• l’année dernière
Transcription
00:00 Depuis des décennies, c'est une vraie question, comment la fiction peut-elle raconter la Shoah au cinéma ?
00:05 Avec la zone d'intérêt, il y a une vraie réflexion qui s'ouvre.
00:29 Qu'est-ce que c'est la zone d'intérêt ? C'est la zone de 40 km² qui entoure le camp de concentration d'Auschwitz.
00:35 Et c'est là que va se dérouler le film. Il a été tourné sur les lieux même, dans une maison à 100 mètres du camp.
00:40 Il raconte la vie domestique, quotidienne, d'une famille de nazis, les Höss.
00:46 Alors Rudolf Höss a réellement été l'un des commandants du camp d'Auschwitz-Birkenau.
00:52 Et on rencontre sa femme Hedwig, leurs enfants.
00:55 Ils visitent leur pavillon coquet, tout propre, tellement agréable, avec tout le confort moderne.
00:59 Et puis, il y a le mur du fond. Et derrière le mur du fond, c'est la mort industrialisée.
01:04 C'est un dispositif assez original qu'il a conçu, puisque tout est filmé à la part des caméras qui sont fixes,
01:10 ou en léger mouvement, mais sans jamais de technicien.
01:13 C'est un peu un dispositif de télé-réalité, dans lequel les acteurs s'agitent là-dedans.
01:17 Et on a un peu l'impression, oui souvent, d'être un peu devant le loft.
01:20 C'est quelque chose d'assez troublant et qui fonctionne vraiment très très bien.
01:24 Comment raconter des gens qui nous ressemblent, sans créer de l'empathie ?
01:27 Il faut chercher une distance, par la caméra, par le point de vue.
01:31 C'est-à-dire que ce sont des gens qu'on va toujours regarder un peu de loin.
01:34 Ce sont des gens qu'on va regarder en plan fixe, ou alors en lent travelling latéraux,
01:38 mais sans jamais chercher leur regard, le frémissement, je ne sais pas, d'une narine, d'une émotion, de quelque chose.
01:45 On les voit de loin, ils sont comme de pierre, et en même temps, ils sont très semblables.
01:49 Forcément, à un moment, on se projette dans ce petit monde privilégié,
01:55 avec tout autour, hors champ, une humanité qui périt.
02:01 Jonathan Glazer ne montre pas, il fait entendre.
02:04 Quand on est dans cette maison où on devine à peine des barbelés, le haut d'une tour,
02:10 on voit quand même une fumée un peu noire à trop fond aussi.
02:13 Et puis surtout, on entend des choses, assourdies par la distance, mais quand même plus ou moins.
02:18 En particulier la nuit, on entend assez distinctement des hurlements, des aboiements de chiens, des ordres en allemand,
02:24 qui font comprendre qu'à quelques dizaines de mètres de ce jardin hédénique,
02:30 il y a la mort industrielle en train de fonctionner.
02:34 C'est comme si le Führer nous disait qu'on devait vivre, dans l'Ouest, c'est notre lieu de vie.
02:44 Si vous avez vu « Anatomie d'une chute » il n'y a pas longtemps, vous n'allez pas reconnaître Sandra Hüller,
02:48 parce qu'elle est différente, lourde, terrienne, que c'est vraiment la mère de famille idéale du Reich,
02:56 et qu'elle incarne ça physiquement de manière assez terrassante.
03:00 Dans ce qui nous semble à nous un pur cauchemar, elle a trouvé son idéal, sa maison parfaite,
03:09 son jardin, son potager, son espace vital, pour reprendre une expression chérie des nazis,
03:15 et puis elle n'en bougera pas.
03:17 C'est la mauer du lager ?
03:20 Oui, c'est la mauer du lager.
03:22 On a aussi planté des vins pour que ça ne se voit plus.
03:26 Jonathan Glaser termine son film avec des images, encore une fois fixes, dans Auschwitz, le musée d'aujourd'hui,
03:33 où on voit des femmes de ménage polonaise passer l'aspirateur, nettoyer les vitres,
03:37 derrière lesquelles on voit les amoncellements de chaussures, d'habits, des déportés.
03:42 L'image est extrêmement forte, ça fait vraiment un effet de sidération extraordinaire.
03:46 C'est aussi une manière de dire que c'est vraiment très difficile, sinon impossible, de faire de la fiction sur la Shoah.
03:51 Il y aura beaucoup de discussions, je pense, à la sortie, sur les trottoirs et peut-être dans les cafés.
03:55 Il faudra boire un petit truc sympa après pour s'en remettre, parce que ce n'est pas une partie de plaisir,
04:00 et en même temps, ça fait partie, je trouve, des réflexions les plus intéressantes de ces 20-30 dernières années
04:10 sur comment aborder la Shoah au cinéma.
04:13 La Zone d'intérêt est un film assez dérangeant, mais quand même c'est bien.
04:16 La Zone d'intérêt, c'est terrible, mais c'est très bien.
04:19 Sous-titrage Société Radio-Canada
04:25 © Sous-titrage Société Radio-Canada

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