• il y a 9 mois
Jacques Pessis reçoit Jacques Expert : il a été journaliste et a dirigé des chaines de radio et de télévision avant de se consacrer à l’écriture. Plusieurs de ses romans ont été adaptés a l’écran. Le dernier « Le grand test ». Suspense garanti jusqu’a la dernière ligne. (Calmann-Levy)

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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-02-07##

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Transcription
00:00 Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:03 Sud Radio, les clés d'une vie, celle de mon invité.
00:06 Vous avez été un homme de radio des deux côtés du micro
00:09 avant de vous consacrer à d'autres grilles que celle des programmes,
00:13 des grilles derrière lesquelles dorment les coupables des polars que vous écrivez.
00:17 Bonjour Jacques Exper.
00:18 Bonjour.
00:19 Bien vu.
00:20 Vous avez une vie très forte avec plein d'activités qu'on va évoquer,
00:24 c'est le principe des clés d'une vie sur Sud Radio.
00:27 Vous sortez un nouveau roman, "Le Grand Est", je crois que c'est votre 14e roman.
00:32 Oui, bien compté, c'est mon 21e livre et mon 14e roman.
00:36 Vous êtes devenu un spécialiste du polar français
00:39 et avant de raconter vos enquêtes dans ce livre,
00:41 on va enquêter sur vous à travers des dates clés.
00:44 Et la première que j'ai trouvée, Jacques Exper, c'est le 15 mars 1982.
00:49 C'est la sortie de votre premier livre qui s'appelle
00:52 "Une histoire du football martiniquais en deux tomes"
00:54 que vous signez avec Christian Cabrera.
00:56 Bien vu, bien cherché.
00:58 En revanche, vous vous êtes trompé sur le titre.
01:00 C'était "La grande histoire du football martiniquais".
01:03 Oui, "La grande histoire en deux tomes".
01:05 En deux tomes, exactement.
01:07 Parce que finalement, cette équipe est totalement méconnue.
01:09 Ah oui, en fait, c'est un...
01:13 Je suis parti à 21 ans en Martinique,
01:17 un peu par un coup de hasard,
01:19 enfin, ça serait un peu compliqué.
01:20 On va en raconter ça.
01:21 On pourra le raconter.
01:22 Et je suis resté 4 ans en Martinique
01:25 et mon premier boulot, c'était une petite radio,
01:28 c'était Radio Caribe Internationale,
01:30 qui était la première radio, d'ailleurs, malgré tout,
01:32 de Martinique et de Guadeloupe.
01:34 Qui a été créée en 1949 et qui a ensuite changé d'actionnaire en 60 quelques.
01:37 Oui, et parmi les premiers animateurs dans les années 60,
01:40 il y avait Maryse et Jean-Michel Leliot.
01:43 Exactement.
01:44 Et donc, qui faisait partie de cette radio.
01:47 Moi, j'étais à la renaissance de cette radio
01:48 et j'étais commentateur des matchs de football
01:51 du samedi, du dimanche après-midi, du championnat de la Martinique.
01:54 Et un éditeur local qui s'appelait Desormeaux
01:57 avait demandé à Christian Cabrera,
01:59 qui était donc mon co-commentateur de football,
02:02 qui était un lentillier,
02:04 d'écrire cette histoire du football martiniquais.
02:08 Et ça a été fait, effectivement, au premier lieu.
02:11 C'est un grand livre, avec beaucoup de photos, heureusement,
02:14 malgré tout, pour les deux tomes.
02:15 Et qui se vendait aux portes à porte, en fait.
02:18 Et Christian Cabrera a été animateur des sports
02:21 et des journées sportives pendant 40 ans à Radio Caribe.
02:24 Et ce livre, vous racontez,
02:26 c'est un championnat qui existe depuis 1919.
02:29 Oui, depuis très longtemps.
02:31 Si vous voulez, c'est ça la particularité des îles,
02:34 c'est qu'elles ont leur propre vie,
02:36 qui est à la fois politique, sociale, économique et sportive.
02:40 Et donc, il y a des stars sur place
02:43 qui ont jamais fait carrière en France.
02:45 Des rares, à l'époque, c'était Jean Vion, qui jouait à Saint-Étienne.
02:49 Et après, Marius Trezor, le Guadeloupéen,
02:51 qui jouait à Marseille, à Bordeaux, etc.
02:53 Mais sinon, il y avait de grandes stars locales
02:56 qui sont restées que des stars locales.
02:58 Et c'est ça qu'on a raconté, c'est-à-dire avec l'histoire.
03:00 C'était une sorte d'encyclopédie du football.
03:03 Et le tome 2 commençait, je crois,
03:05 quand la Coupe de France a été possible
03:09 pour le club martiniquais, ce qui n'était pas évident avant.
03:11 Oui, parce que l'éloignement fait que maintenant
03:13 les clubs d'outre-mer, des territoires
03:15 et des départements d'outre-mer participent
03:17 avec pas beaucoup de succès.
03:19 La preuve, c'est que ce week-end, il y avait deux clubs martiniquais.
03:22 Un club martiniquais qui était engagé
03:24 et qui a rencontré Lille et qui a été battu 12 à 0.
03:27 - C'est pas terrible. - En 32e de finale de la Coupe de France.
03:31 - Alors, ça a été quand même 4 années de rêve entre soleil et sport.
03:35 - Ça a été... Oui, 4 années.
03:38 Après, c'était mon premier boulot.
03:40 Ça a été de super années parce que d'abord, c'était...
03:44 Effectivement, il faisait du soleil, il faisait beau, etc.
03:46 Et puis quand on s'est un premier boulot,
03:48 c'était une liberté totale.
03:50 C'était fabuleux. Moi, je découvrais la radio.
03:52 J'avais même pas l'ambition d'être journaliste au départ.
03:55 Et le hasard a voulu que je devienne journaliste à Radio Caribe.
03:58 Et ensuite, la carrière, c'est...
04:00 Ma vie s'est encore enchaînée derrière.
04:02 Mais c'est vrai que c'était...
04:03 Et quand je suis rentré, au bout de 4 ans,
04:05 la question s'est posée pour moi, est-ce que je reste ?
04:08 Parce que la vie est trop belle là-bas.
04:10 Où est-ce que je pars ?
04:11 Et ça a été vraiment, comme on dit, un grand coup de pied aux fesses
04:13 pour que je rentre parce que ça a été un effort terrible pour moi de rentrer.
04:16 Et j'ai eu la chance.
04:19 Et quand je suis rentré, j'ai rencontré un homme qui s'appelait Jean-Pierre Farkas.
04:22 On va en parler, justement.
04:23 Mais je reviens à la Martinique parce que c'est une époque
04:25 où finalement, il y avait très peu de touristes.
04:27 Il n'y avait pas les flots de touristes d'aujourd'hui.
04:30 Non, il y avait ce qu'on appelait la pointe du bout,
04:33 où il y avait quelques hôtels.
04:35 Mais c'était pas le touriste de masque aujourd'hui.
04:38 C'était les années 80, c'est pas si vieux que ça.
04:41 Il y avait évidemment des touristes, etc.
04:43 Mais c'était pas les masses de touristes qu'il y a aujourd'hui.
04:46 Je sais pas comment dire, la vie était extrêmement agréable.
04:49 Juste à propos de ce livre, pour la petite anecdote,
04:52 qui montre que le communautarisme déjà existait,
04:57 c'est que j'ai eu la visite un après-midi,
05:01 où je travaillais sur ce livre-là,
05:03 de deux indépendantistes qui ont dit
05:06 "Jacques, t'as pas le droit d'écrire ce livre sur notre histoire.
05:09 Toi t'es métropolitain et si tu continues à écrire,
05:12 tu vas rentrer à la rame en France,
05:15 parce qu'ils étaient pas en métropole.
05:17 Et heureusement, Christian Cabrera, dont vous parliez tout à l'heure,
05:20 m'avait arrangé le coup.
05:22 Et donc le livre avait pu se faire.
05:24 Et parmi les deux qui étaient venus me voir,
05:26 il y avait le père d'Audrey Pulvar.
05:28 - En plus !
05:29 - Qui était syndicaliste et indépendantiste.
05:31 - Il faut savoir quand même que la France est représentée à la Martinique,
05:34 puisque l'un des monuments les plus visités,
05:36 c'est une réplique du Sacré-Cœur au 5ème,
05:39 qui est en face de Forder France.
05:41 - Oui, qui est un quartier qui s'appelle Balata.
05:45 D'ailleurs cette église est peu visitée,
05:49 parce que c'est déjà le début de la forêt tropicale à l'intérieur des terres.
05:53 Et d'ailleurs, moi j'habitais quasiment à 500 mètres de cette église,
05:58 vraiment à l'écart, qui est totalement perdue,
06:00 qui est une toute petite réplique,
06:02 parce que c'est énorme ce qu'il y a à Paris.
06:06 Mais là-bas, l'église est assez importante malgré tout,
06:09 mais qui est totalement perdue, à l'écart de tout.
06:12 - Et elle a été érigée en 1915 pour faire face à l'afflux de réfugiés
06:16 qui fuyaient les villes touchées par une éruption de la montagne Pelée.
06:19 - Voilà, c'est ça, sûrement.
06:21 Vous en savez plus que moi, j'ignorais tout ce détail.
06:24 - Alors à la Martinique aussi, à cette époque en France,
06:27 on la connaît par une chanson.
06:30 - À la Martinique, Martinique, Martinique,
06:33 c'est ça que chique, c'est ça que chic,
06:35 pas de gants blancs de Mérigny...
06:37 - Alors c'est Maurice Chevalier qui la chante,
06:39 en hommage à Mayol, qui avait été le créateur de cette chanson
06:42 et qui était un de ses maîtres.
06:44 - Ah d'accord, je voyais.
06:46 J'ai bien fait de venir, j'apprends plein de choses.
06:49 - C'est quand même une île où vous êtes arrivé,
06:51 je crois par le tuyau d'un copain, Jacques Expert.
06:54 - Vous savez, il faut revenir encore en arrière,
06:58 à l'âge de 17 ans, où avec ce copain,
07:02 on voulait faire connaissance du monde.
07:05 Notre ambition, c'est de faire connaissance du monde.
07:07 Donc on est parti en Afrique,
07:09 on a fait un film sur le pays d'Ogon,
07:11 moi j'avais 17 ans, je venais d'avoir mon bac,
07:13 et on l'a présenté,
07:15 ce n'était pas encore la qualité de connaissance du monde,
07:18 et on le présentait dans les foyers ruraux,
07:20 dans les écoles, etc.
07:21 J'ai travaillé en usine à la chaîne chez Le Sieur,
07:24 et on a gagné suffisamment d'argent,
07:26 pas beaucoup, mais suffisamment d'argent,
07:28 pour partir au Kurdistan.
07:31 On a commencé un reportage sur le Kurdistan syrien,
07:36 le Kurdistan iraqien,
07:38 et dans le Kurdistan iranien,
07:40 on s'est fait attaquer par des bandits de grand chemin,
07:43 et tout fait voler.
07:45 Donc on a tout perdu.
07:47 - Je crois que c'est votre mère qui vous a rapatrié.
07:49 - Voilà, c'est ma mère et le père d'un copain
07:52 qui ont payé le voyage retour,
07:54 parce qu'on n'avait plus rien.
07:56 On est resté assez longtemps sans recevoir d'argent, etc.
08:00 Donc on m'a donné un crédit dans des restaurants,
08:03 on avait pu se rapatrier vers Teheran,
08:05 des restaurants, des hôtels de Teheran.
08:07 On attendait que l'argent arrive.
08:09 L'argent est arrivé, et quand je suis rentré,
08:11 ma famille a dit "maintenant, finis les conneries,
08:14 maintenant tu vas faire une école,
08:17 tu vas faire des écoles".
08:19 Donc j'ai fait subdoco, subdoco Bordeaux.
08:21 Je suis diplômé de subdoco,
08:23 et en passant chez mon copain,
08:26 avec lequel on avait été volé au Kurdistan,
08:30 il me montre une toute minuscule annonce,
08:33 qui est grande comme le pouce,
08:35 qui était dans Le Monde.
08:37 Il dit "regarde, c'est marrant,
08:39 il cherche des journalistes pour les Antilles,
08:41 je vais répondre".
08:42 Lui n'a pas répondu, moi j'ai répondu,
08:44 et le hasard a voulu que je sois pris.
08:46 C'est vrai que cet instant presque magique
08:48 et inattendu, parce que je ne voulais plus être journaliste,
08:51 j'ai fait subdoco, je voulais travailler dans le tourisme,
08:54 ça a totalement été l'orientation de ma vie.
08:57 - En même temps, votre mère disait que depuis l'enfance,
08:59 vous rêviez d'être journaliste, Jacques Expert.
09:01 - Oui c'est vrai, mais quand la page a tourné,
09:03 je pensais que la page avait définitivement tourné,
09:07 et elle s'est réouverte à cette occasion-là.
09:10 Et c'est vrai que mon copain ne m'aurait pas montré cette annonce,
09:13 on ne serait pas en train de discuter aujourd'hui.
09:15 - Votre mère, je crois,
09:16 elle travaillait au magasin du printemps à Bordeaux.
09:18 - Elle était vendeuse au printemps,
09:20 j'ai été vraiment...
09:22 Je suis stupéfait par la qualité de votre...
09:26 Ma mère était vendeuse au printemps,
09:29 mon père était garagiste, mes parents étaient séparés.
09:32 - Il était garagiste,
09:34 et je crois qu'il était maître nageur l'été,
09:36 et il a soi-disant raconté Jacques Brel.
09:38 - Voilà, vous savez tout, c'est une histoire aussi
09:41 qui a marqué mon enfance,
09:43 qui était cette rencontre sur la plage,
09:45 avec quelqu'un que tout le monde avait pris pour Jacques Brel.
09:48 - Il lui ressemblait physiquement ?
09:50 - Il lui ressemblait, il était belge,
09:52 il avait une voiture d'écapoté, une voiture d'artiste,
09:54 sauf que...
09:55 Alors toute la plage a vécu pendant quelques jours
09:58 en disant "on est à côté de Jacques Brel, c'est formidable".
10:01 Là je parle de la fin des années 60,
10:02 donc quand une vedette venait sur une plage,
10:04 c'était une vedette,
10:05 et mon père s'était approprié Jacques Brel,
10:08 et personne n'avait le droit de l'appeler,
10:10 de demander l'autographe, de l'approcher, etc.
10:13 Et il est parti sous les acclamations de la plage, quand même,
10:16 dans la poussière que sa Ford Mustang avait laissée derrière lui,
10:22 et il s'est avéré quelques jours plus tard
10:24 que ce que tout le monde avait pensé être Jacques Brel,
10:27 n'était pas Jacques Brel,
10:28 c'était juste un belge qui ressemblait à Jacques Brel,
10:31 et qui a dû se demander lui-même
10:33 pourquoi il était aussi bien reçu par ses Français sur la plage de Vieux-Boucaud.
10:37 - Il y avait un indice quand même, il était avec ses trois filles,
10:39 or Brel ne sortait jamais avec ses trois filles,
10:41 elles étaient à la maison avec la maman,
10:43 et dès qu'il y en avait une qui travaillait mal,
10:45 on l'a envoyée, on l'a menacée de renvoi dans une école au fond de la flambe.
10:51 - En fait, ce qui est...
10:54 Aujourd'hui, l'histoire ne tiendrait pas,
10:57 au bout de quelques ans, on dirait le type,
10:59 on se moquerait de lui en disant "regarde, il ressemble à Jacques Brel,
11:01 il a une tête de cheval, et c'est pas Jacques Brel".
11:03 Alors qu'en fait, il n'y avait pas les réseaux sociaux, rien,
11:06 donc tout le monde a cru, et tout le monde...
11:08 C'est ça qui était fabuleux,
11:10 c'est que tout le monde voulait que ce soit Jacques Brel.
11:12 Même quand on a su que ce n'était pas Jacques Brel,
11:14 la plage a continué à dire, et mon père le premier a dit
11:17 "regardez, j'étais avec mon copain Jacques Brel".
11:19 - Voilà. Belle histoire.
11:21 D'autres histoires, vous en avez vécu,
11:23 et il y a une date très importante dans votre vie,
11:25 le 16 octobre 1984.
11:27 A tout de suite sur Sud Radio, avec Jacques Expert.
11:29 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
11:32 - Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Jacques Expert.
11:36 Nous parlerons tout à l'heure du Grand Est,
11:38 votre 14e roman chez Calman Levy,
11:40 un polar passionnant et passionné aussi,
11:43 bien sûr, dans l'écriture.
11:45 On a parlé de vos débuts, de vos voyages,
11:47 mais il y a eu une autre vie, celle d'un journaliste,
11:49 et elle commence le 16 octobre 1984.
11:53 Écoutez.
11:54 - L'éponge sur Wallonne est un gros bourg paisible.
11:56 Ce soir, tout est calme autour de la maison des parents.
11:58 On passe devant, on suit le vent...
12:00 - C'est vous, sur France Inter, le 16 octobre 1984,
12:02 à 19h, dans l'interactualité.
12:06 - Oui, présenté par Patrice Bertin.
12:09 Vous vous en souvenez de ce nom ?
12:11 - Oui.
12:13 Alors, pourquoi je me suis retrouvé sur...
12:15 Moi, je suis rentré à France Inter en mai 1984.
12:18 Et en octobre 1984,
12:22 il y a donc eu l'assassinat du petit Grégory,
12:26 et le correspondant de Radio France dans l'Est,
12:30 qui s'appelait Christian Becks,
12:32 a été appelé, évidemment, puisqu'il était à proximité géographique,
12:35 c'était sa zone,
12:37 et il a dit "moi, je ne me déplace pas pour les petites affaires".
12:39 - Il a tout compris.
12:41 - Il n'avait pas senti l'importance de l'événement.
12:44 Et le journaliste débutant, qui passait dans le couloir à ce moment-là,
12:47 la rédaction en chef l'a appelé,
12:49 il lui a dit "Becks, tu ne vas pas y aller, c'est toi qui vas".
12:51 Donc je suis parti de Paris.
12:53 Et je me souviens parfaitement de ce premier papier, 19h,
12:57 qui explique aussi pourquoi,
13:01 d'une certaine façon, aujourd'hui, je continue à écrire vite.
13:04 Je me souviens, c'est à l'entrée de l'éponge de survologne,
13:08 le village de la famille Villemin,
13:10 il y a une station-service.
13:12 Donc j'avais roulé, et à 19h05,
13:14 je n'avais pas enquêté, en fait.
13:19 Et donc je vais à la station-service,
13:22 et de Paris, il me raconte les dépêches AFP sur l'affaire,
13:26 et je demande à la station-service si je peux téléphoner,
13:29 ils me disent "bien sûr, vous pouvez téléphoner".
13:31 Donc j'ai appelé, et à 19h, j'ai fait l'ouverture du journal,
13:34 sans avoir rien vu, en fait.
13:36 - En même temps, on téléphonait les papiers à l'époque,
13:38 ce qu'on ne peut pas imaginer aujourd'hui, Jacques-Expert.
13:40 - Ah oui, et trouver un téléphone, c'est quelque chose.
13:42 C'est vraiment l'anecdote, peut-être qu'on en parlera,
13:45 mais quand j'allais dans les pays de l'Est,
13:46 quand j'étais correspondant, je me souviens,
13:48 quand j'étais en Roumanie, etc.,
13:50 on passait des heures pour essayer d'avoir la ligne avec Paris,
13:54 et parfois, je me souviens même une fois,
13:56 au moment où j'ai enfin la ligne,
13:58 "Ah, vous voilà ! Ah non, la ligne est mauvaise, tu nous rappelles !"
14:00 - Ah quel ennui !
14:01 - Et donc j'ai passé à nouveau.
14:03 C'est vrai qu'à l'époque, le téléphone était la priorité,
14:06 la première chose à faire, c'était trouver un téléphone,
14:09 alors qu'aujourd'hui, avec les portables...
14:12 Une des premières fois où je me suis servi d'un portable,
14:15 c'était en Irlande du Nord,
14:17 on pouvait acheter à l'époque des portables,
14:20 enfin louer des portables à l'aéroport,
14:22 et il y avait une fusillade au moment des funérailles,
14:28 dans le cimetière,
14:29 et j'avais fait sans doute un des premiers papiers
14:32 de l'histoire de la radio avec un téléphone portable,
14:34 depuis cette fusillade du Sinn Féin contre l'Ira.
14:39 - Alors, l'affaire Grégory, vous arrivez ce soir-là,
14:41 vous faites votre papier,
14:42 vous n'imaginez pas que ça va vous prendre quelques mois de votre vie ?
14:46 - Oui, parce que...
14:49 Oui, on n'imaginait pas que ça prenne autant de proportions,
14:54 et que quelque part, ça a marqué ma vie, malgré toute cette affaire,
14:57 et ça continue même, quelque part, à la marquer,
15:00 parce que le petit groupe de jeunes journalistes
15:02 que nous formions à l'époque,
15:03 avec Laurence Lacour, Denis Robert, Jean-Charles Marchand, Olivier Darcourt,
15:09 on était très très proches,
15:11 et aujourd'hui on est toujours restés,
15:14 il y a presque 40 ans maintenant,
15:16 ça sera le 40e anniversaire en octobre,
15:18 on est restés toujours amis et liés,
15:20 ça a créé une amitié puissante,
15:22 parce qu'on échangeait tout entre nous,
15:24 il n'y avait pas de rivalité,
15:25 Laurence était à Europa, Jean-Charles à RMC,
15:27 moi à France Inter,
15:28 donc il pouvait y avoir une rivalité de radium,
15:31 on pouvait garder ses infos,
15:32 au contraire, on échangeait, on enquêtait ensemble,
15:35 et ça a créé une puissance amicale puissante.
15:39 - Et la puissance justement de l'affaire Grégory,
15:42 vous avez commencé à la sentir,
15:43 vous avez vu que ça montait,
15:44 qu'il y avait quelque chose qui se passait, Jacques Expert ?
15:47 - Oui, forcément, parce que déjà,
15:50 par la quantité de journalistes qu'il y avait,
15:52 et puis c'est pas non plus une affaire ordinaire,
15:54 quand on la résume cette affaire,
15:57 c'est un enfant qui est tué dans des conditions
16:00 assez exceptionnelles,
16:02 ligoté, jeté dans une rivière,
16:04 une rivalité familiale puissante,
16:07 ensuite l'assassinat de celui qui était le...
16:11 - Bernard Laroche, oui.
16:12 - Bernard Laroche, qui était toujours réculpé
16:13 et considéré par Jean-Marie Villemin
16:15 comme l'assassin de son fils,
16:17 une mère qui a été réculpée de l'assassinat de son fils,
16:21 il y a des ingrédients incroyables
16:23 à une histoire inimaginable,
16:26 donc effectivement l'affaire Villemin,
16:28 après vous me demandez si c'est le début,
16:30 dès le début on le sent que c'est une histoire
16:32 qui va devenir aussi emblématique,
16:34 des erreurs de la justice,
16:36 des enquêteurs, etc.
16:38 Non, la réponse est non,
16:40 c'est-à-dire on le vit au quotidien,
16:42 et on sent monter petit à petit
16:44 la pression médiatique sur cette affaire-là.
16:47 - Vous avez connu les protagonistes,
16:48 vous les avez rencontrés, vous les avez vus ?
16:50 - Oui, évidemment, forcément,
16:52 c'est-à-dire, moi,
16:54 je connais, enfin,
16:56 je rencontre aussi bien Bernard Laroche
16:58 que les Villemin,
16:59 et d'ailleurs je suis toujours
17:01 en relation lointaine,
17:03 mais toujours en relation avec les Villemin,
17:05 par exemple, c'est un peu idiot à dire,
17:07 mais on a échangé nos voeux en ce début d'année.
17:10 - Ce qui est fou, c'est que, encore aujourd'hui,
17:12 on ne sait pas la vérité,
17:14 il y a eu en 2017 une technique,
17:16 le stylométrie,
17:17 qui a permis soi-disant d'identifier le corbeau,
17:19 mais on ne saura sans doute jamais la vérité.
17:22 - C'est un peu ma conviction aussi,
17:25 je pense qu'on ne saura jamais
17:26 véritablement la vérité.
17:28 Moi, j'ai forcément une conviction,
17:32 qui est basée un peu sur des éléments objectifs,
17:36 c'est que c'est Bernard Laroche, pour moi,
17:40 qui a enlevé cet enfant.
17:41 Est-ce que c'est Bernard Laroche
17:43 qui a tué le petit Grégory ?
17:44 Ça, je n'ai pas la certitude,
17:46 et d'ailleurs, je pense que
17:48 même les Villemin n'ont pas la certitude
17:49 que c'est Laroche qui a tué leur fils.
17:51 - Ce qui est étonnant, c'est que même Netflix
17:53 a été l'un des premiers à faire un documentaire
17:56 et pas trash sur cette affaire.
17:58 - Oui, le documentaire a été exceptionnel,
18:01 vraiment de grande qualité,
18:04 et qui a, je pense, révélé
18:06 l'une des failles principales de cette affaire,
18:10 c'est les errances judiciaires,
18:12 les errances gendarmesques et policières,
18:16 et qui a révélé aussi,
18:20 parce qu'il y a beaucoup d'affaires judiciaires
18:23 qui ont pris des mauvaises routes,
18:26 ne serait-ce que l'affaire du petit garçon
18:28 qui a été enlevé,
18:30 j'ai oublié son prénom, le petit gamin,
18:33 enfin bref, peu importe,
18:34 il y a toujours des erreurs,
18:38 on sort de route, etc.
18:39 Là, il y a eu des erreurs, on est sortis de route.
18:41 En revanche, il y a eu dans cette affaire
18:43 quelque chose que je n'ai jamais connu,
18:45 puisque j'ai quand même été suffisamment longtemps journaliste,
18:48 une sorte d'accord, même pas tacite,
18:52 un accord entre un journaliste, un flic et un avocat
18:56 pour faire tomber la mer,
18:58 quitte à s'acharner sur elle avec de fausses informations.
19:01 - Alors si vous êtes rentré à France Inter,
19:04 c'est que vous avez été repéré sur une autre radio éphémère
19:07 qui était Radio 7, Jacques Expert.
19:09 - Oui, quand je suis rentré des Antilles,
19:11 j'ai travaillé à Radio 7,
19:13 qui était en gros la "radio jeune" de Radio France.
19:16 C'était une réponse de Radio France, de l'État,
19:20 d'une certaine façon, à la poussée des radios libres.
19:23 C'était une radio où il y avait un bon casting d'animateurs,
19:27 et donc j'ai commencé là.
19:30 Et c'est vrai que mon rêve, c'était plutôt d'être reporter,
19:33 plutôt que de faire des flashes d'info.
19:36 J'avais pris rendez-vous avec le directeur de l'info,
19:38 qui s'appelait Jean-Pierre Farkas,
19:40 un peu comme le pouce qui m'avait poussé aux Antilles,
19:43 dont on parlait tout à l'heure.
19:45 Là j'ai eu un coup de pouce, c'est-à-dire j'attendais mon tour.
19:47 J'ai parlé avec Jean-Pierre Farkas,
19:49 et à la fin de notre entretien, il m'a dit
19:51 "Voyez, celui qui vient de sortir a démissionné, vous avez la place."
19:54 - Encore un coup de chance !
19:56 - Un coup de chance, mais vous savez,
19:59 je ne sais pas si je suis bon écrivain,
20:02 mais j'ai été bon journaliste, même bon reporter.
20:05 Et je pense qu'il y a un truc qui m'a toujours accompagné
20:08 dans ma vie de reporter, c'est la chance.
20:10 Je ne sais pas qui disait, un bon reporter,
20:13 on a de la chance.
20:16 Et je vais vous donner un exemple parmi tout plein,
20:19 j'ai couvert en Colombie,
20:22 l'éruption du Nevado del Ruiz.
20:24 Cette montagne, cette coulée de boue,
20:27 dans une vallée qui a tué des dizaines de milliers de personnes.
20:30 C'est un des reportages parmi les plus terribles
20:33 que j'ai pu faire.
20:35 Et ma chance, alors que tous les journalistes
20:38 étaient rentrés dans la vallée, donc avaient perdu beaucoup de temps,
20:41 moi j'ai dit "on va trouver un téléphone".
20:43 Il y avait un téléphone, on a eu de la chance,
20:45 on est tombé, un téléphone qui marchait dans la vallée.
20:48 Il y avait des centaines de gens qui attendaient
20:50 pour téléphoner à leur famille, pour dire "on est vivant", etc.
20:53 Et les gens m'ont laissé passer.
20:55 Donc je suis passé devant plusieurs centaines de personnes
20:58 et j'ai fait en direct le journal de 13 heures, je me souviens,
21:01 depuis... Et ça c'est un coup de chance,
21:04 parce que le hasard a voulu qu'il y avait un téléphone
21:06 et que par hasard on tombe sur le village où il y avait ce téléphone.
21:09 - Et ce serait plus possible aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui,
21:11 pour être journaliste, il faut faire une école,
21:13 alors que vous, vous n'avez jamais fait d'école,
21:15 vous avez appris le métier sur le terrain.
21:17 - Oui, je pense que ça doit exister encore,
21:19 il n'y a pas de raison que ce soit un cas unique, etc.
21:22 Mais c'est vrai que j'appartiens à une génération,
21:24 c'était plus facile, où le métier était moins stéréotypé,
21:27 moins attendu, où personne ne rêvait de passer à la télévision.
21:31 C'est un métier... Enfin, je me suis éclaté, franchement.
21:37 Après, ce qui ne veut pas dire que dans les métiers que j'ai faits après,
21:40 je ne me sois pas éclaté, j'ai la chance quand même
21:42 d'avoir jamais eu de mauvaise période,
21:45 ça a toujours été super professionnellement.
21:47 Mais c'est vrai que le métier... La force du journaliste,
21:51 et vous êtes... Je pense que vous allez m'approuver quand je vais le dire,
21:55 la chance du journaliste, c'est que...
21:58 Déjà, je suis très curieux de nature.
22:01 La chance du journaliste, c'est que la carte de presse,
22:04 d'une certaine façon, permet de passer en cuisine.
22:06 - Exactement. - On sait comment le plat est fait,
22:08 on ne se contente pas simplement de le manger.
22:10 On peut le manger, mais d'abord, on voit comment c'est fait.
22:13 Cette chance-là de passer de l'autre côté du comptoir
22:16 est pour moi la plus belle des choses,
22:19 parce qu'on rentre un peu dans le secret des choses.
22:22 Et ça, c'est ce qui m'a toujours fasciné, intéressé dans ce métier.
22:27 - Il y a eu d'autres grands moments, et on va en évoquer un dans quelques instants,
22:30 à la date du 9 novembre 1989.
22:33 A tout de suite sur Sud Radio avec Jacques Expert.
22:35 - Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
22:38 - Sud Radio, les clés d'une vie. Mon invité Jacques Expert.
22:41 Nous parlerons tout à l'heure du "Grand Test",
22:44 votre nouveau roman passionnant chez Calman Levy.
22:47 Un roman qu'on a du mal à lâcher jusqu'à la fin.
22:50 Mais là, on revient à vos activités de journaliste.
22:52 On a expliqué comment vous avez débuté avec l'affaire Grégory.
22:54 Et puis, vous avez vécu un autre moment d'histoire le 9 novembre 1989.
23:00 - Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe.
23:06 - Et oui, la chute du mur de Berlin, là aussi, c'est un autre grand moment de votre carrière.
23:10 - Oui, j'ai ouvert le bureau de Radio France à Vienne, en Europe centrale,
23:20 pour m'occuper de l'Europe centrale, donc au nord, ça allait à la Pologne, à l'est, en Bulgarie,
23:25 au sud, l'Albanie, la Yougoslavie, etc. J'avais une zone assez importante à couvrir.
23:30 Et Bélé, qui était le patron de l'info, était persuadé que les choses allaient bouger.
23:36 Donc, il a ouvert, début 1989, ce bureau à Vienne.
23:39 Donc, il m'a chargé d'en être le correspondant permanent.
23:45 Et c'est vrai qu'il y a eu la chute du communisme dans les pays d'Europe centrale.
23:50 Et j'ai couvert toute cette période-là jusqu'à la guerre en Yougoslavie.
23:54 - Le mur de Berlin, en plus, aujourd'hui, on ne sait même pas comment ça s'est produit.
23:58 On pense qu'il s'agit d'une erreur de transmission entre les protagonistes.
24:02 - C'est... Objectivement, je n'ai pas la réponse à cette interrogation.
24:07 Je pense qu'il y a des événements qui s'enchaînent de façon favorable.
24:17 Et c'est ce qui s'est passé. Il y a peut-être une erreur de communication.
24:21 C'est souvent un grain de sable qui fait que la grande histoire peut se faire.
24:27 - D'ailleurs, on a enlevé un pan du mur ce jour-là.
24:31 Mais le mur a été totalement détruit trois ans plus tard, en 1992.
24:34 - Oui, il n'en reste plus qu'un petit pan quelque part.
24:38 Il n'y a plus rien du mur de Berlin, effectivement.
24:41 Après, l'exode des Allemands de l'Est n'a pas commencé avec la chute du mur.
24:47 Il avait commencé quelques mois plus tard, au mois d'août,
24:51 quand des flots d'Allemands de l'Est, en trabant,
24:55 sont passés par la Hongrie et l'Autriche pour aller à l'Ouest.
25:00 Donc il y avait déjà une espèce de vent de chute du communisme,
25:06 à la fois de fuite des Allemands de l'Est,
25:11 mais même de chute du communisme dans tout ce qu'on appelait démocratie populaire.
25:18 Moi, j'ai le sentiment de deux choses.
25:21 C'est qu'il y a eu, dans cette région-là, une grosse influence des services secrets allemands,
25:26 je pense qu'ils étaient allemands de l'Ouest à l'époque,
25:30 et avec un assentiment des Russes et de Gorbatchev.
25:34 - Alors, votre parcours a démarré dans les faits divers, avec l'affaire Grigori,
25:38 mais vous êtes devenu correspondant dans le monde entier.
25:41 Vous avez beaucoup voyagé, vous êtes devenu un baroudeur pour les reportages, Jacques Espert.
25:45 - Oui, on peut dire ça.
25:47 C'est-à-dire, quand on est grand reporter,
25:50 ce n'est pas forcément pour aller en reportage à la Porte de Lévilette.
25:54 C'est plutôt pour...
25:56 C'est une caricature un peu de le dire,
25:58 mais c'est vraiment l'appel à 22h le soir,
26:00 en disant "on a pris un avion pour toi demain matin à 8h,
26:03 parce que tu pars à l'autre bout du monde".
26:05 Et ça, ça m'est arrivé pendant des années.
26:08 Et c'est vrai que quand j'étais correspondant en Europe de l'Est,
26:11 j'ai énormément voyagé de la Progenie, comme je le disais,
26:16 Bulgarie, l'Albanie, j'ai eu 4 ans extrêmement chargés.
26:21 Et juste pour l'anecdote, quand Bélé partit, il était remplacé par Yvan Levaille.
26:27 Levaille avait fait venir tous les correspondants étrangers à Paris.
26:32 Il m'a pris à part, il m'a dit...
26:34 Donc là, je parle de mai 89.
26:36 Il me dit "Jacques, je suis embêté pour vous,
26:39 parce qu'on m'a dit que vous aimez le reportage, etc.
26:42 Vous savez, vous allez vraiment vous ennuyer.
26:45 Donc je ne peux pas vous faire rentrer,
26:46 mais dans un an, vous allez me supplier pour rentrer,
26:48 parce qu'il ne va rien se passer en Europe de l'Est".
26:50 Je crois qu'Yvan avait vraiment du pif à ce moment-là.
26:55 - Il y a quand même eu des moments très dangereux dans votre vie.
26:59 Notamment, vous avez assuré à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie,
27:04 des reportages lorsqu'il y avait des manifestations importantes.
27:07 - Oui, ce n'est pas l'endroit le plus dangereux.
27:10 Dans les quelques anecdotes où vraiment ça a été compliqué pour moi,
27:18 j'ai trois anecdotes.
27:20 Une en Yougoslavie, où on a été à 1 mm de sauter sur des mines.
27:26 Vraiment, sur un champ incroyable, qui nous a évité la catastrophe.
27:31 - Vous avez pu les éviter ?
27:33 - On n'a pas pu les éviter, on s'est arrêté à...
27:36 On a légèrement ripé sur le bord de nos champs de mines,
27:40 et il s'est resté des miettes de nous.
27:43 Une autre fois, où vraiment ça a été très très chaud,
27:46 on a eu peur, c'était à Grenade, en Gentille,
27:51 où il y avait une révolution un peu d'opérette,
27:54 avec des types qui fumaient des pétards longs comme le bras,
27:58 et qui nous ont arrêtés, on a eu le loup un petit avion en Martinique,
28:02 qui nous ont arrêtés en nous accusant d'être des espions américains.
28:05 On n'avait pas pu dire qu'on était français, etc.
28:08 Ils étaient dans un tel état.
28:10 Ils nous ont fait agenouiller, ils nous ont mis un pistolet sur la tempe.
28:13 On a cru vraiment qu'on allait passer, et en fait, ils ont tiré à côté en rigolant.
28:17 Une troisième fois, où ça a été aussi assez chaud,
28:20 c'était à Gaza, justement,
28:24 où je m'étais aventuré tout seul,
28:28 et je me suis retrouvé sur une place, bombardé de pierres,
28:31 c'était au moment de l'intifada, donc ce qu'on appelait la guerre des pierres.
28:34 La voiture a volé en éclats,
28:36 et vraiment, je prenais des pierres, etc.
28:42 J'allais risquer vraiment d'être lapidé,
28:46 quand soudain une voix s'était levée,
28:48 et les gamins sont partis comme des moineaux.
28:51 Je suis monté dans ma voiture, je me suis assis sur le verre,
28:54 et j'ai filé comme un dératé vers la frontière,
28:57 à telle époque qu'on pouvait encore rentrer à Gaza.
29:00 C'était pas comme ces dernières années,
29:02 où c'était impossible pour un journaliste étranger d'y rentrer.
29:04 - La chance, elle va jusque là pour un journaliste, Jacques Expert ?
29:07 - Oui, je pense que...
29:09 Oui, parce que là, notamment à Gaza,
29:16 j'avais fait une erreur de débutant, en fait.
29:20 J'étais rentré avec une voiture immatriculée en Israël,
29:22 qui était quand même une erreur...
29:24 J'étais rentré tout seul, c'était une erreur de idiote,
29:28 parce qu'ils me désignaient vraiment...
29:30 On avait "boogalé", j'avais marqué "presse" sur la voiture, etc.
29:34 Donc oui, il y a une part de chance.
29:37 On ne peut pas dire...
29:39 C'est vrai que le souvenir de cette arme braquée sur la tempe
29:42 et tirée à côté, ça reste toujours des petits frissons dans la vie.
29:46 - Il y a eu un autre moment, beaucoup moins dangereux,
29:48 mais qui vous a marqué, je crois, Jacques Expert,
29:50 c'est le procès de Klaus Barbie.
29:52 - Oui, trois mois à Lyon, qui est un...
29:55 Ces procès qui sont très longs,
29:58 c'est un peu des procès pleins et déliés.
30:01 Il y a des moments qui sont assez ennuyeux,
30:03 notamment toutes les plaidoiries des avocats.
30:05 Au bout d'un moment, je ne sais pas combien il y avait d'avocats,
30:08 mais il y avait forcément des moments d'extrême...
30:12 - Tension. - D'extrême tension, etc.
30:15 Et on parle de... Je vous raconte une petite anecdote
30:18 qui, quelque part, a joué sur ma vie,
30:20 sur le déroulement de ma vie.
30:22 C'est qu'à la fin du procès, j'ai demandé à France Inter
30:25 d'avoir un renfort pour les interviews de la fin du procès.
30:29 Et à l'époque, il y avait un stagiaire qui s'appelait Emmanuel Chah.
30:32 Et qui m'envoie... Emmanuel, qui lui, était un stagiaire de l'ESSEC,
30:36 en fait, et donc... Et je lui ai dit, "Mais toi...
30:39 Moi, je vais mettre au bas des marches du palais de justice,
30:42 et toi, dans la porte, si ça se trouve, il y a des gens qui vont sortir."
30:45 Et le hasard a voulu que sorte par cette petite porte
30:49 Maître Vergès, qui était le défenseur de Barbie.
30:52 Et donc, il était un peu avant 20h,
30:55 et Emmanuel était tout seul face à Vergès.
30:58 Il a fait l'ouverture de tous les journaux de 20h
31:01 en interviewant Vergès, alors que tout le monde l'attendait au pied des marches.
31:06 Et ça a créé une amitié entre lui et moi.
31:09 Et quand le poste de directeur des programmes de M6 s'est libéré,
31:13 il a pensé à moi, il en a parlé à la direction de M6,
31:16 et c'est comme ça que j'ai été engagé. Grâce à la petite porte du procès Barbie.
31:20 - Et le procès Barbie, où finalement, on s'est aperçu que si Barbie avait été retrouvée
31:24 par Pete et Serge Lerfeld, c'est parce qu'il avait laissé des empreintes digitales.
31:28 Et c'est un rapport avec votre roman dont on en a parlé tout à l'heure.
31:32 - C'est parfait le rapport, mais effectivement c'est ça.
31:35 - Alors c'est vrai que vous avez, après ce journal, vous êtes rentré à la télévision,
31:39 il y a eu Coyote, qui a eu M6, Paris 1ère et RTL, c'est une autre vie.
31:43 - Oui, alors il y a, si on a peu de temps je peux raconter quelque chose.
31:48 - Bien sûr.
31:49 - C'est que vraiment, pendant longtemps, j'ai donc vraiment beaucoup barboudé,
31:54 je parlais tout à l'heure du coup de fil de 22h, c'est pas juste une anecdote,
31:59 ça revient régulièrement, où j'étais grand reporter à France Inter.
32:02 Donc il y avait un événement, il était pour moi, on était deux ou trois grands reporters.
32:06 Et il y a une chose qui s'appelle le cul de plomb,
32:10 qu'a parfaitement raconté Boeuf-Méry, le fondateur du Monde,
32:14 c'est quand le téléphone sonne à 22h, vous n'avez pas envie de partir.
32:18 Ça vous saoule, vous êtes fatigué.
32:21 Vous savez quand on est grand reporter, les premiers jours on ne va pas à l'hôtel,
32:25 on pose quand même malade.
32:27 Et c'est quand le cul de plomb, c'est quand on n'a plus envie de partir.
32:31 Donc une fois qu'on est parti, ça va, les choses roulent,
32:33 mais quand on sent, et moi j'étais atteint du phénomène du cul de plomb,
32:38 c'est-à-dire que je n'avais plus la rage de partir, l'envie de partir.
32:41 - Et vous vous êtes retrouvé avec des missions, mais vraiment vous avez fait Paris 1ère,
32:46 c'était les prémices de la télévision à l'époque.
32:48 - C'est une... Je sais, moi je suis resté 11 ans à la tête des programmes de Paris 1ère,
32:54 ça a été une époque formidable, l'époque de Paris dernière,
32:58 l'Ardi-Sonde, sa balance à Paris, le nombre d'émissions qu'on a pu lancer,
33:03 mais c'est inimaginable, il y avait une liberté totale.
33:07 Et c'est une radio qui était déficitaire,
33:11 et qui appartenait à... à... à... à Suez, voilà.
33:16 Excusez-moi, à Suez.
33:18 Et la patronne m'avait dit "Jacques, on perd de l'argent,
33:21 entre 4 et 5 millions par an, c'est pas grave, continuons à perdre".
33:25 C'était quand même génial, quoi. - C'est entre choses.
33:27 - De travailler dans un truc où même le patron vous encourage à dépenser plus que ce qu'on gagnait.
33:32 Et ça a été une période d'une richesse, d'une créativité incroyable.
33:36 Franchement, j'ai adoré être patron à Paris 1ère,
33:39 si on fait la liste de toutes les émissions qu'on a pu lancer,
33:41 mais c'est colossal, avec une créativité, une liberté totale.
33:45 C'était une très très grande chaîne.
33:47 - Vous avez vécu la transformation de la télévision d'aujourd'hui, Jacques Exper.
33:51 - Oui, je pense que...
33:54 Donc il y a eu effectivement la...
33:56 l'une des dates clés quand même, et là c'était avant,
33:58 c'était 86 quand il y a eu la privatisation de TF1, etc.
34:02 Ça a été une date importante.
34:04 Mais il y a eu une date, à mon avis, importante, c'est 2000.
34:08 C'est le lancement de Love Story.
34:11 Qui à mon avis a fait basculer la télévision,
34:13 vers un endroit où j'aimerais pas aller.
34:16 C'est-à-dire vers cette télévision facile,
34:20 et dangereuse.
34:22 Je pense que les conséquences, on mesure assez mal
34:25 les conséquences de la télé-réalité sur la mentalité.
34:28 Après, maintenant, ça s'accroît encore plus,
34:32 avec tous les réseaux sociaux, etc.,
34:34 qui me font peur, notamment par l'anonymat.
34:36 Mais je pense qu'il y a eu un tournant capital de la télé
34:39 avec le lancement de Love Story,
34:41 et pas dans le bon sens, socialement notamment.
34:44 Ça c'est le passé, l'avenir ça a été les romans,
34:47 et on va en parler à travers une autre date,
34:50 le 20 septembre 2023.
34:52 A tout de suite sur Sud Radio, avec Jacques Expert.
34:54 Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
34:57 Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Jacques Expert.
35:00 On a parlé de votre vie de journaliste,
35:03 de baroudeur, de directeur de chaîne de télévision,
35:06 et puis vous vous êtes reconverti dans le roman.
35:08 Et donc le 20 septembre 2023 est sorti votre 14e roman,
35:12 Le Grand Est, chez Calmain-Lévis.
35:14 C'est un polar où, pour identifier les criminels,
35:17 les gendarmes vont employer un procédé assez rare,
35:21 relever les empreintes de tous les habitants d'un village
35:25 qui s'appelle Savène-sur-Ner.
35:27 Je crois qu'il est dans le puits de Dôme, je crois.
35:29 C'est en Sologne, en fait.
35:31 C'est un village qui n'existe pas,
35:34 parce que le maire est un peu corrompu, etc.
35:38 J'avais pas envie d'avoir un procès,
35:40 donc j'ai inventé le nom d'un village
35:42 qui ressemble plutôt à un village qui existe en Sologne,
35:45 qui s'appelle Aubigny-sur-Ner.
35:47 Donc j'ai créé cette ambiance-là.
35:49 Et Savène, c'est un village du puits de Dôme,
35:51 où il y a 1000 habitants.
35:52 Oui, il y a un peu plus de 1000 habitants,
35:54 c'est un village, et la certitude des gendarmes,
35:57 c'est que le criminel est dans la population.
36:01 C'est un industriel qui a été assassiné,
36:03 un homme qui est quand même pas très sympa,
36:06 que tout le monde déteste,
36:07 et on cherche le coupable.
36:08 Le coupable est dans le village,
36:10 et les empreintes digitales de tout le village,
36:12 c'est quand même quelque chose de très rare, Jacques-Expert.
36:14 Oui, ça se fait pas régulièrement,
36:19 mais ça se fait de temps en temps,
36:21 notamment sur l'ADN.
36:23 On a relevé, un peu comme les empreintes digitales,
36:26 on a retrouvé de l'ADN sur une arme du crime.
36:28 On ne trouve pas le coupable,
36:29 après avoir interrogé différents suspects
36:31 qui ont été écartés de l'enquête.
36:33 Et donc la seule solution,
36:35 et notamment ce qui permet aussi d'écarter certaines pistes,
36:38 c'est de faire passer les habitants un test ADN, etc.
36:42 Là, c'est des empreintes digitales,
36:44 pour une raison très précise,
36:48 c'est que je voulais que parmi les trois amis
36:52 qui sont au départ de la mort de ce notable,
36:57 je voulais qu'il y ait une fille.
36:59 Et l'ADN féminin est différent de l'ADN masculin,
37:03 donc ça l'aurait écarté, elle, depuis le début.
37:05 Donc c'est pour ça que j'ai choisi une empreinte digitale,
37:07 parce qu'une empreinte digitale masculine
37:09 peut être confondue avec une empreinte digitale féminine.
37:12 Oui, il y a trois coupables possibles,
37:14 trois jeunes, qu'on appelle les trois mousquetaires,
37:16 trois amis, et l'un d'eux est le coupable,
37:19 et toute l'histoire va être basée là-dessus.
37:21 Oui, parce que le roman se déroule,
37:25 en gros, sur cette période où le village,
37:28 les habitants vont être appelés à donner
37:30 leurs empreintes digitales,
37:32 et l'un des avantages aussi de l'empreinte digitale
37:34 par rapport à l'ADN, c'est qu'on a le résultat tout de suite.
37:36 On le compare tout de suite,
37:38 et donc même s'il y en a beaucoup,
37:40 il suffit de passer les empreintes digitales
37:42 à l'ordinateur, alors que l'ADN,
37:44 il faut plusieurs jours avant que les résultats soient connus.
37:48 Donc ça m'intéressait plus aussi de l'immédiateté.
37:50 Et donc on sait, depuis le début,
37:53 que c'est l'un des trois qui a tué.
37:56 Ils ont tous les trois manipulé l'arme qui a tué,
37:59 la barre de fer qui a tué le notable.
38:02 Mais lequel a laissé ces empreintes,
38:04 on ne sait pas. Donc c'est un grand test,
38:06 à la fois à l'échelle d'un village,
38:08 mais c'est aussi un grand test, ou un test,
38:10 sur l'amitié entre ces trois.
38:12 On dit que l'amitié est capable d'affronter
38:14 les pires tempêtes.
38:16 Là, c'est une tempête énorme qui s'abat sur eux.
38:19 Et est-ce que leur amitié va résister à cette tempête ?
38:22 C'est aussi une des questions de ce livre.
38:24 D'autant plus que ces trois copains ont de lourds secrets
38:27 qui vont éveiller l'attention des enquêteurs.
38:29 Voilà, c'est ça. Il y a un enquêteur,
38:31 évidemment un peu malin et observateur,
38:35 qui est attiré par ce trio
38:38 et qui va focaliser son attention sur le trio.
38:42 Voilà. C'est aussi le roman,
38:45 avec, moi j'aime bien aussi dans mes livres,
38:48 qui a un retournement de fin.
38:50 Et dans celui-là, il y a aussi un retournement de fin inattendu,
38:52 comme dans la plupart de mes romans.
38:54 Alors, la première mondiale dans le domaine des empreintes digitales,
38:56 je me suis un peu renseigné,
38:58 elle aurait eu lieu en 1892.
39:00 Et c'est un fonctionnaire de police argentin,
39:02 Juan Vucetich, qui aurait fait
39:04 la première empreinte digitale de l'histoire.
39:06 Oui, mais je ne savais pas.
39:09 Encore une fois, j'ai bien fait de venir.
39:11 Parce qu'en fait, les empreintes digitales,
39:13 c'est la police,
39:15 les prémices de la police scientifique française,
39:17 c'est la fin du 19e.
39:19 Et comment est venue cette idée
39:21 de créer cet univers
39:23 avec les empreintes digitales et ces jeunes ?
39:25 [Rires]
39:27 Comment vient une idée pour un polar ?
39:29 Je ne sais pas.
39:31 Franchement, ça naît comme ça.
39:34 Moi, des idées, j'en ai...
39:37 J'ai en cours chez moi, sur mon ordinateur,
39:39 une boîte à idées,
39:41 et chaque fois que j'ai une idée, je note.
39:43 Et je pense que c'est,
39:46 après avoir vu un test ADN
39:48 qui se peut passer dans un village,
39:50 en lisant un journal, que j'ai dû me dire,
39:52 tiens, là, il y a une base de départ.
39:54 Après, on mûrit l'histoire.
39:56 On se dit, tiens,
39:58 ça serait intéressant de confronter à ce test
40:01 trois personnes dont on sait que c'est l'un des trois,
40:03 mais on ne sait pas lequel des trois,
40:05 qui a peut-être, en réalité,
40:07 une quatrième vie, un quatrième auteur.
40:09 Enfin, tout ça mûrit petit à petit.
40:11 Et après, comment les idées naissent ?
40:14 C'est parfois le hasard.
40:17 Encore une fois, le hasard m'a bien servi.
40:19 Je vais vous donner un exemple.
40:21 Mon précédent roman s'appelait "Le carnet des roncunes".
40:23 Et nous dînions chez un ancien grand flic,
40:28 qui... on n'était pas très nombreux,
40:30 on était six ou huit à table.
40:33 Et il nous a montré,
40:35 il a sorti un cahier, au moment,
40:37 il a dit, regardez, ça c'est mon cahier des roncunes,
40:39 et j'ai noté le nom des gens qui m'ont emmerdé pendant ma vie.
40:42 Donc, il vaut mieux être emmerdé par Jacques Pessis ou Jacques Expert
40:46 que par ce grand flic.
40:48 On m'a enfin emmerdé ce voilà.
40:50 Et l'idée est née comme ça, je l'ai appelée,
40:53 après je lui ai dit, est-ce que je peux te piquer ton idée pour écrire un roman ?
40:56 Ce ne sera pas l'histoire d'un flic qui a un cahier des roncunes,
41:00 mais l'idée est née comme ça, c'est-à-dire qu'il n'aurait pas montré
41:02 son cahier des roncunes au dessert de ce déjeuner,
41:07 je n'aurais jamais écrit le carnet des roncunes.
41:09 Donc, il y a à chaque fois une petite étincelle qui est le départ d'une histoire.
41:13 Et ensuite, il n'y a pas de plan, vous avancez au jour le jour
41:16 en vivant profondément cette histoire Jacques Expert.
41:18 Oui, c'est vrai.
41:21 C'est-à-dire, j'ai fait 13 polars et un roman.
41:25 Pour le roman, c'est un peu différent, mais pour les polars,
41:27 j'ai deux caractéristiques.
41:29 Encore une fois, je ne suis pas le seul pour en avoir discuté avec d'autres auteurs,
41:32 il y en a d'autres qui sont un peu dans mon cas,
41:34 et d'autres au contraire, qui aiment bien faire un plan très précis, etc.
41:37 savoir où ils vont du début à la fin.
41:39 Moi, je pars à l'aventure.
41:41 J'ai mon pitch de départ,
41:43 trois amis qui fracassent le crâne d'un notable,
41:47 et après, j'écris l'histoire, je trouve des personnages, etc.
41:51 et dans aucun, je connais la fin.
41:53 Et surtout, en vivant l'histoire comme le lecteur.
41:57 Oui, c'est-à-dire, d'écrire comme ça, je pense que quelque part...
42:02 Moi, d'abord, je suis un grand lecteur de polars.
42:05 Et j'aime bien...
42:09 Et donc, effectivement, je pense des réactions de lecteur.
42:12 Je n'ai pas réfléchi, comme vous le dites là,
42:15 mais peut-être que j'ai des réactions de lecteur.
42:17 C'est-à-dire, je me surprends moi-même à prendre des pistes,
42:20 et quand j'ai pris cette piste, je ne reviens jamais en arrière.
42:23 J'avance jusqu'à la fin.
42:26 Et la fin, c'est pas quand on écrit la dernière page qu'on trouve la fin.
42:30 Elle s'impose petit à petit, mais je ne reviens pas en arrière.
42:34 C'est justement juste quand j'ai trouvé, quand j'ai terminé,
42:37 que je rends le roman cohérent avec la fin.
42:40 Et Francis Weber m'a un jour expliqué qu'il écrivait un scénario,
42:43 et qu'à la fin, il le jetait parce que tout était évident,
42:46 et il voulait vraiment surprendre le spectateur.
42:48 C'est la même chose pour le romancier.
42:50 Oui, après, il faut avoir l'énorme courage de jeter un truc.
42:54 Le roman, c'est venu par hasard chez vous,
42:57 parce qu'un jour, vous avez écrit une histoire à propos de femmes
43:01 qui avaient beaucoup de problèmes.
43:03 Oui, c'est mon premier roman qui s'appelle "La femme du monstre".
43:07 Et en fait, je voulais faire un essai.
43:11 Parce que j'avais fait des essais auparavant sur la prison,
43:13 sur l'Europe de l'Est, etc.
43:15 Et je voulais faire un essai sur ces femmes qui vivent avec un monstre.
43:18 Un monstre, c'est un pédophile, un serial violeur, etc.
43:22 Mais sans savoir que leur mari est un monstre.
43:24 C'est-à-dire qu'ils ont des enfants, des activités associatives,
43:28 des crédits, des vacances, etc.
43:30 C'est un couple ordinaire, dont les voisins disent
43:32 "Il était hyper sympa", etc.
43:34 Et le mari s'avère un monstre.
43:36 Et je voulais raconter ce qui se passait dans la tête de cette femme
43:42 quand l'immeuble lui tombe sur la tête,
43:45 qu'elle apprend que son mari est un violeur en série.
43:48 Ou un pédophile, etc.
43:50 Et de cette documentation des femmes que j'ai pu rencontrer à l'époque,
43:54 plutôt que d'en faire un essai,
43:58 parce que ça réclamait un investissement énorme,
44:00 j'en ai fait un roman que j'ai écrit tout seul de mon côté.
44:02 Je l'ai envoyé à Anne Carrière que je connaissais,
44:04 qui est une éditrice.
44:06 Et je lui ai dit "Voyez, j'ai fait ça et ça".
44:08 Elle m'a répondu 48 ans après en disant "J'ai adoré, je prends".
44:14 Et je me souviens, j'ai reçu le texto,
44:16 j'étais en comité de direction d'M6, à l'époque où j'étais à M6, en 2008.
44:19 Vous savez, c'est un peu l'histoire de la pub "Au revoir président",
44:22 d'aller se lever et de dire "Au revoir président".
44:24 C'est à ce moment-là que j'ai reçu le texto d'Anne
44:26 pour faire cette histoire de la femme du monstre.
44:28 Ces femmes-là, ce qu'il y a dans leur tête, c'est assez fascinant,
44:31 parce qu'est-ce qu'elles savent, est-ce qu'elles se doutent,
44:33 est-ce qu'elles préfèrent mettre des œillères plutôt que de savoir, etc.
44:37 Et c'est vrai que j'en ai rencontré une,
44:40 alors que son mari avait fait un truc horrible,
44:42 il avait tué deux petites filles, etc.
44:44 Les avait violées pendant une semaine, ça a été horrible.
44:46 Et elle m'a dit "Je l'aime toujours".
44:49 C'est ça qui est très interpellant, même quand on est journaliste,
44:53 d'avoir une réaction comme ça, alors qu'on devrait le détester.
44:57 Et elle dit "Je l'aime toujours".
45:00 - Et la femme du monstre a eu le prix des romancières,
45:02 qui était présidée par Jacqueline Monsigny,
45:04 qui avait connu un destin un peu initial au vôtre,
45:07 c'est-à-dire qu'elle était comédienne,
45:09 elle animait les émissions de Jean Nohain,
45:10 un jour elle a écrit un livre par hasard,
45:12 et elle a fini sa vie en écrivant des livres.
45:14 - Et c'est tellement agréable d'écrire des livres.
45:16 Franchement, vous savez, moi j'ai écrit des livres
45:19 au moment où j'étais à Paris 1ère,
45:22 ou ensuite j'ai été directeur des programmes d'RTL,
45:25 c'est quand même du boulot, il ne faut pas croire.
45:27 Et je peux vous dire que je n'ai écrit aucune ligne,
45:30 ni relu aucune ligne au travail.
45:32 Donc ce que je veux dire par là,
45:34 c'est qu'il faut vraiment aimer ça, aimer écrire,
45:37 pour consacrer le reste de sa vie,
45:40 une partie du reste de sa vie,
45:43 quand on a une famille, etc., à écrire.
45:45 Si on n'aime pas, il ne vaut mieux pas y aller.
45:47 - Et en plus, vous faites partie aujourd'hui des maîtres du polar,
45:50 le polar français s'est développé au cours de ces dernières années,
45:53 ce qui n'était pas évident, voici 20 ou 30 ans.
45:55 - Non, c'est vrai, il y a même autant d'ans,
45:57 il y avait quelques noms, comme Manchette, Déninx,
46:00 Simnon, si on remonte un peu plus loin,
46:02 mais c'est vrai que depuis quelques années,
46:04 il y a eu une effervescence incroyable,
46:06 il y a eu un nombre d'auteurs.
46:08 Quand on va dans des festivals qui sont consacrés uniquement au polar,
46:12 il y a pratiquement des Français,
46:14 on est une soixantaine, on est vraiment très nombreux,
46:17 avec des auteurs de grande qualité.
46:19 - Et puis maintenant, 4 de vos romans ont déjà été adaptés
46:22 pour le cinéma ou la télévision,
46:24 et peut-être que ça va être le cas de celui-là,
46:26 parce que ça aussi, c'est quelque chose que vous n'imaginiez pas, Jacques Expert.
46:29 - Non, vous savez les choses, il faut prendre les choses comme elles arrivent.
46:32 Si on les cherche, elles ne viennent pas.
46:34 Moi, je ne sais pas comment dire,
46:38 dans ma vie, tous les événements de ma vie,
46:41 je ne dis pas que c'est dû au hasard,
46:43 mais je n'étais pas candidat à Paris 1re,
46:46 je n'étais pas candidat à RTL,
46:49 la seule chose pour laquelle j'étais candidat,
46:52 pour laquelle je me suis battu, c'est d'être journaliste.
46:55 Mais sinon, pour le reste, les choses sont arrivées presque...
46:58 je ne sais pas, presque comme ça, naturellement dans la vie,
47:01 je ne crois pas avoir marché sur quiconque pourrait arriver,
47:04 je ne me suis pas dit, un jour je serai directeur des programmes d'RTL,
47:08 on m'a appelé, Christopher Muldy m'a appelé,
47:11 je lui ai dit "le poste est libre, est-ce que tu le veux ?"
47:13 C'est comme ça que ça s'est passé.
47:15 - Alors dans ces téléfilms, il y a toujours une particularité
47:18 liée à un metteur en scène illustre.
47:21 - Une surprise prend 10 secondes.
47:24 - Vous avez un point en commun avec Alfred Hitchcock,
47:26 vous apparaissez à la fin, dans le film,
47:29 je ne sais pas si vous savez, mais Hitchcock l'a fait au départ
47:32 pour ses premiers films parce qu'il avait besoin de figurants,
47:34 il n'avait pas d'argent, et puis la tradition est venue,
47:37 et vous la respectez. - Voilà, c'est ça.
47:39 - Pourquoi ?
47:41 - Un peu par jeu, comme ça, c'est vraiment...
47:45 C'est pas une concrétisse, c'est un peu par jeu.
47:48 Moi j'aime bien à chaque fois aller sur le tournage,
47:51 et la première fois sur le tournage,
47:54 qui s'appelait "Ce soir je vais tuer l'assassin de mon fils",
47:57 Pierre Racknim, qui était le réalisateur, m'a dit
48:00 "tu ne veux pas de figurants ?" Donc j'ai dit "ok".
48:03 Et là maintenant c'est devenu une obligation.
48:06 Là par exemple, "Sur rien" qui a été tourné au mois de septembre,
48:09 qui s'appelle "Le jour de ma mort" pour France 2,
48:12 et j'ai dit à la productrice
48:15 "on vend pas si je ne suis pas figurant".
48:18 C'était une façon de parler, donc je suis figurant,
48:21 j'ai même dans celui-là deux jours de tournage,
48:24 donc le luxe, et en plus j'ai été payé pour la première fois.
48:27 Et c'est comme ça, maintenant c'est devenu un peu un truc...
48:32 Ce qui m'a particulierité, sauf dans le dernier,
48:38 parce que c'est un peu à part, etc.,
48:41 c'est que les figurants, ils ne savent pas,
48:44 il n'y a personne, c'est moi qui ai écrit le livre, etc.,
48:47 je ne dis rien, je mêle à tout le monde,
48:50 dans un, deux gouttes d'eau, je bois une bière,
48:53 dans un autre je téléphone, dans un quoi,
48:56 et jamais je ne dis "c'est grâce à moi que vous avez du boulot aujourd'hui".
48:59 Je n'y dis rien, donc j'assiste.
49:02 Et le monde des figurants est aussi un monde qui mériterait un polar un jour,
49:05 parce que c'est un monde clos de gens qui se connaissent,
49:08 qui ont 107 heures pour toucher les ascédiques, etc.
49:11 Et ils sont sympas, ils n'ont aucune envie,
49:14 enfin ils ne sont pas envieux par rapport aux comédiens,
49:17 ils ont leur propre univers, etc.
49:20 Et moi j'aime bien.
49:22 - En tout cas, attendons la prochaine figuration,
49:24 parce que je suis sûr que le Grand Est,
49:26 il y a toutes les caractéristiques pour que ça devienne un téléfilm.
49:28 Et puis en attendant, je recommande à celles et ceux qui nous écoutent,
49:30 ils sont de plus en plus nombreux,
49:32 à lire ce Grand Est chez Calman Levy.
49:34 - Merci Jacques.
49:35 - Merci, un roman qu'on ne peut pas lâcher du début à la fin.
49:37 - Merci Jacques Expert.
49:38 - Merci à vous et bonne année.
49:40 - Et bonne année aussi.
49:41 L'Écule une vie s'est terminée pour aujourd'hui,
49:43 on se retrouve bientôt, restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.

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