7 octobre : le mal absolu [Pierre-Yves Gomez]

  • il y a 8 mois
Xerfi Canal a reçu Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à emlyon business school, Institut Français du Gouvernement des Entreprises, pour parler du 7 octobre.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Bonjour Pierre-Yves Gomez.
00:09 Bonjour Philippe.
00:10 Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à Emlyn Business School.
00:13 Emérite, ça signifie que vous prenez votre retraite.
00:15 Et donc ça y est, le champ des possibles s'ouvre.
00:17 Voilà, vous allez pouvoir décider tout ce que vous allez faire, quel bonheur et travailler
00:22 encore plus.
00:23 Déjà, vous t'y allez pas mal.
00:24 Pierre-Yves Gomez, vous avez été mon professeur il y a 30 ans.
00:28 Et avec vous, vous m'avez fait découvrir Foucault, Girard, etc.
00:33 qui m'ont, à partir de là, passionné évidemment.
00:35 Aujourd'hui, on est après le 7 octobre.
00:39 Et en échangeant avec vous, vous m'avez dit, voilà, c'est le mal absolu.
00:44 Est-ce que vous pouvez décrypter pour nous ce qui s'est passé le 7 octobre et qui
00:48 a pu susciter tant d'incompréhensions, notamment quant aux positions politiques
00:52 des uns et des autres ?
00:54 D'abord, je dois dire que j'ai pas ni vocation ni légitimité à porter un jugement
01:01 sur des situations politiques.
01:03 C'était pas mon sujet.
01:04 Mon sujet, c'était, le sujet qui m'obsède depuis 35 ans, c'est jusqu'où une idéologie,
01:12 l'idéologisation du monde, une vision idéologique sur le monde, l'emporte sur la réalité
01:18 des faits.
01:19 Et ce qui m'a frappé le 7 octobre, encore une fois, sans entrer, et précisément, de
01:26 manière intentionnelle, sans entrer dans aucune polémique, ce qui m'a frappé le
01:31 7 octobre, c'est la matérialité du massacre.
01:33 C'est un massacre.
01:35 C'est un massacre.
01:36 Voilà.
01:37 Qu'on trouve des excuses à un massacre, ça, je trouve ça insupportable.
01:41 Je trouve ça plus qu'insupportable.
01:42 Je trouve ça inadmissible.
01:43 Un massacre reste un massacre.
01:45 Qui que ce soit qui l'ait produit, c'est pas le jugement sur...
01:53 Justement, il n'y a pas de jugement sur qui, dans les deux sens, qui sont les victimes.
02:00 Il y a juste que c'est un massacre.
02:01 Et qu'un monde d'un massacre, on l'appelle un massacre.
02:03 Et qu'un terrorisme, on l'appelle un terrorisme.
02:06 Parce que ça produit de la terreur.
02:08 Et ça produit de la terreur.
02:09 Quel type de terreur ça produit ? Pas la peur d'être soi-même massacré nécessairement.
02:13 La terreur sur le fait que l'homme peut arriver à faire ça.
02:17 Éventrer des personnes, égorger, piétiner des cadavres, brûler des bébés.
02:22 Il peut arriver à faire ça.
02:23 C'est ça la terreur, en fait.
02:25 Et c'est ça qui est terrifiant.
02:26 Et ne pas voir en face cette terreur.
02:29 Et la... comment dire ?
02:31 La cacher derrière des excuses, des idéologies, le ceci, le pourquoi.
02:35 Ça, je trouve ça insupportable.
02:37 Et pour nous, scientifiques, inadmissible.
02:40 Un scientifique est quelqu'un qui doit rester prudent sur les faits, mais inflexible sur les faits.
02:47 Autre chose ensuite, et voilà l'explication des conditions,
02:50 et tout ce qu'on peut dire sur les conditions, mais ça n'a rien à voir.
02:53 Voilà.
02:54 Moi, dans ce débat, vous savez, quand j'étais à...
02:58 bien avant qu'on se rende compte sur les banques d'université,
03:01 j'étais moi-même à l'université, et avant j'étais à l'école,
03:04 et on avait ces débats à l'UCL, on avait ce débat Sartre-Camus,
03:08 le fameux grand débat Sartre-Camus,
03:10 Sartre, position idéologique, je caricature, mais il y avait de ça.
03:13 En tout cas, il était présenté comme ça, Sartre, position idéologique.
03:16 Quoi qu'il arrive, c'est quand même l'idéologie et le sens de l'histoire qui prime.
03:20 Et il y a des effets collatéraux qui s'appellent, les massacres, machin, il peut y avoir.
03:24 On parlait de l'URSS à l'époque.
03:26 Et Camus, lui c'était l'ex-adjérit, et Camus c'est la primauté des faits,
03:32 la primauté des choses telles qu'elles se vivent, et notamment un massacre, un vrai massacre.
03:37 Déjà à l'époque, j'étais pour Camus contre Sartre, et j'étais minoritaire pour Camus contre Sartre.
03:43 Et une phrase de Camus qui m'a éclairé toute ma vie,
03:48 cette phrase qu'il écrit, elle n'a pas été publiée.
03:52 Il l'a écrite à Ambrouche, c'est en 58 je crois, il n'a même pas envoyé la lettre.
03:58 Ambrouche fait une chronique dans Le Monde, je crois, en tout cas une tribune dans Le Monde,
04:04 expliquant qu'il y a eu du massacre en Algérie, mais quand même c'est pour la bonne cause,
04:09 parce que voilà, il y a l'indépendance à réaliser, que ça va dans le sens de l'histoire.
04:14 Et Camus, qui est un ami d'Ambrouche, écrit "aucune cause, même si elle était restée,
04:25 juste et innocente, ne me désolidarisera de ma mère,
04:30 ne me désolidarisera de ma mère, qui est la plus grande cause que je connaisse."
04:35 Il écrit ça. Vous savez que sa mère est une pauvre femme d'Algérie,
04:39 qui ne comprend pas tout ça, qui est là, tout simplement, immigrée elle-même,
04:44 de l'espagnol, voilà. Et cette phrase m'a marqué toute ma vie.
04:50 "Aucune cause, même si elle était innocente, juste, ne me désolidarisera de ma mère,
04:55 des personnes concrètes, ma mère, qui se trouve être algérienne, elle aussi,
05:02 de la seule cause qui nous intéresse, la réalité de ce que vivent les gens."
05:07 Et pour revenir au "c'est-ce que tu crois", moi j'ai été très bouleversé par tout ça,
05:11 parce que j'ai revécu des choses que moi-même j'ai vécues enfant,
05:15 mais bouleversé par le fait que 50 ans après, 60 ans après, 70 ans après,
05:20 on est encore là, à préférer l'idéologie aux faits, à préférer effacer,
05:27 voilà, à s'arranger avec la réalité plutôt que de regarder les faits.
05:31 Les choses sont dites. Merci Pierre-Eve Gomez.
05:34 Merci.
05:35 [Musique]

Recommandations