• il y a 6 mois
Xerfi Canal a reçu Olivier Meier, professeur à l'Université Paris Est Créteil, Observatoire ASAP, pour parler de la croissance externe.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Olivier Meyer.
00:09 Bonjour Jean-Philippe.
00:10 Olivier Meyer, vous êtes professeur des universités, professeur à l'Université
00:13 Paris S. Créteil, auteur avec Martin Story de "Croissance externe des entreprises
00:18 et des stratégies d'intégration gagnante".
00:20 Olivier Meyer, comment peut-on encore être en train de s'interroger sur des stratégies
00:26 d'intégration gagnante, sous-entendu, il y aurait des perdantes, en matière de
00:29 croissance externe, après tous les travaux de recherche qui ont été menés
00:32 depuis des décennies ?
00:33 Elle est où l'énigme ?
00:34 En tout cas, c'est une vraie énigme, ça je vous le confirme.
00:37 Ça fait l'objet de beaucoup de travaux et d'études et même encore aujourd'hui,
00:42 les explications sont difficiles spontanément à donner.
00:45 Je vais essayer de vous donner un peu mon regard sur cette question.
00:49 Pour préciser, stratégie externe, ça veut dire une acquisition.
00:52 Voilà, c'est là on retrouve des pratiques comme les fusions acquisitions,
00:55 les rachats de sociétés, les prises de contrôles majoritaires.
00:58 Donc, écoutez, pour moi déjà, si je devais résumer, les fusions acquisitions,
01:03 il faut bien comprendre, c'est une manœuvre stratégique complexe,
01:06 mais qui a comme particularité de prendre divers facteurs, parfois
01:12 divergents, voire contradictoires, on y reviendra, mais surtout, qui
01:17 obéissent à des règles et des temporalités différentes à différents
01:22 niveaux de l'organisation.
01:23 Et je vais essayer de vous expliciter ce que j'entends par là.
01:27 Le premier élément, alors là, pour le coup, qui m'a marqué et où la prise
01:31 de conscience est relativement récente, Jean-Philippe, c'est sur la variété
01:35 des situations stratégiques.
01:36 Et avec le temps, certainement rendu possible par un environnement de plus
01:42 en plus complexe et hyper compétitif, les fusions acquisitions,
01:47 la croissance externe, en fait, obéissent de plus en plus à d'autres enjeux,
01:51 d'autres objectifs, comme les stratégies d'innovation,
01:54 voire l'innovation conjointe.
01:57 Et c'est comme par hasard l'explication, me semble-t-il, de la récence et du
02:02 développement de travaux tout à fait remarquables sur les acquisitions
02:06 de Symbios, par exemple.
02:07 C'est le premier point.
02:08 Il y a un deuxième élément qui me marque, quand j'en parle d'ailleurs
02:11 aussi avec les dirigeants et les managers, c'est sur la diversité
02:16 des acteurs impliqués.
02:17 Spontanément, on va penser aux dirigeants des entreprises, ça va de soi.
02:20 On va penser aux managers qui sont en charge de l'intégration.
02:24 Ça, c'est évident.
02:25 Mais on oublie parfois les collaborateurs et les salariés qui, par leur
02:29 attitude, comportement, réaction, peuvent influer sur les processus
02:34 et naturellement, tout l'écosystème qu'il y a derrière.
02:38 On pense naturellement aux mandants actionnaires, CF, Monsieur le professeur,
02:42 la théorie de l'agence, mais aussi les médias, l'influence médiatique,
02:47 la pression qu'on exerce sur les dirigeants et naturellement,
02:50 fournisseurs, clients, partenaires, institutions.
02:53 Tout ceci s'inscrit dans une logique de réseau, d'écosystème qui explique
02:57 pour moi aussi pourquoi cette manœuvre est aussi délicate à gérer.
03:02 Il y a un troisième point qui est plus là d'ordre médiatique,
03:06 qui fait souvent l'écho de la presse, c'est la guerre des égaux,
03:10 les rivalités personnelles et interpersonnelles.
03:13 Donnons plusieurs exemples marquants.
03:16 On a tous en tête Vivendi Gameloft.
03:18 On sait qui était derrière.
03:20 On a aussi Dell IMC.
03:23 Un peu plus ancien, on a Valeo Peugeot,
03:26 qui avait été aussi des luttes de pouvoir et autres,
03:28 ou encore Hewlett Packard Compact.
03:30 En clair, derrière des manœuvres qui présentent une image de rationalité
03:38 avec des enjeux économiques, stratégiques évidents,
03:41 il y a souvent des luttes d'influence, de pouvoir,
03:45 des jalousies parfois, qui peuvent aussi rentrer en ligne de compte
03:49 et qui font que l'irrationalité n'est jamais totalement loin.
03:52 Et c'est là où je voulais en venir,
03:54 c'est que ceci explique une remise en cause partielle,
03:57 et c'est pour moi une des réponses fondamentales à votre question,
04:00 du modèle rationaliste qui en fait était très prégnant
04:05 pendant des décennies quand on étudiait la fusion-acquisition.
04:08 Moi, j'ai presque une explication en termes d'influence,
04:11 et ce n'est pas à vous que je vais apprendre ça.
04:14 C'est l'influence très forte du monde juridique,
04:18 des juristes de l'économie et de la finance,
04:20 qui se sont emparés de cette belle manœuvre stratégique
04:23 et qui sont des disciplines plutôt de type rationaliste.
04:26 Ça, c'est sur l'aspect remise en cause modèle rationaliste.
04:29 Il y a un autre élément qui, d'ailleurs, est bien mis en exergue
04:33 dans le livre écrit avec Martine, c'est en fait les différences culturelles.
04:38 Alors ça, on le savait, mais ce qui est intéressant,
04:41 c'est des différences culturelles à différents niveaux.
04:44 Et c'est ce qu'on a essayé de travailler avec Martin Story.
04:47 Il y a des différences culturelles, on a tous en tête de type national,
04:51 liées aux zones géographiques et à la mondialisation.
04:53 Certes, il y a les différences organisationnelles,
04:56 de style de management, au sens mode de commandement,
05:00 rapport à l'autorité, rapport au risque, à l'investissement,
05:04 système de rémunération.
05:06 Le cas emblématique qui me marque toujours, c'est le cas d'Aimler-Chrysler.
05:09 Un très beau projet de fusion-acquisition
05:12 où la pertinence stratégique est avérée à tous points de vue.
05:16 Le choc des cultures, tant sur le plan culture nationale
05:20 que le culture managériale, assez passionnant.
05:23 Et un dernier point sur lequel on a insisté avec Martine,
05:26 c'est les sous-cultures.
05:28 Et je voulais insister là-dessus, j'en finis parce qu'on en parle moins.
05:31 C'est des sous-cultures liées aux métiers.
05:32 C'est pour ça qu'il y a plusieurs secteurs d'activité qui sont mobilisés,
05:35 liés aux fonctions, liés aux activités, aux divisions.
05:40 Comme par hasard, on retrouve les travaux de Laurent de Seylor
05:42 sur la différenciation organisationnelle ou fonctionnelle,
05:45 qui, mis bout à bout, cette complexité culturelle,
05:48 rendent ces manœuvres particulièrement délicates.
05:51 Je voudrais insister sur un dernier point, c'est la variable temps.
05:55 Ça, c'est un de mes dada, si vous le permettez,
05:57 que je considère que c'est une variable stratégique
05:59 qu'on devrait mettre au cœur de la réflexion
06:03 lorsqu'on manage les opérations de fusion-acquisition,
06:06 parce qu'elle relève de tensions paradoxales,
06:10 particulièrement, à mon avis, intéressantes à étudier.
06:13 Pourquoi ? Parce que la croissance externe,
06:15 il faut bien comprendre que son succès,
06:17 c'est qu'elle correspond au départ à une option alternative
06:21 et plus intéressante que la croissance interne
06:23 ou la croissance conjointe au sens coopération-alliance,
06:26 lorsqu'on veut décider et agir vite,
06:29 avec des gains immédiats visibles et des résultats à court terme.
06:33 Donc, vous voyez bien, normalement, l'avantage concurrentiel
06:37 déterminant des fusion-acquisitions,
06:39 quoi qu'on en dise, quand on est dans la tête des dirigeants,
06:42 c'est cela.
06:43 On va aller vite, surprendre la concurrence,
06:46 impacter le marché.
06:48 Mais au fil du temps, et ça, on le voit au fil des études
06:53 ou des cas que l'on mène dans le cadre des fusion-acquisitions,
06:55 le processus de création de valeur est beaucoup plus complexe,
06:59 même sur les synergies de coûts ou de croissance,
07:02 et qu'il faut parfois beaucoup plus de temps d'observation,
07:05 d'aller-retour, pour que s'engage une dynamique positive.
07:09 Et là, dans ce cadre-là,
07:11 il y a toujours une sorte de tension entre aller vite sous la pression,
07:15 notamment des actionnaires mandants et des médias,
07:18 et une réalité culturelle et manageriale beaucoup plus complexe,
07:22 qui parfois prend du temps.
07:25 Croissance externe des entreprises, il ne faut pas se voler la face.
07:28 Généralement, elles sont plutôt perdantes.
07:29 Le risque, c'est qu'elles soient perdantes.
07:31 Exactement.
07:31 Pour réfléchir comment les rendre gagnantes.
07:34 Croissance externe des entreprises, édition EMS.
07:36 Merci Alilie Mejia.
07:37 Un grand merci à vous.
07:37 Merci à vous.
07:39 [Musique]

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