Historien, Vincent Lemire est aussi l'auteur de la bande dessinée "Histoire de Jérusalem", 4.000 ans d'histoire racontée pour la première fois en BD aux éditions Les Arènes. Un ouvrage qui permet de comprendre les origines du conflit (traduit en arabe et en hébreu).
Regardez L'invité de RTL du 24 novembre 2023 avec Amandine Bégot.
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00:06 7h42, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin l'historien Vincent Lemire.
00:12 Vincent Lemire, je le disais, vous êtes sans doute l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire d'Israël et de la Palestine. Vous avez dirigé le
00:17 Centre de recherche français à Jérusalem, signé plusieurs ouvrages de référence, dont cette BD
00:21 "Histoire de Jérusalem" qui cartonne, on le disait, en librairie 80 000 exemplaires vendus. Et c'est cette semaine, j'ai regardé ça hier,
00:27 la septième bande dessinée la plus vendue en France, toujours confondue, ce qui est quand même pas mal pour une BD historique.
00:33 Cette trêve entre Israël et le Hamas, elle a débuté il y a un peu moins de deux heures maintenant, à 6h heure française.
00:40 Est-ce que vous avez bon espoir de voir les premiers oeuvres de tâches libérées comme prévu cet après-midi vers 15h ?
00:47 Oui, oui, et d'autant plus qu'elle a été reportée de 24 heures, ce qui est plutôt bon signe d'une certaine manière, ça veut dire que tout
00:52 le monde est sérieux.
00:53 Des deux côtés, les listes ont été vérifiées,
00:57 croisées, etc.
00:58 La branche politique du Hamas au Qatar, qui est en fait celle qui a négocié, a dû aussi communiquer avec sa branche militaire
01:05 dans la bande de Gaza, ce qui n'est pas simple, parce que les réseaux fonctionnent pas bien, parce que la branche militaire n'a pas trop envie
01:11 d'être appelée sur des portables classiques, on va dire, pour ne pas être géolocalisée.
01:16 Voilà, tout ça a été compliqué, mais le fait que ça a été reporté plusieurs fois, que finalement ça intervienne un vendredi, ce qui est un peu
01:22 contre-intuitif pour tous les observateurs, c'est pour ça que tout le monde pensait que ce serait hier, parce que le vendredi c'est le jour de la
01:27 grande prière pour les musulmans, c'est le shabbat juif qui va arriver dans quelques heures.
01:32 On annonce d'ailleurs une libération au cours d'après-midi, c'est-à-dire dans des moments, voilà, qui sont encore une fois plutôt
01:36 contre-intuitifs pour des spécialistes de la région.
01:39 Et tout ça me rend en fait plutôt optimiste, justement, ça veut dire que tout le monde est sérieux et que tout le monde y a intérêt,
01:45 c'est ça le plus important. Et comme tout le monde y a intérêt,
01:47 a priori ça va tenir, sauf ceux qui n'y ont pas intérêt, c'est-à-dire par exemple quelques
01:52 groupuscules qui essaient de concurrencer le Hamas dans la bande de Gaza, qui vont essayer, entre guillemets, de la torpiller, sans jeu de mots,
01:57 mais qui n'y arriveront pas, parce que les Israéliens connaissent le jeu dans ces cas-là et ça tiendra.
02:02 - Donc vous êtes, Vincent Lemire, plutôt optimiste, pas de ceux qui disent tant qu'ils ne sont pas là, tant qu'on ne les voit pas, ce n'est pas fait ?
02:09 - Alors, bien sûr, si, si, enfin je veux dire, il peut y avoir...
02:13 - Il faut toujours rester prudent malgré tout.
02:15 - Oui, mais de même, tant que la trêve n'a pas démarré, c'est vrai qu'on est dans des moments hyper fragiles, hyper suspendus.
02:21 De l'autre côté, il faut que les prisonniers palestiniens sortent, ça c'est a priori un peu plus sous contrôle.
02:27 Non, encore une fois, le fait que ça a été compliqué
02:32 me donne à penser que c'est d'autant plus solide.
02:36 - Les otages, c'est la clé de cette crise et ça vous le dites quasiment depuis le début, d'ailleurs.
02:41 - Depuis le 8 octobre, ça change tout, ça a changé tout le 8 octobre, c'était un tournant dans le conflit, on n'a jamais vu autant d'otages, voilà.
02:49 Vous vous souvenez, Gilad Shalit, franco-israélien, qui a été libéré pour 1000 prisonniers palestiniens, un pour 1000.
02:56 Donc on a tout de suite compris que 240, ça changeait tout.
02:59 Là, c'est pas un pour 1000, c'est un pour trois, parce qu'on n'est pas du tout dans le même ratio, c'est un peu macabre de dire tout ça, mais voilà, c'est comme ça.
03:08 Donc les otages, ça a changé tout le 7 octobre, la libération des otages, ça peut aussi être un tournant,
03:13 un tournant politique en Israël, parce qu'on voit que les extrêmes droites israéliennes sont en train un peu de se corneriser sur le sujet,
03:18 un peu voire beaucoup.
03:21 - Elles poussent pas pour la libération, pour être très clair.
03:24 - Non seulement elles poussent pas, mais elles ont voté contre le deal a priori,
03:27 ce qui les cornerise complètement au sein du gouvernement, on est à deux doigts de la sortie là quand même.
03:32 Et à la limite, ça c'est le jeu de Netanyahou, c'est pas le plus important, ça les cornerise vis-à-vis de l'opinion publique israélienne,
03:38 même les gens de droite, etc. Il y a quand même un consensus qui s'était fait,
03:41 on fait tout pour libérer les otages, et puis sur les chefs du Hamas, on les aura ensuite.
03:48 Donc ça c'est des effets, c'est ce que j'appelle les russes de l'histoire, là c'est l'historien qui parle,
03:53 c'est-à-dire des choses qui peuvent être choquantes sur le plan moral,
03:55 là la négociation de ces derniers jours, on négocie...
03:58 - On négocie avec un groupe terroriste quand même, faut être très clair.
04:00 - On le savait dès le 8 mai, à Doha, les services israéliens sont à Doha depuis toujours,
04:04 la branche politique du Hamas est à Doha, et dès le 8 au matin ils ont commencé à se parler.
04:08 Ça nous on le savait, on pouvait difficilement le dire publiquement, parce que ça semblait horrible,
04:14 et peut-être pour les gens qui nous écoutent ça peut être contre-intuitif,
04:16 mais en fait on ne négocie jamais qu'avec ses ennemis.
04:19 - Donc ça change la donne Vincent Lemire, sur la scène politique en Israël,
04:24 ça change la donne dans la discussion avec le Hamas, puisque discussion il y a.
04:28 Si je pousse votre raisonnement plus loin, ça change la donne dans ce conflit ?
04:32 Est-ce qu'on peut voir cette trêve durer, au-delà des 4 jours,
04:36 est-ce que ça peut déboucher sur enfin une vraie solution politique par exemple ?
04:40 - Alors ça change la donne aussi pour le Hamas, parce qu'il marque des points,
04:43 les prisonniers palestiniens c'est le consensus palestinien.
04:47 Alors là vous pouvez être Hamas, Fatah, OLP, jeunes, vieux, islamistes, laïcs,
04:53 les prisonniers, il y a pratiquement 7000 prisonniers palestiniens en Israël,
04:57 toutes les familles attendent des prisonniers.
05:00 Donc quand on fait libérer des prisonniers, on marque des points.
05:02 - Donc ça rebooste le Hamas en fait ? - Complètement !
05:04 Et ça rebooste aussi sa branche politique.
05:07 Alors encore une fois, les gens qui nous écoutent peuvent être un peu secoués,
05:10 il faut leur dire que le Hamas c'est un mouvement hyper compliqué,
05:15 c'est une branche politique, c'est une branche militaire.
05:17 Après tout, le Hezbollah, à une époque, on a considéré que la branche militaire,
05:21 c'était des terroristes, et que la branche politique,
05:23 ce n'est pas des gens extrêmement forcément fréquentables,
05:26 mais ce n'empêche que c'est une branche politique et donc on peut leur parler.
05:29 Au sein même des appareils de sécurité israéliens,
05:31 ceux qui sont sérieux, je veux dire, pas Netanyahou et les quelques pyromanes autour
05:35 qui disent "on va transformer la bande de Gaza en terrain de foot", je cite,
05:39 ceux qui sont sérieux, qui savent que 2,3 millions de personnes,
05:42 on ne pourra ni les faire sortir vers l'Egypte, parce que l'Egypte ne veut pas,
05:45 ni en fait les faire mourir parce que l'opinion publique mondiale ne l'acceptera pas,
05:50 donc il faudra bien gérer cette bande de Gaza.
05:52 Les états arabes, a priori, ne sont pas super partants,
05:54 des casques bleus, on oublie toujours de dire que des casques bleus,
05:57 c'est des nations en fait, ils doivent envoyer des gens,
05:59 il n'y a pas de casque bleu de métier.
06:02 Donc il faudra bien une entité politique.
06:04 Même Mahmoud Abbas a un éclair de lucidité en disant
06:07 "mais moi je ne vais pas arriver dans le coffre des chars israéliens".
06:12 Voilà, le Hamas, vous voyez, le Hamas, il peut changer de nom, il peut...
06:17 Il y a des gens sur place qui peuvent se reconfigurer
06:21 et qui peuvent en fait prendre aussi leurs responsabilités
06:24 et essayer d'envisager la suite, l'avenir,
06:26 peut-être aussi avec des gens sérieux, crédibles et pragmatiques.
06:29 - Mais la suite c'est quoi ? La solution à deux états, forcément ?
06:32 - La suite, alors moi je suis un indécrottable optimiste,
06:34 mais bon, ça fait 25 ans que je bosse là-bas, donc je suis un peu obligé.
06:39 Oui, bien sûr, deux états. Un état c'est quoi ? C'est une entité...
06:41 - Mais on peut faire, on peut aboutir à une solution politique à deux états
06:46 après ce qui s'est passé le 7 octobre ?
06:47 - Oui, moi je ne sais pas, je veux dire, ça peut...
06:51 Pareil, le 8 octobre c'était compliqué à dire,
06:53 mais je veux dire, après des massacres, ça peut même...
06:55 Moi je parle beaucoup avec des amis israéliens, avec des amis palestiniens,
06:58 on est arrivé à un tel niveau dans l'orgie d'horreur, etc.,
07:01 que de façon un peu paradoxale aussi,
07:04 ça traumatise et ça crée aussi des espèces d'électrochocs.
07:06 Genre, mais là on ne peut pas aller plus loin, quoi.
07:08 Donc c'est assez bizarre, c'est ce que je dis,
07:10 c'est que quand on arrive au bord du precipice,
07:12 à la fois on est dans une situation...
07:15 Mais ça peut créer des choses dans l'opinion publique, etc.
07:19 Et on le voit même chez Biden, chez Blinken,
07:21 je veux dire, c'est sérieux ce qu'ils ont fait quand même.
07:22 C'est pas Blinken, six aller-retours sur place, Biden, etc.
07:26 Donc il y a aussi dans la communauté internationale,
07:28 j'hésite à dire ce mot parce qu'il est presque devenu complètement vide de sens,
07:32 mais là on a une forme d'inconscient...
07:33 - Une prise de conscience.
07:34 - Ouais, de sincérité je trouve dans les prises de parole.
07:36 - Dernière question Vincent Lemire,
07:38 est-ce qu'il y a dans l'histoire d'Israël et de la région
07:40 des moments comparables à ce qu'on vit aujourd'hui,
07:42 en possibilité de bascule dans un sens ou dans un autre ?
07:45 - Non, il n'y a aucun précédent.
07:47 Ça, dès le 10, moi j'ai essayé de recaler ça,
07:49 et pour ça j'ai dit on est dans le cinquième acte du conflit israélo-palestinien.
07:52 Dans la tragédie grecque, le cinquième acte c'est l'acte du dénouement, on dit.
07:56 Non, c'est pas une guerre conventionnelle entre États,
07:58 ça c'est ce qu'on appelait le conflit israélo-arabe.
08:00 C'est pas des alternances d'intifada et de négociations avec l'OLP comme pivot,
08:04 ça c'est les années 1980-2010 on va dire.
08:07 Là on est dans autre chose.
08:08 Pardon de le dire, mais c'est le Hamas qui sera le pivot de la séquence prochaine.
08:15 C'est sans doute les extrêmes-droites israéliennes aussi,
08:17 mais parfois la paix arrive par des chemins très très compliqués.
08:20 La paix entre l'Égypte et Israël, elle a été faite par un gouvernement très très à droite,
08:24 et un ancien terroriste, pardon, mais Yitzhak Shamir,
08:28 qui dans sa jeunesse posait des bombes on va dire, avait ce moyen-là.
08:33 Et puis de l'autre côté par Sadat qui venait de faire une guerre surprise contre Israël.
08:39 Donc la paix, elle peut arriver par des moyens très détournés,
08:41 et ça c'est l'histoire et c'est l'historien qui peut le raconter.
08:45 Et c'est à retrouver dans cette BD et dans cette bande dessinée.
08:47 Merci beaucoup Vincent Lemire.
08:48 Je rappelle le...