Diplômé d’Oxford, docteur en philosophie, universitaire, ancien conseiller parlementaire, polyglotte et directeur du FvD International (la branche internationale du parti politique néerlandais Forum pour la Démocratie dirigé par Thierry Baudet), John Laughland a répondu aux questions de Nicolas de Lamberterie au sujet du bilan du Brexit.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00 [Générique]
00:06 John Laughland, bonjour.
00:08 Bonjour.
00:08 Je crois que c'est la première fois qu'on vous a sur le...
00:11 Alors pas sur le plateau de TV Liberté d'un point de vue strictement technique,
00:15 puisque cet entretien est enregistré à Budapest.
00:20 Fort heureusement que votre nom indique que vous n'êtes pas français,
00:23 parce que quand les téléspectateurs se rendent en compte,
00:26 vous avez un français tellement parfait qu'il est presque suspicieux.
00:32 Vous êtes docteur en philosophie, vous avez étudié à Oxford,
00:36 vous avez enseigné à Sciences Po, vous êtes toujours professeur d'université,
00:40 donc globalement vous êtes un intellectuel britannique, d'origine écossaise si je ne me trompe pas.
00:45 La famille est d'origine écossaise.
00:47 Voilà.
00:47 Moi je suis né en Angleterre.
00:48 Avec aussi des ascences allemandes, si je ne dis pas quelques ascences suisses.
00:53 Oui, en direct, oui.
00:55 Et vous êtes connu pour un certain nombre de choses dont on va avoir l'occasion de parler.
01:02 L'une d'entre elles peut-être la plus importante,
01:03 c'est que vous avez été décrit par un certain nombre de personnes dans le Royaume-Uni
01:07 comme étant l'un des piliers intellectuels du Brexit.
01:10 Oui.
01:11 C'était un ministre, un ancien ministre, un ministre pour l'Europe en fait,
01:15 qui m'avait donné cet honneur, qui m'avait accordé cet honneur.
01:19 Il était peut-être bien informé.
01:23 Vous avez travaillé aussi, vous avez écrit de nombreux ouvrages.
01:27 Vous avez travaillé un peu au Parlement européen pour un parlementaire français.
01:31 Vous parlez de nombreuses langues.
01:33 Et vous êtes également depuis quelques années
01:38 directeur du Forum pour la démocratie internationale,
01:41 c'est-à-dire qui est un parti politique néerlandais dirigé par Thierry Baudet.
01:46 Donc vous êtes un...
01:47 Et vous êtes souvent décrit, on va le dire, comme un agent du Kremlin.
01:50 Donc vous êtes un agent à casquette multiple.
01:51 Oui, oui.
01:53 Et vous êtes un personnage à la biographie chargée.
01:57 Alors, je laisserai le soin à tous les journalistes d'investigation possible
02:02 de faire les enquêtes.
02:03 Mais brièvement, qui êtes-vous ?
02:07 Je suis effectivement un intellectuel.
02:08 J'enseigne la science politique et l'histoire à l'ISS,
02:12 l'Institut catholique de Vendée.
02:15 J'ai été, comme vous disiez, pendant trois ans au Parlement européen comme assistant.
02:21 Et avant cela, j'ai été pendant dix ans à Paris
02:25 le directeur d'un think-tank russe.
02:29 Enfin, russe, présidé par une russe.
02:31 C'était une association française, mais avec une présidente russe.
02:36 D'où d'ailleurs les accusations qui sont fausses d'être un agent du Kremlin.
02:42 Donc je m'intéresse beaucoup, et cela depuis mon adolescence,
02:48 à l'Europe de l'Est, à l'Europe centrale, à toute l'Europe d'ailleurs,
02:51 pas seulement de l'Est, mais aussi à l'Europe de l'Est, y compris à la Russie.
02:56 Voilà.
02:58 Et alors, on va surtout parler du Brexit, parce que je pense que c'est...
03:02 Évidemment, on parlera peut-être un peu à la fin du Forum pour la démocratie,
03:06 mais finalement, mon observation dans le débat intellectuel français,
03:12 le débat politique français,
03:14 c'est finalement le sentiment que le Brexit...
03:20 On fait beaucoup de projections sur le Brexit,
03:22 donc finalement, ceux qui ont une tendance souverainiste en France
03:27 vont vous expliquer que Boris Johnson, c'est un mec super,
03:31 que le Brexit est une véritable réussite,
03:33 que de toute façon, pour retrouver un certain nombre de marges de manœuvre et de liberté,
03:38 la sortie de l'Union européenne présente un caractère indispensable,
03:43 bien qu'insuffisant, je pense.
03:45 Par exemple, Philippe Meurer, c'est l'expression qu'il utilise souvent.
03:48 Et par ailleurs, d'autres estiment que c'est plutôt un échec
03:52 et que les raisons qui ont pu motiver une partie des électeurs
03:58 qui sont allés voter favorablement au Brexit,
04:01 par exemple, une réduction de l'immigration, etc.,
04:04 ça n'a absolument pas fonctionné,
04:06 que les flux d'immigration ont continué à se déverser sur le Royaume-Uni
04:12 et que finalement, ça démontre bien que la sortie de l'Union européenne
04:16 présente un caractère parfaitement inutile ou très accessoire.
04:22 Alors avant de faire peut-être le bilan du Brexit,
04:25 qu'est-ce qui, selon vous, a conduit une majorité courte,
04:30 mais une majorité dûment exprimée du peuple britannique
04:33 de s'exprimer pour la sortie de l'Union européenne ?
04:36 Alors il y a plusieurs explications.
04:38 Il y a des explications, on va dire, dans le long terme,
04:41 mais aussi dans le court terme.
04:43 Le court terme, c'était incontestablement l'immigration.
04:46 C'était le grand enjeu qui a sans doute fait basculer l'opinion publique
04:53 vers cette petite majorité pour le Brexit.
04:57 Mais le long terme est plus intéressant.
05:01 Je pense, pour dire les choses brutalement,
05:05 que le Royaume-Uni est le seul pays en Europe,
05:09 à part la Russie, mais le seul pays européen,
05:13 dont le sentiment national n'a pas été abîmé par la Seconde Guerre mondiale.
05:19 C'est aussi simple que cela.
05:21 Tous les autres pays ont connu soit la défaite,
05:24 comme l'Allemagne et l'Italie, et la honte morale,
05:28 soit l'occupation et donc tout ce qui va avec pour la France.
05:33 Et la honte morale, finalement, en France,
05:35 qui s'est plus développée dans les années 70, mais...
05:38 Bien sûr, ça a été beaucoup cultivé après,
05:40 mais je pense aussi que même dans les années qui ont suivi la guerre,
05:44 tous les pays européens étaient à la recherche d'une identité de substitution,
05:50 une identité nationale de substitution,
05:52 leur identité nationale ayant été fort abîmée.
05:56 Alors qu'au Royaume-Uni, c'est très exactement le contraire,
06:00 puisque, bien sûr, c'était le sentiment national, entre autres,
06:06 qui a aidé les Britanniques à remporter la victoire.
06:12 Les discours de Churchill, le côté shakespearien de son...
06:18 de ses talents d'orateur,
06:21 le fait d'avoir été seul pendant un an, entre 40 et 41,
06:29 tout cela n'a fait que renforcer, bien sûr,
06:32 le sentiment national qui préexistait,
06:34 mais ce sentiment est sorti, renforcé de la guerre,
06:37 alors qu'il a été, je l'ai dit, fort abîmé dans tous les autres pays.
06:42 Et c'est pareil pour la Russie, bien sûr.
06:44 La Russie, elle aussi, ce sont les deux pays en Europe
06:46 où il y a un sentiment national.
06:48 Et ce sentiment national se conjugue donc avec, bien sûr,
06:53 une très longue tradition parlementaire, et donc de souveraineté.
06:59 La souveraineté du Parlement, c'est le socle de la Constitution britannique.
07:04 Et pour cette raison, la classe politique,
07:06 à la différence là aussi de toutes les autres classes politiques européennes,
07:10 la classe politique britannique n'a jamais soutenu unanimement,
07:16 comme c'est le cas en France ou ailleurs, le projet européen.
07:20 Le projet européen a toujours fait l'objet, depuis le début,
07:23 depuis l'adhésion, et d'ailleurs, depuis même avant l'adhésion,
07:27 a toujours été l'objet d'une dispute,
07:31 assez souvent d'ailleurs à l'intérieur des partis politiques.
07:33 Ça sera déterminant pour le Parti conservateur
07:36 dans les années qui ont précédé le référendum de 2016
07:40 et puis dans les années qui ont suivi.
07:42 Donc, voilà, je résume ces trois raisons.
07:46 Sentiment national, tradition de souveraineté
07:49 et bien sûr de constitutionnalité très longue.
07:53 Et puis dans le court terme, la question de l'immigration.
07:56 Comment expliquer aussi, l'ancien maire de Londres,
08:00 au moment de la campagne, Boris Johnson,
08:02 qui est plus tard devenu Premier ministre
08:04 et puis qui maintenant est plus ou moins retiré des affaires publiques
08:07 après un certain nombre de scandales pendant la période Covid,
08:10 avec notamment des fêtes privées, etc.
08:13 Est-ce qu'il y a eu, dans une certaine mesure,
08:16 une rencontre peut-être improbable entre des classes populaires
08:22 agacées par un certain nombre de phénomènes,
08:25 migratoires ou autres, de déclassement économique,
08:28 et peut-être certaines élites, peut-être minoritaires,
08:31 mais suffisamment pour que ça crée du débat,
08:34 de l'upper class, donc des classes supérieures,
08:37 qui se sont dit "on peut faire mieux sans l'Union européenne"
08:41 et que finalement, il y a eu une conjonction sur un malentendu,
08:46 mais qu'ensuite, ce sont les élites, évidemment,
08:48 mais moins les classes laborieuses, qui ensuite tiennent les commandes
08:52 qui peuvent expliquer les déceptions post-Brexit.
08:55 Est-ce qu'il y a eu quand même une partie des élites qui ont dit
08:58 "oui, on peut faire sans ces gens à Bruxelles,
09:01 mais pas du tout avec les mêmes buts que les classes populaires,
09:04 on fera du meilleur business sans Bruxelles".
09:07 – Tout d'abord, vous avez raison de mettre en opposition
09:10 les classes laborieuses, les classes populaires et les élites.
09:13 Par contre, le Brexit a divisé le pays, a totalement divisé le pays,
09:19 c'est-à-dire qu'il y a eu des pours et des contres à tous les niveaux de la société.
09:23 Il est vrai que la tendance était que les classes professionnelles
09:28 soient davantage pro-européennes, c'est sûr, je pense que dans les professions,
09:34 les gens étaient sans doute majoritairement favorables à l'Europe
09:37 et sans doute dans les classes populaires, moins favorables.
09:40 Mais cela ne veut pas dire du tout qu'il n'y avait pas de pro-Brexit
09:45 dans les classes supérieures, dans les classes dirigeantes.
09:49 La City de Londres par exemple était divisée, j'ai un ami français
09:53 qui a passé quelques années à Londres, comme beaucoup de Français,
09:57 il m'avait dit que tous ses collègues à la City étaient favorables au Brexit.
10:02 Par exemple, il est certain que l'establishment politico-médiatique
10:09 était quasi unanimement hostile au Brexit
10:12 et cela expliquera beaucoup d'ailleurs pour la suite,
10:15 pour ce qui s'est passé depuis 2020.
10:18 Mais bien sûr, il y a eu cette rencontre entre Boris Johnson,
10:24 qui lui est issu des élites et qui les incarne,
10:28 et le peuple en général, pas seulement les classes laborieuses,
10:33 mais le peuple en général.
10:34 Mais cela n'est pas nouveau.
10:36 Le Parti conservateur, et d'ailleurs on ne peut absolument pas comprendre
10:42 l'histoire du Brexit sans comprendre le Parti conservateur,
10:45 parti qui est hégémonique dans le système britannique,
10:48 et qui a été le théâtre de la lutte du Brexit.
10:52 Cette lutte a eu lieu essentiellement au sein du Parti au pouvoir,
10:57 mais le Parti conservateur, malgré une certaine réputation d'être le parti des élites
11:02 et malgré le nom du parti de l'opposition,
11:05 est un parti qui depuis au moins les années 80,
11:09 je pense bien sûr au mandat pluriel de Madame Thatcher,
11:15 a eu un soutien considérable parmi la classe ouvrière.
11:21 Donc ce n'est pas nouveau.
11:23 Je crois que vous avez connu un peu Boris Johnson à l'université.
11:26 Oui, absolument.
11:27 Je l'ai connu un tout petit peu à l'université, à Oxford,
11:32 mais je l'ai surtout connu dans les années 2000
11:34 quand il était rédacteur en chef du Spectator,
11:36 quand j'écrivais moi aussi pour ce journal.
11:39 Je l'avais toujours aimé, je l'avais toujours trouvé absolument adorable sur le plan humain,
11:43 mais je suis comme beaucoup,
11:45 terriblement déçu par son comportement quand il était au pouvoir.
11:50 Et alors au final, le Brexit a-t-il eu lieu ?
11:54 Alors évidemment, techniquement, il a eu lieu, mais...
11:57 Est-ce qu'il s'est réalisé réellement ?
12:00 La question est excellente parce que la réponse est non.
12:04 Le Brexit a été réalisé en fin janvier 2020,
12:08 et à peine quelques semaines plus tard,
12:11 il y a eu le Covid et tous les confinements
12:14 qui ont été aussi durs en Angleterre qu'ailleurs,
12:19 et qui ont...
12:22 qui d'abord ont complètement faussé le jeu économique,
12:25 puisqu'il est impossible bien sûr de juger sur le plan économique
12:29 quel a été l'effet du Brexit au moment où le commerce international
12:34 avait plus ou moins cessé pendant plusieurs mois.
12:38 Mais le Brexit n'a pas eu lieu, dans le sens que...
12:43 alors que le Premier ministre précédent, Mme May,
12:48 avait parlé de faire un feu de joie,
12:53 de brûler toutes les lois européennes.
12:56 À ma connaissance, pas une seule loi européenne
13:01 n'a été abrogée au Royaume-Uni depuis 2020,
13:05 c'est-à-dire que les 47 ans de législation
13:09 et de jurisprudence européenne restent en place.
13:13 Et tant sur le Covid que sur...
13:18 sur la politique énergétique et donc tout ce qui est lié au climat,
13:24 donc les politiques vertes, dites vertes,
13:28 et aussi d'ailleurs sur le plan de la politique étrangère,
13:32 eh bien le Royaume-Uni, je dirais, est plus aligné encore,
13:36 semble être plus aligné encore.
13:38 Il est plus bruxellois que Bruxelles.
13:40 Les français sont devenus plus catholiques que le pape, on va dire,
13:43 ce qui n'est pas difficile en l'occurrence.
13:46 Mais bon, oui, et d'ailleurs, j'ai évoqué tout à l'heure
13:50 la politique étrangère, nous avons vu
13:54 comment le Royaume-Uni se profile, tout le monde le sait,
13:59 contre la Russie, le pays le plus dur contre la Russie en Europe,
14:06 le plus dur encore que... enfin, on va dire aussi dur que les pays Baltes et la Pologne.
14:12 Et je pense que cela est dû aussi au Brexit,
14:15 dans le sens que pour la classe politique britannique,
14:19 le Brexit a été une erreur qu'il faut réparer
14:22 et qu'il faut compenser par un engagement très fort
14:27 sur le plan de la sécurité européenne.
14:29 Mais d'ailleurs, une question que je me suis souvent posée
14:33 et à laquelle je n'ai jamais trouvé la réponse,
14:36 mais c'est pour ça que je vous ai invité, peut-être, en tout cas.
14:39 Comment expliquer cette gigantesque hostilité du Royaume-Uni,
14:45 de l'Angleterre au Royaume-Uni, à la Russie ?
14:48 Parce que, bon, on peut comprendre sans difficulté
14:51 les pays baltes, la Pologne, qui ont objectivement peur de la Russie,
14:56 qui ont été occupés par la Russie,
14:58 qui ont vécu des épisodes dramatiques dans le cadre de l'Union soviétique,
15:03 tout comme aussi un certain nombre de Russes, il ne faudra peut-être pas oublier,
15:06 mais eux, ils ont des raisons objectives d'avoir peur de la Russie.
15:09 L'Angleterre, a priori, est quand même bien loin, je veux dire.
15:12 A priori, les chars de l'armée rouge ne sont pas tout à fait
15:16 sur le point de défiler à Londres.
15:20 J'ai même parfois l'impression que l'Angleterre est plus dure
15:23 contre la Russie que les États-Unis eux-mêmes.
15:25 C'est très étonnant. Comment on peut expliquer une telle hostilité
15:30 et qui est marquée depuis des décennies ?
15:33 Ce n'est pas un phénomène lié à la guerre en Ukraine depuis deux ans.
15:36 À vrai dire, je n'ai pas d'explication, je n'ai pas de réponse.
15:39 J'ai été aussi étonné que vous par cette explosion de russophobie.
15:45 On peut bien sûr évoquer le passé et l'histoire, le passé maritime.
15:54 Tout le monde sait que l'Angleterre, c'est une puissance maritime
15:57 et peut-être la puissance maritime par excellence qui,
16:01 on va dire par définition, se profile contre cette puissance terrestre
16:06 qui est la Russie.
16:10 Mais je n'ai pas d'explication puisque cette hostilité à la Russie
16:15 est effectivement complètement irrationnelle.
16:21 Est-ce que c'est dû au film de James Bond ?
16:24 Est-ce qu'il y a des explications historiques plus profondes ?
16:30 Sincèrement, je ne sais pas.
16:32 Il y a eu une alliance objective pendant la Seconde Guerre mondiale
16:35 même si à la fin du conflit Churchill a dit "on a tué le mauvais cochon".
16:39 Bon, OK, mais les États-Unis, on peut comprendre,
16:43 il y a une rivalité pour la domination mondiale,
16:46 pour être le numéro un à l'échelle du monde.
16:48 Du temps de la guerre froide, aujourd'hui, ce n'est plus le cas.
16:51 Mais le Royaume-Uni, de toute façon, est sorti de la compétition
16:54 pour la position numéro un depuis, on va dire, début du XXe siècle au plus tard.
17:00 Alors là, c'est peut-être d'ailleurs le début d'une explication
17:05 puisque du point de vue de la classe politique britannique, non.
17:08 Le Royaume-Uni n'est pas sorti du jeu
17:11 parce que dans l'imaginaire des dirigeants britanniques,
17:15 et c'est assez difficile de comprendre, je crois,
17:19 pour des Français qui raisonnent, y compris d'ailleurs,
17:22 non seulement d'ailleurs les souverainistes,
17:25 mais les Français assez souvent raisonnent toujours en termes d'État.
17:29 On raisonne en termes de l'État français et des intérêts nationaux de la France.
17:35 Je dispense un cours sur le patriotisme britannique
17:42 et je suis convaincu que même si l'identité britannique,
17:48 comme je le disais, reste, ou le nationalisme britannique reste assez fort,
17:56 en réalité c'est un nationalisme, j'ai envie de dire, mondialiste.
18:01 C'est-à-dire que l'Empire britannique,
18:05 qui à son sommet dans les années 1920 du XXe siècle,
18:10 couvrait le quart de la surface de la Terre avec le quart de la population
18:16 et qui a donné l'idée à certains milieux,
18:22 notamment des impérialistes libéraux, d'un projet mondialiste.
18:28 C'était une sorte de proto-mondialisme puisque, encore une fois,
18:32 avant la Première Guerre et puis en marge du Traité de Versailles,
18:37 les impérialistes britanniques et les américains se sont mis ensemble
18:41 et voulaient créer un condominium de l'Empire britannique avec les États-Unis.
18:47 L'identité nationale britannique s'est dissoute, en quelque sorte, dans son propre empire.
18:55 Et je suis persuadé que l'identité britannique, aujourd'hui,
19:00 n'est plus liée à l'État britannique, mais au contraire aux valeurs universelles
19:06 qui sont la liberté, la démocratie, etc.
19:09 C'est-à-dire que du point de vue britannique, du point de vue de la classe dirigeante,
19:14 le Royaume-Uni n'a absolument pas perdu. C'est un rêve, c'est un fantasme.
19:19 Mais de leur point de vue, les valeurs portées par le Royaume-Uni sont des valeurs universelles
19:25 et donc, ensemble avec les États-Unis, les britanniques s'imaginent être toujours parmi les grands.
19:31 - En même temps, il faut reconnaître que tous les pays anglophones,
19:35 à travers le monde, à Nouvelle-Zélande, Australie, États-Unis,
19:39 il y a beaucoup d'enfants illégitimes qui ont parsemé à travers le monde.
19:42 Ce qui peut aussi donner une certaine fierté, une certaine arrogance, peut-être,
19:46 de se dire "nous avons été la matrice".
19:49 Parce que c'est vrai que nous, en tant que Français, alors oui, il y a une francophonie, etc.
19:54 - Non, c'est pas pareil. L'Empire français, l'Empire en Afrique notamment,
19:59 et en Asie, pour la France, n'a jamais eu un impact sur l'identité nationale française.
20:07 Alors que l'Empire britannique a totalement impacté l'identité nationale britannique.
20:15 C'est-à-dire que l'identité nationale britannique est une identité impériale,
20:19 et donc proto-mondialiste.
20:22 - Je le dis aussi en référence au Brexit. Parce qu'on peut, sans pousser peut-être trop loin cette notion,
20:34 il y avait en fait deux piliers. Nous parlions tout à l'heure des classes laborieuses.
20:38 Il y a un Brexit mondialiste, parce que pour moi le Brexit, finalement, est un autre mondialisme.
20:46 L'une des raisons, j'aurais dû le dire tout à l'heure, pour le Brexit, c'est le sentiment,
20:52 ça paraîtra peut-être absurde, que l'Europe est trop petite pour le Royaume-Uni.
20:56 - Oui, mais c'est vraiment à ça que je voulais en venir.
20:58 - Voilà, ça c'est un argument, c'est l'un des arguments les plus importants.
21:01 L'Europe était considérée comme trop petite. Il fallait le monde.
21:04 Donc il y a un élément du Brexit qui est mondialiste.
21:07 Et cet élément-là, il a été porté par Boris Johnson, justement.
21:11 Boris Johnson, dont je vous rappelle qu'il est né à New York,
21:14 il avait jusqu'en 2016, je crois, la nationalité américaine.
21:18 Donc il incarne, comme d'ailleurs Churchill aussi,
21:21 cette identité impérialiste dont je parlais, ou mondialiste dont je parlais.
21:26 Donc lui était l'incarnation de ce Brexit-là, celui qui l'a emporté finalement, le Brexit mondialiste.
21:33 Et Farage, Nigel Farage, que beaucoup de Français connaissent,
21:38 incarne lui, au contraire, l'Angleterre.
21:42 Et je dis bien l'Angleterre, non pas le Royaume-Uni.
21:45 Il incarne l'Angleterre, c'est-à-dire la partie, évidemment, la plus peuplée,
21:48 la partie hégémonique du Royaume-Uni.
21:51 Il est lui, Farage, l'incarnation de cet autre Brexit
21:56 qui lui est beaucoup plus, on va dire, identitaire et nationaliste.
22:00 Le Brexit anglais et populaire, en quelque sorte.
22:03 Mais qui a perdu, puisque Nigel Farage a eu ses mots très durs, le Brexit a échoué.
22:08 C'est ça.
22:09 Et vous êtes en accord avec ce...
22:11 Il n'a pas échoué, il n'a pas été réalisé.
22:13 Enfin, il a été réalisé sur le papier,
22:16 mais aucun bénéfice n'a été tiré de cette indépendance regagnée.
22:22 En même temps, c'est un peu difficile, parce que j'en discutais avec un ami qui travaille en Suisse,
22:28 qui est ingénieur ferroviaire en Suisse,
22:31 qui commute tous les jours entre l'Alsace et la Suisse,
22:35 et qui me disait "Mais tu sais, Nicolas, finalement, la Suisse a adopté la plupart des normes européennes,
22:42 parce que de toute façon, pour que la Suisse, qui n'a jamais été membre de l'Union Européenne,
22:46 qui participe de façon un peu particulière à Schengen,
22:49 qui n'est évidemment pas dans l'euro puisqu'elle a le franc, etc.,
22:53 s'adapte énormément aux normes européennes, par contrainte,
22:56 puisqu'elle est complètement entourée de pays qui sont membres de cet espace,
23:00 qui a de nombreuses normes unifiées,
23:02 parce que l'Union Européenne, ce sont évidemment des orientations politiques et géopolitiques très fortes,
23:07 pour l'immigration, le climat, toutes ces choses-là assez récentes,
23:11 ou l'ouverture des frontières,
23:14 qui font réagir positivement ou négativement les personnes en fonction de leurs opinions,
23:19 mais c'est aussi énormément de petites normes jusqu'au camembert,
23:23 et donc, finalement, la Suisse est contrainte, étant totalement encerclée par cet espace,
23:29 de s'adapter, faute de quoi il y a toute une série de produits qui ne pourraient pas transiter,
23:33 d'échanges commerciaux qui ne pourraient pas avoir lieu.
23:36 Vous me disiez tout à l'heure, les lois européennes,
23:39 Madame May n'a pas réalisé les promesses de faire un grand feu de joie avec toutes les lois européennes,
23:43 mais en même temps, est-ce possible ?
23:45 Parce que si le Royaume-Uni, qui échange beaucoup avec le monde,
23:49 mais aussi avec le continent européen, change ses normes,
23:53 alors peut-être que Bruxelles va dire qu'un certain nombre de produits ou d'échanges
23:57 ne seront plus possibles à partir de ce moment-là.
23:59 Donc, comment on fait pour faire un Brexit, un Frexit, un que sais-je,
24:04 quand on est entouré par un espace qui a des normes contraignantes et unifiées ?
24:11 Les normes, parfois, peuvent être neutres,
24:15 puisque beaucoup de produits ont des normes,
24:17 donc que ce soit des normes européennes ou autres.
24:21 Est-ce que les normes, je ne sais pas, pour un lave-vaisselle,
24:25 est-ce que les normes sont pires que les normes américaines ? J'en sais rien.
24:29 Le Royaume-Uni est quand même dans une situation assez différente par rapport à la Suisse,
24:35 puisque, je n'ai pas les chiffres, mais je pense que la Suisse doit commercer,
24:39 doit avoir une grande partie de son commerce extérieur avec l'Union européenne,
24:44 ce qui n'est pas le cas, justement, avec le Royaume-Uni.
24:47 C'était l'un des arguments, encore une fois, ça c'est le Brexit mondialiste,
24:51 mais objectivement, le commerce extérieur du Royaume-Uni est inférieur,
24:56 le commerce avec l'Union européenne est inférieur à 50 %, c'est de l'ordre de 40,
25:01 ou quelque chose comme ça, donc ce n'est pas la majorité du commerce extérieur du pays.
25:08 Mais c'est plutôt, je pense, plutôt à des politiques énergétiques,
25:14 à des politiques vertes, dites vertes, qui me semblent aberrantes.
25:20 Mais qui elles sont presque voulues à l'échelle globale.
25:22 Alors bien sûr, elles ne sont pas imposées, elles sont très encouragées par la Commission,
25:26 mais elles sont adoptées aussi au niveau national au sein de l'Union européenne,
25:29 et hélas au Royaume-Uni aussi.
25:31 Un dernier mot sur le Royaume-Uni, j'ai lu récemment un encontrer d'Emmanuel Todd,
25:37 qui évoquait, je crois que c'est pour le point, qui évoquait,
25:41 qui s'est présenté son dernier livre, "La défaite de l'Occident",
25:44 et lui qui a été très longtemps admirateur de l'Angleterre, a eu des mots d'une brutalité extraordinaire.
25:52 Puisqu'à un moment donné dans l'entretien, je n'ai plus les mots exacts en tête,
25:56 mais en gros, le journaliste questionne Emmanuel Todd en disant,
26:00 "mais dans votre livre, vous ne mentionnez pas la France, l'Angleterre",
26:02 ce à quoi Emmanuel Todd répond,
26:04 "je ne vais pas évoquer des pays qui ne comptent pas",
26:07 et il dit "les Anglais sont tellement nuls que les Français arrivent encore à se faire un peu détester en Afrique,
26:13 les Anglais sont devenus tellement nuls que même ça, ils n'y arrivent pas".
26:16 C'est un constat d'une brutalité incroyable.
26:19 Il est très dur aussi, Emmanuel Todd, sur l'économie britannique.
26:22 Qu'est-ce que vous inspire le constat ?
26:24 Il n'a sans doute pas tort, je pense qu'il évoque la désindustrialisation,
26:31 qui est un problème majeur et qui est pire encore qu'en France.
26:34 On parle beaucoup de la désindustrialisation en France,
26:37 mais elle est plus avancée encore en Angleterre.
26:40 En revanche, ce qu'il ne dit pas, et là je pense qu'il devrait le dire,
26:47 c'est que l'Union Européenne est quand même, je pense, une économie et un pays très dynamique,
26:55 qui change beaucoup.
26:57 Ça peut surprendre, puisque l'Angleterre a parfois cette réputation d'être un pays conservateur,
27:03 la monarchie et tout, mais c'est un pays où tout change en permanence.
27:09 C'est anecdotique, mais nous qui vivons en France,
27:13 nous sommes frappés par l'extrême conservatisme du commerce français.
27:20 Les produits dans les supermarchés en France ne changent jamais.
27:24 Il y a toujours les mêmes yaourts, il y a toujours les mêmes allumettes de poitrine fumée, par exemple,
27:31 toujours les mêmes marques.
27:33 Dans les supermarchés anglais, ça change tout le temps, il y a toujours de nouveaux produits.
27:37 Et donc le pays, et cela peut avoir un bon côté et ses mauvais côtés,
27:41 mais le pays est capable, je pense, de rebondir.
27:45 Il est beaucoup plus flexible, par exemple, que la France.
27:50 Et c'est pour cette raison que, malgré les faiblesses de l'économie britannique,
27:56 qui sont nombreuses, qui sont très nombreuses,
27:59 c'est un pays qui, entre autres, se drogue depuis 20 ans de l'immigration,
28:04 l'immigration, dont je vous rappelle qu'elle est trois fois supérieure à celle de la France.
28:11 En France, on déplore beaucoup les centaines de milliers d'arrivées par an.
28:16 Je vous assure que les chiffres sont trois fois supérieurs en Angleterre depuis des décennies.
28:22 Et nous parlions d'un Brexit qui n'a pas été réalisé.
28:26 Eh bien, en 2022, je ne sais pas si nous avons déjà les chiffres pour 2023,
28:31 mais en 2022, c'est-à-dire deux ans après la réalisation du Brexit,
28:36 le nombre d'arrivées légales en Angleterre, le nombre d'immigrés légaux en Angleterre,
28:43 s'élevait à un million.
28:47 À un million. Après 20 ans de 500 000, 600 000 arrivées par an,
28:53 le chiffre s'élève désormais à un million.
28:55 Un million par an, ce sont des chiffres absolument gigantesques.
28:59 Et cela continue à avoir lieu.
29:04 Alors, ce problème d'immigration montre que le pays continue à aspirer de la main-d'œuvre.
29:11 C'est-à-dire que cela montre, hélas, d'une certaine façon, je dis hélas,
29:16 puisque je suis évidemment contre l'immigration,
29:18 mais cela montre un signe d'une économie qui est quand même relativement dynamique,
29:25 mais qui, par contre, se drogue sur ces arrivées permanentes de main-d'œuvre à bas coût.
29:32 Alors, on pourrait parler, je pense, des heures du rang.
29:36 Il y aura peut-être d'autres occasions à faire du Royaume-Uni.
29:39 Mais pour conclure, je vais conclure sur un autre sujet qui vous concerne plus directement.
29:44 J'évoquais en introduction, après votre parcours à Oxford, à Sciences Po,
29:50 vous êtes prof en France, vous parlez un français impeccable, vous avez bossé pour des Russes.
29:54 Et alors, maintenant, on vous retrouve à la tête de la section internationale d'un parti politique néerlandais.
30:04 Comment en êtes-vous arrivé là et qu'est-ce qui vous a motivé à travailler pour Thierry Baudet,
30:08 qui est d'ailleurs, assez curieusement, relativement méconnu en fait, en dehors des Pays-Bas et peut-être du monde anglo-saxon.
30:15 Les gens connaissent beaucoup la figure de Gert Wilders, qui vient de remporter les élections néerlandaises.
30:20 Mais Baudet, même quand il était au sommet de ses succès électoraux il y a quelques années,
30:26 n'a pas énormément marqué les esprits dans les opinions publiques.
30:32 Ça n'a pas été un phénomène très remarqué. Et donc, vous collaborez avec M. Baudet depuis quelques années.
30:39 Qu'est-ce que vous faites à travailler pour un parti néerlandais, si je peux vous poser la question ?
30:43 Je le fais puisque Thierry est un ami que je connais depuis quelque chose comme 15 ans.
30:49 Nous avions fait connaissance en Angleterre, puisqu'il n'avait pas fait ses études en Angleterre,
30:56 mais il avait eu comme professeur ou comme directeur de thèse un philosophe anglais, Roger Scruton, aujourd'hui décédé.
31:06 Et donc, c'est par son intermédia que nous avons fait connaissance.
31:10 Et quand il m'a proposé de travailler pour son parti et pour son groupe parlementaire, j'étais ravi,
31:16 puisque c'est un homme extrêmement talentueux, non seulement avec des idées excellentes,
31:24 mais aussi avec une personnalité très attachante, avec beaucoup de talent, beaucoup de charisme.
31:30 Et à notre niveau, nous essayons avec FED International de nous profiler un tout petit peu
31:38 comme peut-être un noyau pour les patriotes partout dans le monde et bien sûr, principalement en Europe.
31:47 John Laughland, merci.
31:49 Merci.
31:50 [Musique]