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Le "8h30 franceinfo" de Dominique Moïsi

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00:00 [Musique]
00:06 Bonjour Dominique Moisy.
00:07 Bonjour.
00:08 15 ans après la géopolitique des émotions, vous publiez "Le triomphe des émotions" aux éditions Robert Laffont.
00:13 La peur des Israéliens, l'humiliation des Palestiniens, l'espoir des Ukrainiens.
00:18 On ne peut pas comprendre le monde si on fait abstraction de ces émotions.
00:22 Oui, j'avais mis en avant la dimension affective des relations internationales il y a 15 ans parce qu'elle me semblait absolument indispensable pour comprendre le monde dans lequel nous vivions.
00:36 Et d'une certaine manière, l'histoire m'a donné raison.
00:40 Au moment de la guerre en Ukraine, au moment de la guerre de Gaza, il est difficile de ne pas intégrer la dimension émotionnelle du monde.
00:49 Ce concept des émotions, vous l'avez développé à partir du conflit israélo-palestinien.
00:53 Pourquoi tous les ingrédients étaient réunis finalement ?
00:56 Oui, j'y voyais la matrice même des relations internationales.
01:00 Il y a bientôt 40 ans, quand j'allais en Israël, je rencontrais les Israéliens à l'ambassade de France à Tel Aviv, les Palestiniens au consulat général de France à Jérusalem.
01:14 Et c'était deux mondes. Et je sentais que le conflit n'était pas seulement une affaire de territoire, une affaire de sécurité, mais bien plus une affaire de sentiments.
01:27 De sentiments irréconciliables, vous dites.
01:29 Il y avait trop de complexes de supériorité du côté israélien, trop de complexes d'infériorité du côté palestinien, trop d'humiliation du côté palestinien,
01:42 trop de ressentiments par rapport à l'histoire récente du côté israélien.
01:47 Et aujourd'hui, la communauté internationale est suspendue à la menace d'une offensive israélienne à Rafah, au sud de Gaza, où plus d'un million de Palestiniens ont été en partie déplacés.
02:00 Et là, encore une fois, c'est l'émotion, c'est l'inquiétude qui emporte l'émotion des États-Unis, de la France.
02:06 Mais aucune solution rationnelle n'émerge finalement ?
02:10 Non. Une des raisons majeures est quand même la présence au pouvoir en Israël d'un premier ministre qui, en réalité, ne dit pas Israël d'abord, mais moi d'abord.
02:25 Un peu comme Trump aux États-Unis. C'est l'idée que ce qui importe pour lui, c'est son maintien au pouvoir.
02:33 Il y a cette idée, le pouvoir ou la prison, après moi le déluge. Et il est très difficile à la communauté internationale d'exercer des pressions sur un homme pour qui la poursuite de la guerre est essentielle à son maintien au pouvoir.
02:51 Et le cas particulier de Rafah, ça peut être un point de non-retour ? Les États-Unis, par exemple, ont averti Israël du risque de désastre si l'offensive avait lieu.
03:01 Le désastre a déjà lieu sur le plan humanitaire quand on voit la situation de quasi-famine dans la bande de Gaza dont souffrent particulièrement les enfants.
03:16 Mais les Israéliens sont relativement insensibles à la souffrance des Palestiniens parce qu'eux-mêmes ont traversé le traumatisme du 7 octobre qui a été vécu comme le dernier des grands pogroms auxquels, non pas Israël, mais le peuple juif a été soumis.
03:40 Et aujourd'hui, les États-Unis ont eu des mots forts. Ils ont parlé de riposte excessive à Gaza. C'est rare que les États-Unis prennent leur distance à ce point avec Israël.
03:50 Ça peut avoir de l'effet où, finalement, même l'allié historique des Israéliens n'a pas d'influence sur le cours des choses ?
04:00 Pas tant que cela, en réalité. On voit les limites de l'influence américaine. Israël n'hésite pas à s'isoler non seulement de l'ensemble de la communauté internationale, mais de son allié privilégié, l'Amérique.
04:16 D'une certaine manière, les Israéliens disent « c'est ma sécurité, c'est mon histoire, vous n'avez en rien à me dire, à me dicter ce que je dois faire ».
04:28 Et on voit qu'il y a un cessez-le-feu, justement, poussé par les États-Unis, rejeté par Israël pour le moment, qui ne veut pas des conditions imposées par le Hamas. Israël n'a pas intérêt à ce cessez-le-feu ? Aucun ?
04:39 Je crois qu'à un moment donné, les deux parties, y compris Israël, ont intérêt à un cessez-le-feu. Mais les conditions que mette le Hamas à ce cessez-le-feu sont inacceptables aujourd'hui pour les Israéliens.
04:56 Le nombre et la qualité des Palestiniens qui doivent être libérés.
05:01 Les prisonniers ?
05:02 Les prisonniers. Et vous avez en plus l'idée que ce n'est pas un cessez-le-feu temporaire, mais c'est un cessez-le-feu permanent.
05:11 Et donc pour le Hamas, il s'agit de dire « au fond, Israël n'a pas réussi à me vaincre. Moi, le petit David palestinien, j'ai résisté aux Goliath israéliens,
05:23 et maintenant, ils sont forcés de négocier avec moi à mes conditions. »
05:29 Mais puisqu'on parle des émotions, il y a des émotions qui s'opposent. Il y a à la fois cette colère de voir potentiellement des prisonniers palestiniens sortis des prisons,
05:38 et de l'autre côté, l'inquiétude, la peur, la tristesse des Israéliens qui voient ces otages dont on n'a plus de nouvelles maintenant.
05:44 On pense que sur les 132 otages, une trentaine, hélas, sont morts. Et donc il s'agit d'échanger les cadavres de 30 ex-prisonniers contre des palestiniens « terroristes ».
06:07 – Il en reste une centaine dont on ne sait pas ce qui s'est passé pour eux. Vous avez le sentiment qu'on est là dans une impasse aujourd'hui ?
06:12 – J'ai le sentiment très clair que le gouvernement israélien n'a pas donné la priorité au sort des otages,
06:20 et qu'il commence quand même à s'isoler d'une partie de la population israélienne qui considère qu'on ne va nulle part,
06:31 qu'il n'y a pas de plan, qu'il n'y en a toujours pas, qu'il n'y a pas de stratégie, qu'on ne sait pas où l'on va, et qu'on va dans une impasse.
06:41 – Dominique Moisy, vous êtes avec nous pour la sortie de votre livre "Le triomphe des émotions".
06:46 Vous restez avec nous, on vous retrouve dans quelques instants, juste après le Fil info à 8h40 avec Ilia Bergen.
06:51 – Gérald Darmanin annonce la fin du droit du sol à Mayotte.
06:55 Le ministre de l'Intérieur est arrivé sur l'île ce matin, Mayotte, en pleine crise sécuritaire et migratoire.
07:00 Cette fin du droit du sol sera faite dans une révision constitutionnelle que choisira le chef de l'État, explique Gérald Darmanin.
07:07 Un coup de filet contre l'ultra droite à Paris hier, 39 membres de la mouvance placés en garde à vue pour participation à un groupement
07:15 en vue de commettre des dégradations et des violences. Une quinzaine de suspects sont fichés S.
07:20 Un séisme politique en Hongrie, la présidente Cathaline Nowak, proche du Premier ministre Viktor Orban, démissionne.
07:27 Sa décision de grâcier un condamné impliqué dans une affaire de pédocriminalité fait scandale.
07:33 La France se rassure un peu contre l'Écosse dans le tournoi des 6 nations.
07:37 Les Bleus gagnent de justesse 20 à 16 à Edimbourg après la défaite des rugbymen tricolores contre l'Irlande au match précédent.
07:45 Hier soir, l'Angleterre a gagné 16-14 contre le Pays de Galles.
07:49 [Générique]
08:00 Toujours avec Dominique Moisy, géopolitologue, vous publiez "Le triomphe des émotions" chez Robert Laffont,
08:06 un exemple du règne de l'émotion que vous décrivez dans votre livre "Le phénomène Donald Trump".
08:12 Dans l'une de vos dernières chroniques dans les Échos, vous écrivez que la victoire de Trump à la présidentielle
08:18 ferait entrer les États-Unis dans leur plus grave crise institutionnelle depuis leur création. Expliquez-nous.
08:25 Je crois que Donald Trump 2024 a très peu à voir avec Donald Trump 2016,
08:35 quand il a été élu président des États-Unis pour la première fois, peut-être la dernière fois.
08:42 C'est un homme qui est animé par un esprit de vengeance, qui se comporte déjà comme un chef mafieux,
08:51 avec l'idée qu'il va récompenser ses amis, punir ses ennemis.
08:58 Et l'expression que j'utilisais pour Benjamin Netanyahou, "moi d'abord", convient parfaitement à Trump.
09:08 Ce n'est pas l'Amérique d'abord, ce n'est pas l'Amérique seule, c'est Trump d'abord, Trump seule.
09:16 Je suis l'ultime objet de mon ambition.
09:20 Vous dites que les modérés doivent se mobiliser pour le candidat de la raison.
09:24 Il y a un autre phénomène qui est scruté par le camp Trump, c'est l'impact que pourrait avoir la chanteuse et superstar Taylor Swift sur ces élections.
09:32 Est-ce qu'elle peut faire basculer la présidentielle ?
09:35 Non, je ne crois pas. Ce qui est clair, c'est que ces élections seront extraordinairement serrées.
09:43 À moins que l'un des deux candidats ne s'effondre et soit remplacé par un autre d'ici aux élections.
09:52 Vous pensez à Joe Biden, évidemment ?
09:54 Je pense à Joe Biden, mais on peut aussi penser à Donald Trump si la justice le poursuit un peu trop.
10:03 Mais si ces élections sont très serrées, ce qui a déjà été le cas en 2020, l'influence de quelqu'un comme Taylor Swift,
10:15 qui peut pousser des jeunes à aller voter et à voter contre Donald Trump, peut effectivement, à la marge, faire une différence.
10:25 Ils ne croient plus à la politique, ils ne croient plus aux élites, mais ils peuvent croire à une idole comme Taylor Swift
10:35 et dire "Elle nous dit d'aller voter contre Trump, peut-être nous allons le faire."
10:41 C'est l'idée de mobiliser ceux qui vont le moins voter aujourd'hui, c'est-à-dire les jeunes.
10:48 Même si Joe Biden, on le voit, enchaîne les trous de mémoire, les confusions entre François Mitterrand, Emmanuel Macron,
10:55 le président égyptien, le président mexicain, vraiment, il peut y avoir une envie de Joe Biden ?
11:00 Est-ce qu'il peut faire campagne ? Est-ce qu'il peut être élu dans ces conditions ?
11:03 Il n'y a pas une envie de Joe Biden.
11:05 Il n'y aura pas d'envie de Joe Biden. La majorité des Américains, en fait, n'ont envie ni de Joe Biden, ni de Donald Trump.
11:15 Ils souhaiteraient une autre élection entre deux candidats nouveaux.
11:20 Mais bon, a priori, on est dans un schéma qui rappelle pour la première fois depuis les années 50
11:27 ce qui se passait avec Eisenhower qui s'est présenté deux fois, 1952-1956,
11:34 contre le même candidat démocrate, Adlai Stevenson, et qui a été deux fois élu.
11:40 Mais aujourd'hui, la clé, me semble-t-il, c'est que même s'ils ne veulent pas de Biden, ils ont peur de Trump.
11:50 En fait, le schéma, ce qui est catastrophique peut-être pour la première puissance mondiale,
11:56 c'est que ces citoyens ont le choix entre un fou dangereux et un gateux.
12:03 Est-ce qu'il n'y a pas un échec de cette démocratie américaine qui n'a pas réussi à faire émerger de nouveaux candidats, justement ?
12:08 Oui, c'est tout à fait problématique.
12:10 Alors, du côté républicain, ça traduit la mainmise que Donald Trump exerce sur la plus grande partie de son parti.
12:21 Ils se sont tous inclinés face à lui ?
12:23 Alors, ils se sont tous, même le mot, pardonnez-moi, ils se sont tous écrasés.
12:27 Le parti républicain a fait preuve d'une extraordinaire lâcheté.
12:31 Ils n'ont pas osé s'opposer à un homme qui paraissait irrésistible, invincible.
12:38 Et il n'y a plus de parti républicain, je crois que c'est ainsi qu'il faut le dire.
12:43 Et du côté démocrate, Biden a fait une bonne présidence de 2020 à 2024.
12:52 Ses résultats sont globalement très positifs, tant sur le plan économique que sur le plan international.
12:59 Mais il vieillit, son apparence paraît toujours plus fragile.
13:04 Et c'est un homme qui avait déjà des lapsus multiples avant même d'avoir 80 ans.
13:12 Mais là, vous avez deux hommes de près de 80 ans qui vont se disputer le pouvoir.
13:19 Et il y a une troisième personne, Nikki Haley, qui est en train d'essayer de survivre en disant
13:26 "Est-ce que vous voulez vraiment deux octogénaires qui perdent un peu la mémoire comme président des États-Unis ?
13:34 Non, élisez-moi, je suis une femme, je suis jeune et elle est républicaine."
13:39 Au cœur de votre livre, il y a bien sûr la guerre en Ukraine.
13:42 Est-ce que les Occidentaux sont en train d'assister, passifs presque, à la défaite de l'Ukraine ?
13:49 Non, je crois que la formule que vous venez d'utiliser est trop sévère.
13:56 En fait, si on prend un certain recul depuis deux ans, nous nous sommes surpris positivement
14:04 par notre résilience et notre unité dans notre soutien à l'Ukraine.
14:10 Alors maintenant, il y a un moment effectivement de doute, il y a une fatigue,
14:14 il y a le fait que les Ukrainiens ont échoué dans leur contre-offensive,
14:19 que le rapport des forces démographiques commence à jouer de manière claire en faveur des Russes,
14:27 mais nous n'abandonnons pas l'Ukraine.
14:30 Je crois qu'il y a, et ce qu'il faut éviter, c'est une forme de résignation, de pessimisme.
14:38 De toute façon, ils ont perdu. Non, ils n'ont pas perdu.
14:42 Le David ukrainien a résisté depuis deux ans aux Goliaths russes.
14:48 Je voulais plutôt parler d'impuissance d'ailleurs, plutôt que de passivité.
14:52 Vladimir Poutine a donné sa première interview à un journaliste étranger depuis trois ans,
14:56 une interview qui a été vue plus de 50 millions de fois.
14:59 Qu'est-ce que cela dit, ça, du point de vue des émotions ?
15:02 Il fascine, il fait peur, Vladimir Poutine ?
15:05 Non, c'était la première fois, même depuis 2019, pas seulement,
15:11 depuis le début de la guerre en Ukraine, qu'il donnait un entretien à un journaliste occidental.
15:17 Alors, ce journaliste occidental, Tucker Carlson, fait partie de ce qu'on appelle les idiots utiles.
15:23 C'est-à-dire qu'il posait des questions favorables à Poutine.
15:30 Il ne le poussait pas dans des directions difficiles.
15:34 En fait, c'était tout, sauf un véritable journaliste.
15:37 On avait le sentiment qu'il était là pour défendre la cause de Donald Trump
15:43 et expliquer pourquoi les Américains devaient être derrière Poutine plutôt que contre lui.
15:51 Tucker Carlson qui était un soutien de Donald Trump.
15:53 Tout à fait.
15:54 Dominique Moisy, l'hommage national à Robert Badinter aura lieu mercredi, 12h, place Vendôme,
16:00 où se trouve le ministère de la Justice.
16:02 Vous avez connu Robert Badinter ?
16:05 Oui, j'ai eu l'honneur et la chance de le rencontrer fréquemment.
16:12 Il fut un temps où j'allais déjeuner rue Guinemère de manière très régulière.
16:18 J'ai effectué plusieurs voyages avec lui.
16:24 Une chose m'a particulièrement frappé, c'est que je suis né après la guerre,
16:30 mais je suis fils d'un survivant d'Auschwitz.
16:34 Il était fasciné, obsédé par un moment que je n'ai pas connu,
16:39 qui était le retour de mon père des camps de concentration,
16:43 son arrivée à l'hôtel Lutetia.
16:46 Comment ma famille avait-elle appris qu'il était en vie ?
16:51 Comment était-il arrivé ?
16:53 Parce que son père à lui n'est jamais revenu des camps.
16:56 Il m'a fait raconter cette histoire à plusieurs reprises,
17:00 dans des lieux très différents.
17:03 Bien entendu, lui me disait chaque fois,
17:06 pendant des semaines et des semaines,
17:08 j'ai été tous les jours à l'hôtel Lutetia et mon père n'est jamais revenu.
17:13 Donc il y avait ce lien.
17:16 Je peux confirmer l'importance de cette histoire
17:22 dans le développement personnel, dans la passion de Robert Badinter
17:28 contre la peine de mort.
17:30 - Merci beaucoup Dominique Moisy pour ce témoignage.
17:33 Merci d'avoir été avec nous pour répondre à nos questions ce matin sur France Info.
17:36 Je rappelle votre ouvrage "Le triomphe des émotions" aux éditions Robert Laffont.
17:40 8h50 sur France Info, l'heure de retrouver le Fil Info avec Elia Bergel.
17:44 - Vers la fin du Droit du sol à Mayotte, Gérald Darmanin l'annonce ce matin.
17:49 - "Au cours de la fin de la fin de la fin de la fin de la fin de l'année,
17:52 nous allons couper l'attractivité de Mayotte.
17:56 En pleine crise migratoire et sécuritaire,
17:59 cette fin du droit du sol sera faite dans une révision constitutionnelle
18:03 que choisira le chef de l'Etat", explique Gérald Darmanin.
18:07 Le Hamas met en garde contre un bain de sang.
18:10 Arafat, l'armée israélienne envisage une offensive sur cette ville du sud de la bande de Gaza.
18:14 Cette attaque peut faire des dizaines de milliers de morts et de blessés,
18:17 estime le mouvement islamiste.
18:19 Plus de 1,3 million de Palestiniens s'y entassent, selon les Nations unies.
18:23 Le Pas-de-Calèche n'est plus en vigilance orange.
18:25 Aux Cruches sont concernées encore les Landes, la Gironde,
18:28 les Pyrénées-Atlantiques, la Charente-Maritime.
18:31 Ces départements sont aussi en vigilance orange.
18:33 Vagues submersions comme cet autre département du littoral ouest.
18:37 La finale de la Coupe d'Afrique des Nations, c'est ce soir en Côte d'Ivoire.
18:41 Les Ivoiriens jouent contre les Nigeria.
18:43 21h, heure française.
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18:48 France Info