Laurence Ferrari - La pratique de la lecture en chute libre chez les 7-19 ans

  • il y a 5 mois

Aujourd'hui dans "Punchline", Laurence Ferrari et ses invités débattent de cette étude française qui conclu que la pratique de la lecture chez les 7-19 ans a fortement diminué.
Retrouvez "Punchline" sur : http://www.europe1.fr/emissions/punchline

Category

🗞
News
Transcript
00:00 *Générique*
00:18 18h20, on se retrouve en direct dans Punchline sur CNews et sur Europe 1.
00:22 On évoquait le phénomène de violence chez le jeune tout à l'heure.
00:25 On a une partie de l'explication en lisant cette étude du Centre National du Livre
00:30 qui a été commandée à l'Institut de Sondage d'Ipsos, qui est publiée aujourd'hui dans le Figaro.
00:34 Et qui inquiète parce qu'elle montre que la lecture est en train de s'effondrer chez les jeunes,
00:38 notamment chez les 16-19 ans.
00:40 C'est véritablement effarant par rapport, évidemment, au temps passé sur les écrans.
00:45 Alors c'est très très très clair, il y a un transfert de l'attention des jeunes vers les écrans.
00:49 Mais bon, est-ce que c'est la faute aux écrans ? Pas seulement.
00:52 Il y a aussi la faute des parents parce qu'il faut aussi veiller à tout ça.
00:54 On fait le point avec Tancrède Guillotel.
00:56 On sera en ligne avec Alexandre Jardin qui, lui, se bat beaucoup pour l'écriture et la lecture, surtout.
01:01 Mais d'abord, les explications et les chiffres effrayants. Écoutez.
01:05 Le Centre National du Livre tire la sonnette d'alarme.
01:09 Selon une étude Ipsos, la pratique de la lecture est en chute.
01:13 Chaque jour, les jeunes de 7 à 19 ans passent 3h11 en moyenne sur les écrans,
01:18 contre 19 minutes consacrées à la lecture.
01:21 Statistique que déplore Régine Atchondo, la présidente du CNL.
01:25 Il y a désormais un enfermement addictif avec le numérique.
01:28 On peut parler de drogue et en cela de nouvelle guerre de l'opium.
01:32 Pour préserver son jugement critique face aux écrans, il faut avoir une base très solide.
01:36 Les jeunes français n'ont plus les mêmes capacités de concentration,
01:39 en partie à cause des réseaux sociaux, comme l'explique une professeure de français en classe de 6ème-5ème.
01:45 Lire un roman, ça demande beaucoup plus d'attention, parce qu'il faut analyser chaque mot,
01:51 mis bout à bout et, comment dire, linéairement, plus tourner une page, etc.
01:57 Donc ça prend beaucoup plus de temps.
01:58 En fait, notre cerveau n'est plus du tout habitué à ça, et donc au bout de 3 chapitres, on va s'ennuyer.
02:03 D'après l'étude, 20% des jeunes ne sont pas capables de lire plus de 15 minutes sans s'arrêter.
02:09 Le problème vient aussi des méthodes d'apprentissage, comme le souligne la même enseignante.
02:13 La méthode globale n'a pas du tout, du tout aidé à une vraie construction de la lecture, etc.
02:18 Les élèves, ils ne savent pas lire correctement un mot, ils inventent totalement une lecture.
02:22 Quand tu fais des questions de compréhension sur un texte,
02:24 ils n'ont pas compris la moitié du texte parce qu'ils ont lu autre chose.
02:27 Pour tenter d'enrayer le phénomène, le CNL a mis en place différentes propositions.
02:32 Le pass culture, les nuits de la lecture ou le quart d'heure de lecture.
02:36 Mais les jeunes français passent toujours 10 fois plus de temps sur les écrans qu'à lire des livres.
02:40 Alors on a en ligne Alexandre Jardin qui est avec nous.
02:43 Bonsoir à vous, merci d'avoir pris un petit peu de temps pour nous parler, Alexandre.
02:46 Vous êtes le créateur de "Lire et faire lire", l'auteur de ce livre "Faire lire pour les nuls,
02:52 comment partager le plaisir fou de lire autour de soi".
02:54 Là, on a des chiffres qui sont absolument effrayants.
02:57 Et tout est lié en réalité, c'est ce que je disais tout à l'heure dans mon petit sommaire.
03:01 C'est que la violence, c'est le langage du quotidien quand on n'a plus les mots pour s'exprimer.
03:05 Vous êtes d'accord avec ça ou pas ?
03:07 Toutes les études le montrent.
03:09 Il y a une corrélation très étroite entre le niveau du lexique et la violence physique.
03:14 Donc, qu'est-ce qu'on fait ?
03:18 Parce qu'on peut tous gémir, on peut tous déplorer,
03:23 mais tous ceux qui nous écoutent, qu'est-ce qu'ils peuvent faire ?
03:26 Quand on a construit ce programme "Lire et faire lire", on ne l'a pas fait pour faire une grosse association.
03:31 Même si aujourd'hui, on est presque 20 000 de plus de 50 ans
03:35 à transmettre le plaisir de la lecture chaque semaine dans l'ensemble de nos départements,
03:40 je vous appelle au secours.
03:42 Tout le monde doit faire sa part. Vous en parlez autour de vous.
03:46 Il faut que "Lire et faire lire" passe à 50 000 bénévoles et non pas 20 000.
03:51 Si on accompagne les enfants des petites sections de maternelle jusqu'à l'entrée au collège,
03:55 toutes les semaines, avec des retraités qui les font lire,
03:59 nous n'aurons pas les mêmes résultats.
04:01 Et ces chiffres pourris, on va les faire reculer.
04:04 Mais la bataille, elle se joue fondamentalement à l'école maternelle et primaire.
04:09 Oui, vous avez raison, Alexandre Jardin.
04:11 Oui, parce que c'est là que tout se joue.
04:14 Après, effectivement, ça bascule sur les écrans.
04:16 Mais est-ce que c'est vraiment le danger, l'apocalypse, les écrans ?
04:20 Parce qu'on nous dit "mais ils lisent".
04:22 Non, ils ne lisent pas, ils regardent des images sur les réseaux sociaux, en réalité.
04:25 Ils ne lisent rien.
04:27 Non, mais les écrans ne sont en rien un problème à partir du moment où vous avez un cerveau qui fonctionne.
04:31 À partir du moment où vous pouvez relativiser, à partir du moment où vous pouvez penser,
04:35 à partir du moment où vous avez des mots.
04:37 Donc, la question, c'est de remplir les cerveaux de tous nos...
04:42 Je dis bien tous.
04:44 Et lire et faire lire, c'est fait pour toutes nos écoles maternelles, primaires.
04:48 Donc, c'est fondamental.
04:52 On ne pourra pas...
04:54 On ne va pas mettre un flic...
04:57 Non.
04:58 Derrière tout le monde, ça n'a aucun sens.
05:01 Il faut qu'on arrive à refaire des êtres humains cérébrés
05:05 ayant des mots, ayant du vocabulaire,
05:08 ayant une capacité à conceptualiser.
05:11 Alors, soit on gueule tous et on dit "ah, ma bonne dame"...
05:15 Ou on se bouge les fesses.
05:18 Vous avez raison, Alexandre.
05:20 Et dans votre livre, ce qui est vraiment intéressant,
05:22 c'est que vous donnez des clés pour les parents, parce qu'on est tous,
05:24 parce que aller faire lire votre enfant, allez-y, accrochez-vous.
05:27 Mettez-vous à côté de lui et vous lisez avec lui.
05:30 C'est ça. Lire avec les enfants.
05:32 Moi, je l'ai fait là, ça marche.
05:34 Ça marche vraiment très bien.
05:36 J'ai pris "L'appel de la forêt" et on s'est tapé tout le livre, c'est génial.
05:39 Geoffroy Lejeune, je vois que ça vous interpelle,
05:43 le fait de faire lire ses enfants.
05:45 Non, mais vous me faites un peu rire.
05:47 Ça fait deux fois dans l'émission, Geoffroy.
05:50 Non, hier, c'était Valérie.
05:52 Oui, c'était Valérie.
05:53 Vous avez raison, c'est une question que...
05:54 En plus, c'est en minorité.
05:56 Là, je suis le seul homme sur la planète.
05:57 Oui, le seul homme pour le gâteau, c'est notre parité à nous.
05:59 Donc, il tient bien.
06:01 Alors, Geoffroy, la lecture, la régression du champ lexical.
06:05 C'est ultra angoissant.
06:07 Je suis d'ailleurs parfaitement d'accord avec votre parallèle sur la violence,
06:09 c'est-à-dire que c'est quand on n'a plus les mots qu'on se met à frapper.
06:12 Et ensuite, moi, je trouve ça vertigineux,
06:14 je pense faire partie d'une des dernières générations.
06:16 Je suis né en 1988, où on n'a pas eu ce problème-là.
06:19 Parce qu'en réalité, quand j'étais au collège et au lycée,
06:21 il y avait très peu de téléphones portables encore à ce moment-là.
06:23 Et l'ordinateur est apparu dans nos vies un peu tardivement.
06:26 On n'avait pas beaucoup d'accès à Internet.
06:27 Moi, j'ai vécu l'apparition de la DSL, quand j'étais adolescent.
06:30 Donc, en fait, j'ai vécu sans jusqu'à un certain moment.
06:32 Et je pense que c'est un des derniers moments où on a été un peu préservé de tout ça.
06:35 Je me dis maintenant, du coup, je vois évidemment les conséquences psychiques.
06:38 J'aimerais juste dire, souvent, quand vous dites ce que je viens de dire,
06:42 on vous accuse d'être un peu un vieux con.
06:43 Réac, attention, le 7 et mieux avant, c'est ridicule.
06:45 Pas du tout, les enfants vont apprendre à faire plein d'autres choses.
06:47 Oui, avec l'intelligence artificielle, ils sont très intelligents.
06:50 Et ils sauront faire du code alors que vous ne savez pas, etc.
06:52 Je pense absolument pas.
06:53 Je pense au contraire que quand il y a des grandes mutations dans l'histoire de l'humanité,
06:57 on apprend à faire quelque chose, mais on ne sait plus faire autre chose.
07:00 Et en réalité, nos enfants, peut-être, seront très bons dans le numérique.
07:03 Mais par contre, si leur cerveau n'est pas formé grâce à la lecture,
07:06 qu'ils ne se sont pas ouverts à ce continent exceptionnel qui est beaucoup plus riche qu'Internet,
07:10 qui est celui de la littérature et du livre en général et de la lecture en général,
07:14 je pense qu'on perdra quelque chose durablement.
07:17 C'est comme apprendre à ne plus avoir marché ou mâché.
07:19 Je pense que ça peut être vraiment très grave.
07:22 Mais il y a des trucs dans cette étude qui sont absolument stupéfiants.
07:25 Dans ceux qui lisent, les rares qui lisent, un sur deux fait autre chose pendant ces lectures.
07:29 48 % ont évidemment un écran dans la main, ils envoient des textos, ils regardent des vidéos,
07:34 ils chatent sur les réseaux sociaux.
07:36 Quand on lit, on ne peut pas. En fait, on ne peut pas, il faut se concentrer.
07:39 Ça demande un effort de concentration à chaque cas.
07:41 Évidemment, un effort de concentration.
07:43 Et je partage effectivement tout ce qui a été dit.
07:45 Et puis même dans la symbolique, le livre, c'est ce qui nous relie.
07:49 Moi, j'ai été élevée avec un papa qui vient d'ailleurs,
07:52 mais qui me disait que l'origine d'un citoyen, l'origine des citoyens français,
07:56 c'est la bibliothèque.
07:57 Et il n'a pas tort avec l'ensemble de ces récits.
07:59 Ensuite, cette lecture, si on ne lit plus, comment on peut comprendre notre devise ?
08:04 Comment on peut comprendre la laïcité, qui est un principe très complexe ?
08:08 Et puis, je me souviens aussi du bac français il y a deux ans,
08:12 où les élèves avaient eu comme sujet "Le jeu est-il encore ludique ?"
08:17 Et levé de bouclier sur les réseaux sociaux, puisque les élèves avaient dit
08:22 que ça ne faisait pas partie du programme,
08:24 parce que le mot "ludique" ne faisait pas partie du programme.
08:26 Non, mais pour vous dire à quel point, en plus, la mise en abyme de ce mot "ludique", justement.
08:31 Quand on ne sait plus lire, on ne sait plus jouer non plus.
08:33 Un dernier mot d'Alexandre Jardin, qui est encore avec nous.
08:35 Alexandre, il faut encourager les jeunes à lire, mais pas seulement les encourager.
08:40 Il faut leur donner des livres, et pas seulement dans le cadre de l'école.
08:43 Il faut que chacun prenne sa part de responsabilité, on est d'accord.
08:46 J'ai écrit ce livre aussi parce que la plupart des parents sont souvent désemparés.
08:51 Tout simplement, ils ne savent pas quoi leur faire lire.
08:56 Et donc, j'ai écrit ce livre aussi pour étendre le champ des curiosités.
09:01 Il n'y a pas que Bellamy. C'est merveilleux de lire Bellamy.
09:06 Mais il y a aussi l'énorme gisement des biographies.
09:10 Quand j'étais adolescent, moi, on me faisait lire des biographies.
09:12 J'étais fou de biographies. Mais lesquelles ?
09:16 Je vais vous en recommander une, qui est peut-être l'une des plus jubilatoires que j'ai lues de ma vie,
09:20 et que les Français ne connaissent très peu, la biographie de Disraeli,
09:24 le Premier ministre de la Reine Victoria. Lisez ça, c'est jouissif.
09:29 Vous passez une soirée avec un type hors du commun, mais absolument hors du commun,
09:33 plutôt que de vous taper une soirée avec des abrutis.
09:37 Passez une soirée avec Disraeli. Lisez ça par André Berrois.
09:42 Merci beaucoup, Alexandre. Faire lire pour les nuls, comment partager le plaisir ?
09:45 Il faut lire tout autour de soi. C'est votre livre, mon cher Alexandre.
09:49 Je voudrais juste lui donner une suggestion.
09:51 Allez-y, Léa Eymard.
09:53 Non, pas du jardin. Jardin.
09:54 Monsieur Jardin.
09:55 C'est déjà trop joli comme nom.
09:56 C'est peut-être un partenariat dans le cadre de votre association avec les crèches
10:00 et avec aussi Jeunesse et Sport, avec les centres de loisirs,
10:03 et avec aussi la Fédération des centres socioculturels,
10:07 parce que ça peut être vraiment des espaces de lecture,
10:09 notamment dans le cadre des espaces par enfants.
10:13 Vous avez totalement raison.
10:15 Et dans les départements, les antennes locales de Lire et faire lire se rapprochent des gens.
10:19 Mais engagez-vous. Allez voir vos parents, allez voir vos grands-parents.
10:23 Il faut que les chiffres de l'année prochaine soient meilleurs
10:27 et que les chiffres dans dix ans soient extraordinairement positifs.
10:30 Vous avez raison, Alexandre Jardin.
10:32 Un dernier mot de Sabrina ?
10:33 Alors, trois choses.
10:34 Lire et faire lire.
10:35 C'est ce qu'avait prédit Georges Bernanos, vous savez, l'écrivain.
10:39 C'est-à-dire la déspiritualisation au profit de la technicisation de la vie.
10:43 Et malheureusement, le progrès technologique conduit vers des croyances quasi animistes dans la société.
10:49 Ça, c'est la première des choses.
10:50 La deuxième des choses, c'est le caractère pathogène des réseaux sociaux et des smartphones.
10:55 Ça, tous les psychologues s'accordent à le dire.
10:57 C'est la saturation du lobe frontal qui amène à l'impulsivité et donc la violence.
11:04 Et troisième chose, c'est également l'effondrement de l'école par la baisse de l'instruction.
11:08 Je rappelle la fin du Collège unique en 1976 et surtout, surtout, le protocole de Lisbonne
11:14 qui a mis la compétence avant le savoir.
11:17 Et j'invite les téléspectateurs à lire Jean-Paul Brighelli,
11:20 qui est essayiste et ancien professeur,
11:23 et les éditeurs également, à lire La Fabrique du Crétin.
11:26 Ils comprendront beaucoup de choses.
11:27 Allez, 18h30, on est heureux d'être avec vous.
11:30 C'est l'heure du rappel des titres de l'actualité sur CESN Europe 1 avec notre amie Simon Guilla.

Recommandée