«Thèse, antithèse, foutaise»

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Chaque mardi, mercredi et jeudi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Gaspard Proust livre son regard sur l'actualité.
Retrouvez "Gaspard Proust - Les signatures d'Europe 1" sur : http://www.europe1.fr/emissions/gaspard-proust-les-signatures-deurope-1

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Transcription
00:00 Mais d'abord Sacha Houllier, merci à vous d'être resté pour écouter Gaspard Proust. Bonjour Gaspard.
00:04 Bonjour à tous. Merci d'être resté monsieur le député. Vraiment c'est plus qu'un honneur, c'est une joie.
00:09 Mais que se passe-t-il ? Vous êtes d'une différence ce matin ?
00:12 C'est normal parce que ce matin il faut faire bonne figure et ce matin on reçoit plus qu'un député de la République,
00:16 on reçoit potentiellement mon bienfaiteur.
00:18 Votre bienfaiteur ?
00:19 Oui. Vous savez que l'homme que nous recevons ce matin porte la future loi sur l'immigration.
00:23 Oui et ?
00:24 Il ne nous aura pas échappé que je suis un étranger et que de deux j'exerce, du moins j'essaye modestement,
00:29 le métier d'humoriste qui fait partie des métiers en tension.
00:31 Ah comment ça ?
00:32 Oui donc si vous voulez, moi ce matin je ne suis pas une matinale mais un guichet de régularisation.
00:36 Le métier d'humoriste métier en tension ?
00:40 Mais Dimitri pourquoi vous croyez que je vais sur des thématiques tendues ?
00:42 C'est parce que les humoristes autochtones ne veulent pas faire le sale boulot
00:45 donc on importe du temps de parole étranger pour traiter les thèmes subalternes.
00:49 Moi au fond je ne suis qu'un plongeur clandestin dans un boui-boui de la blague,
00:52 moi je suis un éboueur de l'actualité pas bon à dire.
00:55 Moi je suis le gars qui attrape la poubelle, qui la fout devant le nez des français
00:58 et qui dit "regarde t'as encore oublié, on avait dit plastique poubelle jaune, le reste poubelle verte".
01:02 Parce que vous savez les humoristes de souche, comme ils veulent garder les bons articles,
01:05 passer pour des belles âmes, qui méprisent tous ceux qui ne votent pas l'extrême gauche,
01:09 donc à peu près 80% des français, ils prennent des immigrés comme moi pour faire le sale boulot.
01:13 Allez vas-y, bico blanc, va divertir toi la France qui pue.
01:16 On est des mercenaires Dimitri, on est des Kadirov de l'actu.
01:19 Si vous le saviez ce racisme entre humoristes étrangers et des humoristes de souche.
01:23 Non mais vraiment c'est ça la situation ?
01:24 Mais bien sûr, la vérité c'est que moi je suis un gars des favelas de Bratislava.
01:28 C'est pour ça que je fais un effort pour être propre et habillé.
01:30 Eux comme c'est des nantis, ils peuvent se permettre de ressembler à des couveuses de punaises de lit pour faire proche du peuple.
01:35 Puis moi je veux pas faire chialer des potrons minets, mais moi dans l'humour, j'ai pas de diplôme.
01:40 Moi je suis un Marco Mouli de la blague, j'ai pas fait moi l'ENA du rire.
01:43 L'ENA du rire, ça existe ?
01:45 Mais bien sûr ça existe, on est pas loin, tu longes la Seine-Verlais, c'est rive droite,
01:48 encore une appropriation culturelle, tu peux pas louper c'est le bâtiment le plus moche.
01:51 C'est le truc qui s'appelle Radio 1000 bassines, l'ENA du rire.
01:55 Ils sont en boucle sur deux sujets, la planète à l'extrême droite, passion Hitler et toilettes sèches.
01:59 C'est l'empreinte carbone dans le ciel, l'empreinte de Marine Le Pen dans le sol.
02:03 J'aurais tellement aimé avoir le niveau pour intégrer ce constat constitutionnel des sages de la blague.
02:07 Parce qu'une fois que t'es là-bas, t'as un statut, t'es fonctionnaire, t'as un droit opposable au rire gratuit.
02:12 Même si t'es pas, t'sais, t'es un pourparrain, Elise Lusset, the sky is the limit.
02:16 - Bon, vous vous assignez qu'il y a un concours pour entrer là-bas.
02:19 C'est Radio France, Radio 1000 bassines, je crois que j'ai pas compris.
02:22 - Je sais pas. - Non, je précise. - C'est super exigeant.
02:25 Le grand oral de Radio 1000 bassines. - Qu'est-ce que c'est ça, le grand oral ?
02:28 - C'est en trois parties, thèse, antithèse, foutaise.
02:31 Thèse, en général, c'est pour frapper fort, marquer le jury.
02:34 L'idéal, c'est de commencer par de la blague pédophile.
02:36 - Ah oui ? - Ah oui, rien de tel qu'une bonne blague pédophile pour choquer sans prendre de risques.
02:40 Les blagues pédophiles, c'est le subversif à la portée des caniches.
02:43 Je sais, j'en ai fait d'antan, j'ai arrêté, j'avais 30.
02:45 Parce que bon, comme tu sais que l'enfant victime, bon déjà, il a des chances qu'il soit mort, donc il va jamais venir se plaindre.
02:49 Et bon, le pédophile, dans son intérêt, c'est de rester discret, donc t'es tranquille.
02:52 Donc tu vois, soit tu commences par l'histoire d'un ch'ti qui se tape sa cousine,
02:55 ou encore mieux, curé qui se tape un enfant de coeur.
02:57 Ça, c'est la vanne compte double, parce qu'en plus tu prouves que t'oses t'attaquer à l'église.
03:01 Là, t'en as dans le slip. Là direct, le jury, il part sur une première impression positive.
03:05 - Alors ça, c'est intéressant. L'antithèse, maintenant. - L'antithèse, c'est simple.
03:08 Une fois que t'as montré que tu savais être subversif, pour équilibrer, tu enchaînes en te foutant de la gueule de ton propre physique.
03:13 En général, les plus doués, ils ont toujours trop de matière.
03:15 Et puis, tu meubles avec de la turpitude d'intermittent, passionné par la bière, le shit, les MST.
03:20 Idéalement, si en plus t'arrives à placer un fond zoophile à ton autobiographie comique, ça commence à sentir le major de promo.
03:27 - Bon, et enfin, la foutaise, alors. - La foutaise, comme tu sais que t'as raconté que des trucs inutiles et que t'es un peu honte.
03:31 Bah, pour te rattraper, tu pousses un grand cri de colère sur la misère, la pauvreté, le retour du fascisme.
03:36 Ou alors, grand classique contemporain, le 49-3, c'est pas bien, ça permet d'enchaîner sur "ah mais Borne, c'est Pinochet".
03:42 Bon, entre nous, 49-3, c'est un truc qui est dans la Constitution, mais bon.
03:46 Faut bien comprendre que pour les polytechniciens du rire, la démocratie véritable ne commence qu'avec la dictature du prolétariat.
03:52 Tu balances tout ça, t'es major de promo, t'es le Alain Juppé de la blague, bam !
03:56 - Quelle démonstration. - Vous avez vu ça ? Et encore, je parle pas de l'ambiance du concours.
04:00 - C'est-à-dire ? - Bah t'es pas seul, quoi. T'as des gens pour t'encourager.
04:03 Tu vois, c'est vraiment, si t'as autour de la table, des gens qui arrivent à imiter le cri d'un corbeau qui a la chiasse.
04:07 Parce qu'il faut toujours un écran, tu vois. Et c'est ça que j'apprécie ici, c'est que ça rit pas trop, tu vois.
04:11 Du coup, j'ai vraiment l'impression d'être dans un effort un peu viril.
04:14 Les politiques, ils sont là, faut pas qu'ils aient l'air de cautionner.
04:17 Je suis un homme d'État, je reste digne, c'est mon austéritis intérieur, tu vois.
04:20 Et je sens bien qu'Anissa, elle fait jamais semblant, tu vois.
04:23 Je sens bien dans son regard, certains matins, il a déjà été meilleur.
04:26 Je sens bien cette ambiance un peu de malaise glacial, élaborue, tu vois.
04:29 J'ai l'impression de faire la cascade de glace en t-shirt, les deux piolets en équilibre, en train de visser la broche, là.
04:34 Mais bon, sans avoir l'impression d'avoir une perruche qui a la tourista sur l'épaule.
04:37 Donc c'est quand même plus agréable.
04:38 - Bon, vous avez si peur que ça de vous faire expulser de France.
04:40 - Vous imaginez si je me fais reconduire en Suisse ?
04:42 Un pays du plein emploi, des hauts salaires, où règnent la sécurité et la fiscalité douces.
04:46 Mais j'aurais rien à raconter là-bas.
04:48 Y'a aucun problème. Alors qu'ici, j'ai un rôle social.
04:50 - Un rôle social ?
04:51 - Mon rôle ici, Dimitri, c'est quoi ? C'est d'arriver à faire dire intérieurement aux gens qu'ils peuvent pas me blairer.
04:55 Quand je pense à Jasper Proust, je me dis qu'effectivement, l'immigration n'est pas toujours une chance.
04:59 "Ah, qu'est-ce que j'ai dit ? Je suis raciste ? Je suis mauvaise personne ?"
05:01 Et là, t'as envie de le prendre dans les bras et lui dire "Tu vois que tu peux le dire, mon biquet ? Tu vois que c'est possible ?
05:06 L'étranger que je suis te pardonne ton racisme systémique."
05:09 Allez, à demain, pour de nouvelles aventures médiatiques dans ce monde de cinglés.
05:13 - Et vous me passez votre dossier de régularisation ?
05:15 - Merci beaucoup.
05:17 - J'ai la moyenne.
05:18 - La vache ! - Chers Sonia !

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