• il y a 7 mois
Y a-t-il risque de détricotage du Pacte Vert (Green Deal), à l’issue des élections européennes de juin 2024 ? Le Net-Zero Industry Act européen est-il à la hauteur ? L’Union européenne accompagne-t-elle suffisamment les impacts sociaux de ses mesures environnementales ? Ces questions font l’objet d’un échange entre Cecil Coulet, responsable des affaires européennes d’Équilibre des énergies et Anne-Claire Poirier, journaliste spécialisée énergie et écologie.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:06 Le débat de Smart Impact porte sur le Green Deal, le pacte vert, au cœur des enjeux des élections européennes.
00:13 On en parle avec Cécile Coulet. Bonjour et bienvenue.
00:16 Vous êtes responsable des affaires européennes chez Équilibre des énergies.
00:20 Anne-Claire Poirier, bonjour et bienvenue.
00:22 Vous êtes journaliste spécialisée sur les thématiques d'énergie et d'écologie.
00:26 On va peut-être pour commencer rappeler les engagements européens en matière d'émissions de gaz à effet de serre.
00:32 Les 27 pays de l'Union se sont engagés à réduire d'au moins 55% d'ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.
00:40 C'est le Feed for 55.
00:42 Et puis l'Union européenne, c'est une ambition encore plus importante à l'horizon 2050, neutralité carbone.
00:48 Alors dans cet objectif, il y a une étape importante qui avait été franchie avec le Green Deal, le fameux pacte vert.
00:55 Est-ce que vous diriez que c'est un enjeu majeur de ces élections européennes aujourd'hui, Cécile Coulet ?
01:00 Alors la politique énergie-climat plus que le Green Deal en lui-même est effectivement un enjeu majeur de ces élections
01:08 pour deux raisons.
01:10 Une raison pratique sur le fait qu'il nous reste encore beaucoup de choses à faire pour s'assurer qu'on puisse atteindre nos objectifs climatiques pour 2030.
01:19 Donc l'Union européenne doit continuer son action.
01:23 Et également il y a une raison politique à ça dans le sens où les domaines énergie, climat, décarbonation et industrie
01:33 sont des domaines où le Parlement a un rôle très important, contrairement à d'autres enjeux comme la défense,
01:40 qui sont très mis en avant mais qui sont plus pour les États membres.
01:43 C'est très important ce que vous dites parce qu'il y a beaucoup de téléspectateurs, de citoyens et de citoyennes qui disent
01:48 "L'Europe c'est loin, c'est pas pour nous, ça nous concerne pas en fait, ça a des conséquences majeures sur notre vie quotidienne."
01:54 Ce pacte vert, on parle beaucoup d'énergie évidemment, énergie-climat, mais d'une manière générale,
02:00 il y a une drôle de petite musique si j'ose dire à Anne-Claire Poirier, ce sentiment qu'il est en train d'être détricoté ou qu'il pourrait être détricoté.
02:07 Comment vous le ressentez ça ?
02:09 Oui, en ce moment c'est un peu ce qu'on appelle communément le backlash.
02:13 Ça a démarré assez fort en 2019 parce qu'il y avait aussi à l'époque la société civile qui portait ça, je ne sais pas si vous vous souvenez,
02:19 il y avait des marches climat à l'époque.
02:21 Aujourd'hui on a des agriculteurs qui assiègent les institutions européennes, donc c'est ça qui se passe,
02:25 il y a une espèce de contre-révolution de là, est-ce qu'il y a un détricotage ?
02:29 Moi je ne veux pas le voir tout de suite, tout va se jouer là lors des élections.
02:35 Et effectivement, ce qui est difficile avec les élections européennes, c'est que souvent les électeurs sont volatiles, se décident assez tard.
02:42 Donc pour l'instant on voit venir une marée brune, est-ce qu'elle sera aussi importante qu'on le craint ?
02:49 En 2019 aussi on avait peur et puis finalement les écologistes sont passés devant, l'ont remporté.
02:54 Aujourd'hui c'est encore un peu difficile de quantifier le risque de détricotage même si effectivement il existe.
03:00 Mais quand même le mouvement, je reste avec vous, de grogne, de colère des agriculteurs, ça envoie un signal.
03:06 Et d'ailleurs un signal qu'il faut peut-être que l'Europe intègre dans des erreurs qui ont peut-être été commises aussi
03:14 dans la façon de développer ou d'imposer, je ne sais pas quel terme employer, ce pacte vert.
03:20 Vous savez c'est une tendance qu'on constate un peu partout en Europe.
03:23 En France on est parti pour envoyer au Parlement européen la plus grosse délégation d'extrême droite.
03:29 En Italie... - Mais ce n'est pas seulement lié à l'extrême droite.
03:31 Il y a effectivement dans le programme des partis d'extrême droite, pardon de nous interrompre, en France ou en Europe,
03:38 il y a eu la volonté de mettre un gros coup de fin mais ce n'est pas le seul parti à dire ça.
03:43 Et tous les agriculteurs ne votent pas pour l'extrême droite, vous voyez ce que je veux dire ?
03:46 - Ah oui j'entends. - Il y a une question d'acceptation par les citoyens d'un virage qui est peut-être à tort ou à raison,
03:51 mais perçu trop brutal. - Trop brutal.
03:54 Honnêtement, moi je suis assez convaincue, intéressée de connaître votre avis,
04:00 que cela ne se serait pas passé comme ça s'il n'y avait pas eu des échéances électorales qui étaient si proches.
04:05 Je veux dire, la colère des agriculteurs a été prise en compte et utilisée d'une certaine façon
04:12 parce qu'on a les échéances européennes qui arrivent.
04:14 J'ai envie de croire que le détricotage pourrait s'arrêter là.
04:20 J'ai l'impression que dans les secteurs industriels, les enjeux sont pris en compte,
04:26 il y a besoin de stabilité, ce ne serait vraiment pas productif de revenir en arrière.
04:30 Côté citoyens, finalement, tout ça ce sont des sujets qui vont arriver dans les parlements nationaux prochainement.
04:36 Il y a le temps pour le débat. L'Europe fixe des obligations de résultats,
04:42 par contre les pays vont rester libres de leurs moyens de manière très générale.
04:46 Il ne faut pas faire penser aux gens qui nous écoutent que l'Europe impose d'en haut une façon de faire
04:52 qui arriverait directement aux États. Ce n'est pas du tout le cas.
04:55 Cela va être rediscuté dans les parlements nationaux.
04:57 - Cécile, coulez votre avis là-dessus. Est-ce que le Parlement européen, l'Union européenne et puis finalement les États,
05:02 vous avez raison, dans leur façon d'appliquer ce pacte vert, ont sous-estimé l'impact social des transformations ?
05:09 On peut dire ça différemment. Est-ce qu'il faut un plan social du climat ? Vous voyez ce que je veux dire ?
05:13 - L'enjeu social et l'impact social du Green Deal, il a toujours constitué une préoccupation importante
05:22 de l'Union européenne et de la Commission européenne dès les origines du projet.
05:26 On voit que dans tous les documents stratégiques qui ont lancé le Green Deal,
05:30 la référence au principe de la transition juste est omniprésente.
05:36 C'est traduit ensuite par des projets concrets comme notamment le Fonds social pour le climat qui a été mis en place
05:43 et qui doit permettre de flécher jusqu'à 65 milliards d'euros vers des mesures de soutien pour l'accès aux véhicules électriques,
05:50 pour l'accès au transport en commun et la rénovation.
05:53 Maintenant, il y a eu quand même des faiblesses en termes déjà de communication,
05:58 à la fois de la part de l'Union européenne et peut-être des médias qui n'ont pas beaucoup relayé ces mesures-là qui ont été mises en place.
06:05 Vous voulez dire le volet social des mesures ?
06:08 Le volet social qui existe déjà dans les mesures du Green Deal.
06:11 Et également, il y a un enjeu sur le volume et l'ordre de grandeur puisque 65 milliards d'euros, c'est très bien,
06:17 mais ça ne suffira pas pour l'ensemble de la transition et qu'il faudra impérativement qu'il y ait un grand plan de financement
06:23 qui soit adopté et mis en place dans le cadre de la prochaine mandature.
06:26 Sur cette question de l'acceptation, on peut prendre l'exemple de la réouverture de mines sur le territoire français,
06:33 par exemple les mines de lithium ou autres.
06:35 C'est toujours très intéressant de voir que quand on pose la question aux Français, mais en général, ils disent "oui, il faut une réindustrialisation verte,
06:43 il faut des mines, il faut une autonomie en matière de batteries, etc."
06:46 Et puis quand on s'approche de l'endroit où on va ouvrir ces mines, ça se complique.
06:50 Donc cette question-là, vous voyez ce que je veux dire ? Comment emporter, embarquer avec soi les premiers concernés ?
06:57 C'est sûr que le phénomène qu'on appelle du "NIMBY", "Not in my backyard", joue à plein sur le Green Deal.
07:05 Maintenant, il faut aussi que peut-être les mesures européennes soient remises dans leur écosystème
07:12 où souvent on se fixe sur des grandes lignes, on peut penser aux bannes des voitures thermiques 2035,
07:18 et on ne va pas voir les mesures qui sont mises en place et qui accompagnent cette transition-là,
07:23 avec par exemple des soutiens, comme je le disais, pour l'accès aux véhicules électriques,
07:28 donc pour accompagner les consommateurs dans cette transition.
07:31 Et forcément, si on se focusse uniquement sur les contraintes, sans montrer le pendant qui a été réfléchi en même temps pour l'accompagnement,
07:39 ça crée une hostilité et une cristallisation des critiques.
07:44 – C'est un bon exemple, la voiture électrique, Anne-Claire Poirier,
07:48 parce qu'on a vu qu'il y a eu ce leasing social qui a été mis en place pour l'année 2024, avec un budget.
07:55 Alors, il y a deux façons de lire l'histoire, soit on se dit "c'est super,
07:58 il y a énormément de Français qui ont envie de passer à la voiture électrique
08:01 et qui veulent monter dans ce train du changement",
08:04 et puis de l'autre côté, vous parliez de budget et d'aide,
08:06 on n'avait pas mis assez d'aide au bout du dispositif,
08:09 puisqu'il a fallu l'arrêter au bout de, je ne sais plus, un mois, un mois et demi à peine.
08:12 – C'est ça, mais c'est un des gros sujets, il me semble,
08:16 que ce soit en Europe ou au niveau national,
08:19 il me semble que la transition énergétique, il lui manque deux choses,
08:21 il lui manque de l'argent, et ça c'est assez évident,
08:23 et socialement c'est explosif, il va vraiment falloir qu'on mette les moyens,
08:27 et moi je trouve qu'il manque aussi un récit,
08:29 pour revenir à ce que vous disiez sur le NIMBY,
08:31 quand il y a un récit sociétal autour de quelque chose,
08:34 les gens, quand le projet arrive localement chez eux,
08:37 ils le perçoivent déjà différemment, et on manque terriblement d'un récit,
08:41 alors le "green deal" dans les médias, je crois que c'est quasiment "nobody",
08:45 et la transition énergétique dans le discours politique et médiatique français,
08:50 il est encore très parcellaire, il n'y a pas de…
08:53 – Oui, ou alors peut-être qu'on s'est trompé avec un discours
08:56 qui a d'abord été très anxiogène et culpabilisateur,
09:00 on peut se dire, nous, collectivement, moi j'en prends ma part,
09:03 en tant que journaliste et média, dans la façon de parler
09:06 de la transformation environnementale, on a d'abord actionné ces leviers-là,
09:10 moi je me souviens d'un film de Nicolas Hulot,
09:12 qui était ultra sombre, ultra anxiogène, peut-être qu'il fallait réveiller
09:15 les consciences, mais on est resté un peu sur cette tonalité-là,
09:18 ça c'est mon avis, je veux bien qu'on parle un peu de la concurrence
09:22 des autres pays, quand on voit l'Inflation Reduction Act
09:25 qui a été voté aux États-Unis par Joe Biden, qui propose,
09:30 je vais simplifier, des subventions et de l'électricité à bas prix,
09:34 de l'énergie à bas prix pour attirer les grands projets de l'industrie verte,
09:38 alors là aussi il y a deux lectures, on peut se dire super,
09:40 les Américains s'y mettent, ou alors c'est un aspirateur à projets,
09:44 ils nous piquent nos meilleurs projets, comment vous réagissez à ça ?
09:47 - C'est effectivement d'abord une bonne chose quand même
09:50 que les États-Unis enclenchent cette vitesse sur la transition énergétique,
09:55 c'est très important parce que ce n'est pas l'Union Européenne
09:57 toute seule qui va faire la neutralité climatique
09:59 pour l'ensemble de la planète, maintenant ça pose la question
10:02 de ce que sera la réponse de l'Union Européenne à cette stratégie,
10:05 et effectivement l'Union Européenne a adopté aujourd'hui au Parlement
10:10 le projet de règlement NZIA pour une industrie à émission zéro net,
10:15 qui est un plan, qui est une étape importante,
10:19 mais disons que c'est un petit peu un secret de polychinelle
10:22 que de dire que le NZIA n'est pas une réponse appropriée
10:26 ou à la hauteur de l'Inflation Reduction Act,
10:29 puisque vous le disiez l'IRA met à peu près 700 milliards de dollars
10:34 sur la table, là où NZIA propose des facilités administratives
10:39 pour déployer des projets industriels,
10:41 donc on n'est pas du tout sur le même registre.
10:43 - Anne Carpoyer, je vous avais commencé à l'évoquer,
10:46 mais je veux bien qu'on termine sur finalement notre responsabilité
10:49 collective le 9 juin, le butin qu'on mettra dans l'urne,
10:54 il aura des conséquences sur cette transformation environnementale,
10:57 sur la rapidité du virage, même sur l'accompagnement social ?
11:00 - Oui, tout à fait, c'est vrai qu'on ne réalise pas assez,
11:04 mais on estime qu'environ 20% des lois en France sont directement
11:08 inspirées de ce qui se passe au niveau européen,
11:11 et ce n'est pas n'importe quelle loi, généralement,
11:13 ce sont des lois qui sont cadres, donc en réalité ça irrigue
11:15 tout notre système de réglementation,
11:18 donc je trouve effectivement que les citoyens auraient intérêt
11:21 à s'intéresser aux élections, on n'est pas loin de 50% d'abstention
11:25 en général aux élections européennes.
11:27 - Oui, c'était 51% il y a 5 ans.
11:29 - Oui, et surtout, par rapport notamment aux citoyens français,
11:32 parce qu'on est un pays qui est considéré comme leader
11:35 au niveau européen, si on envoie une grosse délégation
11:39 d'extrême droite, ça veut dire que c'est d'autres députés
11:42 qui ne prendront pas cette place-là, qui ne porteront pas cette ambition,
11:44 et notamment les députés Renaissance, Pascal Canfin,
11:47 qui avait la présidence de la Commission européenne,
11:48 qui a vraiment été l'architecte du Green Deal,
11:50 si la France perd cette influence au sein des différents partis européens,
11:55 parce qu'elle aura envoyé à la place des députés d'extrême droite,
11:58 effectivement, le virage à droite risque de se confirmer
12:04 et on va perdre cette influence à la fois française,
12:06 mais pour la transition énergétique.
12:09 Il y a vraiment un intérêt à se déplacer.
12:12 - Merci beaucoup, merci à tous les deux, et à bientôt sur Bismarck.
12:16 On passe à notre rubrique Start-up.

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