La romancière Nina Bouraoui publie "Grand Seigneur" (JC Lattès) où elle raconte un texte singulier, émouvant, qui est l'un des plus attendus de cette rentrée littéraire, sur comment son père l'a construite. Elle est l'invitée de Léa Salamé.
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00:00 Et ce matin, Léa, vous recevez une écrivaine.
00:02 Bonjour Nina Bouraoui.
00:03 Bonjour.
00:04 Bienvenue sur Inter ce matin.
00:05 Si vous étiez un pays et si vous étiez un gros mot, vous seriez quoi ?
00:09 Un pays, je pense que je choisirais le pays de mon père qui n'est pas tout à fait le
00:13 mien finalement.
00:14 C'est un autre pays maintenant puisque je l'ai perdu et je zoomerai.
00:17 Je dirais la petite Kabylie, Gisèle et encore plus en zoomant cette petite île, Cavallo,
00:23 moi qui n'ai aucune photographie de mon père enfant.
00:25 Je sais qu'il y plongeait là-bas des rochers.
00:28 Donc ça voudrait dire que je garderais l'empreinte de l'enfance.
00:32 Du pays de votre père de l'Algérie, on va en parler dans un instant.
00:35 Si vous étiez un gros mot ?
00:36 Ah les gros mots, je peux dire « oh shit ».
00:39 Ah c'est joli.
00:42 C'est presque une douceur matinale.
00:45 Nina Bouraoui, les filles peuvent-elles vivre sans le regard de leur père ?
00:49 Je crois que c'est difficile.
00:51 On ne sait pas ce que la mort d'un père peut engendrer.
00:58 Alors évidemment, dans notre entourage, il y a des filles qui ont perdu leur père,
01:03 parfois assez jeunes.
01:04 Et on dit « je comprends ». Mais en fait, tant que ça n'est pas arrivé, on ne comprend
01:07 pas.
01:08 Un père, on pense que c'est la mère qui élève plus les enfants.
01:12 Mais non, un père laisse des traces, peut-être invisibles, mais qui sont extrêmement…
01:18 Je pense que mon père m'a construite.
01:21 La femme que je suis est une femme certainement, j'aime bien ce mot « virile », mais
01:28 parce que cette virilité, elle vient de mon père.
01:31 C'est tout ce que vous racontez dans ce livre « Grand Seigneur », ce livre singulier,
01:35 émouvant, qui est l'un des plus attendus de cette rentrée littéraire.
01:40 Le Grand Seigneur, c'est donc votre père, décédé l'an dernier, dont vous racontez
01:43 l'allure, la force, mais aussi les souffrances et les silences de cet homme que vous avez
01:47 tant admiré, qui vous a construite, comme vous dites, et qui est en train de mourir
01:51 dans le service de soins palliatifs de la maison médicale Jeanne Garnier.
01:54 Ça se passe sur une dizaine de jours, la dizaine de jours de ce qu'on appelle la
01:58 fin de vie.
01:59 Diriez-vous que c'est sans doute, je disais, l'un des livres les plus attendus de la
02:02 rentrée littéraire, et vous avez déjà des papiers partout, mais est-ce que vous
02:04 diriez que c'est l'un des livres les plus importants pour vous ?
02:06 Oui, je crois qu'il est le plus important parce qu'il s'est imposé à moi de façon
02:11 étrange lorsqu'on a accompagné mon père avec ma famille pendant cette dizaine de
02:17 jours dans son agonie.
02:19 Je crois que le plus vieux n'est pas la mort, c'est l'attente de cette mort et
02:22 de voir un homme s'effacer, fondre, changer de nature, devenir presque un étranger, parce
02:28 que la mort des natures.
02:29 Je me suis demandé, est-ce que j'ai le droit d'écrire sur ça ? En fait, ce n'était
02:35 pas une question de droit ou de devoir, ça s'est imposé, je ne pouvais pas écrire
02:39 autre chose parce que nous étions dans une forme d'hypnose.
02:43 Jeanne Garnier est un lieu très spécial de soins palliatifs.
02:46 Vous l'avez dit, assez unique en France.
02:48 C'est dans le 15e arrondissement de Paris.
02:50 Avenue Émile Zola.
02:51 Vous le dites avec une petite ironie, c'est un lieu très réputé.
02:55 Tout le monde nous a répété que vous avez de la chance d'être à Jeanne Garnier,
02:57 mais mon père ne voyait pas sa chance d'être à Jeanne Garnier.
03:00 Oui, parce que mon père ne voulait pas mourir.
03:01 C'était un homme très amoureux de la vie, très joyeux, qui se croyait éternel et qui
03:10 voulait en tous les cas atteindre les 100 ans.
03:12 Et en fait, d'écrire ce livre, c'était rendre réel cette hypnose.
03:15 C'est vrai qu'il y avait une sorte d'accoutumance, d'addiction d'aller dans ce lieu parce que
03:20 tout le monde est très gentil avec vous.
03:21 On n'est pas seulement gentil avec les malades, on n'est pas seulement tendre avec les malades,
03:25 on est aussi tendre avec la famille qui accompagne.
03:28 Et puis, moi, j'ai rencontré des personnes, des accompagnants.
03:33 J'ai rencontré des parents de personnes malades.
03:36 J'ai vu des morts chaque matin.
03:38 Quand je traversais le Sacré-Cœur, il y avait un malade qui n'était plus là, qui n'était
03:43 plus en vie.
03:44 Et le Sacré-Cœur, c'est l'étage réservé à ceux qui vont mourir.
03:47 C'est l'étage condamné.
03:49 Mon père y occupait la chambre 119.
03:51 Il fallait absolument sortir de cette hypnose pour finalement dire adieu à mon père.
03:56 Et lorsque j'ai fini d'écrire ce livre, j'ai compris que mon père était réellement mort.
04:02 Je lui ai vraiment dit adieu par la littérature.
04:05 Mais ce livre, qui a des moments très émouvants, très déchirants, très poignants et en même
04:10 temps très lumineux, parce que vous racontez cette fin de vie, je crois avoir rarement
04:14 lu la manière de le raconter de manière aussi lumineuse.
04:18 Je ne vois pas d'autres mots.
04:19 C'est-à-dire que vous en parlez aussi comme d'une aventure.
04:21 Vous dites que la fin de vie est une aventure à part entière.
04:23 Elle possède ses rites, ses habitudes, sa géographie et ses personnages.
04:26 C'est une aventure.
04:27 Oui, c'est une aventure parce qu'on ne sait pas ce que c'est.
04:31 On ne sait pas à quoi s'attendre.
04:32 On ne sait pas comment ça va se dérouler.
04:34 Et puis soudain, le regard s'habitue à l'horreur.
04:39 Le regard s'habitue à la mort.
04:41 Tout d'un coup, la mort devient extrêmement naturelle.
04:45 Je ne dirais pas fascinante, mais de regarder la mort à l'œuvre est une grande aventure
04:52 extrêmement douloureuse et qui tout d'un coup aussi fait que nous sommes tous les
04:57 mêmes.
04:58 Je pense que c'est le seul moment dans la vie où tout d'un coup, il y a une universalité
05:03 puissante et fraternelle.
05:05 Moi, j'ai vu beaucoup d'amour et de tendresse dans ce lieu.
05:08 Tous ceux qui ont accompagné un proche en fin de vie retrouveront dans vos mots ce
05:11 qu'ils ont vécu.
05:12 Et ce que vous racontez très bien, c'est qu'il y a le dedans et le dehors.
05:15 Dehors, dehors de la chambre 119, en dehors de Jeanne Garnier, il y a la vie.
05:20 Et dedans, il y a le temps qui s'arrête.
05:22 Il y a ses proches qui s'accrochent au dernier sourire, au dernier regard, au dernier souffle
05:26 de celui qui va mourir.
05:27 Vous racontez les soins, la lente déréliction des corps, les organes qui lâchent les uns
05:31 après les autres.
05:32 Vous dites la mort, la maladie, bâtissent une communauté, celle des inconsolables,
05:36 qui reconnaissent, qui s'entraident, qui avancent moins dans la main, dans une obscurité
05:39 étrangère à celui que le sort n'a pas frappé.
05:42 Et c'est très juste ce que vous dites.
05:44 C'est que quand on ne l'a pas vécu, quand on ne l'a pas expériencé ou quand on n'a
05:48 pas fait l'expérience, on ne sait pas en fait.
05:50 On croit qu'on sait, mais on ne sait pas.
05:52 On ne sait pas.
05:53 On est très ignorant.
05:54 Alors, on peut avoir de la compassion, de la gentillesse, de la douceur pour ceux qui
05:59 ont perdu ou qui sont en train d'assister à l'agonie d'un proche.
06:03 Mais tant qu'on ne l'a pas expérimenté, c'est un endroit invisible.
06:09 Et je trouve que la mort apprend quelque chose aussi.
06:12 C'est qu'elle nous ordonne aussi d'accepter notre propre mort.
06:15 Et moi, j'ai fait l'expérience aussi de ça.
06:17 C'était aussi une aventure extrêmement personnelle d'entrer tous les matins à Jeanne
06:21 Garnier, en ressortir le soir totalement sonné, totalement dans quelque chose d'irréel.
06:27 C'était aussi faire l'apprentissage de ma propre mort.
06:30 Et Freud dit lui-même, personne ne croit à sa propre mort.
06:34 Personne ne croit à ça.
06:35 Dans son inconscient, on est tous persuadés qu'on est immortel.
06:38 On ne peut pas y croire.
06:39 C'est impossible.
06:40 Sinon, on ne pourrait pas vivre avec la joie, avec le don de joie que mon père avait.
06:47 Et d'ailleurs, je pense qu'à la fin, je me disais souvent, mon père va se lever,
06:51 se réveiller, prendre ses affaires et rentrer chez lui.
06:54 Une amie qui a perdu son père vous dit, perdre un père, c'est perdre une partie de son
06:58 toit si l'on compare la vie à une maison, la mienne est désormais à demi à l'air
07:02 libre.
07:03 Ces mots-là m'ont fait penser à ceux de Charlotte Gainsbourg qu'on avait reçus
07:07 à ce micro il y a quelques mois, au moment après la mort de sa mère, Jeanne Birkin.
07:12 Elle parle de la mort d'une mère.
07:14 Elle dit que c'est quelque chose qui est dans ton corps et qui s'effondre.
07:18 Écoutez-la.
07:19 J'ai vécu la mort de mon père.
07:21 Ça m'a atterrassée.
07:23 Mais la mort d'une mère, c'est dans notre corps.
07:27 Il y a quelque chose auquel on ne s'attend pas du tout.
07:30 Et là, évidemment, on entend parler de personnes qui, comme vous, ont perdu leur
07:37 mère et qui m'ont dit, effectivement, il y a quelque chose, la colonne vertébrale
07:41 qui s'effondre et je n'ai plus de repère.
07:44 Et vous, vous diriez la même chose sur la mort du père ? C'est quelque chose qui
07:50 s'effondre ?
07:51 Moi, j'ai l'impression qu'il y a une partie de moi qui s'est effacée parce que
07:54 mon père a remporté aussi la partie algérienne qui est de plus en plus enfouie puisque je
08:01 ne suis pas retournée en Algérie depuis 1981.
08:04 Ça fait longtemps, j'avais 14 ans.
08:06 Nina Boura, oui, vous êtes née en Algérie, vous avez grandi jusqu'à l'âge de 14 ans.
08:09 Je suis née en Bretagne mais je suis arrivée à deux mois.
08:11 Mais vous avez vécu vos 14 premières années en Algérie.
08:15 Vous êtes partie en 1981 et vous n'êtes jamais retournée en Algérie.
08:18 Et au fond, ce que vous écrivez aussi, c'est à travers la mort du père, c'est la mort
08:23 de ce lien avec l'Algérie.
08:24 Le dernier lien avec l'Algérie, c'était mon père.
08:26 Parce qu'il y retournait assez souvent.
08:28 Et puis après, quand il y a eu le Covid, il n'a pas pu y retourner.
08:31 Il est resté à Paris.
08:32 Puis sa maladie s'est emballée.
08:33 Et puis il est mort.
08:34 Et c'est vrai que mon père emporte avec lui l'arbre généalogique algérien.
08:39 Mais toutes les fleurs, toutes les branches, toutes les pousses, toutes les… Je regarde
08:44 l'Algérie aujourd'hui comme un espace vide qu'il faudra peut-être que j'occupe
08:48 puisque mon père a laissé notre appartement familial.
08:52 Donc peut-être vous y aurez.
08:53 Une sorte de vaisseau fantôme.
08:54 Oui, il faut y aller pour s'occuper de cet appartement et pour prolonger la mémoire
08:59 de mon père.
09:00 Mais je ne sais pas quand parce que je suis terrifiée d'y aller sans mon père.
09:03 Je pouvais y aller.
09:04 J'ai essayé, j'ai tenté parce que mon père, avant de mourir, a quand même fait
09:09 un saut en Algérie.
09:10 Il était très maigre, mais il était accroché.
09:12 Je ne sais pas s'il avait voulu mourir là-bas, je ne crois pas.
09:14 Il ne l'a pas écrit.
09:15 Il a voulu mourir en France.
09:17 J'aurais pu l'accompagner, il n'a pas voulu.
09:19 L'agonie de votre père fait rejaillir des souvenirs de votre enfance, de ces moments
09:22 où vous l'attendiez, votre père diplomate qui revenait de ses voyages.
09:26 Vous parlez de son allure, de son style, des livres qu'il aimait, des clopes qu'il fumait.
09:30 Je vous cite son blouson en dain, sa chemise blanche, ses boots ronçards et apollinaires
09:34 dans sa voix, le nuage de parfum derrière les oreilles, sur le torse, les aisselles
09:38 à l'entrejambe, les feuilles de papier noircis, le cendrier, le briquet, les cigarettes,
09:42 les stylos autour de lui, assis en tailleur sur un tapis.
09:46 Vous racontez votre fascination d'enfant pour ce père.
09:48 Vous le trouviez séduisant, viril.
09:51 Vous dites "l'enfant que j'étais a envié la virilité et le charme de mon père".
09:57 Parce qu'il avait une virilité féminine, c'est ça qui était beau.
10:01 Je trouve que c'est la virilité la plus fascinante, la plus séduisante et la plus
10:05 puissante.
10:06 Et puis mon père était un homme d'idées.
10:08 Mon père a donné sa vie à son pays.
10:11 Il a collaboré à la libération des otages à la fin des années 70, les otages américains,
10:18 à Téhéran.
10:19 Il avait des secrets.
10:20 On ne savait pas toujours tout de ses missions.
10:23 Il représentait la Banque centrale d'Algérie et puis il est devenu gouverneur de cette
10:26 Banque centrale.
10:27 Il partait beaucoup au FMI et pour moi c'était le héros.
10:30 C'était aussi un héros qui correspondait au film que j'aimais à l'époque, c'est-à-dire
10:34 les hommes du président, Robert Edford, Dustin Hoffman, le vol du Condor.
10:39 Il y avait quelque chose de très chic avec son trench, ses cigarettes, ses lunettes
10:45 fumées.
10:46 C'était un homme pressé.
10:47 C'était un peu l'homme pressé, Alain Delon, qui était, ma mère a surnommé le
10:52 courant d'herbe, avec beaucoup d'amour quand même aussi.
10:54 Puis c'est un homme qui nous gâtait.
10:56 C'était un homme qui écrivait.
10:57 Et vous dites qu'il a consacré sa vie à son pays.
11:01 Il a été un diplomate, il a été gouverneur de la Banque d'Algérie.
11:04 Et puis ensuite il a eu des moments où il n'a plus eu tout ça.
11:08 Vous parlez d'une forme de déclassement ou en tout cas d'un moment d'attente.
11:12 On devine une fin de vie plus mélancolique, d'un homme plus seul, qui fut et qui n'est
11:17 plus.
11:18 Vous m'avez fait penser à Leïla Slimani, qui raconte le déclassement de son père
11:21 aussi, qui était un ministre ou un économiste important du Maroc, qui à un moment, après
11:27 une affaire, va être déclassée littéralement.
11:30 Elle va passer le reste de sa vie à attendre que le téléphone sonne.
11:33 Et le téléphone ne va pas sonner.
11:34 Elle dit cette phrase, j'écris pour venger mon père.
11:37 Est-ce qu'il y a quelque chose de cet ordre-là chez vous ?
11:39 Alors ce n'est peut-être pas pour le venger, mais c'est pour raconter.
11:43 Je suis persuadée que la maladie fait son lit quelque part et qu'il y a une origine
11:49 de la maladie.
11:50 C'est vrai que mon père a attendu un coup de téléphone longtemps.
11:53 Il a été victime de la guerre, tout simplement, comme tant d'Algériens, comme tant de hauts
11:58 fonctionnaires.
11:59 Quand la décennie noire a commencé, dans les années 90, en Algérie, tout d'un coup,
12:06 les liens, les alliances, les amitiés, tout a explosé, tout a éclaté.
12:12 Et puis il s'est dit qu'on n'allait pas l'oublier, lui qui avait tant donné à ce
12:16 pays.
12:17 Et puis finalement, on l'a oublié.
12:18 Il avait 56 ans.
12:19 Il a attendu longtemps.
12:20 Et puis il s'est fait une raison.
12:22 Et mon père avait une sorte de grande richesse intérieure.
12:29 Il était très fier de lui parce qu'il avait été honnête.
12:31 Il avait été un honnête homme.
12:32 Et ça, l'Algérie l'a toujours salué, l'a toujours reconnu et lui en a toujours
12:37 félicité.
12:38 Ce qui n'est pas évident quand on occupe ce genre de poste, je trouve.
12:41 Mais tellement honnête qu'il est devenu un cavalier solitaire et il a trouvé après,
12:46 dans les fantaisies de la vie, une autre œuvre.
12:50 - Nina Bourahoui, vous remerciez votre père.
12:54 Le passage est très beau sur son lit de mort.
12:57 Vous le remerciez d'avoir accepté votre homosexualité.
12:59 Merci papa d'avoir accepté mon homosexualité sans jamais me juger, me poser de questions
13:04 si je refusais de t'en parler, de t'expliquer.
13:06 Vous dites "toute son existence, sans rien nommer, mon père m'avait accepté".
13:10 - Oui, il m'avait accepté.
13:11 Ce n'était pas évident pour un Algérien musulman.
13:15 Même si mon père pratiquait un islam proche du soufisme.
13:20 C'est-à-dire un islam qui considère l'amour des êtres et l'amour de Dieu comme une sorte
13:26 de cran, je dirais quelque chose, les deux choses s'embrassent et ne s'affrontent jamais.
13:32 C'était un "il idolâtrait Omar Khayyam" qui inventait les joies de l'amour et les
13:37 joies du vin.
13:38 Et c'est vrai que sans m'en parler, c'était une forme d'acceptation.
13:42 Il n'y avait pas besoin de se répandre sur le sujet.
13:47 Mais je sais qu'il acceptait.
13:49 - Juste avant les questions de fin, les impromptus, juste avant, quand vous le sentez faiblir,
13:55 deux heures avant sa mort, vous lui faites écouter une chanson que j'adore personnellement,
14:01 qui est une des plus belles chansons écrites sur la transmission, sur ce qu'un enfant
14:04 tient de son père ou de sa mère.
14:06 C'est la chanson "Ton héritage" de Benjamin Biollet.
14:09 Vous lui faites écouter avec votre téléphone.
14:11 C'est bouleversant et j'avais envie de l'écouter.
14:13 - Si tu pries quand la nuit tombe, mon enfant, mon enfant, si tu ne fleuris pas les tombes,
14:33 mes chéris, les absents, si tu as peur de la boue et du ciel trop grand, si tu parles
14:41 de souvent, si l'on perd souvent ta trace dès qu'arrive le printemps, si la vie te
14:49 dépasse, passe, mon enfant.
14:53 Ça n'est pas ta faute, c'est ton héritage, et ce sera pire encore quand tu auras mon
15:03 âge.
15:04 Ça n'est pas ta faute, c'est ta chair, ton sang, il va falloir faire avec ou plutôt
15:14 sans.
15:15 - Voilà "Ton héritage" de Benjamin Biollet que vous avez fait écouter à votre père
15:18 quelques heures avant sa mort.
15:21 C'est un drôle de lapsus.
15:23 Et que vous racontez dans "Grand Seigneur", ce livre bouleversant.
15:27 Pour finir les impromptus, quel est le plus bel âge de la vie Nina Bouraoui ?
15:30 - Celui qu'on occupe.
15:32 - Aujourd'hui c'est le plus bel âge.
15:35 La vieillesse n'est pas un naufrage.
15:36 - J'espère que non.
15:40 Moi je n'y pense pas.
15:42 Je vis chaque seconde comme j'occupe chaque cellule.
15:46 Je suis très dans le présent.
15:49 - Quels sont vos vices ? - Parfois je mens un petit peu.
15:54 - Vous avez menti là ?
15:56 - Non.
15:57 - Foot ou tennis ?
15:59 - Tennis avec une passion pour le foot.
16:02 - Annie Ernaud ou Marguerite Duras ? - Marguerite Duras.
16:05 - Isabelle Adjani ou Isabelle Huppert ? - Adjani forever.
16:08 - Virginie Despentes ou Annie Ernaud ? - Annie Ernaud.
16:11 - Michel Houellebecq ou Emmanuel Carrère ? - Emmanuel Carrère.
16:14 - Elisabeth Born ou Gabriel Attal ? - Ah ça c'est vraiment...
16:18 Gabriel Attal pour la famille, on comprendra.
16:22 - Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
16:29 - Liberté.
16:30 - Pour finir, avouez une mauvaise pensée.
16:34 - Avouer une mauvaise pensée là, tout de suite ?
16:38 - Et en plus on est hyper en retard.
16:39 - Je sais pas, j'ai pas eu une mauvaise pensée là ce matin, pardon.
16:46 - Vous avez écrit un livre qui s'appelle "Mauvaise pensée".
16:49 - Oui, mais j'en ai plus justement.
16:52 Parce que je les ai écrites.
16:54 - D'ici là, c'est le livre le plus important, "Grand Seigneur", un livre poignant sur l'amour
16:59 entre une fille et son père.
17:00 Et oui c'est difficile de vivre sans le regard de son père, en tout cas je l'imagine.
17:04 Merci infiniment et belle journée à vous.