
25:39 qui fait de la théâtralité,
25:41 mais le théâtre devient de plus en plus mauvais.
25:43 Donc ça risque, encore une fois, de saigner.
25:46 – Emmanuel Macron avait d'ailleurs failli être pris par une bande,
25:51 juste avant le confinement,
25:54 qu'il voulait s'en prendre à lui physiquement,
25:55 il était dans un théâtre à ce moment-là, en tout cas.
25:57 Merci Michel Maffesoli, votre ouvrage "Essai sur la violence"
26:01 à retrouver comme d'habitude sur la boutique de TVL.
26:03 Merci monsieur.
26:04 – Merci Pierre.
26:05 [Générique]

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