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Mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing est élu 3ème Président de la 5ème République.
Un mandat marqué par des réformes historiques qui impactent encore le quotidien des Français. Abaissement du vote à 18 ans, dépénalisation de l’avortement, instauration du divorce par consentement mutuel…
Des mesures qui ont parfois fait grincer des dents dans son propre camp, le centre-droit, et qui ont fait dire à la gauche qu’il pillait leurs idées.

Alors, et si c’était lui, la vraie alternance, bien avant le socialiste François Mitterrand ?
Qu’est-ce le giscardisme ? Qui s’en est inspiré ? Qui sont ses héritiers aujourd’hui ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023

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Transcription
00:001974, l'alternance Giscard, un film signé Pierre-Bond-Joseph,
00:07documentaire qui montre l'élan réformateur de la première partie du mandat de Valéry Giscard d'Estaing
00:13et qui va jusqu'à poser une question audacieuse d'un point de vue historique
00:17et si c'était, Giscard, la première vraie rupture idéologique et politique de la Ve République,
00:23sept ans avant l'arrivée de la gauche au pouvoir.
00:26Parlons-en avec nos invités, Louis Giscard d'Estaing, bienvenue à vous,
00:29président de la fondation Valéry Giscard d'Estaing,
00:32vous êtes le fils de Valéry Giscard d'Estaing, vous êtes vous-même un responsable politique,
00:35maire de Chamalières-dans-le-Puy-de-Dôme depuis presque 20 ans,
00:39conseiller régional d'Auvergne-Rhône-Alpes, ancien député UMP,
00:42vous avez d'ailleurs succédé à votre père à l'Assemblée.
00:45Claude Maluret, bienvenue à vous également, sénateur de l'Allier en Auvergne-Rhône-Alpes,
00:49président du groupe Les Indépendants République et Territoire,
00:52vous avez bien connu Valéry Giscard d'Estaing,
00:54que vous avez qualifié de grand président, visionnaire et précurseur pour Chamalières et l'Auvergne.
00:59Nathalie Saint-Cricq, bienvenue à vous également, vous êtes journaliste,
01:02éditorialiste politique pour France Télévisions,
01:04fine observatrice de la vie politique depuis quelques années maintenant.
01:08Je vais citer votre dernier ouvrage,
01:10L'ombre d'un traître paru aux éditions L'Observatoire.
01:13Jean-François Cirinelli, bienvenue à vous également,
01:15historien, professeur émérite des universités, spécialiste de l'histoire politique française,
01:20vous avez co-dirigé Les années Giscard, les réformes de société 1974-1981,
01:26paru chez Armand Collin, et puis plus récemment,
01:29vous avez publié Le temps qui passe, la France qui change,
01:32écho du monde d'avant chez Odile Jacob.
01:35Merci beaucoup à tous les quatre d'être ici,
01:37je pense que beaucoup de nos téléspectateurs ont redécouvert, grâce à ce film,
01:41toutes les réformes d'ouverture, en tout cas des deux premières années
01:45du mandat de Valéry Giscard d'Estaing, je les rappelle rapidement,
01:47abaissement du vote à 18 ans, dépénalisation de l'avortement,
01:50instauration du divorce par consentement mutuel,
01:53la retraite à 60 ans pour les métiers les plus pénibles,
01:56sans parler d'une hausse spectaculaire du SMIC en 1974, plus 23%.
02:01Jean-François Cirinelli, est-ce osé de parler de 1974 comme de la vraie alternance ?
02:07Alors, la vraie, on peut en discuter, une alternance à coup sûr.
02:12Alors c'est vrai, vous avez raison de commencer ainsi,
02:15parce que dans l'histoire politique française, quand on parle de l'alternance,
02:19spontanément, on songe à juste titre à 1981,
02:23puisque la gauche n'était plus au pouvoir depuis la 4ème République,
02:27et donc alternance il y eut.
02:29Mais de fait, et je reviens à votre question,
02:32incontestablement, nous sommes en face d'une alternance pour plusieurs raisons.
02:37D'abord une alternance politique, c'est-à-dire qu'en 1974,
02:42le candidat gaulliste est battu, et c'est le candidat, on va dire,
02:46de la droite libérale et du centre droit, qui non seulement gagne,
02:51mais arrive à coaliser des forces politiques dont une partie jusque-là
02:57était dans l'opposition.
02:59N'oubliez jamais qu'encore en 1973, vous avez notamment les réformateurs,
03:03qui sont un groupe dans l'opposition.
03:06Et là, d'un seul coup, nous avons cette force politique
03:08qui va de surcroît se concrétiser en 1978 avec l'UDF.
03:12Donc, de fait, pour revenir à votre question initiale,
03:15alternance il y eut incontestablement.
03:17– Louis Giscard d'Estaing, le titre du documentaire est celui-là,
03:20c'est 1974, l'alternance, Giscard, c'est même pas avec un point d'interrogation,
03:24c'est une affirmation, est-ce que vous le validez ?
03:26– Oui, ça me paraît très intéressant comme approche,
03:29parce que le slogan de la campagne de 1974,
03:32c'était le changement dans la continuité.
03:34Mais c'était le changement, et d'ailleurs dans le documentaire,
03:37il y a cette déclaration le 27 mai 1974,
03:41je vais conduire le changement, je ne vais pas le conduire seul,
03:43je vais le conduire avec le gouvernement, avec le parlement.
03:46Et donc là, il y a bien l'expression de ce qui avait été
03:49cette campagne remarquable et spontanée de 1974,
03:53liée à la disparition prématurée du président Pompidou,
03:57et ce jeune ministre des Finances qui, effectivement,
04:00annonce qu'il va faire des changements,
04:03tout en gardant les institutions de la Ve République,
04:06qu'il va d'ailleurs respecter scrupuleusement,
04:08mais il va apporter toutes sortes de modifications
04:10dont vont bénéficier les jeunes, les femmes,
04:13les catégories sociales qui sont, effectivement,
04:17dans les avancées qu'il souhaite mettre en œuvre,
04:20parce qu'il a la réflexion qu'il ne faut pas qu'il y ait un nouveau mai 68,
04:24et qu'il est, de ce point de vue-là, très visionnaire
04:27de la nécessité de faire évoluer la société française,
04:30et de doter beaucoup de Français de nouveaux avantages sociaux,
04:34et qui feront que, notamment, les élections législatives de 78,
04:38quatre ans plus tard, seront remportées à nouveau
04:40par la majorité sortante.
04:41– Et pourtant, Valéry Giscard d'Estaing vient de ce qu'on peut appeler,
04:44quand même à l'époque, la droite, une certaine droite,
04:46alors pas tout à fait exactement le gaullisme,
04:49mais il y a alternance, c'est l'un des apports majeurs
04:51de ce documentaire, c'est de dire qu'il y a alternance,
04:53vous êtes d'accord Claude Manuel ?
04:54– Oui, comme disait Louis Giscard d'Estaing tout à l'heure,
04:57le changement dans l'opportunité, c'est un changement,
04:59le 8 mai, ça montre qu'il y a à la fois alternance
05:03et pas un changement considérable.
05:05Il y a une continuité parce que De Gaulle avait une politique,
05:09il a commencé avec RUEF, avec une politique libérale,
05:13une politique économique libérale,
05:14Pompidou avait une politique économique libérale,
05:16celle de Giscard d'Estaing était sans doute encore plus libérale
05:19sur le plan économique, mais elle était dans une vraie continuité,
05:22dans une vraie, comme vous le dites, avant 81,
05:25il n'y a pas d'alternance du deux passages
05:27d'une philosophie libérale et d'une philosophie socialiste.
05:30Donc de ce point de vue-là, il y a une continuité.
05:33Mais l'alternance, moi je la vois, je ne vais pas répéter,
05:36je la vois dans un autre domaine, dans le style.
05:40Et ce n'est pas pour rien que Louis Giscard
05:43tout à l'heure parlait de mai 68, parce que ce qui n'avait pas changé,
05:48mai 68 a changé considérablement les choses.
05:50Où était l'aboutissement d'un changement des années 60
05:53vers moins d'autoritarisme, une société plus ouverte, etc.
05:57Mais ensuite, mai 68 s'est transformé en une victoire majeure
06:02de la majorité de De Gaulle, avec une politique...
06:06De Gaulle a continué à être président, ensuite Pompidou,
06:09avec un style qui était déjà changé par rapport à De Gaulle,
06:12mais qui restait celui des années 60.
06:15Et je pense que de ce point de vue-là, Giscard d'Estaing
06:19avait vraiment tiré les enseignements.
06:24Il parlait, lui, non pas d'alternance, mais de décrispation.
06:28Et la décrispation, ce n'est pas une politique qui change,
06:30ce n'est pas une alternance politique, c'est un style qui change.
06:33Et je crois qu'on a beaucoup remarqué ce changement de style,
06:37au moins autant que les réformes sociétales.
06:39D'ailleurs, c'est le premier à avoir fait vraiment des réformes sociétales.
06:43Je vous disais tout à l'heure le vote à 18 ans,
06:46mais ce n'est pas seulement le vote à 18 ans, la majorité à 18 ans.
06:49Et ça change beaucoup de choses.
06:51Ce style de réforme pour les jeunes était sans doute aussi important
06:55que celui qui avait été celui des femmes quelques décennies auparavant.
06:59– Une des vraies questions qui se posent, c'est est-ce qu'il l'a fait
07:02parce qu'il le pensait profondément, parce qu'il en avait envie profondément
07:05ou parce qu'il a voulu répondre à cette attente ou à ce traumatisme
07:08qu'il avait lui-même ressenti de mai 68 ?
07:10Est-ce que ce n'est pas opportunisme politique ?
07:12Ou est-ce qu'il sent les attentes de la société à ce moment-là ?
07:15Nathalie Sancré ?
07:16– Moi, j'arrive un peu après la bataille.
07:19Pour vous dire ça, j'imagine qu'il était extrêmement,
07:21et puis je l'ai rencontré extrêmement en face avec son temps,
07:24je voulais dire juste qu'en tant que travaillant à la télé
07:27et ayant été assez jeune, même petite à cette époque-là,
07:30pour moi c'était quelqu'un de mon époque, même quand j'avais 12 ans.
07:33C'est-à-dire que pour moi il y a un vrai changement, il est moderne.
07:37Jusqu'à dépoussière, c'est le protocole modifié.
07:41Quelqu'un qui n'est pas empaillé avec un costume et qui ne met pas son…
07:44Alors ça peut-être je l'ai appris après,
07:46la croix du grand chancelier de la Légion d'honneur.
07:49C'est quelqu'un qu'on verra en maillot de bain avec Gérald Ford.
07:52Alors je ne suis pas futile en disant ça,
07:55mais j'ai l'impression d'avoir quelqu'un que je pourrais connaître
08:00et qui n'est pas sorti du musée Grévin.
08:02Et je pense que c'était son caractère, parce qu'on le voit dans le documentaire,
08:06il a quand même eu énormément de courage et de culot.
08:10J'ai découvert à cette occasion que c'est lui qui avait envoyé Chirac,
08:14de force, deux fois, remonter le moral à Simone Veil.
08:17Parce que, manifestement, quand on revoit, quand on lit les PV,
08:21ça a été une épouvante.
08:22Donc c'est quelqu'un dont je me dis, et ça me refrappe à sa disparition,
08:27qu'on était assez injustes avec lui.
08:29– Mais l'a-t-il fait parce qu'il était profondément moderne lui-même ?
08:32Pardon cette question, mais elle est justifiée par opportunisme.
08:36– Vraiment, je pense que c'est ses convictions.
08:39D'ailleurs, il a écrit « Démocratie française » en 1976
08:42pour expliquer quelle était sa conception de son projet politique.
08:46Et puis ça correspondait à son mode de vie.
08:49Nous sommes restés une famille préservée de la vie publique.
08:53Et en même temps, il a associé, par hasard, ma jeune sœur Jacinthe,
08:58à la photo, qui est une photo emblématique de la campagne,
09:02de l'affiche de la campagne de 1974.
09:04C'est-à-dire que c'était une famille avec des enfants
09:08qui étaient encore en âge scolaire ou universitaire
09:11et qui arrivait avec un jeune président qui s'appuyait sur son expérience
09:16auprès du général de Gaulle et de Georges Pompidou,
09:18qu'il avait observé.
09:20Et en même temps, il avait compris qu'il fallait faire bouger
09:22la société française.
09:23Et c'était son message.
09:24D'autant plus qu'il était porteur, à travers son parti,
09:28les Républicains indépendants, d'une idée tournée vers le centre droit
09:34et ensuite vers l'ouverture que Sirinelli a rappelée.
09:37Donc il y avait cette idée qu'il fallait faire bouger la société
09:40vers son pôle de gravité.
09:42Quitte à se fâcher avec son propre camp politique, d'ailleurs.
09:44Quitte à prendre les risques, exactement.
09:45Et à l'irriter.
09:46S'il l'avait fait par opportunisme, il n'aurait pas fait l'IVG.
09:50S'il l'avait fait par opportunisme, les Français étaient sans doute
09:53déjà à cette époque majoritairement d'accord,
09:55mais son électorat, lui, et d'ailleurs ses députés,
09:57ont majoritairement voté contre l'IVG.
09:59De la même façon, et c'est une des raisons de son échec en 81,
10:03il y a deux raisons pour moi de son échec en 81.
10:06C'est Jacques Chirac, d'abord, qui n'en voulait plus.
10:08Il avait un père qui n'en voulait plus.
10:10Et puis les jeunes.
10:11Et en instaurant le droit d'vote à 18 ans, dont vous avez parlé tout à l'heure,
10:15il a sans doute... C'était quand même extrêmement courageux.
10:18Il a réussi à gagner les législatives de 78, mais de justesse.
10:22Et il a perdu 81 à deux points qui correspondent à peu près
10:27à l'électorat des jeunes dont il savait lui-même
10:29que c'était un électorat de gauche,
10:31que traditionnellement, l'électorat jeune est toujours...
10:33Donc je pense que si on peut...
10:35Évacuer.
10:36C'est pas d'opportunisme.
10:37C'est celle-là.
10:38Oui, en écho de ce qui vient d'être dit, deux remarques.
10:41La première, incontestablement, l'historien,
10:44qu'il soit de gauche, du centre, de droite,
10:46doit reconnaître un courage politique.
10:48Car, on vient de le dire, il y a eu deux prises de risques
10:51pour l'interruption volontaire de grossesse.
10:54Non seulement il y avait la prise de risque à chaud,
10:57c'est-à-dire le vote parlementaire qui a été acquis,
10:59je le rappelle, grâce aux voix de gauche,
11:01mais il y a ensuite la rancune d'une petite partie de l'électorat.
11:06Mais d'une petite partie dans une élection
11:09qui, en 1974, s'était passée à 49-51.
11:12Et deuxième chose, effectivement, le vote à 18 ans.
11:16Il faut bien voir qu'à l'époque, il y a pour le moment,
11:19dans notre discussion, un absent de la photo, c'est la gauche.
11:22Vous avez une gauche qui est en montée électorale.
11:25En 1972, signature du programme commun de gouvernement,
11:2973 élections législatives où la majorité reste la majorité.
11:33Parce que, je le disais tout à l'heure,
11:35dans l'opposition, il y a la gauche,
11:37mais il y a aussi le centre d'opposition, si vous voulez.
11:40Donc, à l'époque, non seulement les observateurs,
11:44mais les politologues nous disent
11:46les jeunes votent globalement plutôt à gauche.
11:49Et donc, il y a une double prise de risque.
11:51Et probablement, quand on regarde la marge en 81,
11:55ce courage s'est un peu, objectivement, retourné contre lui.
11:59Deuxième remarque, en toile de fond
12:02de tout ce que nous évoquons depuis un moment,
12:05il y a une France en pleine mutation.
12:07Il faut bien voir que cette France,
12:09elle s'enrichit d'abord, puisque son niveau de vie
12:13entre les années 50 et le début des années 70
12:17est multiplié par deux.
12:19Mais les normes et les valeurs ont du retard.
12:22Si vous voulez, on dirait, dans le langage contemporain,
12:25le logiciel est en retard.
12:27Et ce qui est intéressant, c'est que, de fait, en 74,
12:30Valéry Giscard d'Estaing, en connaissance de cause,
12:33change le logiciel.
12:35Alors qu'à l'époque, le progrès, théoriquement,
12:39était, en tout cas dans le discours politique,
12:42à gauche, si vous voulez.
12:44Et ce qui lui a permis, notamment, de gagner,
12:46c'est cette jeunesse.
12:48Jeunesse, là, à rimer avec modernité.
12:51C'est ça, les deux vertus, en quelque sorte,
12:54qui lui ont été reconnues à chaud.
12:56– La rupture, Valéry Giscard d'Estaing la marque aussi
12:58de la façon d'exercer le pouvoir.
13:00Giscard introduit un style, des méthodes, des idées,
13:03nous dit Pierre Bondjoseff dans son film.
13:05Il est notamment le président qui va permettre à l'opposition
13:07de saisir le Conseil constitutionnel.
13:09Un historien nous explique pourquoi dans le documentaire.
13:12– Faire s'épanouir le débat au Parlement,
13:15c'est une manière aussi de le canaliser.
13:17Faire s'épanouir le débat avec l'opposition,
13:20c'est aussi une manière de pacifier la démocratie française.
13:23Et c'est un des buts de la doctrine giscardienne du pouvoir,
13:26si on peut dire.
13:27On est toujours sur une idée
13:29qui est que le changement ne conduit pas à la révolution,
13:32mais qu'au contraire il l'éloigne.
13:34Ça c'est théorisé par le pouvoir giscardien,
13:36par les collaborateurs de Valéry Giscard d'Estaing.
13:39C'est vraiment l'idée d'avoir des réformes plutôt que des émeutes.
13:43– Des réformes plutôt que des émeutes,
13:45j'ai trouvé que c'était très intéressant.
13:47Ça définit la doctrine giscardienne ?
13:49– Je crois, j'ai l'impression, et par ailleurs,
13:51pour en avoir discuté cette fois-ci avec Michel Poliatowski
13:53au moment du débat sur l'avortement,
13:55l'idée de ne pas confier ça à un ministre de la condition féminine,
13:59c'est-à-dire quelqu'un comme Françoise Giroud
14:01qui aurait pu heurter l'opinion,
14:03il s'était mis d'accord sur la nécessité de mettre ça
14:06sur le domaine mourir de santé.
14:09C'est-à-dire, en gros, il y a tant de femmes qui meurent
14:11chaque année dans ces conditions,
14:13donc c'était une façon à la fois très maligne, très astucieuse,
14:18très fine de faire passer les choses,
14:20surtout que ça s'était fait retoquer quelques temps avant,
14:23parce que ça avait été géré par Monsieur Tétangé,
14:25et là, effectivement, le fait d'apporter ça,
14:27ça a pu permettre de, comment dire,
14:30de faire passer la pilule,
14:33ce n'est pas un mauvais jeu de mots,
14:35de faire avaler les choses.
14:37Et quand on revoit aujourd'hui des images de Jean Foyer et de Giscard,
14:41on ne se dit pas droite-gauche, on se dit ancien monde, nouveau monde,
14:45et c'est vrai, comme vous l'avez dit,
14:47qu'à l'époque, on est frappé par le fait qu'il est jeune,
14:49mais vraiment jeune.
14:51– Mais c'est ça qui est intéressant, c'est laisser débattre,
14:53laisser l'opposition s'exprimer,
14:55ça fait partie de la méthode giscardienne,
14:57c'est comme ça qu'il faut le voir ?
14:59– Oui, on peut même y voir un autre exemple,
15:02on est à la télévision aujourd'hui,
15:05c'est la première fois que la tutelle de l'État disparaît,
15:12ça me nuise considérablement,
15:15qu'on pense à séparer l'ORTF en plusieurs,
15:19avant même sa privatisation d'une partie,
15:23l'ORTF à l'époque,
15:25non seulement le noir et blanc qui passait à la couleur,
15:27mais c'était une chaîne,
15:29ensuite des chaînes très cadenassées,
15:31où, il faut bien le dire,
15:33l'opposition n'avait pas le droit de parole,
15:35mais Giscard ouvre tout ça,
15:37de la même façon qu'il ouvre le vote,
15:39on en parlait tout à l'heure,
15:41de la même façon que ça risquait de se retourner contre lui,
15:43et c'est bien la preuve que c'était à la fois
15:47un sentiment très moderne,
15:49qui, d'ailleurs, rejoignait un peu
15:51les grandes démocraties,
15:53qui, de ce point de vue-là,
15:55la France était...
15:57La France gaullienne était un peu
15:59verticale, un peu jupitérienne,
16:01comme on dirait aujourd'hui,
16:03il l'a rendue moins jupitérienne,
16:05et il avait cette idée,
16:07dans le domaine de tous les jours,
16:09dans le domaine de l'information,
16:11comme dans le domaine de la politique.
16:13Dans la démocratie française,
16:15votre père a lui-même
16:17apporté sa propre définition
16:19du giscardisme, si j'ose dire,
16:21il dit, notre projet est celui
16:23d'une société démocratique moderne, libérale,
16:25par la structure pluraliste de tous ses pouvoirs,
16:27avancée par un haut degré
16:29de performance économique,
16:31d'unification sociale et de développement culturel.
16:33Donc on est sur un triple libéralisme,
16:35si j'ose dire, politique, économique, sociétal.
16:37Oui, et d'ailleurs, la preuve en est,
16:39c'est le mouvement de jeunes
16:41dans lequel je m'étais inscrit
16:43dès 1974 s'appelait
16:45Génération sociale et libérale.
16:47C'est-à-dire que c'était en cohérence
16:49avec sa vision d'une société française
16:51qui avait ses deux pôles,
16:53le libéralisme économique pour poursuivre
16:55la bonne gestion de la France
16:57à laquelle il avait été associé
16:59comme ministre des Finances auprès de Général De Gaulle
17:01puis de Georges Pompidou, qui avait construit
17:03les bases du développement économique
17:05et social français, et ensuite de donner
17:07un progrès
17:09à des catégories de Français
17:11qui espéraient effectivement toucher
17:13les retombées de cette
17:15prospérité économique sur laquelle il avait
17:17jeté les bases avec ses prédécesseurs.
17:19Et donc cette dynamique,
17:21elle s'était à la fois
17:23c'est le libéralisme et la dimension sociale
17:25qui était donc incarnée par ce mouvement
17:27Génération sociale et libérale
17:29dont les animateurs étaient Dominique Bussereau et Jean-Pierre Raffarin
17:31notamment, et qui correspondent
17:33à cette dynamique de la campagne
17:35de 1974 avec le t-shirt
17:37Giscard à la barre, et toute une
17:39volonté de modernisation
17:41de la société française dans laquelle
17:43se reconnaissaient les Français. D'ailleurs
17:45finalement, pratiquement jusqu'en
17:471981, les études d'opinion
17:49montrent qu'il y a une acceptation
17:51forte et un soutien
17:53fort qui se dégrade juste dans les derniers mois
17:55de 1981
17:57précédant l'élection présidentielle.
17:59Pendant sept ans, malgré
18:01deux chocs pétroliers, il y a cette
18:03acceptation forte d'un
18:05projet partagé. – À l'occasion des hommages qui sont
18:07rendus à votre père, est-ce que vous avez l'impression qu'il y a une
18:09nostalgie de Valéry Giscard d'Estaing ?
18:11De l'époque Giscard ?
18:13Est-ce que vous le sentez ?
18:15– Oui, alors on sent
18:17deux choses. On sent d'une part, pour
18:19ceux qui ont vécu cette période,
18:21que c'était une période, on va dire, assez
18:23heureuse pour la France,
18:25d'avoir un président jeune, comme le disait
18:27Nathalie Saint-Cricq. Les Français se
18:29reconnaissaient dans cette nouvelle
18:31dimension de la France
18:33qui pouvait parler d'égal à égal
18:35avec le président des États-Unis
18:37en maillot de bain dans une piscine, avec
18:39Henry Kissinger dans la même piscine
18:41et tout ça débouchant sur
18:43des avancées majeures.
18:45Le G7 est né,
18:47si je puis dire, dans la piscine de l'hôtel
18:49méridien de la Martinique.
18:51Il y a aussi les
18:53entretiens ou les contacts qu'il avait avec son
18:55homologue allemand Helmut Schmidt
18:57et toute cette dimension de construction
18:59de l'Europe avec un couple franco-allemand
19:01et une vraie complicité.
19:03Alors qu'ils n'étaient pas sur les mêmes lignes politiques,
19:05Helmut Schmidt était un social-démocrate
19:07et donc il y avait cette capacité
19:09à travers sa
19:11propre vision du monde et du rôle de la
19:13France pour créer
19:15effectivement des initiatives majeures
19:17qui ont construit le monde
19:19actuel. – Certains tentent un rapprochement
19:21entre Valéry Giscard d'Estaing et Emmanuel Macron,
19:23à juste titre ou pas, Nathalie Saint-Cricq ?
19:25– Alors à juste titre, nous, observateurs
19:27extérieurs, ça nous a frappés. Moi j'ai posé la question
19:29– Ça vous a frappé ?
19:31– Ça m'a frappé, genre,
19:33quelqu'un qui fait une campagne rapide,
19:35quelqu'un qui est jeune, quelqu'un qui n'a pas peur des choses,
19:37quelqu'un qui est un peu transgressif. Et quand on posait la question
19:39à Valéry Giscard d'Estaing, il répondait
19:41oui, d'abord ça l'agacait prodigieusement,
19:43confirmé, et il me disait oui,
19:45mais il n'a pas été ministre du général de Gaulle.
19:47Lui, moins d'exclamations, du genre,
19:49lui c'était Hollande, moi c'était de Gaulle,
19:51donc c'est pas pareil. – Oui, alors, effectivement,
19:53pour toutes les raisons que vous avez énumérées,
19:55on songe à un parallèle,
19:57mais il faut arrêter le parallèle assez vite,
19:59d'abord parce que Valéry Giscard d'Estaing,
20:01quand il est élu en 1974,
20:03et j'allais dire dans le monde politique,
20:05depuis 1956,
20:07il a été élu en 1956,
20:09quand il vous dit donc
20:11j'ai été ministre de l'économie,
20:13ça veut dire que j'ai eu un parcours politique,
20:15j'ai eu une expérience,
20:17non pas pour la dénier cette expérience
20:19à l'actuel président, mais pour dire que le parallèle
20:21s'arrête très vite.
20:23Alors ce qu'il faut voir en toile de fond,
20:25c'est qu'on a parlé d'alternance,
20:27mais cette période,
20:29c'est aussi une période de basculement,
20:31car il est l'héritier des Trente Glorieuses,
20:33il en a été d'ailleurs un des acteurs,
20:35sauf que les Trente Glorieuses,
20:37elles zappent à ce moment-là.
20:39Donc, dans le fond,
20:41Valéry Giscard d'Estaing a été
20:43le premier orphelin des Trente Glorieuses,
20:45il a à gérer un changement de conjoncture,
20:47et il faut que nos téléspectateurs…
20:49– Une crise.
20:51– Et ça, tout change,
20:53les indices s'effondrent,
20:55par sa politique, mais en raison d'un contexte,
20:57et donc, au bout d'un moment,
20:59on le voit même dans la façon de gouverner,
21:01il ne s'agit plus de réformer,
21:03il s'agit de calfeutrer,
21:05il s'agit de lutter contre la crise,
21:07les enjeux changent à un moment donné.
21:09– Claude Manurel,
21:11vous le voyez, vous le faites,
21:13vous le parallèle entre Valéry Giscard d'Estaing et Emmanuel Macron ?
21:15– Non, je pense effectivement,
21:17c'est une élie qui s'arrête très vite.
21:19D'abord, il s'arrête sur
21:21leur provenance politique.
21:23Giscard, c'est un de ses grands mérites
21:25d'avoir été réformateur,
21:27parce qu'il vient d'une formation politique
21:29très, très conservatrice,
21:31plus conservatrice encore à l'époque que de Gaulle,
21:33le CNIP de Pinet,
21:35je vous signale
21:37que Jean-Marie Le Pen
21:39était député du CNIP.
21:41– La deuxième fois, pas en 1956,
21:43et en 1958, ensuite, effectivement.
21:45– Voilà, le CNIP,
21:47vous voyez des gens qui, à l'époque,
21:49coexistaient dans un groupe avec Jean-Marie Le Pen,
21:51et Giscard était
21:55partisan de l'Algérie française,
21:57le CNIP l'était, etc.
21:59Il était partisan modéré,
22:01il n'a pas soutenu Salon ou l'OS,
22:03bien entendu,
22:05donc il a d'autant plus de mérite
22:07qu'il venait d'une famille
22:09vraiment très, très conservatrice,
22:11et qu'il a très rapidement compris,
22:13sans doute, mais 68 a été pour
22:15quelque chose là-dedans,
22:17la nécessité de la réforme.
22:19Emmanuel Macron vient de la gauche,
22:21alors d'une gauche modérée,
22:23d'une gauche, je ne sais pas quoi, rocardienne.
22:25– Il a été chevalementiste, quand même.
22:27Donc le parallèle, si je comprends bien,
22:29s'arrête assez vite.
22:31– Oui, et puis,
22:33on parlait des Trois Glorieuses,
22:35le parallèle aussi s'arrête
22:37assez vite sur la période,
22:39parce que même après le premier choc pétrolier,
22:41dont les conséquences ont commencé
22:43à se faire sentir en 74-75,
22:45et les dernières à la fin des années 70,
22:47mais pratiquement,
22:49jusqu'à une bonne partie
22:51du mandat de Giscard d'Estaing,
22:53on est quand même resté, moi je me rappelle de l'époque,
22:55dans une époque des Trois Glorieuses,
22:57où la croissance était considérable,
22:59où la France s'est guérie.
23:01– Oui, mais le chômage était en hausse,
23:03le chômage et l'inflation.
23:05– Il commençait, mais la France restait
23:07une énorme grande puissance,
23:09le déclin dont on parle aujourd'hui,
23:11personne n'imaginait une seconde.
23:13Moi je me rappelle, on a créé
23:15Giscard d'Estaing en 71,
23:17avec l'idée, non pas l'idée de Jules Ferry,
23:19où on va aller… – Sauver le monde.
23:21– Voilà, mais l'idée,
23:23on peut se permettre beaucoup de choses,
23:25on a la richesse pour le faire, etc.
23:27Et donc, aujourd'hui,
23:29il est sans doute
23:31beaucoup plus difficile pour un président
23:33comme Macron de gouverner dans un pays
23:35qui se sent en déclin, qu'il l'est relativement.
23:37– Quels étaient les rapports
23:39entre Giscard d'Estaing et Emmanuel Macron,
23:41comment l'a-t-il perçu, comment l'a-t-il observé ?
23:43– Il l'a observé,
23:45comme disait Nathalie Saint-Cricq…
23:47– Il était très énervé, on peut le dire quand même.
23:49– Il l'a observé comme étant
23:51un nouveau phénomène politique,
23:53dans le cas français,
23:55mais avec quelques points
23:57pour lui qui étaient des points essentiels.
23:59Par exemple, c'est la relation entre la France et l'Allemagne.
24:01Et je sais qu'il en a parlé
24:03avec Emmanuel Macron,
24:05pour lui, qui avait vécu ça
24:07dans ses fonctions.
24:09Et puis ensuite, porter le projet européen
24:11pour la convention des institutions européennes.
24:13Il savait qu'il fallait
24:15qu'il y ait un lien de confiance très très fort
24:17entre les dirigeants français et les dirigeants allemands.
24:19En tout cas, c'était sa conviction.
24:21Et donc, il en a parlé avec Emmanuel Macron,
24:23dans une période
24:25où, il faut bien reconnaître,
24:27le groupe franco-allemand n'est plus à l'égal
24:29de ce qu'il a été, notamment
24:31quand il exerçait la fonction présidentielle.
24:33Donc voilà, ce sont des points de différenciation.
24:35– Puisque vous parliez de la fin du mandat
24:37de Valéry Giscard d'Estaing, c'est assez peu abordé
24:39parce que ce n'est pas l'objet du documentaire
24:41qu'on a vu ensemble ce soir.
24:43Mais il y a quand même cette phrase de Philippe Ogier,
24:45l'ancien président des Jeunes Républicains indépendants
24:47dans le film, qui dit, les trois dernières années,
24:49ce n'est plus Giscard, ce n'est plus le Giscard
24:51qui m'avait passionné, je crois qu'il était installé
24:53dans le pouvoir et donc ça ne m'intéressait plus.
24:55Comment avez-vous réagi à cette phrase ?
24:57Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que la fin du mandat
24:59de Valéry Giscard d'Estaing ne ressemble plus
25:01à Valéry Giscard d'Estaing ?
25:03– Moi, j'ai été frappé, j'ai trouvé la phrase injuste
25:05mais en même temps, ce qui est vrai,
25:07c'est que la luminosité, l'éteinte du septennat
25:10change à partir de ce moment-là
25:12sans qu'il en soit responsable d'une part
25:14parce qu'il y a le contexte.
25:16Je répète, les indices, vous avez raison,
25:19nous restons à l'époque une très grande puissance
25:21et le progrès est toujours en ligne d'horizon
25:23mais toute une série d'indices économiques basculent.
25:27D'autre part, il ne faut jamais l'oublier,
25:29il y a cette montée en puissance de la gauche
25:31qui continue, donc on a une opposition très forte
25:34et enfin, dans son propre camp,
25:36ou plus exactement dans le camp de la majorité,
25:39il y a toute une série d'escarmouches
25:43qui sont, quand on les étudie en tant qu'historien,
25:45considérables, les bras vous entombent.
25:48On est dans un monde un peu Shakespearean
25:51où la traîtrise a lieu d'être dans un certain nombre de temps.
25:55– Mais sous cette pression-là, est-ce qu'il durcit sa politique
25:57mesures d'austérité, immigration, sécurité,
26:00ça lui est reproché, est-ce qu'il durcit sa politique ?
26:02Est-ce qu'en cours de mandat, il a fini par durcir,
26:04par prendre un virage plus droitier ?
26:07– Je ne crois pas.
26:09Je crois qu'à partir des élections législatives 78,
26:13Jacques Chirac monte en puissance comme opposant
26:17ou semi-opposant, quelle que soit la façon
26:19dont on positionne les choses,
26:20mais clairement pour préparer sa propre candidature,
26:22ce qu'il ne s'est jamais vu, ni avant, ni après,
26:25sous la Vème République,
26:26qu'un ancien Premier ministre se présente
26:28contre le Président de la République,
26:29c'était comme si Michel Rocard s'était présenté
26:31contre François Mitterrand ou François Fillon
26:33contre Nicolas Sarkozy,
26:34donc ça ne s'est produit qu'une seule fois avec Jacques Chirac.
26:36Et il y a d'ailleurs la démonstration,
26:39c'est l'utilisation du 49.3 par le Premier ministre,
26:42Lorraine Bombard, qui est obligé d'utiliser à partir de 78
26:45régulièrement l'article 49.3 de la Constitution
26:48pour faire voter des lois.
26:50Donc ce qui est vrai, c'est qu'il y a de moindre
26:53novation dans les textes législatifs,
26:56mais qu'il y a toujours la poursuite d'un certain nombre
26:59d'actions majeures.
27:01Je pense par exemple, l'année du patrimoine
27:03est créée en 1980, c'est-à-dire sur le plan culturel,
27:06pour donner l'accent sur la dimension patrimoniale
27:09de nos monuments, de notre culture.
27:12Donc il y a cette année qui est créée,
27:15donc un an avant l'élection présidentielle de 1981.
27:17Donc il y aura encore des actions,
27:19mais c'est vrai que les conditions politiques
27:21et les avancées qui sont déjà acquises
27:23du début du septennat,
27:25font qu'il y a évidemment moindre progrès
27:27dans la deuxième partie du septennat.
27:29– Et si on sort un peu du monde politique de l'époque,
27:32j'ai l'impression, moi je n'y étais pas non plus encore,
27:34c'est que l'image se dégrade,
27:36et que les caricatures de Giscard,
27:38isolé à l'Elysée, avec une perruque,
27:40avec 74 personnes pour le servir à table,
27:43disant qu'il se prend pour Louis XIV, Louis XV,
27:47le Roi Soleil et tout ça…
27:48– Là aussi vous trouvez ça injuste ?
27:49– Mais attendez, moi je ne l'ai pas vécu,
27:51honnêtement je serais malheureuse,
27:52je dis simplement que chez des gens,
27:54moi j'étais étudiante,
27:56là, chez même des gens très modestes,
27:58qui ne se disaient pas,
28:00c'est formidable l'indemnisation au chômage
28:02a été créée à ce moment-là,
28:03qui n'avaient pas de réflexion puissante
28:05sur est-ce que oui ou non à la politique industrielle,
28:08l'idée c'était celui qu'on a aimé,
28:10éventuellement, et celui qui était,
28:12je ne vais pas me gargariser avec le mot moderne,
28:14mais qui semblait relativement proche des gens,
28:16qui semblait avoir dépoussiéré la fonction,
28:18qui avait l'air,
28:20est devenu enfermé en son palais,
28:22avec un mépris de classe pour les gens.
28:24C'est peut-être quelque chose de faux,
28:28mais je pense que ça a contribué
28:30à la phrase de Philippe Ogier,
28:32qui dit que c'était plus mon Giscard,
28:34et certains qui disent que c'était plus mon Giscard,
28:36considèrent qu'il était plus difficile d'accès,
28:38et que ce n'était pas...
28:40Mais ce que je remarque,
28:42c'est que c'est un reproche fait régulièrement
28:44au Président de la République,
28:46une fois qu'ils ont pris leur fonction,
28:48en cours de mandat, on va soudain dire
28:50qu'ils ont durci leur politique,
28:52qu'ils se sont isolés dans leur tour d'ivoire
28:54et qu'ils ne sont plus très connectés.
28:56Et ce sera ma dernière question pour clore ce débat,
28:58est-ce que vous trouvez qu'effectivement
29:00l'exercice du pouvoir change ?
29:02Est-ce qu'on change en cours de mandat ?
29:04– Alors forcément, il y a ce phénomène
29:06d'abord de prise de confiance
29:08dans sa fonction,
29:10dans l'exercice de sa fonction,
29:12puisque le bilan, qui était très bon en 81,
29:14probablement crée ce sentiment
29:16chez mon père,
29:18qu'il va être réélu
29:20et qu'il va réaliser
29:22beaucoup de choses pour la France,
29:24et d'ailleurs les sondages sont encore très favorables.
29:26– Très proches, très proches de l'élection.
29:28– Donc il est convaincu
29:30du bien fondé de sa démarche
29:32et du soutien qu'il a,
29:34et malgré les campagnes de presse
29:36et de dénigrement qui existent,
29:38mais qu'il réussit à surmonter,
29:40sinon il n'aurait pas eu 56% d'attention de vote
29:426 mois avant la fin de son mandat.
29:44Et ça c'est le premier élément,
29:46le deuxième élément c'est qu'effectivement
29:48les campagnes se déchaînent
29:50pour essayer de l'atteindre,
29:52sur son image,
29:54c'est la campagne des diamants,
29:56sur son intégrité, etc.,
29:58mais pour essayer de déstabiliser,
30:00parce que sur le fond il est finalement en situation,
30:026 mois avant la fin de son mandat,
30:04d'être réélu.
30:06– Je pense effectivement,
30:08comme vous le suggérez,
30:10que cet exercice du pouvoir
30:12petit à petit éloigne le président
30:14et qu'il le fait surtout en France,
30:16à cause de ses institutions.
30:18Moi je suis un grand partisan de la 5ème République,
30:20je repense à la 4ème bien entendu,
30:22et je me dis qu'on a la chance
30:24dans un monde qui est complètement
30:26désorganisé aujourd'hui,
30:28qui se restructure,
30:30du moins on peut l'espérer,
30:32mais très désorganisé,
30:34d'avoir une constitution forte,
30:36un pouvoir exécutif fort,
30:38un parlement qui existe,
30:40même s'il est sans doute au second rang
30:42par rapport à l'Angleterre ou à d'autres pays,
30:44mais avec
30:46une concentration
30:48dans les mains
30:50du président qui est
30:52pratiquement sans commune mesure.
30:54Donc on est quand même dans une
30:56démocratie, d'ailleurs
30:58qu'on a appelée la monarchie républicaine,
31:00c'est pas par hasard, la France
31:02est quand même un peu spécialiste de ce point de vue là,
31:04et quand tous les pouvoirs sont aux mains
31:06du président, bien entendu
31:08– Ça le change.
31:10– Ça le change,
31:12et effectivement, cette fin de mandat,
31:14regardez par exemple
31:16le problème de l'immigration.
31:18Aujourd'hui on parle du problème de l'immigration, on a l'impression
31:20que c'est un problème nouveau dont on parle depuis 10 ou 20 ans.
31:22Mais ça a été un des grands sujets de la fin
31:24du septennat de Giscard d'Estaing,
31:26au point qu'il a demandé à Barres
31:28d'arrêter, d'appliquer
31:30le décret de 76, qui était pourtant un décret
31:32assez... sur le regroupement
31:34familial, assez ouvert,
31:36il a arrêté
31:38de l'appliquer, le conseil d'Etat
31:40dit au président
31:42vous n'avez pas le droit de revenir en arrière.
31:44Et donc vous avez
31:46ce chef d'Etat
31:48jupitérien dont je parlais
31:50tout à l'heure,
31:52qui au fur
31:54et à mesure de
31:56l'évolution de la période
31:58qui commence, comme vous le disiez,
32:00à être moins favorable,
32:02et des attaques
32:04surtout de son propre camp,
32:06comment voulez-vous que vous ne soyez pas marqués
32:08par cela ? Ce n'est pas un Giscard qui change,
32:10c'est une situation
32:12institutionnelle qui mène...
32:16Je crois que tous les présidents ont
32:18connu, tous les présidents
32:20successifs, y compris
32:22de Gaulle d'ailleurs,
32:24d'une autre façon, ont connu des fins
32:26de mandats difficiles, surtout lorsqu'ils
32:28étaient des mandats de 7 ans.
32:30Jean-François Cyrinelli, Nathalie Saint-Cricq pour conclure.
32:32Oui, on parlait depuis le début
32:34de notre émission d'alternance, il faut bien
32:36savoir que ce profil
32:38au fil du septennat, une alternative.
32:40La gauche est toujours
32:42là. Il y a 49%
32:44d'électeurs en 1974
32:46qui n'ont qu'un rêve, et il faut les
32:48comprendre, la revanche.
32:50Et donc ça, ça joue, si vous voulez.
32:52On l'a dit, il y a cette
32:54usure qui est entretenue par des campagnes
32:56de presse. Là aussi, l'historien
32:58objectivement doit constater
33:00qu'on a eu un président qui a été
33:02confronté à ce type de campagne
33:04sur des points sur lesquels
33:06il considérait que sa fonction
33:08devait le conduire à ne pas
33:10répondre. C'est compliqué, il a fait
33:12le choix de la non-communication.
33:14Enfin, troisième point,
33:16il y a un désamour à un moment donné.
33:18Pour moi, en tant qu'historien,
33:20c'est une énigme. C'est vrai
33:22que ce jeune
33:24président, les scènes de liesse
33:26qu'on a vues au début du documentaire,
33:28et à la fin, il y a cette forme
33:30de désamour dont il ne faut
33:32pas exagérer l'importance.
33:34Probablement, lui-même a souffert
33:36dans le secret de son âme,
33:38si j'ose dire.
33:40Là, il y a un mystère.
33:42Une énigme.
33:44Sur l'isolement du pouvoir, on peut penser aussi
33:46que les Français sont paradoxaux.
33:48On a une vénération pour certains
33:50présidents qui, quelquefois, frisent le ridicule.
33:52Je me souviens d'avoir couvert la deuxième
33:54élection de François Mitterrand
33:56dont la stratégie, avec Jacques Pilon,
33:58était de se faire rappeler Dieu.
34:00Il arrivait dans les meetings
34:02avec une musique, et il est arrivé
34:04sur un tapis rouge, et on ne pouvait pas le toucher.
34:06Les gens étaient en extase.
34:08Et puis après, on n'a plus voulu
34:10d'un président normal.
34:12On a adulé Emmanuel Macron
34:14qui ressemblait à un téléévangéliste
34:16dans les meetings. C'était limite, si les femmes
34:18s'épanouissaient pas. Maintenant, on le déteste.
34:20Donc, s'il est normal,
34:22on le touche au normal. S'il n'est pas assez
34:24normal, on dit qu'il est isolé.
34:26Trop perché.
34:28Je pense que le lien entre...
34:30Dans les pays nordiques, on a des gens classiques.
34:32Là, c'est comme si on avait besoin d'avoir une espèce d'amour
34:34ou de passion, quelque chose
34:36d'irrationnel qui relève de
34:38la passion amoureuse.
34:40C'est plus complexe.
34:42Paradoxaux.
34:44Ou on veut être quelqu'un de normal
34:46qui fait bien son boulot, soit on veut être
34:48transporté. Et quand on aime beaucoup,
34:50quand on est très transporté,
34:52on est forcément déçu à un moment donné, comme dans les couples.
34:54On s'arrêtera sur cette image.
34:56Merci à tous les quatre d'avoir participé à cet échange.
34:58Merci à vous de nous avoir suivis,
35:00comme chaque semaine. A très bientôt sur Public Sénat.
35:02Merci.
35:04Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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