A partir de 70 ans, les femmes ne sont plus considérées comme des personnes singulières, mais comme des "vieilles". Elles sont fragiles, faciles à arnaquer ou menacer. Dans son ouvrage, "A ceux qui nous parle comme à des enfants - Mon voyage en septuagénie", Madeleine Melquiond, agrégée d'histoire-géographie et ancienne élève de l'Ecole normale supérieure, dénonce les clichés sur les plus vieux et livre un portrait d’elle-même, et des femmes de son âge, aussi drôle qu’émouvant. Elle souhaiterait faire comprendre aux autres générations que l’on va tous voyager en septuagénie, pour les plus chanceux, et qu’il est absurde d’ignorer les anciens et de leur parler comme à des enfants. Ni catalogue de conseils, ni étude savante, son livre nous conduit au plus intime de la vieillesse, en racontant les embûches qui se dressent sur notre route et en expliquant comment les contourner.
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00:00 [Générique]
00:06 Bonjour à tous. Bienvenue dans notre Zoom. Mon invité aujourd'hui, Madeleine Melchion. Bonjour, madame.
00:11 Bonjour, monsieur.
00:12 Madeleine Melchion, agrégée d'histoire-géographie, diplômée de l'ENS, l'École normale supérieure.
00:18 Vous avez été journaliste et vous publiez l'ouvrage. Que voici à ceux qui nous parlent comme à des enfants.
00:23 "Mon voyage en septuagénie" à retrouver sur la boutique de TVL. C'est édité chez Max Milot.
00:30 Alors, madame Madeleine Melchion, à 70 ans, vous dites avoir vécu un changement radical dans votre vie.
00:38 Qu'est-ce qui s'est passé ? Expliquez-nous.
00:40 Évidemment, ce n'est pas à 70 ans pile.
00:42 Oui, aux alentours.
00:43 Voilà. Tout le monde le comprendra. Je ne sais pas. Ma vie a complètement changé.
00:49 Si je peux prendre une image, je dirais que toute la période de la soixantaine, c'est-à-dire de 60 à 70,
00:57 c'était un chemin un peu aride, parce qu'on commence à vieillir, on a des petits soucis.
01:03 Bon. Mais c'est plat. Il n'y a pas vraiment de danger. Il faut juste un peu de persévérance.
01:11 Et on arrive au bout, pas tout le monde bien sûr, mais en majorité, on arrive au bout. Voilà.
01:17 À 70 ans, on est encore… Mais on a dû faire des efforts, des concessions aussi.
01:24 On a dû avoir les premiers deuils d'activité.
01:28 Il y a des sports qu'à 70 ans, on ne pratique plus, qu'on abandonne bien dans la période antérieure.
01:34 Oui, on ne fait plus d'escalade, quoi.
01:36 Bon. Mais c'est bon. Et puis, à 70 ans, devant soi, ça fait comme un col.
01:42 Et devant soi, il y a… Ça descend, c'est comme si on avait passé un col.
01:47 Mais ce n'est pas du tout la même chose. Ce n'est pas ce que moi…
01:49 Vous décrivez un paysage chaotique, déconcertant, troublant.
01:53 Oui. Il y a des rochers. Il y a des… Comment vous dire ?
01:58 Il y a de l'eau stagnante. Il y a de la boue. Il y a des feuilles qui se baladent là où elles ne devraient pas se balader.
02:04 Il y a des ronces qui traversent le chemin et on se pique.
02:10 Et puis, tout d'un coup, on a quelques mètres, au contraire, où tout est redevenu assez calme.
02:16 C'est plutôt sympa. Et puis, de nouveau, il y a un virage et là, de nouveau, ça devient difficile.
02:24 C'est-à-dire que là, réellement, c'est un changement radical.
02:28 Ce matin, maman, venant chez vous, j'ai rencontré une dame dans mon ascenseur.
02:32 Et elle m'a dit… Je lui ai dit mon âge et elle me dit…
02:37 Mais vous savez, les enfants, ils ne comprennent pas.
02:39 Ils ne comprennent pas qu'on a ce ralentissement des choses, qu'on ne peut pas réagir comme avant.
02:45 Donc, je pense que mon exemple n'est pas du tout rare.
02:48 Bon, ce n'est pas de la sociologie, ce n'est pas de la science, évidemment.
02:52 Ce n'est pas académique.
02:53 Vous dites pratiquer une forme de militantisme provieux
02:57 parce que vous en avez marre du traitement qu'on réserve aux gens de votre âge,
03:01 aux septuagénaires, en particulier envers les femmes.
03:04 Alors, qu'est-ce qui vous choque ?
03:06 Ce qui me choque, c'est qu'on veut qu'on soit comme une poupée mécanique.
03:14 J'exagère peut-être un peu, mais qu'on soit une vieille, bien formatée,
03:20 facile à reconnaître et qui ne dérange rien dans ce qu'ils font.
03:26 On vous range dans un coin.
03:27 Voilà. Si je suis sage, si je mets de temps en temps mon grain de sel, on me laissera parler.
03:34 Mais bon, pas trop.
03:36 En plus, a priori, je ne sais rien, je n'ai rien compris à la jeunesse,
03:41 je suis une boomer, donc j'ai des idées complètement…
03:44 Surannées.
03:45 Révolutionnaires, etc.
03:47 Et j'ai rien pigé à ce qui se passe de nos jours.
03:52 Alors, vous citez les intimidations, les mensonges, les menaces, les arnaques.
03:57 Vous êtes passée chez le garagiste, vous en avez eu des arnaques apparemment.
04:01 Oh là là, ce n'est pas le garagiste, c'est un monsieur qui habitait dans une résidence
04:06 et qui se pointe dans une résidence où j'étais allée voir un ami
04:13 et il se pointe au café où j'étais le lendemain en hurlant "Où est-elle la vieille ?"
04:19 Bon, déjà dans le café, ça ne fait pas bon.
04:23 Et après, il vient vers moi et il me dit "Bon, écoutez, il faut pas exagérer.
04:30 Vous avez dit dans quel état vous avez mis ma voiture.
04:35 Vous étiez bourré hier en partant.
04:37 Ma voiture, j'en ai pour beaucoup."
04:41 Et puis, il me gronde.
04:44 Et moi, je lui ai dit "Mais j'ai rien fait de tout ça,
04:48 mais je n'ai absolument pas touché votre voiture, j'en étais certaine."
04:52 J'aurais pu faire l'erreur, mais là non.
04:54 J'en étais certaine.
04:56 Et deux minutes après, je ne pouvais pas répondre, il ne me laissait même pas la parole.
05:01 Et il me dit "Oui, je vais vous proposer un deal.
05:04 Vous me donnez 3 000 euros tout de suite en cash et comme ça, j'en parle pas.
05:10 Je ne ferai pas mon assurance et tout."
05:12 Qu'est-ce que c'est que cet embrouille ?
05:15 Et mon ami arrive justement quelques minutes après.
05:19 Déjà, quand il a vu un homme...
05:20 - Ah, il s'est radouci là.
05:23 - Ouais, bon.
05:24 En plus, il est plus jeune que moi, cet ami, il a quand même la soixantaine.
05:28 - C'est profiter de la faiblesse de quelqu'un,
05:29 c'est pénalement répréhensible.
05:31 - Ah oui, c'est de la bifégrasse.
05:33 - Vous lui exhorquiez quelque chose, exactement.
05:35 - Dès que mon ami s'est assis et m'a demandé ce qui se passait,
05:38 il a dit "Oh bon, bah écoutez, oui, c'est vrai."
05:43 Enfin bon, il s'aplatit, quoi.
05:45 C'est pas la peine que je prolonge l'anecdote, vous la comprenez.
05:48 Et il est parti et il m'a plus rien demandé.
05:51 Et ma voiture n'avait pas de traces du tout.
05:55 Et c'est vrai que je n'étais absolument pas rentrée.
05:59 Ça aurait pu arriver, parce que je conduis mal,
06:01 maintenant que je suis vieille.
06:03 - Et alors vous dites aussi que le traitement réservé aux femmes,
06:06 aux femmes de plus de 70 ans,
06:09 il est totalement différent de celui qu'on peut réserver à un homme du même âge.
06:14 L'homme de la 70 années passées, c'est un vieux sage.
06:18 - Oui.
06:19 - Vous vous dites, on est une sorcière, une marâtre, une empoisonneuse.
06:23 - Oui, c'est des termes un peu...
06:25 - Un peu durs.
06:26 - Un peu durs.
06:27 Mais c'est vrai qu'il y a une grosse différence.
06:29 Le vieux monsieur qui s'assoit avec sa grosse bedaine, etc.
06:33 - Il est respectable, c'est le vieux patriarche.
06:35 - Oui, on ne l'appelle pas son prénom.
06:39 Alors Bernard, ça sera un demi comme d'habitude, tout ça.
06:44 Puis c'est un ancien, on ne l'appelle pas,
06:48 on ne dira jamais si c'est un vieux, on ne dira pas où il était le vieux,
06:51 on dira où il est le... je ne sais pas, monsieur.
06:53 D'ailleurs, on lui donnera son nom.
06:56 Et donc il y a une autre chose que je souligne au passage,
06:58 puisque j'ai dit ça sur le nom, c'est qu'on n'a plus de nom non plus.
07:03 Alors là, je ne vous ai pas parlé de la différence,
07:06 ça ne t'est jamais dit, mais je pense que vous avez compris.
07:08 - Oui, on vous appelle ma petite dame, alors.
07:09 Ça, ça vous déplaît, ça aussi.
07:10 - Ma petite dame, alors ma petite dame...
07:11 - Ça dépend comment c'est dit aussi.
07:13 - Ma petite dame, il est ambivalent.
07:14 Il peut être dit très gentiment.
07:16 Et à ce moment-là, on est très content d'être une petite dame.
07:20 Mais le plus souvent, c'est dit pour se débarrasser de nous.
07:23 "Allez, la baguette pour la petite dame."
07:26 "Ah, j'avais mis de côté une baguette pour la petite dame, allez, file."
07:28 Voilà.
07:30 Donc on ne s'attarde pas.
07:33 On nous fait sortir du magasin, quoi.
07:36 Voilà.
07:37 - Alors vous n'avez pas l'habitude de vous laisser faire,
07:38 puisque vous avez pris l'habitude de remettre en place
07:41 les gens qui vous traitent un peu avec le dédain, quoi.
07:45 - Oui, j'essaye.
07:46 Et c'est une autodiscipline très difficile pour moi.
07:51 Ou difficile, on va dire, en levant le trait.
07:55 Je ne sais pas s'il faut le garder ou pas.
07:57 Mais je suis assez rentre-dedans, naturellement.
07:59 Voilà.
08:01 Je suis spontanée.
08:02 Je donne pas ma langue à toi dans ma bouche avant de parler.
08:06 Et donc il peut m'arriver d'être incorrecte ou de vexée,
08:09 de faire du mal,
08:11 parce que je réponds de façon trop impulsive.
08:14 Donc je me fais...
08:16 Je n'ai pas vu de psychiatre ni de machin,
08:17 mais je n'ai décidé pas moi-même
08:20 de me faire des exercices
08:23 pour voir comment je peux déminer.
08:26 Ou quand j'ai fait une mauvaise réponse, je me dis
08:28 "Comment t'aurais pu la tourner
08:31 pour qu'elle ne soit pas quand même aussi rentre-dedans ?"
08:37 Donc je me fais des exercices comme ça.
08:39 Par exemple pour le cigare,
08:41 là c'est pas très difficile de faire des exercices.
08:43 Donc je fume le cigare depuis...
08:45 Je ne sais plus combien de temps.
08:47 - Oui alors on vous a déjà repris avec votre cigare.
08:50 On vous avait entendu,
08:52 ça doit être une vieille lesbienne celle-là,
08:55 avec son gros cigare.
08:56 C'est un truc plutôt de bonhomme.
08:58 - Un jour j'étais dans une guinguette,
09:01 vous savez, j'étais dans la drôme,
09:03 c'est là que j'habite l'été.
09:04 Donc c'est des petits balles.
09:08 Et donc j'étais dans une guinguette
09:10 et je fumais un cigare.
09:13 J'étais à l'extérieur, tout était à l'extérieur.
09:15 Un cigare n'était pas énorme.
09:18 Et tout d'un coup j'entends,
09:19 j'arrivais même pas à regarder,
09:21 "Vous ne vous faites pas honte ?
09:22 Vous êtes en train d'asphyxier un enfant de 6 mois !
09:26 Mais qu'est-ce que c'est que ce comportement ?
09:28 Vous ne savez même pas ce que c'est !
09:29 Mais est-ce que vous savez seulement ce que c'est qu'un enfant ?
09:32 Sa fragilité, ses branches, je ne sais pas quoi ?
09:35 Et surtout je n'avais rien vu.
09:37 Je me tourne et je vois en effet
09:39 un monsieur et un peu plus bas, le gamin.
09:43 Bon, et là j'ai réussi à désamorcer quand même.
09:48 C'est un cas où j'ai réussi.
09:49 – Parce que vous avez vu qu'il tenait quelqu'un,
09:51 quelque chose dans ses doigts, ce monsieur.
09:53 – Non.
09:54 – Vous écrivez dans votre livre que ce monsieur,
09:56 il vous reproche peut-être de fumer un cigare
09:58 à proximité de son enfant,
10:00 mais lui il tenait un joint de cannabis dans les mains.
10:04 – Oui, il y en a plein qui ont des joints dans ses guinguettes.
10:08 C'est un endroit où c'est un peu moins toléré.
10:10 On se met un peu dans le...
10:11 Enfin moi je ne fume pas, je n'ai jamais fumé un joint.
10:14 Bon, alors donc, je lui ai dit
10:17 "mais monsieur, je n'avais pas vu votre petit enfant."
10:21 En effet, si vous voulez, je ne veux pas.
10:24 Alors c'est là qu'il faut tenir quand même.
10:25 – Et il s'en est pris à vous
10:26 parce que vous êtes une dame d'un certain âge.
10:28 Il n'aurait peut-être pas eu la même réaction
10:30 s'il avait eu un vieux bonhomme face à lui.
10:31 – Exactement, un homme qui fume le cigare.
10:34 Il aurait pu se prier, mais il aurait dit plus gentiment.
10:37 Il aurait peut-être demandé quand même.
10:38 Il a l'air tellement à cheval sur les pronges de son enfant
10:42 qu'on ne sait pas ce qui peut arriver.
10:43 Mais ce que j'ai proposé, j'ai dit "écoutez,
10:46 je m'éloigne un petit peu,
10:47 mais je ne veux pas arrêter de fumer mon cigare,
10:49 c'est à mon plaisir, j'en fume tranquillement tous les soirs,
10:52 il n'est pas question que je l'éteigne."
10:54 Et donc c'est d'essayer d'arriver à des trucs comme ça où...
10:58 D'ailleurs, dans cette histoire-là, ce qui est rare,
11:01 ce qui est rarissime,
11:02 10 minutes ou 15 minutes après, il est venu s'excuser.
11:06 Alors là, c'est la première fois que ça arrive.
11:08 C'est son joint qui avait fait effet.
11:09 Il s'était éclaté.
11:10 Il s'était senti plein de bonté envers le monde entier.
11:14 Comment vous expliquez, madame Madeleine Melchion,
11:17 que le respect dû aux anciens est disparu ?
11:21 En tout cas, c'est le cas en Occident.
11:22 Il y a des pays, par exemple, je pense au Japon ou en Afrique,
11:25 où nos ancêtres, les vieillards, sont respectés.
11:31 En France, c'est plutôt place aux jeunes.
11:33 On le voit d'ailleurs avec la nomination du nouveau Premier ministre
11:36 qui a, je crois, 34 ans.
11:37 Oui, oui, c'est vrai.
11:39 Donc cette disparition du respect dû aux anciens ?
11:43 Ça vient, je pense, du fait que nous sommes dans une économie libérale.
11:48 Toute.
11:49 C'est-à-dire, il y a eu des dégradations, il y a eu des allées, il y a eu des retours.
11:52 Mais bon, nous sommes dans une économie libérale.
11:54 Donc, par conséquent, les personnes sont définies
11:59 en relation avec leur valeur marchande.
12:01 Vous ne produisez plus de valeur marchande.
12:04 Je ne produis plus.
12:05 Je ne crée pas de valeur.
12:07 Donc je n'ai pas de valeur.
12:09 Oui, c'est ce que nous a raconté Jacques Attali sur un plateau de télévision.
12:12 C'est possible.
12:13 C'est pour ça qu'ils sont en train de mettre en place des lois sur l'euthanasie.
12:17 C'est parce que dès que vous ne dégagez plus de capital,
12:21 vous êtes gentiment appelé à...
12:23 Oui, alors si c'est une façon, en effet, de se débarrasser des vieux,
12:26 c'est un peu embêtant.
12:28 Je ne vous parlerai pas de cette question
12:30 parce que je n'arrive pas à me faire une opinion sur l'euthanasie.
12:34 Je me défile parce que je suis hésitante.
12:38 Mais en tout cas, au moins, si on ne nous envoie pas au cimetière,
12:42 on nous a bien envoyé déjà avec le Covid, ça s'est fait tout seul.
12:46 C'était bien ?
12:47 Je suis très cynique là.
12:49 Vous n'avez pas peur ?
12:50 Non, un petit peu.
12:52 Le rhume des Ivires, on s'en souvient.
12:53 Qu'au moins, on n'en kikine pas, on ne nous...
12:57 Bon, puisqu'on ne sert à rien, on ne sert à rien.
12:59 Par contre, on a trouvé le filant pour qu'on serve quand même à quelque chose
13:04 dans cette économie libérale marchande.
13:06 Oui, parce qu'il y a des déambulateurs à vendre,
13:07 il y a des chaises roulantes à vendre,
13:09 et puis des Ehpad aussi à faire fonctionner.
13:11 Nous sommes un marché.
13:13 Alors là, maintenant, au contraire, c'est la pléthore.
13:16 Oui, les déambulateurs.
13:18 Un jour, je vais dans un magasin chinois, je tombe.
13:21 Ils avaient laissé une trappe ouverte sans garde-fou
13:24 au beau milieu du magasin, avec un escalier.
13:27 Et moi, je regardais un poisson, c'était au moment du nouvel an chinois,
13:30 je voulais l'acheter, je tirais dessus.
13:32 Bang ! Je tombe, je fais tout l'escalier.
13:35 Tout l'escalier.
13:36 Vous vous rendez compte ? C'est un accident grave.
13:39 Eh bien, ils se sont précipités vers moi,
13:41 alors là, ils ont été pleins d'attention.
13:44 Ils ont été pleins d'attention parce qu'ils avaient peur que...
13:49 Ce n'est pas tout à fait en lien avec le fait que nous soyons consommateurs,
13:52 parce que ça m'a fait penser à magasins.
13:54 Mais ils ont été plus que gentils,
13:56 parce qu'ils ont eu peur que je parte plus plainte.
13:58 C'est-à-dire, on s'intéresse à nous si aussi on peut causer un petit ennui.
14:02 Donc, on est aussi forcés...
14:05 Enfin, les autres, pas nous les vieux.
14:08 Ils sont aussi forcés de nous chuchoter un peu.
14:13 Puis il y a toute cette idéologie qui vient des Etats-Unis,
14:16 je crois, du care, du soin.
14:19 Et donc, il faut aussi...
14:21 Il faut nous mettre à notre place, il ne faut pas nous brutaliser.
14:26 Mais en même temps, il faut un petit peu de douceur.
14:29 Justement, pour qu'on ne grogne pas,
14:31 pour qu'on ne se souvienne pas des mémés qui percifflent le,
14:34 comme il y en a certaines, ou qui cancanent sans arrêt.
14:38 – Il y a un parallèle avec le bien-être animal.
14:40 Il faut qu'on nous entoure un peu comme un animal.
14:44 – Oui, comme un doudou.
14:45 Je suis très gentil, un doudou.
14:47 – Alors, vous êtes de la génération du baby-boom, madame.
14:50 Vous êtes née en 1945.
14:53 Certains vous reprochent d'être des 68-tard à tarder,
14:56 d'avoir profité allègrement des 30 glorieuses,
14:59 d'avoir une retraite dorée.
15:00 Qu'est-ce que vous leur répondez à ceux-là qui vous disent
15:03 que vous êtes née avec une cuillère en or dans la bouche ?
15:06 – Ce que je réponds, c'est qu'il faut une erreur,
15:10 tout simplement chronologique et historique.
15:13 À savoir que nous sommes donc les enfants d'après-guerre,
15:17 et par itération, et pense que nous sommes les enfants
15:20 de la reconstruction qui a eu lieu,
15:24 quand on a commencé à faire monter des HLM partout.
15:28 – De la croissance à 6 ou 7 %.
15:30 – Le Comité national de la résistance qui a fait
15:32 pour qu'il y ait un lancé industrialisé la France, etc.
15:35 Il y a eu, évidemment.
15:37 Mais ça a commencé, on est sortis, disons,
15:40 d'une espèce de misère générale.
15:42 Moi, je faisais partie des classes, on va dire, moyennes,
15:44 mais pas très supérieures, moyennes.
15:48 Et on avait une vie difficile.
15:50 – Oui, de 45 à 55, je crois que les tickets de rationnement
15:54 ont été arrêtés en 49 ou 50.
15:56 – Exactement, il y avait les tickets de rationnement,
15:58 il y avait la goutte de lait, parce que nos mères n'avaient pas de lait,
16:01 à cause des restrictions de la guerre.
16:04 Donc, on leur donnait du lait.
16:06 Vous savez, dans ma famille, il y a eu un drame,
16:08 je peux vous le raconter.
16:09 J'étais petite, donc ça ne m'a pas trop perturbée.
16:12 J'ai une petite soeur qui est morte de la toxicose à 9 mois,
16:16 qui était née 2 ans après moi.
16:19 Et de quoi elle est morte ?
16:21 Ben, elle n'avait pas de lait.
16:23 Non.
16:23 Suffisant, suffisamment nutritif.
16:28 Et bien, elle est allée à la goutte de lait,
16:30 et on leur donnait du lait en poutre des surplus américains,
16:35 pour les rations des soldats.
16:37 Et bien, c'est avec ce lait-là que cette gamine-là,
16:39 elle a pris une toxicose, et elle est morte en quelques heures,
16:43 avec impossibilité de faire quoi que ce soit.
16:46 La pénicilline, les antibiotiques,
16:48 ne rentraient pas en France, ils sont rentrés très tard.
16:52 Donc, vous voyez, ce n'était pas du tout rose.
16:55 Le pays était dévasté, les ponts avaient sauté,
16:59 enfin, ce n'était pas général.
17:00 Bon, on nous montre toujours Dresde et tout ça,
17:02 mais il y a eu aussi en France des destructions.
17:06 Et donc, en fait, pour les communications,
17:09 mon père était vétérinaire, il allait faire ses courses,
17:11 il allait visiter les paysans à moto,
17:16 très souvent, il faisait une grande partie du chemin à pied,
17:19 parce qu'il ne pouvait même plus rouler.
17:21 Donc, peu à peu, non, on est sorti...
17:25 Peu à peu, oui, pardon.
17:26 On est sorti de là, on a commencé à avoir,
17:29 bon, par exemple, un petit peu de confort ménager.
17:32 On a les armes ménagères, je crois que c'était en 57,
17:35 quelque chose comme ça.
17:36 - Le réfrigérateur qui arrivait, la télévision qui arrivait.
17:38 - Voilà, peu à peu, peu à peu, on a déménagé,
17:41 parce qu'on a eu assez de sous pour construire une maison.
17:43 Et de là, on est passé dans, en effet,
17:46 une classe moyenne un peu supérieure, aisé.
17:49 Mais c'est arrivé après...
17:52 D'ailleurs, j'ai découvert sous un bouquiniste,
17:55 un livre étonnant, très beau d'ailleurs,
17:59 d'images de cette période.
18:04 Et eux, c'est écrit avant...
18:07 C'est Jean Fourassier, un économiste, qui a sorti l'expression
18:10 "Les 30 glorieuses".
18:13 Et bien sûr, ce livre, c'est un gros livre, avec plein de photos.
18:16 Les deux glorieuses.
18:18 Ils avaient écrit les deux glorieuses,
18:20 et pas du tout dans un but polémique.
18:21 C'est parce que pour eux, c'était évident
18:23 qu'il n'y avait que 20 ans à peu près.
18:25 Parce qu'après, l'autre butoir, c'est 70.
18:28 - Les 20 glorieuses, ouais.
18:30 - Donc ça ne fait pas les 30 glorieuses.
18:32 Ça fait peut-être les 20 glorieuses, si vous voulez.
18:34 Mais ce n'est pas pour faire de la polémique sérile.
18:37 C'est pour montrer que bon,
18:40 on n'est pas nés avec une milliard d'argent,
18:42 on n'a pas été des enfants qui ont reçu des cadeaux, des cadeaux.
18:46 À partir du moment où, oui.
18:48 Mais moi, j'avais peut-être 10, 11 ans, 12 ans,
18:51 quand ça a commencé à se décanter.
18:53 Et qu'en fait, oui, j'ai eu le vie,
18:55 mes parents ont commencé à voyager,
18:57 on est allés à l'étranger, tout ça.
18:58 On a eu cette vie un peu facile de la classe moyenne.
19:02 Mais avant, non.
19:04 - Alors vous évoquez aussi l'état du système de santé français.
19:07 Il a fallu quand même à l'arrivée du Covid
19:09 pour que les Français découvrent l'état du délabrement
19:12 de ce système de santé.
19:14 Vous, femme née en 1945,
19:17 qu'est-ce que vous pensez de ce système ?
19:19 Comment est-ce qu'on vous reçoit ?
19:21 - Au moins ça va bien.
19:23 La plupart du temps.
19:25 - Vous décrivez certains moments où le médecin,
19:29 il vous reçoit et puis il vous flanque à la porte
19:31 après que vous ayez payé, quoi.
19:33 - Alors, ce qui m'arrive, arrive à toute la société
19:35 et pas qu'à moi en tant qu'vieille femme.
19:37 - Oui.
19:38 - À savoir le fait qu'il faut prendre des rendez-vous
19:41 très en avance, très en amont, etc.
19:43 Mais pour nous, c'est encore plus pénible.
19:46 Parce qu'on se retrouve d'abord avec
19:49 pléthore de soignants de toutes sortes.
19:51 Alors, il y a l'infirmière, il y a le...
19:53 Si on accepte de tout.
19:55 Il y a l'infirmière, il y a le kiné,
19:57 il y a un chirurgien par-ci, par-là,
19:59 parce qu'on a un petit bobo.
20:01 Il y a déjà 5 ou 6 personnes,
20:04 plus tout le personnel domestique, que j'appelle.
20:08 On en est revenu à ça, des domestiques.
20:10 C'est-à-dire les dames qui font le ménage.
20:13 - Les cuisines.
20:14 - Voilà, toutes les aides ménagères,
20:17 le jardinier qui vient couper.
20:19 Donc, on est...
20:20 En fait, chez nous, je m'en suis rendue compte,
20:26 au début, avant 70 ans,
20:29 même entre 60 et 70 ans,
20:30 j'étais seule chez moi.
20:32 J'ai une grande maison à la campagne,
20:33 je voyais bien que j'étais seule.
20:35 Et maintenant, depuis...
20:37 Il y aura de nouveau quand je retournerai,
20:39 au mois d'avril,
20:40 il y a un défilé de soignants, d'infirmières, de...
20:45 Oh, mon Dieu, mon Dieu, mais c'est ça, c'est incessant.
20:49 - Il n'y a pas de quoi se plaindre, alors ?
20:50 - Bah, si, parce que moi, j'adore rester tranquille,
20:55 sans rien faire.
20:56 Et là, non, non...
20:59 - Mais comment vous feriez si vous n'aviez pas une cuisinière
21:02 pour s'occuper de vous ?
21:04 - Je pense qu'on anticipe trop.
21:06 Bien sûr que je vais en avoir besoin.
21:07 - On veut vous couver, c'est ça que vous n'aimez pas ?
21:09 - C'est parce que... Toujours pareil,
21:12 comme c'est un stéréotype, comme on est stéréotypés,
21:15 à partir d'un moment, il faut que tu aies un pilulier,
21:18 il faut que tu...
21:19 C'est comme si c'était automatique,
21:21 et presque indépendant.
21:22 Là, j'exagère.
21:23 - Oui, on vous fait rentrer dans un système.
21:25 - Voilà, complètement.
21:26 On nous mécanise.
21:29 Et ça, c'est... Moi, je n'aime pas ça.
21:32 Bon, évidemment qu'il y a des choses qui sont utiles.
21:34 Je ne vais pas vous dire le contraire.
21:36 Il y a des gens, en plus, qui viennent et qui sont très compétents.
21:40 Il faut toujours faire les nuances.
21:42 Mais malgré tout, c'est très agaçant.
21:43 Toute la journée, toute la journée,
21:45 ça défile, ça sonne par ci, ça sonne par là.
21:48 Moi, qui aime bien rester dans le silence, tranquille,
21:52 je ne suis pas forcément très heureuse.
21:53 - Alors, avec l'âge, Madeleine et Amel,
21:55 qui ont, vous constatez, des pertes de mémoire,
21:57 des difficultés d'adaptation au changement,
22:00 une réactivité, une anticipation un peu emberne.
22:03 Comment vous faites face à cela ?
22:05 - C'est très dur.
22:06 C'est justement ce que me disait la dame Semacal
22:08 quand je suis sorti de l'ascenseur.
22:09 Elle m'a dit "mais ils ne comprennent pas qu'on est lent".
22:12 Elle m'a dit tout de suite, spontanément.
22:14 Elle ne savait pas que j'avais écrit un livre.
22:15 Rien du tout.
22:16 Elle m'a parlé comme à une voisine.
22:18 Elle m'a dit "mais ils ne comprennent pas qu'on est lent,
22:19 qu'on ne peut pas faire tout ça".
22:21 Et en effet, l'exemple le plus évident,
22:25 c'est la digitalisation.
22:27 On fait tous les efforts qu'on peut.
22:31 - On n'est pas préparé.
22:32 - J'étais journaliste.
22:33 Au moins, je savais ce que c'était qu'un clavier,
22:36 du traitement de texte.
22:37 J'ai fait un petit peu de PAO au début.
22:39 C'est tout.
22:40 Mais quand il faut que je truque ma banque assurance,
22:43 qu'après il faut que je rentre le mot de passe,
22:46 qu'après ce mot de passe...
22:47 - Il faut des mots de passe pour tout maintenant.
22:49 - Le mot de passe qui doit être validé par un autre mot de passe
22:52 qui m'est envoyé par mail et que j'ai 5 minutes,
22:55 5 secondes pour le transposer là,
22:58 non, on devient fou.
23:00 C'est terrible.
23:02 Moi, je prends des rages impossibles,
23:04 je prends des crises de larmes.
23:06 Ah oui, oui, oui, oui, oui.
23:07 Je sanglote des fois.
23:09 C'est trop, c'est trop.
23:12 Et pourtant, je fais partie de la...
23:13 Je fais partie de celles qui ont eu de l'éducation,
23:19 qui ont touché à des métiers
23:20 qu'ils ont quand même un peu mis en familiarité.
23:23 Mais il y a certaines fois, c'est intenable.
23:26 C'est dur à comprendre et on oublie, on nous explique,
23:29 mais on oublie.
23:32 Donc, c'est très dur.
23:33 J'ai pris des cours, moi, carrément,
23:35 de mon côté scolaire.
23:37 J'ai dit, je vais prendre des cours parce que j'y arrive pas toute seule.
23:40 Mais ça me coûte cher.
23:42 - Vous évoquez... - Tout le monde peut pas le faire.
23:43 - Ça sera ma dernière question, madame.
23:45 Le rapport au corps qui change.
23:48 Vous expliquez un jour avoir découvert avec effroi votre corps de vieille.
23:53 Comment on fait pour pas déprimer, alors ?
23:57 - Je sais pas.
23:58 C'est depuis un jour, je me suis rendue compte...
24:01 Pourquoi ce genre-là ?
24:03 Que vous savez, c'est tout plissé par là.
24:05 Ça fait des tas de petites plis.
24:07 Bon, vous voyez un peu...
24:09 C'est pas très vilain, mais bon, c'est pas très joli non plus.
24:15 Et j'ai vu ça.
24:19 Et...
24:21 Ah, ça m'a...
24:24 Ça m'a basourdie.
24:26 Je me suis dit, merde, mais oui.
24:28 Mais tu as vraiment une vieille peau.
24:30 Moi, j'ai pensé à cette expression.
24:32 - Tu es poussière et tu redeviendras poussière.
24:34 Il faut jamais garder ça. - Ça, je l'ai pas pensé,
24:36 parce que je ne lis pas beaucoup de citations de la Bible.
24:40 En fait, je la connais.
24:42 Je la connais, cette citation. Elle est très bien.
24:45 Puis après, je me suis dit, bon, ben tant pis.
24:46 De toute façon, t'étais pareil hier avant-hier.
24:48 Personne ne t'a rien fait remarquer.
24:50 Alors, j'ai pris le dessus.
24:52 J'ai eu un coup d'effroi.
24:55 J'emploie le mot "panique" assez souvent dans le livre.
24:58 Il y a des moments où on est en panique.
24:59 Comme quand je dis que je s'englobe sur mon ordinateur.
25:01 C'est pas tous les jours.
25:02 - Il faut se ressaisir. Il faut remettre les pieds sur terre.
25:05 - Oui, puis alors on cherche partout.
25:07 Donc, du coup, on devient incohérent.
25:09 Parce qu'on commence une chose, puis on a plus un comportement maîtrisé.
25:14 - Rationnel, oui.
25:15 - Qui était la reine de l'organisation du travail, de la méthode,
25:19 de faire une chose après l'autre, etc.
25:21 C'est bon, on peut pas cesser les concours de normalité.
25:24 Il faut savoir faire ça.
25:26 Mais maintenant, il y a des moments, c'est tout brouillon.
25:28 C'est très difficile à admettre.
25:32 - Il faut s'adapter.
25:33 - Il faut s'adapter.
25:34 Bon, c'est pas très grave, mais c'est vraiment...
25:38 J'aimerais montrer vraiment ce visage-là de la vieillesse
25:42 et pas un visage irénique, si vous voulez.
25:46 Je lis énormément de livres sur les vieux,
25:51 et il y en a un très grand nombre qui nous disent
25:56 "mais c'est extraordinaire, tout recommence",
25:59 70 ans, "tout recommence, tu vas pouvoir contempler,
26:04 tu vas pouvoir regarder l'eau, le frisolie de l'eau,
26:09 ou le vent dans les..."
26:12 - Vous êtes une femme d'action.
26:14 - Moi, non, j'écris des poèmes,
26:17 mais j'ai pas besoin d'attendre qu'on me dise
26:20 de regarder la nature pour la regarder.
26:22 Mais c'est un point qui est important, ça.
26:24 Peut-être, je peux me permettre là.
26:28 C'est que le lien n'est pas fait entre mon présent et mon passé
26:33 par ceux qui s'occupent de nous.
26:35 Vous voyez ?
26:36 Ils voient pas la connexion.
26:38 - Et ils vous ont pas connu dans votre âge mature.
26:42 - Si à 50 ans ou à 40 ans, je me suis mis à faire de la méditation
26:47 et que je suis habituée à méditer,
26:49 dans ma vieillesse, je vais transposer ça là.
26:52 Mais si j'en ai jamais fait,
26:54 si c'est pas du tout dans mon...
26:56 "j'ai pas envie de faire ça",
26:58 pourquoi me demander de méditer maintenant, tout d'un coup ?
27:00 Parce que j'ai 70 ans.
27:02 Vous voyez ? C'est ça, ce formatage.
27:05 Et puis cette vision, oui, toujours joyeuse.
27:09 Mais ça, c'est vrai.
27:11 - Le conditionnement est prêt à tout âge.
27:15 - Voilà. Parce que le conditionnement,
27:17 vous le connaissez aussi dans l'entreprise,
27:19 avec le management.
27:21 Donc c'est un peu la même chose qu'on nous applique.
27:23 On nous manage. Voilà.
27:25 - De A à Z.
27:27 À ceux qui nous parlent comme à des enfants,
27:29 c'est l'ouvrage de Madeleine Melchion.
27:31 Merci à vous, Madame.
27:33 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
27:36 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org