Éric Revel : "Joseph Kessel et Albert Londres m'ont fait rêver, mais la macro-économie m'a fasciné"

  • il y a 6 mois
Jacques Pessis reçoit Éric Revel : il y a le journaliste économique mais aussi l’homme aux mille vies a la radio, à la télévision et dans la presse. Son nouveau roman : « Le tirailleur inconnu », inspiré d’une histoire vraie (Éditions du Lizay).

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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-03-26##

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Transcript
00:00 Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
00:04 Sud Radio, les clés d'une vie, celles de mon invité.
00:06 Les auditrices et les auditeurs de Sud Radio connaissent vos chroniques économiques quotidiennes le matin.
00:11 Ils vont ce soir mieux connaître l'homme, celui qui professionnellement ne s'est jamais économisé.
00:16 Bonjour Eric Revel.
00:17 Bonjour Jacques Pessis.
00:18 On vous connaît sur Sud Radio.
00:20 Et puis, quand vous venez de sortir un livre, "Le tirailleur inconnu", aux éditions du Lisay, je me suis dit,
00:24 mais voilà l'occasion de raconter votre parcours qui est incroyable.
00:27 Je suis très honoré Jacques, je vous le dis d'entrée.
00:30 Je suis très honoré de vous avoir en face de moi pour parler modestement de moi.
00:35 On a des choses à dire et surtout, je précise que c'est la 1300ème émission aujourd'hui des clés d'une vie.
00:40 Félicitations, bon anniversaire.
00:42 Alors, la première date que j'ai trouvée en vous concernant, c'est le 15 juin 1991. Écoutez.
00:49 [Musique]
00:53 Dans le journal de la 5, vous vous êtes interviewé par Valérie Baroin, qui est à l'époque la femme de François Baroin,
00:59 sur votre premier livre qui raconte les voyages présidentiels.
01:03 C'est votre première télé.
01:04 Oui, "Les secrets des voyages présidentiels" de De Gaulle et Mitterrand, que je publie aux éditions La Tess.
01:10 J'ai eu la chance pendant 5 ans de faire les voyages de Mitterrand à l'étranger.
01:15 J'avais 27-28 ans, je prenais la géopolitique sur place.
01:18 Et je suis effectivement dans le journal de 13 heures de Valérie Baroin.
01:23 Et je ne sais pas si vous n'avez peut-être pas vu ce livre, mais il y a un truc absolument exceptionnel,
01:27 c'est que toutes les photos du livre m'ont été données par Claude Gubler, qui était le médecin de François Mitterrand, à titre gracieux.
01:32 Alors, ce sont des photos qui, techniquement, ne sont pas bonnes.
01:35 Mais en fait, il avait l'habitude de prendre l'ancien chef de l'État dans des endroits un peu dans sa vie privée.
01:41 Et il m'a donné toutes ces photos avec lesquelles j'ai illustré "Les secrets des voyages présidentiels".
01:46 Oui, et c'est à l'époque, la première fois qu'on parle de Claude Gubler, qui fera ensuite son fameux livre "Le Grand Secret".
01:51 C'était assez drôle parce que personne ne pouvait se le procurer.
01:54 Il n'y avait qu'un truc à faire, aller chez un imprimeur. Il y en avait des milliers, on se servait.
01:58 C'est ce que quelques journalistes ont fait.
02:00 C'est ce que vous avez fait, oui.
02:01 Et c'est comme ça qu'on a eu les secours.
02:02 Alors, il se trouve que dans ce voyage, avoir Gubler comme témoin des voyages de Mitterrand, c'est assez étonnant.
02:08 Comment vous êtes arrivé à ça ?
02:10 Écoutez, mon premier CDI, mon premier emploi, c'était à la Côte des Fossés, qui était un vieux quotidien boursier de l'époque.
02:20 J'habitais à l'époque Madagascar où je terminais ma thèse au ministère des Finances.
02:24 Et en fait, les seuls qui m'avaient dit "On vous donne un contrat, on vous signe un contrat", c'était la Côte des Fossés.
02:29 Bon, alors je suis arrivé à la Côte des Fossés et par le plus grand des hasards, en fait, j'ai commencé à suivre les briefings à l'Élysée,
02:34 faites à l'époque par Hubert Védrine, et puis de but en blanc, en fait, j'en suis venu à suivre les voyages présidentiels.
02:42 Donc j'ai connu l'entourage de François Mitterrand.
02:45 Et puis Claude Gubler qui accompagnait.
02:48 Quand un journaliste avait un petit malaise, c'est Claude Gubler qui donnait un médicament pour qu'on ait moins mal à l'autre bout du monde, vous voyez.
02:55 Et à propos de malaise, vous racontez avoir été le témoin un jour, enfin Claude Gubler a raconté,
03:00 un jour dans un opéra, François Mitterrand a vu un chef d'état malade et ça l'a traumatisé.
03:06 Oui, alors vous faites peut-être allusion à ce que je raconte dans "Les secrets de la vache présidentielle".
03:12 Et en fait, je vais raconter toute l'histoire, c'est que Mitterrand voit ses vieux dirigeants soviétiques à l'époque,
03:20 et il dit à Gubler "ne me laissez jamais terminer comme ça".
03:23 Et donc il y a tout un dialogue que je retranscris, mais sans avoir compris ce qu'il se passait, en fait, je vous le dis modestement,
03:29 en fait, on comprend que Mitterrand parle indirectement de sa mort et sans doute de la maladie qu'il a depuis 1980,
03:37 puisqu'on sait qu'il se faisait soigner au Val-de-Grâce depuis 1981, et qu'il avait ce cancer de la prostate.
03:41 Et en fait, c'est Michel Gonod, qui était à Match à l'époque, et qui lui, me fait un papier dans Paris Match, pas mal,
03:49 où il met en exergue ce passage, et c'est Michel Gonod qui écrira avec Claude Gubler le grand secret dont vous parliez tout à l'heure.
03:56 - Voilà, et effectivement, Mitterrand ne voulait pas finir comme un vieux légume.
03:59 - C'est ça, c'est la formule.
04:01 - Alors, il se trouve aussi que vous parlez de Ronald Reagan dans ce livre, qui était un spécialiste des histoires drôles,
04:05 ce qu'on ne sait pas vraiment aujourd'hui.
04:07 - Oui, oui, absolument, c'était un spécialiste des histoires drôles.
04:11 Quand vous accompagnez le président de la République dans des voyages, souvent vous allez dans les endroits où vous n'iriez absolument jamais.
04:18 Vous parlez de Ronald Reagan, j'ai un souvenir de la présidence de George Bush, où à l'époque Mitterrand va en voyage,
04:25 on se retrouve dans la résidence privée des Bush à Kennecbookport, dans le Maine, si ma mémoire est bonne.
04:30 Et en fait, les journalistes, Ralph Pinto, Paul Gilbert, Dominique Bromberger, tout le monde rentre dans cette résidence secondaire.
04:38 Évidemment, aujourd'hui, si je me pointais pour rentrer dans la résidence des Bush, je pense qu'on me dirait, cher monsieur, de circuler carrière à poil.
04:45 - Alors, il se trouve aussi qu'en parlant d'humour, il y avait un président qui, pour vous, est celui qui a été le meilleur ambassadeur de notre pays,
04:51 le général de Gaulle, qui avait beaucoup d'humour.
04:54 Un jour, à la douane, il arrive devant les douaniers, au cours d'un voyage, il fait "Messieurs, exceptionnellement, je n'ai rien à déclarer".
05:00 - Oui, oui. - Et c'est vrai que lui, c'était un symbole de la France.
05:03 - Ah bah oui. - Les voyages. - Oui, le général de Gaulle, oui, il a réussi, finalement, même si notre pays est un grand pays en termes d'histoire,
05:13 mais il a réussi à faire d'un petit pays à l'intérieur, dans le vaste monde, un grand pays à l'extérieur.
05:19 Et c'est ça, à mon avis, tout le génie gaullien. Puisque vous parlez d'humour, des présidents de la République,
05:25 si ma mémoire est bonne, c'est Catherine Ney qui me raconte un jour cette anecdote,
05:30 oui, je crois que c'est Catherine, qui discute avec Chirac, Chirac et les femmes, bon, là, on aurait pu écrire des livres, hein, mon cher Jacques.
05:36 Et donc, il a encore toute sa tête, il est un peu vieillissant, mais il a toute sa tête, et Catherine lui dit "Mais alors, les femmes ?"
05:44 et Chirac lui répond "Vous savez, moi, à mon âge, les raideurs se déplacent".
05:48 C'est magnifique. Alors, le journalisme, pour vous, Éric Grevel, c'est la concrétisation d'un long parcours,
05:54 qui a débuté à Courbevoie, où vous êtes né, dans une famille très modeste. Je crois que votre père est ouvrier mortaiseur.
06:00 Oui, c'est ça. Il est fraiseur mortaiseur. Il a longtemps travaillé ensuite à Nanterre, où j'ai habité aussi en cité HLM.
06:07 Ma mère gardait des enfants, oui, mais on n'était pas spécialement malheureux, mais c'est vrai qu'on habitait en HLM.
06:14 À l'époque où il y avait une mixité sociale, il y avait une mixité ethnique, mais finalement, tout ça fonctionnait assez bien.
06:23 J'ai été au lycée Jérôme Curie de Nanterre, j'ai fait toute ma scolarité de la 6ème à la Terminale à Nanterre,
06:28 avec une idée en tête, être journaliste, parce que ceux qui me faisaient rêver, mon cher Jacques, c'était Blessandrar,
06:35 c'était Ernest Hemingway, c'était Joseph Kessel, c'était Albert Londres, l'homme qui rêvait l'Albagne,
06:40 c'était ces grandes aventures, partir et raconter.
06:44 Et pourtant, vous vous dirigez vers l'économie et la finance. Pourquoi ?
06:47 Oui, parce que... Alors ça c'est une très bonne question, parce que souvent les psys vous disent,
06:51 mais suivant le secteur que vous choisissez pour y faire vos études supérieures, vous dites beaucoup de votre personnalité,
06:58 alors bon, l'économie et la finance, parce qu'en fait je suis assez fasciné par la macroéconomie, par ses grands concepts,
07:07 je suis intéressé par l'histoire économique. Et à Nanterre, où j'ai fait une partie de mes études avant de faire ma thèse en Sorbonne,
07:13 j'ai des profs aussi différents que Dominique Strauss-Kahn, que Philippe Herzog, que Denis Kessler, que Charles-Albert Michelet, que André Babaut,
07:22 voilà, il y avait dans ce bâtiment G des profs d'un extraordinaire niveau, qui m'ont fait apprendre et l'économie et la finance,
07:30 et ce que je ne savais pas, c'est qu'au début, en tout cas les premières années, quand vous étudiez l'économie,
07:34 vous faites beaucoup de maths, et là, je n'étais pas un super doué en maths, ni en probabilité.
07:38 Alors, vous avez quand même obtenu un DES d'économie du développement, une maîtrise d'économie internationale à Nanterre,
07:44 et un DEA de finance à la Sorbonne, ce n'est pas n'importe quoi.
07:47 Voilà, et puis ensuite j'ai fait mon doctorat d'État en finance internationale à la Sorbonne, avec Christian Morrison,
07:52 qui était mon directeur de thèse, sur les accords de confirmation du FMI, vous voyez, j'ai failli devenir on fonctionnaire au FMI ou au LCDE,
07:59 mais en fait, ce n'est pas ça qui me faisait rêver du tout.
08:01 Le FMI d'ailleurs, on n'en parlait pas autant qu'aujourd'hui, Éric Revelle.
08:05 Oui, alors le FMI, on en a beaucoup parlé, non seulement parce que c'était un peu la banque des pays en voie de développement,
08:11 mais aussi parce que beaucoup de ses dirigeants, plusieurs d'entre eux, de Delarossière à Michel Cansu, à Christine Lagarde,
08:19 en fait, ont été des dirigeants français, et c'est vrai que la politique imposée par le FMI aux pays en voie de développement était souvent critiquée,
08:27 et c'est ça que j'ai étudié, c'est pour ça que j'ai été à Madagascar pendant presque 3 ans, parce qu'en fait, une partie de ma thèse a porté sur la Grande-Île.
08:33 Voilà, et il y a aussi le Cameroun, la Côte d'Ivoire, que vous avez évoqué.
08:36 Alors, Christine Lagarde, puisque vous en parlez, on oublie une chose, c'est qu'à 15 ans, elle a été médaille de bronze au championnat de natation synchronisée,
08:43 et elle a intégré l'équipe de France.
08:45 Absolument, absolument. Elle est aujourd'hui présidente de la BCE, ce n'est pas une économiste, d'ailleurs, elle a quelques difficultés en ce moment en interne,
08:52 j'ai vu, c'est une juriste, elle a fait une partie de ses études à Nanterre, et pour la petite histoire, Jacques, peut-être que vous vouliez en parler,
08:58 c'est elle qui m'a remis ma Légion d'honneur.
09:00 C'est vrai ?
09:01 Ah oui, ah oui, oui, oui, oui, moi j'ai été très surpris, parce que j'ai eu la Légion d'honneur, j'avais 44 ans, voyez, voilà,
09:07 bon, pour mon parcours républicain, m'avait-on dit, pour ma pédagogie de l'économie, puisque je suis devenu journaliste économique,
09:13 et ce soir-là, Christine Lagarde m'a fait un honneur absolument incroyable, parce que souvent, vous savez, un ministre important remet,
09:20 comme un président de la République, un Premier ministre, il remet 10 Légions d'honneur en même temps, le même soir,
09:24 et elle, elle m'a dit "je te la remettrai, tu seras tout seul ce soir-là", et j'ai été extrêmement touché et ému.
09:29 Alors justement, vous avez dit que vous auriez pu devenir haut fonctionnaire, c'était vraiment le chemin normal, après tout ce que vous aviez fait, Éric Revelle ?
09:36 Oui, alors, je vais vous dire, ce qui est un peu, parfois, il y a des déclics dans la vie, il y a des moments qui restent gravés,
09:44 et moi, mon directeur de thèse, Christian Morrison, était le patron du centre de développement de l'OCDE à Paris, Richard Danlagache,
09:51 et parfois, quand j'allais le voir, bon, il me déchirait les pages que j'avais écrites en me disant "ça ne va pas",
09:57 bon, ça c'était la rigueur des profs, mais surtout, j'arpentais des couloirs dans lesquels je jetais un coup d'œil à droite et à gauche,
10:03 et je voyais ces gens de l'OCDE, qui devaient écrire des rapports que personne ne lirait jamais, avec au mur des dessins d'enfants,
10:11 qui égayaient un peu leur quotidien, et je me suis dit "non, moi, je rêve d'autre chose".
10:16 Et donc, c'est comme ça que l'idée du journalisme est venue ?
10:19 Oui, alors, bon, le journalisme, j'ai toujours, moi, ma grand-mère me disait, il paraît que je prenais une corde à sauter,
10:24 que je commentais les étapes du Tour de France quand j'étais tout petit, ça, je ne m'en souviens pas,
10:27 mais oui, témoigner, bouger, raconter, ça a toujours été mon moteur, oui.
10:33 Et vous pensiez que vous y arriveriez un jour ?
10:35 Alors, je venais d'un milieu, vous l'avez rappelé Jacques, qui n'était pas un milieu...
10:40 Voilà, mon père me disait "mais journaliste, on ne connaît personne, mais qu'est-ce que tu apprends, un vrai métier ?"
10:45 J'ai toujours eu à la fois de la chance, des opportunités, et des gens qui ont cru en moi.
10:53 Et des gens qui ont cru en moi. Je voudrais en citer une personne, qui a été une des grandes plumes de l'équipe,
11:00 ensuite qui a été rédacteur en chef à Automoto à TF1 à l'époque, qui s'appelle Christian Vella.
11:05 Et Christian Vella m'a donné confiance en moi, m'a fait rencontrer des gens du métier.
11:09 Alors, ils ne m'ont pas dit "on vous embouche" parce que M. Vella a dit que,
11:12 mais vous voyez, quand vous avez quelqu'un que vous admirez dans la profession, qui vous aide,
11:16 ça vous donne de la confiance, et cette confiance m'a permis de surmonter des obstacles.
11:21 Voilà, et il y a eu justement d'autres opportunités, et il y en a une qui est liée à une date, le 16 septembre 1983.
11:28 A tout de suite sur Sud Radio avec Éric Revelle.
11:31 Sud Radio, les clés d'une vie. Jacques Pessis.
11:34 Sud Radio, les clés d'une vie. Mon invité Éric Revelle, que vous connaissez bien le matin sur Sud Radio,
11:39 et qui exceptionnellement est ce soir au micro des clés d'une vie, dont c'est la 1300e, quand même.
11:44 Vous publiez "Le tirailleur inconnu", un roman qu'on va évoquer longuement tout à l'heure aux éditions d'Ulysée.
11:49 On a évoqué les débuts de votre parcours, peu connu des auditeurs,
11:53 et le 16 septembre 1983, c'est la première émission diffusée sur Radio Nostalgie.
11:58 Et donc Radio Nostalgie, vraiment, vous en êtes presque l'un des fondateurs avec Pierre Alberti.
12:03 Oui, avec Pierre Alberti, avec Albert Cohen, qui avec Dov Attia a monté toutes ces grandes comédies musicales.
12:09 L'aventure de Nostalgie commence à l'époque de l'explosion des radios libres.
12:13 Je travaille pour une petite radio qui s'appelle Radio Clémentine,
12:16 qui est soutenue par des mairies de gauche dans les Yvelines.
12:19 Il y a un monsieur qui arrive de Lyon, qui s'appelle Pierre Alberti, et qui cherche une fréquence.
12:24 Il tombe sur la fréquence de Nostalgie, de Radio Clémentine.
12:28 Et en fait, il a un concept que je trouve absolument génial d'entrée.
12:32 Il nous explique que la nostalgie, c'est un concept inépuisable.
12:36 Ce que vous écoutez aujourd'hui quand vous avez 20 ans, vous souhaitez l'écouter dans 20 ans ou dans 30 ans,
12:42 c'est le concept de nostalgie.
12:44 Donc ça commence à Lyon, puis à Paris, et puis ça se développe un peu partout en France,
12:49 parce qu'au moment des radios libres, seules les radios qui sont en réseau vont survivre.
12:53 Et je fais une émission, je ne sais pas si c'est celle-là...
12:55 - "Sans parti pris"
12:56 - "Sans parti pris", alors ça c'est fantastique.
12:58 Alors "Sans parti pris", c'est un peu avant la lettre qu'avez-vous fait de vos 20 ans.
13:02 C'est-à-dire que je prenais un homme politique ou une femme politique, et tout le monde venait.
13:06 Absolument tout le monde est venu.
13:09 A l'époque c'est Philippe Herzog, Jean-Marie Le Pen, Arlette Laguiller, Dominique Strauss-Kahn,
13:16 tout le monde vient absolument, et on parle de tout sauf de politique.
13:19 On parle de tout sauf de politique.
13:20 On parle des hommes, de ce qu'ils ont aimé, des sports qu'ils ont pratiqués,
13:23 des femmes, de leurs rencontres, de leurs amours, de leurs adolescences.
13:27 Juppé est venu, il m'a fait une émission absolument incroyable.
13:30 Chirac, je me souviens, m'a fait un truc dingue.
13:33 Je prépare l'émission avec lui, et c'était le centenaire du soutien-gorge.
13:39 Ça nous ramène à Chirac et les femmes.
13:42 Alors Claude Chirac était là, et elle dit "Monsieur", parce que je crois qu'elle ne l'appelle pas "papa" en public,
13:49 "là justement vous avez reçu un livre qui traite du sujet".
13:53 Alors Chirac me fait une boutade à la fin, il me dit "Je viens à votre émission à une condition,
13:57 puisque je reviendrai des Antilles, qu'on boit avant de commencer l'émission un Tee-Panche".
14:03 Je lui dis "Monsieur", il était Premier ministre, je lui dis "Monsieur le Premier ministre, très bien,
14:07 mais sauf qu'on enregistre le matin".
14:09 "Oui, tant m'ayant, on boit un".
14:11 Et donc on fait l'émission, et je le lance sur le centenaire du soutien-gorge à un moment donné.
14:15 Et il me dit "Magnifique, on reconnaît bien la plume de vos confrères
14:19 qui ont écrit ce formidable livre sur le centenaire du soutien-gorge".
14:23 Et là, Claude Chirac tape à la fenêtre du studio, à l'époque il y avait des fenêtres autour du studio,
14:27 et l'entrevue "Non, non, non, les gens que tu cites, c'est pas ceux qui l'ont écrit,
14:31 c'est ceux qui t'ont envoyé le livre".
14:33 C'est magnifique. Alors il faut savoir que recevoir des hommes politiques
14:37 alors que c'est le début des radios libres, que Nostalgie n'est pas encore très connue,
14:41 c'est une performance Eric Revelle, ce n'était pas évident.
14:44 Oui, mais moi Jacques, évidemment je n'ai pas votre parcours en radio et en télévision,
14:49 ce que je veux dire c'est que moi j'ai toujours été fasciné par les hommes et les femmes politiques
14:53 dans le sens où quand vous êtes un homme ou une femme publique,
14:57 vous êtes un homme et une femme tout court.
15:00 Et ce qui m'intéressait c'était de voir ce qu'étaient ces hommes et ces femmes tout court.
15:05 Et parfois ça donnait des choses absolument incroyables.
15:08 Je me souviens de Jean-Marie Le Pen m'expliquant comment il avait découvert
15:12 le corps de son père marin-pêcheur à la Trinité,
15:15 dont le bateau avait sauté sur une mine allemande, les yeux, le corps mangé par des crabes.
15:20 Ou Philippe Herzog, que je n'avais pas revu depuis longtemps, qui avait été mon prof à Nanterre,
15:24 qui avait été le grand intellectuel du Parti Communiste français.
15:27 Et je le vois arriver, il avait les cheveux tout blanc, toujours mi-long, mais tout blanc.
15:32 Et je refais rapidement le portrait que je faisais au début de l'émission, Jacques,
15:35 et je lui dis "mais Philippe Herzog, on a l'impression que toute la poussière du mur de Berlin vous est tombée sur la tête".
15:42 C'est une phrase magnifique, mais surtout, faire de la radio, encore une fois,
15:46 ce n'était pas votre métier au départ. Vous ne pensiez pas faire de la radio ?
15:49 Non, non, non, mais je me suis trouvé emmené par Pierre Alberti, Frédéric Coste, Albert Cohen
15:55 dans la création de Nostalgie à Paris, puis en réseau.
15:59 Et j'ai proposé cette émission que j'enregistrais, qui était diffusée le dimanche.
16:06 Et c'était absolument stupéfiant, parce que j'en étais moi-même le premier étonné.
16:11 Vous Jacques, vous n'avez pas de difficulté à faire venir les gens, mais tout le monde venait.
16:15 Je me souviens d'avoir enregistré une émission avec Jacques Chabond-Helmas.
16:18 J'arrive en retard, je dis à la noiselle du standard "mais vous n'avez pas vu un monsieur ?"
16:23 "Non, je n'ai vu personne", et en fait il était assis, il attendait et personne ne l'avait reconnu.
16:28 Extraordinaire.
16:29 Il faut savoir que la nostalgie à l'époque n'était pas un concept comme aujourd'hui, ça, ça débutait.
16:33 Et la nostalgie, en fait, c'est un sentiment d'exploration, d'un sentiment complexe et familier
16:38 qui a été inventé à la fin du 18e siècle par un historien anglais, Thomas Donneman.
16:43 Il n'est pas resté dans l'histoire.
16:45 Alors, il y a eu la radio et puis la presse écrite, parce que vous avez aussi débuté dans la presse écrite,
16:49 d'abord comme pigiste au parisien.
16:51 Oui, alors au parisien, donc pigiste au parisien, alors deux anecdotes.
16:56 D'abord au début, je faisais la météo au parisien, voyez, il y avait une dernière page
17:01 où il y avait une carte de France et où je mettais les nuages, les températures que m'envoyait l'AFP.
17:06 Et puis surtout, le parisien était en noir et orange, vous vous souvenez, à l'époque ?
17:10 Et donc, il y avait des tests quadricouleurs qui ont été faits dans plusieurs villes en banlieue parisienne,
17:15 Fontenay, Vincennes et Montreuil, sous bois, et ils cherchaient des pigistes.
17:21 Alors, à la fois, on faisait des photos, le texte, voyez, et c'est par exemple comme ça
17:25 que j'ai rencontré Bernard Lavillardière, qui à l'époque était pigiste avec moi.
17:29 Et on faisait absolument tout, voyez.
17:32 Donc, j'avais fait un jour un reportage sur un camp d'écrier de Rome, qu'on accusait de voler des choses, etc.
17:40 Et puis, j'avais été voir ces gens, et ils m'ont dit "non, non, mais nous, on vérifie tous les gens
17:43 qui rentrent dans notre campement pour être sûr que, comme ça, il n'y a pas de problème".
17:46 Et j'avais titré, Jacques, "un gitan", voilà, c'est ça, "un gitan à bout filtre".
17:51 Un gitan à bout filtre. Bon, à l'époque, ça passait.
17:55 – Et à l'époque, il y avait l'imprimerie qui était juste en dessous du journal.
17:58 – Bien sûr. – Il y avait l'odeur de l'encre.
17:59 Et moi, je me souviens avoir fait un jour un papy sur Charles Trenet, quand il est candidat à l'Académie,
18:03 "une fleur bleue chez les habits verts". Je suis arrivé par hasard à l'imprimerie,
18:07 et ils avaient titré "une peur bleue chez les habits verts".
18:10 Ils n'avaient pas vu la coquille. On a rattrapé ça à la dernière seconde.
18:14 Alors, ensuite, vous avez des univers très différents, puisque vous travaillez à "Jeune Afrique".
18:18 – Oui. – Alors, c'est un journal, quand même,
18:20 où il y a quand même eu des débutants qui s'appelaient Amine Malouf,
18:23 Olivier Restemanier et Jean Daniel. – Absolument, absolument.
18:26 Je travaille à "Jeune Afrique". Ça, c'est mon tropisme pays en développement.
18:32 C'est la grande époque où les intellectuels qui ont pignon sur rue s'appellent
18:38 Samir Amin, l'échange inégal, Paul Bairock, le tiers-monde dans l'impasse.
18:42 Donc, en fait, comme je fais ma thèse en finances internationales sur ces pays-là,
18:46 j'ai un avantage comparatif à pouvoir écrire quelques papiers.
18:50 Bon, le patron de l'époque de "Jeune Afrique" n'était pas simple, simple, simple, simple.
18:53 Donc, ensuite, il y a eu "Jeune Afrique Économie",
18:56 magazine pour lequel j'ai travaillé un peu plus, mais j'étais toujours pigiste, là.
18:59 J'étais toujours pigiste. C'était avant de partir à Madagascar.
19:01 – Oui, mais, Éric Revelle, vous avez eu une chance,
19:03 parce qu'aujourd'hui, pour rentrer dans un journal,
19:05 il faut avoir fait 4 ans d'études, avoir des diplômes.
19:07 Ce n'était pas votre cas, c'est un privilège.
19:09 – Oui, oui, oui, enfin, je m'étais dit, puisque vous m'avez posé la question
19:13 pourquoi on fait de longues études économiques comme vous avez fait,
19:15 je m'étais dit, si je veux être journaliste économique,
19:17 peut-être qu'on me prendra plus au sérieux si j'ai amassé quelques…
19:20 – Oui, mais vous n'avez pas fait d'école de journalisme.
19:22 – Ah non, pas du tout. J'ai même été refoulé du CFJ,
19:24 puisque j'étais admissible à l'écrit, qu'on passait aux arts et métiers à l'époque.
19:29 Mais malheureusement, à l'oral, j'ai été recalé par quelqu'un
19:31 qui ne devait pas partager toute ma façon de hiérarchiser l'information.
19:34 – Et quand on pense que Philippe Bouvard a été viré en disant
19:37 "ne fera jamais de journalisme", c'est un compliment.
19:40 Alors, il y a aussi une chanson qui est liée à ce pays,
19:42 à cette île dont vous avez parlé.
19:44 [Musique]
19:50 – Les surfs à présent, tu peux t'en aller à Madagascar,
19:53 qui ont été les représentants de Madagascar lors de l'inauguration
19:57 de la deuxième chaîne de télévision à Paris, tellement ils étaient célèbres.
19:59 – Ah ben ça, je ne sais pas, mais les surfs étaient très très célèbres.
20:01 Mon père avait les 45 tours des surfs, avant même que j'imagine
20:04 où se situait Madagascar géographiquement.
20:06 – Et Madagascar, vous avez beaucoup travaillé là-bas,
20:08 et même consacré un livre à Madagascar.
20:10 – Oui, j'ai écrit un livre qui s'appelle "Madagascar, l'île rouge".
20:15 Et là aussi, vous voyez Jacques, vous avez souvent connu ça dans votre carrière,
20:20 mais à l'époque je fais des piges pour Jeux d'Afrique,
20:23 et on me demande de faire une pige sur un endroit qui s'appelle
20:26 les Pêcheries de Nocibé, qui est une pêcherie de crevettes,
20:28 qui appartient à un très riche homme d'affaires de l'océan indien
20:32 qui s'appelle Salim Ismail.
20:34 Je rencontre ce monsieur, et comme je revenais de Madagascar,
20:36 je lui dis "pique-pendre de Ratsirak",
20:38 Didier Ratsirak était le président de la République de Madagascar,
20:41 parce que son pays s'était effondré,
20:43 parce qu'il avait épousé les idéologies nord-coréennes et soviétiques.
20:47 Et quelques temps après, on me donne rendez-vous
20:49 à un boulevard suché à Paris, en me disant "l'ambassadeur veut vous voir".
20:52 Bon, alors je vais voir, et puis on me dit
20:54 "il parait que vous voulez écrire un livre sur Madagascar".
20:56 Oui, oui, oui.
20:57 "Le président Ratsirak est ici, dans l'ambassade, il veut vous voir".
21:01 Et donc je vois arriver le président de la République de Madagascar,
21:03 Didier Ratsirak, qui nous a quittés il y a 2-3 ans à cause du Covid,
21:08 et il s'assoit, il me dit "alors, vous voulez écrire..."
21:12 Et là, vous savez, du haut de mes 28-30 ans,
21:14 je lui dis "ben écoutez, vous êtes corrompu, vous êtes paranoïaque,
21:17 il paraît que vous en bastillez vos opposants".
21:19 Et il me tape sur le genou, Jacques, je vous assure,
21:21 et il me dit "je suis d'accord pour faire ce livre avec vous,
21:23 quand revenez-vous en Tananarivo,
21:25 Tananarive, la capitale de Madagascar".
21:27 Et donc je suis retourné pendant 15 jours,
21:29 pour faire la biographie sans concession de Didier Ratsirak,
21:33 président de la République de Madagascar.
21:35 - Comme quoi tout est possible dans le journalisme.
21:37 - Quand on ose, oui, je crois.
21:39 - Alors, il y a aussi d'autres activités que vous avez vues dans d'autres lieux,
21:42 et il y en a une qui est liée à une date, le 9 octobre 1998.
21:46 A tout de suite sur Sud Radio, avec Éric Revelle.
21:49 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
21:53 - Celle de mon invité Éric Revelle, 1300ème émission des Clés d'une Vie,
21:58 nous célébrons cet anniversaire avec un livre,
22:00 "Le tirailleur inconnu, édition du Lys".
22:02 Et votre roman, qu'on va évoquer dans quelques instants,
22:05 on a évoqué déjà vos débuts dans le journalisme, vos études.
22:08 Et puis le 9 octobre 1998 est lié à ce générique.
22:13 "Eco Mag", le magazine de l'économie à Monaco.
22:20 Car vous avez aussi travaillé à Monaco.
22:22 - Alors Jacques, c'est incroyable.
22:24 - Absolument, absolument.
22:26 J'ai fait un magazine mensuel économique sur la principauté de Monaco.
22:31 Alors là, j'étais dans un autre univers,
22:33 avec la regrettée Jacqueline Berti,
22:36 qui était patronne du centre de presse de la principauté.
22:39 Et là, j'interviewais les chefs d'entreprise monégasques,
22:43 les sportifs, les membres du gouvernement monégasque.
22:48 J'avais oublié le nom de l'émission, Jacques.
22:51 Vous êtes très fort.
22:52 - La première émission, c'est sur le thème du sport et de la télévision.
22:56 Vous interviewez Daniel Herrero, qu'on connaît bien à Sud Radio.
22:59 - Oui, bien sûr.
23:00 - Vous évoquez la Coupe du Monde 98.
23:02 Comment êtes-vous arrivé dans cet univers de Monaco ?
23:05 - Alors écoutez, j'ai dû aller un jour, comme on le fait souvent,
23:09 parfois quand on est journaliste, à un voyage de presse.
23:12 C'est là où j'ai rencontré Jacqueline Berti,
23:14 qui était l'ancienne proviseure du lycée de Monaco,
23:17 qui était devenue la patronne du centre de presse,
23:19 qui était une femme formidable.
23:21 Et on a dû discuter d'une émission,
23:23 puisque moi j'étais journaliste économique.
23:25 Et donc je faisais parfois, Jacques, l'aller-retour dans la journée,
23:29 où je regardais les sujets que j'allais lancer.
23:32 J'arrivais, je prenais un hélicoptère de Nice, j'allais à Monaco,
23:35 j'enregistrais tous mes plateaux.
23:37 Ensuite, il y avait évidemment de la production.
23:39 Et je repartais le soir, parce qu'à l'époque, je travaillais pour LCI.
23:42 - Il se trouve qu'en même temps qu'à Monaco, on pouvait dormir.
23:44 Il y avait un hôtel très célèbre où les journalistes se rendaient,
23:47 qui était l'hôtel Métropole, et qu'on appelait Nécropole,
23:49 parce qu'en fait, vers 5h du matin,
23:51 les vieilles dames qui dormaient au dernier étage mouraient,
23:54 et les cercueils étaient descendus dans la nuit pour ne pas gêner les clients.
23:58 - Ça, j'ignorais !
24:00 Je ne me souvais pas avoir dormi à l'hôtel Nécrométropole.
24:03 C'est très drôle.
24:05 - En plus, Monaco, c'était très sympa,
24:07 parce que vous n'aviez pas le stress de l'audimat.
24:09 - Non. C'était une chaîne qui était diffusée sur le câble,
24:11 le Monégasque, c'était vraiment quelque chose de très restreint au niveau de l'audience.
24:14 - Oui, parce qu'il y a eu la radio, il y a eu la presse,
24:16 et la télévision, ça a débuté pour vous, Éric Revelle,
24:19 en devenant chef du service télévision au quotidien Les Echos.
24:22 Rien à voir avec le petit écran.
24:24 - Non.
24:26 Sauf qu'à l'époque, Nicolas Béthout, qui est le patron des Echos,
24:29 monte un petit studio de télé,
24:31 dans lequel on fera le journal de l'économie et l'invité de l'économie.
24:36 Et quand Nicolas Béthout, qui était le patron des Echos,
24:38 n'était pas là pour faire l'invité de l'économie,
24:40 un grand chef d'entreprise, un ministre, etc.,
24:42 c'est moi qui étais la doublure de Nicolas Béthout,
24:44 et donc qui assurait l'émission.
24:47 - Vous avez appris à faire de la télévision, ce n'est pas de la radio.
24:49 - Non, oui, vous avez raison.
24:51 J'ai appris à faire de la télévision, les axes caméras...
24:55 Mais en fait, il y a une chose qui ne trompe pas, je pense.
24:59 Je ne sais pas ce que vous en pensez, Jacques, vous.
25:02 Mais quand on est sincère devant un micro ou devant une caméra,
25:05 ça se ressent. Quand on ne l'est pas, ça se sent aussi.
25:07 - Oui, et de plus en plus, on n'est pas sincère, mais c'est un autre débat.
25:10 Alors, la TNT n'est pas née encore.
25:12 Il n'y a pas autant de chaînes qu'aujourd'hui.
25:14 Et ça, effectivement, petit à petit, vous allez faire partie
25:17 de ceux qui vont participer à la naissance des chaînes d'info et de la TNT.
25:20 Éric Revelle, c'est aussi un privilège.
25:22 - Oui, alors, celui qui me fait confiance à l'époque,
25:25 qui est le patron d'LCI, une fois que j'ai fini mon aventure aux échos,
25:30 c'est Jean-Claude Dassier, qui est le patron d'LCI,
25:33 et qui me recrute pour faire une rubrique économique que j'enregistre
25:36 alors que je travaille à La Tribune en même temps qu'il était un grand journal économique,
25:39 que j'enregistre à 4h du matin, 5h du matin.
25:42 Bon, j'ai eu quelques années un peu difficiles physiquement,
25:46 mais c'est comme ça, en fait, que je mets le pied à LCI.
25:49 - Et vous arrivez à LCI, qui vient de naître,
25:51 parce que c'est né en 94, Etienne Mougeot l'a présenté au journal de 20 heures,
25:55 ensuite il y a eu ITL qui est arrivé,
25:57 et ça a été l'explosion de ces chaînes d'info auxquelles personne ne croyait aller.
26:01 - Oui, vous avez raison. Alors, moi, j'arrive un peu plus tard,
26:03 comme journaliste, comme rédacteur en chef économie sur LCI.
26:07 Je me souviens, j'arrive après l'attentat du World Trade Center,
26:12 je suis embauché par Jean-Claude Dassier,
26:15 et en 2008, à ma grande surprise, enfin je pense que vous allez l'évoquer,
26:20 je deviens DG d'LCI.
26:22 Et là, pour moi, c'est un saut managérial, professionnel différent.
26:26 - Alors, il se trouve que LCI, au départ, il y a des jeunes qui sont là avec vous,
26:30 vous êtes un peu le parrain, le père de ces jeunes,
26:33 parce qu'il n'y a pas de journaliste confirmé sur ces chaînes.
26:37 - Oui, enfin, c'est Jean-Claude Dassier et Étienne Moujotte
26:39 qui, en fait, font les premiers recrutements, castings.
26:42 Mais c'est vrai qu'ensuite, moi j'ai embauché des gens
26:47 qui présentent actuellement des journaux sur les grandes chaînes de télévision,
26:53 ATF1 ou d'autres.
26:55 Le recrutement, le casting des journalistes femmes ou hommes,
27:00 c'est un savant dosage entre prendre la lumière, avoir une voix,
27:05 être crédible dans ce qu'on dit.
27:07 À l'époque, il y a des prompteurs pour ceux qui en utilisent.
27:10 Et puis l'info au quotidien, ça ne s'arrête par définition jamais.
27:14 Et puis parfois, des présentateurs qui font la matinale ou qui font le midi
27:20 ne seraient pas bons pour le soir et vice-versa.
27:22 Donc c'est tout ça qu'il faut sentir quand vous dirigez une chaîne.
27:25 - Oui, et le problème, c'est que même pour le directeur,
27:27 il faut faire pratiquement les 3 8, il faut être disponible tout le temps.
27:30 - Ah oui, parce que l'info ne s'arrête jamais, vous avez raison.
27:32 Et puis en plus, moi quand j'ai terminé ma semaine à LCI,
27:35 j'avais remplacé Pierre-Luc Séguillon au grand jury RTL, le Figaro LCI.
27:39 Donc je terminais plutôt le dimanche vers 20h30-21h
27:43 pour les premières réunions le lundi matin à 8h.
27:45 - Et comment on tient le rythme, Éric Revelle ?
27:48 - Il y a une certaine adrénaline parce que l'actu, en fait, c'est adopant.
27:53 Comme vous le disiez très justement, Jacques,
27:55 on est obligé de regarder perpétuellement, le plus longtemps possible la chaîne
27:58 pour éviter les écueils, les difficultés, les louper aussi parfois dans l'actu.
28:03 Ce qui était plus facile pour LCI, même si on était une chaîne payante à ce moment-là,
28:07 c'est qu'on était pratiquement les seuls sur le marché.
28:10 Il y avait ITL, mais BFM n'était pas créé, ou venait à peine d'être créé en 2008.
28:15 Donc si vous voulez, la concurrence n'était pas encore exacerbée.
28:18 - Et en plus, vous arrivez dans cette chaîne avec des petits moyens,
28:21 parce que les moyens n'étaient pas ceux des grandes chaînes non plus.
28:23 - Ah non, bien sûr, on arrive avec des petits moyens.
28:26 Alors on a quand même la chance d'être sur un standard quand même assez élevé,
28:30 parce que LCI, c'est une chaîne du groupe TF1,
28:33 et TF1, c'est la chaîne leader en Europe.
28:36 Mais c'est vrai, vous avez raison, que c'est pas si simple,
28:39 qu'on n'a pas forcément les mêmes moyens directs à l'époque que BFM,
28:42 qui est en train de se focaliser sur le hard news, c'est-à-dire sur l'info en instantané.
28:48 Et comme je n'avais pas ces moyens, et que je n'étais pas une chaîne gratuite,
28:51 j'avais inventé un concept qui était de dire en fait,
28:54 l'info c'est comme un diamant, si je vous montre une pierre brute de diamant,
28:58 ça n'a aucun intérêt. Ce qui compte dans le diamant, c'est la façon dont vous allez le tailler.
29:02 Donner un angle à une info, analyser cette info, c'est tailler l'info pour en faire un diamant.
29:08 - Alors il se trouve aussi que les petits moyens que vous aviez, c'était suffisant,
29:11 mais quand on pense aux journaux à la télévisée créés par Pierre Sabat en 1949,
29:15 ils n'avaient aucun moyen, ils avaient une petite cabine
29:18 où on diffusait des images en direct venues d'on ne sait où,
29:21 personne ne savait d'où elles venaient, et ils disaient n'importe quoi dans les commentaires.
29:25 Claude Darger, je le compte, et ça passait, personne ne disait rien.
29:28 - Oui, oui. - C'est votre chose.
29:29 Et pour développer les films, il y avait une sorte de petite cabine
29:35 avec, pour tenir les bobines, des bois de petits pois vides récupérés à la cantine.
29:40 La télévision a beaucoup évolué depuis.
29:42 Alors, vous êtes aussi celui qui a permis aux chefs d'entreprise
29:46 de venir à la télévision avec les hommes politiques,
29:49 ce qui était aussi innovant parce que pendant des décennies,
29:52 les chefs d'entreprise, Éric Revelle, se taisaient, ils étaient dans leur bureau.
29:55 Pas de médias.
29:56 - Oui, alors j'avais commencé par un rendez-vous de 7 minutes sur LCI
30:00 à l'époque où j'étais journaliste, qui s'appelait "L'invité de l'économie",
30:03 où je rechevais un très grand chef d'entreprise.
30:05 Tout le monde venait, Arnaud Lagardère, Lachpie Mittal, Richard Bronson,
30:11 pour ceux qui ont une culture américaine,
30:14 et le patron de General Electric, qui était le patron de la télévision.
30:17 Et ensuite, j'ai créé une émission qui s'appelait "Le Club LCI".
30:20 Le concept est très simple,
30:23 c'est qu'en fait, les hommes politiques et les chefs d'entreprise
30:26 se parlent rarement publiquement.
30:28 Ils se parlent évidemment en coulisses, mais ils se parlent rarement publiquement.
30:31 J'avais créé ce Club LCI qui était en direct de l'Oéthereum de TF1,
30:34 qu'on retransmettait une fois par mois en direct sur LCI,
30:37 où j'ai eu des confrontations absolument extraordinaires.
30:40 La première confrontation pour lancer le Club LCI,
30:43 c'était avec une affiche.
30:45 J'avais convaincu Christine Lagarde et le regretté Christophe de Margerie de venir.
30:50 Mais comme j'avais Christine Lagarde qui m'avait dit
30:52 "Oui, mais il me fallait un chef d'entreprise de la dimension de cette affiche,
30:56 de cette première émission",
30:58 et j'avais envoyé un SMS où j'avais appelé Christophe de Margerie,
31:01 qui m'avait dit "Non, je peux pas, je suis en Arabie Saoudite",
31:04 et en fait j'avais demandé à Christine Lagarde de le faire appeler.
31:06 Donc il m'avait rappelé en me disant "Mais tu te fous de moi ?
31:08 Je t'ai dit que je ne pouvais pas !
31:10 Et comme le cabinet de la ministre m'a appelé, bon ben je vais venir !"
31:13 Il ne m'a pas du tout épargné pendant l'émission,
31:15 il m'a fait comprendre que je ne connaissais rien à l'exploitation du pétrole.
31:18 Ce qui n'était pas faux.
31:20 - C'est ce qui s'appelle faire la totale, en quelque sorte.
31:22 Mais ce qui est étonnant aussi, c'est que les chefs d'entreprise
31:24 n'étaient pas uniques à la télévision.
31:26 Ils ont été coachés quelques fois par des spécialistes, des professionnels,
31:29 pour apprendre à parler devant un micro.
31:31 Ce n'était pas leur spécialité.
31:33 - Non, vous avez raison.
31:35 J'imagine qu'ils faisaient un peu de training avant l'émission,
31:38 comme l'invité de l'économie ou le club LCI.
31:40 Mais moi ce qui m'intéressait, c'était surtout que les hommes,
31:44 les femmes politiques et les chefs d'entreprise
31:46 puissent montrer les différents horizons qu'ils émènent.
31:55 Un homme politique, son horizon, c'est un horizon plutôt court terme.
31:58 C'est son mandat, c'est son poste de ministre.
32:01 Un chef d'entreprise, il doit avoir une vision beaucoup plus à long terme.
32:04 Et ce télescopage perpétuel entre le politique et le chef d'entreprise,
32:07 moi, m'intéressait beaucoup.
32:09 - Et puis vous avez fait aussi une chaîne de télévision récemment,
32:11 qui est Azur TV à Cannes.
32:13 Ça c'était aussi une télévision locale.
32:15 Vous avez permis à Philippe Bouvard de faire de la télévision à 91 ans.
32:18 - Vous savez absolument tout Jacques.
32:21 Oui, alors je vais vous dire, d'abord, je voudrais rendre hommage
32:24 à deux personnes, personnalités, qui hélas nous ont quittés.
32:27 Parce que c'est Etienne Mougeot qui me fait rencontrer le patron d'Azur TV,
32:31 qui est Iskandar Safa, qui vient de nous quitter également,
32:35 qui était ce grand chef d'entreprise qui avait énormément réussi
32:38 dans les chantiers navals.
32:40 C'est Etienne Mougeot qui me fait rencontrer Iskandar Safa,
32:42 qui à ce moment-là, cherche un patron pour Azur TV,
32:44 qui en gros allait de Monaco à Marseille.
32:46 Donc on avait trois fréquences, une à Marseille,
32:48 dans les locaux de la Provence, le journal,
32:50 une à Toulon et une à Nice, à Mendeleev même,
32:53 où on avait nos studios.
32:55 Et c'est grâce à Etienne Mougeot que je me lance dans cette aventure
32:58 et je rentre un jour, puisque Etienne m'avait convaincu,
33:00 avec Francis Morel, d'aller sur place.
33:03 Et je dis à ma femme, à partir de lundi, j'habite à Nice,
33:05 j'espère que tu vas venir !
33:07 Et en fait, on a déménagé à Nice pendant trois ans,
33:09 puisque ensuite Azur TV a été revendu à Altis,
33:13 au groupe Altis, à BFM.
33:15 Et pour la petite histoire, puisque vous parliez de Philippe Bouvard,
33:19 à qui j'adresse un salut confraternel,
33:21 pour moi, le truc absolument qui montrait qu'on avait réussi notre coup,
33:26 c'était que Laurent Gérard, sur RTL, une fois par semaine quasiment,
33:30 se foutait avec bienveillance d'Azur TV,
33:33 où il imitait deux de mes chroniqueurs,
33:35 qui étaient à l'époque Philippe Bouvard et Jean-Michel Apex.
33:38 Et c'était absolument génial !
33:40 C'était gagné !
33:41 - Alors, une autre de vos passions moins connues, c'est le sport,
33:44 et vous avez, je crois, présidé le jury du prix Jacques Godet,
33:47 il y a quelques années, en 2016.
33:50 Et pour vous, c'était quelque chose d'important aussi ?
33:53 - Oui, oui, bien sûr. Alors là, c'est ma période Radio France,
33:55 puisqu'à l'époque, je dirige France Bleu,
33:57 qui est le réseau des radios locales de Radio France,
34:00 il y a 44 locales France Bleu.
34:02 Et j'ai eu le grand bonheur d'être le président de ce jury Jacques Godet,
34:09 en souvenir évidemment de Jacques Godet, le créateur du Tour de France,
34:12 du Miroir du Sport, de l'équipe aussi.
34:15 Et en fait, il s'agissait de récompenser le meilleur article sur le Tour de France.
34:20 Et donc, je présidais le jury, autour d'un bon déjeuner, mon cher Jacques, évidemment.
34:25 Et puis, il y avait eu aussi, j'ai oublié le nom de ce journaliste...
34:29 - Denis Lalanne, le prix Denis Lalanne.
34:31 - Voilà, le prix Denis Lalanne, aussi pensé pour Denis qui nous a quittés.
34:34 Denis Lalanne, là aussi, j'ai présidé un jury à Roland-Garros,
34:38 où il s'agissait de récompenser le meilleur article de presse écrite,
34:42 de presse écrite sur un combat épique sur le central.
34:47 - Voilà, et bien vous pratiquez aussi d'autres sports intellectuels,
34:50 on en parle avec une autre date, le 27 janvier 2004.
34:53 A tout de suite sur Sud Radio avec Éric Revelle.
34:55 - Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
34:58 - Sud Radio, les clés d'une vie, 1300e émission, Éric Revelle, notre invité.
35:03 Ceux qui vous écoutent le matin, maintenant, savent tout ce que vous avez fait à côté.
35:07 Et ça continue avec le 27 janvier 2024, où est sorti ce roman,
35:12 "Le tirailleur inconnu", aux éditions de l'Isée.
35:14 Alors, c'est un roman qui, au départ, est inspiré d'une histoire vraie,
35:18 qui se déroule pendant la Première Guerre mondiale, Éric Revelle.
35:20 - Oui, oui, alors, moi, toute ma famille maternelle est originaire de l'île d'Orée
35:25 et du village de la Couarte-sur-Mer.
35:27 Et à chaque fois que j'allais, même jeune, sur la tombe de mes arrières-grands-parents,
35:31 j'avais noté qu'il y avait la tombe d'un tirailleur sénégalais,
35:35 qui était mort le 8 juin 1917, et je me suis très longtemps demandé
35:38 ce que faisait un tirailleur sénégalais en 1917 à la Couarte-sur-Mer.
35:42 Et en fait, comme j'avais un peu de temps de libre,
35:44 j'ai travaillé pendant deux ans autour de l'histoire de ce personnage,
35:48 et je me suis aperçu qu'il était monté avec 400 autres tirailleurs sénégalais
35:53 sur un bateau qui s'appelait le Sequana,
35:55 qui était un bateau commercial qui avait été armé pour la Première Guerre mondiale,
35:58 et qu'en fait, ce bateau, avec ses tirailleurs sénégalais
36:01 qui montaient, évidemment, pour aller au front, à Verdun ou au Chemin des Dames,
36:05 avait été coulé au large de l'île d'Yeux, à la pointe des Corbeaux,
36:08 par un sous-marin allemand.
36:10 Et deux corps de tirailleurs sont venus s'échouer sur une plage de la Couarte,
36:14 et c'est là que je prends l'histoire absolument stupéfiante
36:17 de ces deux tirailleurs sénégalais,
36:19 parce qu'au même moment, Roger Bonin,
36:22 qui est le fils unique des instituteurs de la Couarte,
36:25 Gaston et Noémie Bonin,
36:27 meurt, lui, comme sous-lieutenant, dans son avion.
36:29 Et en fait, entremêler ces destins
36:32 entre des tirailleurs qui venaient et qui ne savaient pas ce que c'était que la patrie,
36:35 qui ne comprenaient pas ce qu'était la France,
36:37 et ce Roger Bonin qui, en plus, était un poète en devenir,
36:41 il publiait dans la même maison d'édition que Guillaume Apollinaire,
36:44 ces destins croisés m'ont inspiré
36:47 ces 200 pages que vous commentez, mon cher Roger.
36:50 - Alors, il se trouve que les tirailleurs sénégalais,
36:52 on ne sait pas toujours ce que c'est,
36:54 certains venaient du Sénégal car c'était les premiers,
36:56 mais pas seulement. - Non, non.
36:58 - Et d'ailleurs, ils protégeaient les soldats,
37:01 ils protégeaient les bagnards qui allaient à Cayenne,
37:04 ils avaient des maisons très précises. - Absolument.
37:06 Au début, j'ai même pensé, Jacques,
37:08 qu'il y avait effectivement un détachement de tirailleurs sénégalais
37:11 qui protégeait les bagnards qui allaient à Cayenne,
37:13 mais qui partaient de Saint-Martin-de-Ré,
37:15 c'est-à-dire le village à côté de la coirde.
37:17 Et j'ai pensé qu'en fait, Nogail Ubudo,
37:19 qui est de ce tirailleur sénégalais,
37:21 qui était de, à l'époque, de Haute-Volta,
37:24 il n'avait pas de Burkina Faso,
37:26 on parlait du Soudan français aussi,
37:28 j'ai pensé qu'il faisait partie de ce détachement,
37:30 mais pas du tout en fait. Il est venu, son corps est venu s'échouer,
37:32 sur une plage de la coirde, et c'est là où commence son histoire.
37:34 - Il se trouve que beaucoup de passagers ont été sauvés,
37:37 ce jour-là, sur le bateau,
37:39 mais les tirailleurs sénégalais ne parlaient pas français,
37:42 ne comprenaient pas les consignes pour échapper,
37:44 pour sortir du bateau. - Exactement.
37:46 Ils ne parlaient pas français,
37:48 il y avait évidemment des dialectes différents,
37:50 ils ne comprenaient même pas ce que leur disait leur sous-officier,
37:52 la plupart, évidemment, n'avaient jamais vu la mer,
37:54 ne savaient pas nager,
37:56 donc vous imaginez la panique,
37:58 et c'est le début de l'ouvrage, en fait, du roman,
38:01 c'est-à-dire que j'imagine ces deux tirailleurs,
38:03 dont les corps vont venir s'échouer sur une plage de la coirde,
38:05 qui se donnent la main,
38:07 et qui savent que leur sort est réglé.
38:09 Et en fait, j'ai voulu,
38:11 j'ai voulu,
38:13 leur redonner de la voix,
38:15 de l'existence,
38:17 parce que Roger Bonin, le sous-lieutenant, lui,
38:19 il a été enterré avec, j'allais dire, les honneurs,
38:21 et il faut savoir aussi que,
38:24 Gaston et Noé Bonin, tout ça est vrai, hein, Jacques,
38:27 les deux instituteurs,
38:29 perdent leur fils unique,
38:31 et ils demandent aux maires de la coirde,
38:33 ils vont donner des parcelles de terrain,
38:35 de construire un monument aux morts,
38:37 dont le premier nom sera celui de Roger Bonin,
38:40 le sous-lieutenant mort.
38:42 Et l'une des conclusions de ce roman,
38:44 bon, il y a plein de choses,
38:46 mais c'est de s'interroger,
38:48 pourquoi est-ce que les tirailleurs,
38:50 qui venaient de Haute-Volta,
38:52 qui venaient du Soudan français,
38:53 qui sont morts pour la France, finalement ?
38:55 - Sans l'avoir connu ?
38:56 - Sans l'avoir connu, sans avoir mis,
38:57 ils n'ont pas eux aussi leur nom sur les monuments morts ?
38:59 - Oui, parce qu'il y a une simple inscription,
39:01 avec un des noms, et même pas les deux noms,
39:04 car le deuxième nom était un mystère pendant des années.
39:06 - Absolument, Jacques, absolument,
39:08 c'est Michel Pelletier, qui est l'historien de la coirde,
39:10 qui a donné une identité au deuxième tirailleur,
39:13 parce que pendant très longtemps, effectivement,
39:15 il n'y avait qu'un nom sur la tombe, celui de Noga,
39:17 et le deuxième, c'est Driss Sacco,
39:20 qui a été identifié il y a un an,
39:23 grâce à sa plaque de soldat,
39:26 on a donné un nom au deuxième tirailleur de la coirde.
39:30 - Alors ce qui est étonnant, c'est que tout de suite,
39:32 dans ce petit village, le conseil municipal s'est réuni,
39:34 et on s'est retrouvé face à des problèmes
39:36 dignes de Kloch-Merle ou de Don Camilo,
39:38 qu'est-ce qu'on allait faire de ces deux corps ?
39:41 - Oui, qu'est-ce qu'on allait faire de ces deux corps,
39:43 vous imaginez, c'est pas si simple,
39:45 même s'ils ont été retrouvés,
39:47 donc il y a un journaliste qui s'appelle Bière-Bélige,
39:50 qui travaille pour le Soldat Rétey,
39:52 qui est l'ancêtre du Phare de Ré,
39:54 qui est un commadère aujourd'hui de l'île d'Orée.
39:56 - Il y a à l'époque un bimensuel pour la tourée de la guerre,
39:58 et une revue qui a duré jusqu'en 1918.
40:01 - Exactement, exactement Jacques.
40:03 Et en fait, Bière-Bélige s'intéresse à la cause,
40:06 il couvre pour le Soldat Rétey l'enterrement des deux,
40:09 de Roger Bonin et des tirailleurs sénégalais.
40:12 Il écrit des papiers, et puis il se prend d'intérêt,
40:15 en fait il correspond avec Albert Londres,
40:18 qui lui va révéler la cause du bang,
40:20 puisque vous en parlez,
40:22 les bannières partent de Saint-Martin-de-Ré,
40:25 et en fait il veut être accrédité au front,
40:27 Bière-Bélige, pour continuer à suivre
40:29 et raconter l'histoire de ces tirailleurs.
40:32 Il était originaire d'à côté de Reims,
40:34 en fait il meurt après avoir été accrédité,
40:37 et son manuscrit, parce qu'il avait assisté
40:39 à la commission d'enquête du coulage du Séquona,
40:42 et son manuscrit revient dans les mains
40:44 du receveur des postes du Séquona.
40:46 Ce monsieur prend sa retraite à Saint-Clément-des-Baleines,
40:51 qui est un petit village pratiquement au bout de l'île de Ré,
40:53 et un jour je vais chez une antiquaire
40:55 qui mettait des journaux de côté,
40:57 vous savez, des sud-ouest de 1944, des trucs,
41:00 et me dit "j'ai un truc pour vous",
41:01 et je tombe sur le manuscrit de Bière-Bélige
41:03 qui s'appelle "Le tirailleur inconnu".
41:05 - C'est incroyable, parce qu'en plus c'est pour ça
41:06 que vous avez fait ce livre,
41:07 car tout est vrai et tout est faux en même temps.
41:10 - Alors, c'est pour ça que j'ai mis en exergue
41:12 le fameux aphorisme de Paul Huysvion,
41:15 "l'histoire est vraie puisque je l'ai inventée".
41:17 Je ne vais pas vous donner la clé de tout,
41:19 mais 90% de ce que j'écris dans ce livre est vrai.
41:22 C'est-à-dire que Roger Bonin,
41:24 c'est-à-dire que les deux tirailleurs,
41:25 c'est-à-dire que même les personnages.
41:27 Je mets en scène mon arrière-grande-tante,
41:29 Gabrielle Lefort, que j'ai bien connue,
41:31 qui a été mariée trois mois, Jacques.
41:33 Son mari est parti à la guerre, sur le front de l'Est,
41:37 on n'a jamais retrouvé le corps,
41:39 elle ne s'est jamais remariée, Gabrielle Lefort.
41:41 Et j'imagine la scène au moment
41:43 où elle prend congé de son mari,
41:45 et où Bière-Bélige assiste en disant
41:47 "mais que fait ce jeune homme ici,
41:49 il devrait être au front".
41:51 Et en fait c'est une scène d'adieu.
41:53 Mon arrière-grande-tante dit au revoir à Aristide Lefort,
41:56 qu'elle n'aura connu que trois mois.
41:58 Et vous savez, ça faisait partie de ces gens
42:00 qui sur le haut de la petite cheminée
42:02 avaient des douilles de 14-18,
42:05 vous racontaient par le menu ce qui s'était passé.
42:09 Et Gabrielle ne s'est jamais remariée,
42:11 elle est morte à 95-96 ans,
42:13 et elle a été mariée trois mois.
42:15 Et je trouve aussi que,
42:17 vous racontez ces histoires parce que vous les connaissez,
42:19 je crois même que vous avez acheté une maison
42:22 dans la rue où votre mère avait acheté une maison.
42:25 Alors ma grand-mère, absolument, absolument,
42:27 ouais ouais, absolument.
42:29 Moi j'ai souvent été à la coire dans vacances,
42:32 et là, je me suis dit c'est un signe de la providence.
42:35 Parce que, bon,
42:37 c'est pas simple d'acheter une maison,
42:40 j'avais jeté mon dévolu sur une autre maison
42:42 qui nous a échappés,
42:44 et finalement la maison que j'ai achetée,
42:46 oui Jacques, vous êtes bien enseigné,
42:48 elle est quasiment en face de la maison de ma grand-mère,
42:51 Raymond Turbet, mon grand-père s'appelait Maurice Turbet,
42:54 où j'ai passé des tas et des tas de vacances,
42:57 où je travaillais même l'été à la coire,
42:59 j'étais déballeur sur le marché,
43:02 voilà, et je me suis dit,
43:05 c'est absolument incroyable que de racheter la maison en face,
43:08 à un numéro près de la rue des écoles, je crois.
43:11 C'est fou, hein.
43:12 Alors, il se trouve que ce roman, "Le tirailleur inconnu",
43:14 vous partez de cette histoire vraie,
43:16 pour vraiment une histoire qui va jusqu'au bout,
43:18 et "Le tirailleur inconnu", ça fait penser au soldat inconnu,
43:21 et d'ailleurs le soldat inconnu, je sais pas si vous le savez,
43:23 il a été choisi par un jeune soldat,
43:25 devant André Maginot, parmi sept corps.
43:29 Et d'ailleurs, qui vous dit que c'est pas un tirailleur ?
43:32 Exactement, et comme disait un humoriste,
43:35 la veuve n'a pas touché de pension.
43:37 Alors, ça veut dire aussi que vous racontez aussi
43:39 le quotidien dans ces petits villages, pendant la guerre.
43:42 Oui, c'est ça aussi, absolument, c'est ça que j'ai voulu faire vivre.
43:45 Les nourritures, les sèches qu'on pêche et qu'on mange au printemps,
43:49 le chocolat noir, on joue à la belote et aux petits chevaux.
43:52 C'est vrai, vous avez connu ce genre de choses ?
43:54 Bien sûr, je jouais à la belote avec mes grands-parents.
43:56 Mon grand-père trichouillait un peu, oui bien sûr,
43:58 la belote c'était...
44:00 Vous savez, sur une île, avant qu'il y ait le pont à l'île Dorée,
44:04 il y avait le bac, l'hiver, c'est une île où quand il pleut,
44:07 où il fait froid, les hivers sont longs.
44:10 Donc, il y a dans la salle des fêtes,
44:12 les gens vont jouer à la belote, font des concours,
44:14 jouent aux petits chevaux, c'est de l'époque aussi où on achète,
44:17 j'en parle, ces pains très plats à l'anis,
44:20 que j'allais chercher pour ma grand-mère dans une boulangerie à Ars,
44:24 qu'on fait réchauffer dans la gazinière au gazole.
44:28 C'est l'époque où vous n'avez pas de chauffage dans les chambres,
44:31 alors vous avez une brique qu'on met dans une chaussette
44:34 parce qu'elle est chaude le soir, et puis on la met sous les draps
44:37 pour que les draps soient un peu moins humides.
44:39 C'est toute cette époque-là, et puis l'époque d'avant,
44:42 où il y avait une vraie solidarité entre les gens,
44:44 où les gens vivaient de peu de choses sur l'île Dorée.
44:47 Ils avaient un petit carré où ils cultivaient des oignons, des asperges,
44:51 et puis ils allaient dans les écluses à poisson,
44:53 et ils ramassaient, lorsque la tempête le laissait sur la côte,
44:56 des boules de filet, des cordages, qui seraient utiles un jour.
45:01 Vous voyez, c'était cette époque-là.
45:02 - Et en même temps, votre livre est une leçon de journalisme,
45:05 puisque vous expliquez dedans qu'une information doit être vérifiée
45:08 avant d'être publiée.
45:09 Et ça, c'est quelque chose, c'est la base qui n'est pas toujours respectée.
45:12 - Oui, c'est Pierre Béliche à qui je fais dire ça, oui absolument.
45:15 Et puis vous avez noté une chose, c'est qu'il y a un point commun incroyable,
45:19 mais j'en suis aperçu à la fin, c'est que le manuscrit de Pierre Béliche,
45:22 le tirailleur reconnu, il est inachevé, puisque c'est moi qui l'achève,
45:25 et Pierre Béliche écrivait en écoutant le Requiem de Mozart,
45:30 qui est également une oeuvre musicale inachevée.
45:33 Et ça, j'ai trouvé que c'était assez troublant.
45:36 - Et d'ailleurs, lorsqu'il écrit, il s'interroge sur notre vie, sur le devenir.
45:39 Et il y a une autre chanson aussi, qui n'est pas de Mozart,
45:42 mais d'un poète très connu, qui évoque ce sujet.
45:45 - L'entendre, l'entendre, l'entendre,
45:49 à part avec l'air de la toux.
45:53 - Une chanson écrite en un chambre d'automne à New York.
45:56 - Magnifique, magnifique.
45:57 - Très net, au milieu de sa vie, en disant "qu'est-ce que je vais devenir ?"
46:00 Et effectivement, ça correspond un peu à votre sujet,
46:02 que devienne effectivement ce qui nous reste,
46:06 ce qui s'est passé après notre disparition.
46:09 Et c'est le cas du texte que vous remettez en forme.
46:13 - Oui, c'est... Parfois la vie vous réserve de drôles de surprises.
46:19 Moi, je pars du principe, peut-être pour avoir moins peur, pour l'au-delà,
46:23 qu'il n'y a pas vraiment de hasard, que la Providence veille sur un certain nombre de moments,
46:29 de vies, de rencontres.
46:31 Vous voyez, on peut se dire "j'ai pas de chance" ou "j'ai de la chance",
46:34 "j'ai des bons souvenirs" ou "j'en ai des mauvais",
46:36 mais en fait, je pense qu'il y a quelque chose qui nous échappe.
46:41 C'est ma conviction. Vous parliez de cette maison,
46:44 j'avais aucune chance de la trouver en face de celle de ma grand-mère.
46:48 Mais en fait, je me rends compte que dans ce livre, je parle beaucoup de la mort.
46:54 Je parle beaucoup de la mort.
46:56 J'imagine des dialogues posthumes, vous avez vu, entre les tombes.
47:00 J'imagine... Quand on parle de souvenirs ou de mémoire,
47:05 c'est que déjà, on est un peu moins dans l'avenir et dans le présent,
47:08 et un peu plus encore dans le passé, non ?
47:11 - Oui, sauf que c'est une leçon de vie en même temps, ce livre.
47:13 - Oui, c'est une leçon de vie.
47:16 C'est ma façon à moi d'honorer ces deux tirailleurs,
47:20 de parler de Roger Bonin, de parler de Lacroix.
47:23 Parce que vous savez, les gens, quand ils vont dans l'île d'Orée aujourd'hui,
47:25 ils ont l'impression que c'est une espèce de Saint-Tropez de l'Atlantique, etc.
47:28 Mais ça n'a pas été ça...
47:32 Il y a 20 ans, 30 ans, les gens vivaient chichement.
47:36 Les maisons ne valaient pas grand-chose.
47:38 Ils ne pouvaient même pas les réparer,
47:40 parce qu'ils n'avaient pas les moyens pour réparer leur propre maison.
47:42 Donc c'est toute cette période-là que j'ai essayé de faire revivre
47:46 et de rendre hommage à mes grands-parents, à mes arrière-grands-parents.
47:49 - Et vous êtes tellement attaché à la coire de surmer
47:52 que vous êtes aujourd'hui président de l'Association pour la protection des sites.
47:55 - Oui, absolument. C'est l'APSC.
47:58 D'ailleurs, on va bientôt classer le monument aux morts dont je parle dans le livre,
48:03 qui est le monument aux morts de la coire,
48:05 qui est une formidable aventure,
48:06 parce que vous avez un aigle de 400 kg de bronze
48:09 qui est au pied de ce monument aux morts.
48:11 Il faut voir, c'est hallucinant.
48:13 Il faut savoir que pour la petite histoire,
48:15 c'est un grand prix de sculpture, un grand prix de Rome de sculpture,
48:18 octobre et mai,
48:20 qui était un des premiers estivants à venir à la coire,
48:22 qui décide de donner, gratuitement,
48:25 pour que ce monument aux morts existe à l'époque de Roger Bonin,
48:28 tous ses plans et sa conception,
48:30 de le donner au maire de la coire pour qu'on puisse construire ce monument aux morts.
48:33 - On sent votre passion.
48:35 Je sais aussi que vous protégez l'environnement
48:37 et qu'un mégot sur la plage vous met de très mauvaises humeurs.
48:39 - Oui, bah oui, oui, oui,
48:41 parce que vous savez combien de temps ça met un mégot sur une plage ?
48:44 Mais où c'est que vous avez trouvé ça ?
48:45 - Ah bah je me suis renseigné !
48:47 En tout cas, tout ce que je souhaite,
48:49 c'est que ce livre, justement, fasse un tabac.
48:51 Et vous le méritez, parce que c'est à la fois passionnant et passionné.
48:54 Et je suis sûr que vous allez continuer à écrire d'autres romans
48:56 entre deux chroniques, Éric Revelle.
48:58 - Merci beaucoup, Jacques. Merci, merci.
49:00 J'étais très honoré d'être en face de vous, mon cher Jacques.
49:02 - C'était... - Si, si, je vous le dis.
49:03 - C'est gentil. - Ça me touche beaucoup.
49:05 Je vais l'enregistrer, je vais la garder
49:07 pour les générations futures.
49:08 - Exactement. Sur YouTube, comme toutes les émissions d'Éclid Livy,
49:11 YouTube, nous avons maintenant près de 900 000 abonnés.
49:13 Le tirailleur inconnu, c'est aux étudiants de l'ISEE, Éric Revelle.
49:16 Merci, et puis à très vite sur l'antenne de Sud Radio.
49:18 - Merci mille fois, Jacques.
49:19 - L'Éclid Livy, c'est terminé pour aujourd'hui.
49:21 On se retrouve bientôt.
49:22 Restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.

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