Blocages à Sciences-Po Paris, recrudescence des actes antisémites : le regard de Yonathan Arfi sur les répercussions du conflit Israélo-palestinien en France.
Regardez L'invité de RTL avec Amandine Bégot du 03 mai 2024
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00:00 *Générique*
00:04 Il est 7h42, Amandine Legault, vous recevez donc ce matin le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Yonatan Arfi.
00:10 Le CRIF qui organise lundi, je le disais, son dîner annuel, dans un contexte bien particulier,
00:15 ces blocages, ces manifestations pro-palestinienne à Sciences Po Paris, mais aussi dans plusieurs universités, à Lille, à Lyon, ou encore Saint-Etienne hier.
00:23 Quel regard portez-vous sur ces mobilisations ? Est-ce que tout cela vous inquiète ?
00:28 Y a un risque, c'est celui que s'impose une terreur intellectuelle, une chape de plomb sur nos universités,
00:34 qui ferait que des étudiants juifs ne pourraient plus étudier sereinement, mais pas seulement des étudiants juifs,
00:39 parce qu'au fond, derrière ce discours sur soi-disant la liberté d'expression, c'est une vraie menace sur la liberté académique,
00:44 la liberté d'enseigner pour les enseignants, puisque certains cours ne peuvent pas se tenir,
00:48 la liberté d'étudier et de pouvoir aussi exprimer des opinions dissonantes.
00:52 Je crains que demain, il y ait un dictat de la radicalité sur l'ensemble de notre monde académique.
00:57 Les étudiants juifs de France, aujourd'hui, que vous disent-ils ? Ils peuvent aller en cours ou pas partout ?
01:02 Très concrètement, certains étudiants font le choix d'éviter d'aller en cours,
01:06 parce qu'il y a une atmosphère qui leur est insupportable, un climat parfois d'intimidation,
01:11 une assignation aussi à répondre de ce qui se passe au Proche-Orient.
01:13 Autrement dit, un étudiant juif ne peut plus être un étudiant ordinaire, parfois, dans les universités françaises.
01:19 Il est d'abord juif.
01:20 Il se retrouve d'abord assigné à son identité juive, obligé de répondre à des interpellations de militants pro-palestiniens,
01:26 qui viennent, au fond, renvoyer cet étudiant à la question du Proche-Orient sans cesse.
01:31 C'est une forme d'antisémitisme, il faut le dire, parce que c'est une manière de discriminer ces étudiants.
01:37 Mais on peut tout à fait être pro-palestinien, s'alarmer de ce qui se passe à Gaza, sans pour autant être antisémite.
01:43 Vous êtes d'accord avec ça ?
01:44 Bien sûr, évidemment.
01:45 Et il y a toujours eu des voix sensibles à la cause palestinienne à travers l'histoire.
01:50 Et c'est important qu'elles existent.
01:51 Et vous reconnaissez, vous aussi, que ce qui se passe à Gaza...
01:54 Et je le dis très clairement, je me désole de toutes les détresses de populations civiles,
02:00 quelles qu'elles soient, qu'elles soient israéliennes ou palestiniennes, évidemment,
02:03 et en particulier à Gaza, ça va de soi, néanmoins, dire ça ne permet pas toutes les radicalités,
02:08 ne permet pas les modalités de mobilisation qu'on a vues, les blocages, les intimidations et les discours haineux,
02:14 parce que dans les slogans qui ont pu être portés, il y a des discours qui sont, en soi,
02:19 porteurs d'une volonté d'éradiquer l'État d'Israël ou de stigmatisation des juifs.
02:22 - Est-ce que vous diriez que ceux qui bloquent aujourd'hui les facs,
02:25 ceux qui manifestent notamment à Sciences Po Paris, sont tous antisémites ?
02:28 - Non, ils ne sont pas tous antisémites, évidemment,
02:31 et je ne me trouverai jamais dans le camp de l'essentialisation de qui que ce soit.
02:35 Néanmoins, ce que je constate, c'est que ces mouvements ont fait le choix d'une forme de radicalité
02:40 qui est instrumentalisée, il faut le dire, par la France insoumise,
02:43 qui est parfois aussi marquée par la présence de certains éléments liés aux frères musulmans.
02:47 Donc, des acteurs qui ont un agenda politique... - Les frères musulmans ?
02:50 - Oui, certains ont été repérés dans les mouvements pro-palestiniens,
02:54 évidemment parce que c'est une question qu'ils ont suivie depuis longtemps,
02:59 dont ils considèrent que c'est un élément de mobilisation de leur audience.
03:02 Donc, ne soyons pas naïfs sur les agendas des uns et des autres.
03:06 Et ce faisant, il y a une volonté d'hystériser la jeunesse,
03:10 parce que c'est une manière de semer le chaos.
03:12 Beaucoup d'acteurs ont intérêt au chaos, c'est le cas politiquement de la France insoumise,
03:16 et c'est le cas effectivement de certains acteurs islamistes.
03:18 - Vous parliez tout à l'heure de ces étudiants juifs qui hésitent à aller en cours,
03:22 ou certains qui ont renoncé.
03:24 Ce sont quelques cas, ou vous avez plusieurs dizaines de cas ? Centaines de cas ?
03:30 - Il y a évidemment... Toutes les configurations existent,
03:32 et là encore, il faut raison garder dans la manière de décrire ce qui se passe.
03:37 Néanmoins, l'atmosphère, le climat qui pèse dans le monde académique,
03:43 c'est une réalité pour tous, étudiants juifs ou non-juifs.
03:46 On parle des étudiants juifs parce qu'ils sont souvent les premiers ciblés,
03:49 mais j'insiste sur le fait que ça menace tous ceux qui peuvent avoir des opinions dissonantes ou divergentes.
03:54 Qu'est-ce que serait une université où on ne pourrait pas exprimer une opinion dissonante
03:58 par rapport à un discours dominant qui s'exprimerait ?
04:02 L'université perdrait son âme.
04:05 L'objectif de l'université, c'est de pouvoir quand même maintenir un cadre de débat serein,
04:09 où toutes les opinions puissent s'exprimer calmement et dans le respect.
04:12 Yonathan Arfi, la direction de Sciences Po Paris, a annoncé hier que les sites allaient rester fermés.
04:17 Aujourd'hui, après l'installation de quelques dizaines d'étudiants au sein de l'établissement,
04:24 qui ont organisé un blocus, il faut les déloger ? C'est ce que vous demandez ce matin aux autorités ?
04:28 Oui, je demande aux autorités d'utiliser la force publique pour déloger ces étudiants.
04:33 Vous savez, il y a quelques jours, il y avait eu une précédente occupation avec, à la fin,
04:38 une négociation pour faire sortir les 14 derniers étudiants.
04:43 Une communication de Sciences Po qui avait été très polémique et très controversée.
04:48 Je veux le dire, ça témoigne du fait que la stratégie de la négociation ne marche pas avec les radicaux.
04:53 Il faut que toute la fermeté de l'ordre républicain puisse s'exprimer.
04:57 Mais la force publique sur des étudiants, ça choque certains ?
05:01 Vous savez, il y a parfois nécessité d'utiliser la force publique.
05:06 Si ces étudiants partent d'eux-mêmes, évidemment, il n'y en aura pas besoin à l'État de prendre ses responsabilités.
05:11 Mais il ne faut pas lâcher, c'est ce que vous dites ce matin.
05:13 Non, il ne faut pas lâcher, parce que si nous lâchons, ce qui se joue, ce n'est pas simplement le destin de nos universités,
05:17 mais au fond, la nature de notre débat public de manière générale, et puis aussi la manière dont vont se passer
05:22 les prochaines semaines avec les élections européennes et le risque de récupération, notamment par la France insoumise.
05:26 Justement, vous évoquez la France insoumise qui a été très clairement pointée du doigt par Raphaël Glucksmann,
05:30 le candidat PS-Passe-Public aux européennes, qui a été empêchée de manifester le 1er mai à Saint-Etienne.
05:35 "Ces attaques, écrit-il, sont le résultat de mois de haine et de calomnie savamment orchestrés par les insoumis et par d'autres."
05:42 Il évoque un climat de violence entretenu, selon lui, par des politiques reconverties en ingénieurs du chaos.
05:49 Ce sont des ingénieurs du chaos, les insoumis ?
05:51 Oui, ce sont des ingénieurs du chaos.
05:53 Et par ailleurs, à l'extrême gauche, on adore chasser les sociotraîtres, mais quand en plus, ces sociotraîtres sont juifs,
05:59 alors on s'autorise à les poursuivre avec des drapeaux palestiniens en criant "Palestine aura".
06:02 Il y a une dimension antisémite, d'après vous, dans les attaques ?
06:05 Il l'a dit lui-même, puisqu'il a reconnu qu'il a été l'objet à maintes reprises d'attaques à caractère antisémite.
06:10 Et c'est une réalité, c'est que l'antisémitisme est incrusté dans une partie des discours radicaux de l'extrême gauche.
06:16 Il n'y a non seulement un antisémitisme qui existe à gauche, mais il faut comprendre qu'il existe aussi un antisémitisme de gauche,
06:23 à l'extrême gauche, dans l'histoire, ça n'est pas nouveau, lié historiquement à la question anticapitaliste, puis anti-impérialiste.
06:30 Et cet héritage intellectuel, doublé d'une forme parfois de fascination pour la violence, produit ce à quoi nous assistons aujourd'hui,
06:37 c'est-à-dire ce climat qui, d'une certaine manière, intimide, vise à intimider les juifs.
06:42 Raphaël Glucksmann, qui a en effet expliqué ces derniers jours avoir reçu, depuis plusieurs mois, et que ça continue ses méchances de haine,
06:48 souvent à connotation antisémite, ça vous surprend ?
06:51 Non, ça ne me surprend pas.
06:53 D'abord, on constate que beaucoup d'hommes et de femmes politiques, identifiés comme juifs, reçoivent régulièrement ces menaces antisémites.
07:02 Yael Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale, en a souvent parlé.
07:05 Meyrabib, Jérôme Gage, Elisabeth Borne ont reçu, par le passé, des lettres, des courriers antisémites, des menaces antisémites.
07:13 C'est une constante de notre vie publique.
07:16 On peut remonter à des figures comme Jean Jaurès ou Pierre Mendès France, et se rappeler que, et bien, c'est pas toujours simple d'être une figure publique juive dans notre pays,
07:24 même si la France reste un pays où les juifs ont pu, évidemment, s'épanouir, et s'épanouissent au présent.
07:29 Et vous avez l'impression que la France est aujourd'hui plus antisémite qu'elle ne l'a été ?
07:32 Ou qu'une certaine France ?
07:34 Vous savez, d'abord, il y a une réalité statistique que je constate.
07:38 C'est que, dans les années 90, on avait quelques dizaines d'actes antisémites enregistrés chaque année, par le ministère de l'Intérieur.
07:43 A partir de 2000, jusqu'en 2022, on a eu quelques centaines d'actes antisémites.
07:47 En 2023, pour la première fois, les actes antisémites se sont comptés en milliers.
07:51 On a donc un changement d'ordre de grandeur de l'antisémitisme.
07:54 C'est amplifié, bien entendu, par les réseaux sociaux, c'est amplifié par la radicalité ambiante, par une société fragmentée et polarisée.
08:00 Et comme souvent, quand une société va mal, et bien, la condition des juifs est un baromètre intéressant à observer.
08:07 Plus 1000% pour les actes antisémites, ce sont les chiffres que vous aviez donnés au mois de janvier dernier.
08:13 Ça continue ? La tendance, ça continue à augmenter ?
08:17 Alors, la réalité, c'est qu'il y a un effet cliquet, un effet de seuil.
08:21 A partir du moment où on a libéré l'antisémitisme, activé d'une certaine manière les agents antisémites dans la société, après le 7 octobre,
08:28 parce que c'est ça que les images du 7 octobre ont produit, une activation de l'antisémitisme,
08:32 et bien, c'est très difficile de revenir à l'état précédent et de faire rentrer le diable dans la boîte.
08:38 Et c'est dans ce contexte que se tiendra lundi, je le disais, le dîner annuel du CRIF, en présence de Gabriel Attal.
08:42 Que débute aussi, ça ce sera lundi matin, les assises de lutte contre l'antisémitisme,
08:46 orchestré par Aurore Perget, la ministre en charge de la lutte contre les discriminations.
08:50 Que peut, que doit faire le gouvernement ? Qu'est-ce que vous demandez, Yonatan Arfi ?
08:54 Ce que nous demandons au gouvernement, c'est assez simple.
08:56 C'est d'abord de poursuivre l'effort sur les questions de sécurité.
08:59 C'est fait, il y a une conscience très forte au ministère de l'Intérieur, auprès de Gérald Darmanin,
09:03 sur ces sujets, il faut le saluer, dans la durée. C'est le premier point.
09:07 La deuxième chose, c'est qu'il y a un effort immense à faire sur le sujet de l'éducation.
09:10 Si nous laissons l'antisémitisme s'imposer sur les nouvelles générations,
09:15 alors nous nous promettons un futur extrêmement difficile.
09:19 Près de 13% des actes antisémites à l'école.
09:21 Exactement, on a eu, et c'est le rapport sur l'antisémitisme 2023 qui en témoignait,
09:25 un rajeunissement massif des auteurs d'actes antisémites.
09:28 On m'a rapporté la semaine dernière un cas d'antisémitisme porté par un enfant de CE1.
09:33 CE1, 6-7 ans.
09:35 Un enfant de CE1, un enfant de 7-8 ans, effectivement,
09:38 disant qu'il fallait tuer les juifs à un camarade juif de sa classe.
09:43 C'est ça la réalité qui peut survenir parfois.
09:46 Bien sûr, ça dit davantage quelque chose de son milieu familial que de cet enfant,
09:51 mais il faut lutter contre l'antisémitisme pour la condition des juifs,
09:55 mais aussi pour, j'allais dire, la santé intellectuelle de cette génération.
09:59 Et ça commence d'abord à l'école.
10:00 Merci beaucoup, Jonathan Arfi, d'avoir été avec nous ce matin.
10:03 Merci à vous.