Pour l’instant, c’est une formule. L’Europe souhaite passer en économie de guerre… Mais outre le flou de l’énoncé, en a-t-elle véritablement la volonté et les moyens ? S’il n’y a pas de critères établis pour définir une économie de guerre, d’un point de vue qualitatif cela veut dire au moins trois choses [...]
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00:09 Pour l'instant, c'est une formule.
00:11 L'Europe souhaite passer en économie de guerre.
00:13 Mais outre le flou de l'énoncé, en a-t-elle véritablement la volonté et les moyens ?
00:19 S'il n'y a pas de critères établis pour définir une économie de guerre,
00:23 d'un point de vue qualitatif, cela veut dire au moins trois choses.
00:26 1. Réorienter massivement la commande publique vers les enjeux de défense.
00:31 2. Mobiliser et réaffecter sur un mode dirigiste tout aussi massivement l'appareil productif
00:37 vers la production de matériel militaire pour en démultiplier le potentiel.
00:42 3. Réallouer les hommes vers l'armée et l'industrie militaire,
00:47 ce qui va générer des pénuries ailleurs.
00:49 Avec pour corollaire que l'objectif de défense
00:52 prend aussi bien l'ascendant sur celui du bien-être immédiat
00:57 que sur celui de la soutenabilité financière.
01:00 De ce point de vue, il s'agit d'une fausse question concernant l'Europe.
01:05 Non, bien évidemment, l'Europe ne bascule pas pour l'heure en économie de guerre.
01:09 D'abord parce qu'au mieux, elle n'est engagée qu'indirectement,
01:12 dans un conflit qui demeure périphérique à ce stade.
01:16 Le risque d'un conflit de haute intensité,
01:18 qui remettrait en cause l'intégrité de son espace, reste de l'ordre de la menace.
01:24 Ce nouveau contexte sécuritaire,
01:25 doublé du risque de non-assistance américaine brandi par Trump,
01:30 a juste éveillé une prise de conscience de sa vulnérabilité stratégique.
01:36 Au mieux, cesse-t-elle de se défausser en matière de sécurité ?
01:40 En vérité, les États européens, qui avaient baissé la garde depuis la fin de la guerre froide,
01:45 persuadés qu'ils étaient définitivement à l'abri des conflits de haute intensité,
01:50 cessent de considérer la défense comme un poste d'ajustement budgétaire.
01:56 Les dépenses militaires, qui n'avaient cessé de décroître tout au long des années post-guerre froide,
02:01 remontent en intensité depuis 2015, du fait notamment du changement de cap allemand.
02:07 Néanmoins, l'Union est encore loin du compte,
02:10 partant de très bas et en dépit d'une progression de 23% de ses dépenses militaires
02:16 depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine,
02:19 elle demeure 13 ans de ça de la cible des 2% du PIB lié à ses engagements auprès de l'OTAN.
02:26 Atteindraient-elles les 2%, cela n'en fait bien évidemment pas une économie de guerre.
02:32 Un chiffre qu'il faut mettre au regard des 7% de PIB que la Russie compte mobiliser en 2024,
02:39 ou des 33,5% engagés par l'Ukraine en 2022.
02:44 Mais c'est surtout l'esprit qui n'y est pas.
02:46 Car pour basculer en économie de crise, à défaut d'économie de guerre,
02:51 il faut faire passer au second plan les enjeux de soutenabilité financière.
02:55 Ouvrir un nouveau chapitre du quoi qu'il en coûte.
02:59 Non nécessairement au plan national, mais au moins au plan européen.
03:04 Levé de la dette européenne, avec pour corollaire que la BCE se porte acquéreuse de titres
03:09 qui n'ont pas pour vocation première de renforcer le potentiel de croissance,
03:14 sauf à savoir adosser ses dépenses au développement d'un complexe militaro-industriel pérenne
03:20 et générateur d'externalité positive pour le reste de la sphère privée.
03:25 Nous n'y sommes pas.
03:27 L'agenda européen demeure dominé par la question du désendettement.
03:31 Et si Thierry Breton évoque des enveloppes de plus de 100 milliards dans le discours,
03:36 dans les actes, la montagne accouche d'une souris de 1,5 milliard sur plusieurs années,
03:42 qui ne change en rien l'échelle de la commandite européenne.
03:46 Quant à l'affectation de ces fonds, il s'agit d'abord de monter en charge en termes de production d'obus
03:52 pour répondre aux besoins ukrainiens, des armes qui ne portent aucune externalité technologique au plan productif.
04:00 À cela s'ajoutent quelques nouveaux acronymes, et notamment un programme européen pour l'industrie de la défense, EDIP,
04:08 assorti d'un comité de préparation industrielle dans le domaine de la défense, DIRB,
04:14 qui montre la pleine conscience de la Commission sur le fait qu'une industrie de l'armement robuste
04:21 ne peut émerger que de commandes coordonnées entre États, favorisant l'offre d'armement européenne.
04:29 L'objectif, c'est que d'ici 2030, les États membres acquièrent 40% de leur équipement en coopération européenne.
04:37 On en est très loin aujourd'hui.
04:39 Les importations d'armes en provenance des États-Unis ont doublé depuis 2022,
04:44 et les États européens ne coopèrent dans leur acquisition d'équipement que dans 18% des cas.
04:50 Le chacun pour soi continue à prévaloir, au détriment des effets d'échelle dans l'industrie de l'armement européenne.
04:58 Or, pour changer de braquet, il faudrait que le budget européen soit réellement armé financièrement,
05:04 et que les États délèguent certaines de leurs prérogatives.
05:08 Là encore, nous n'y sommes pas, et l'Europe, faute de mieux, demeure cantonnée à l'économie de guerre verbale.
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