Avec Dominique de Villepin, ancien Premier ministre
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##L_INVITE_POLITIQUE-2024-05-17##
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NewsTranscription
00:00 [Musique]
00:07 Il est 8h33, bonjour à toutes et à tous.
00:10 Vous voulez savoir ?
00:11 Eh bien parlons vrai ce matin avec Dominique de Villepin,
00:14 ancien Premier ministre, ancien ministre des Affaires étrangères.
00:17 Dominique de Villepin, bonjour.
00:19 Regardons l'actualité très vite.
00:20 Un homme à Rouen a été tué.
00:22 Il tentait de mettre le feu à une synagogue.
00:27 Eh bien, c'est l'expression de notre époque, Dominique de Villepin.
00:32 Oui, on assiste maintenant depuis plusieurs mois à une montée de l'antisémitisme.
00:37 La plus grande fermeté est requis.
00:40 Ce sont des actes, parfois des paroles tout à fait inacceptables.
00:45 Dans notre société, nous devons être extrêmement vigilants
00:49 à faire valoir le respect et la compréhension de l'autre.
00:55 Cela fait partie des valeurs de nos sociétés qui doivent être en permanence défendues.
00:59 Bien, Dominique de Villepin, nous reviendrons sur la situation à Gaza,
01:02 mais je vais commencer avec la Nouvelle-Calédonie, les émeutes.
01:06 Il y a eu cinq morts, trois canards et deux gendarmes des émeutes.
01:10 Est-ce que ce sont des émeutes ?
01:12 Vous avez géré le dossier calédonien lorsque vous étiez Premier ministre.
01:16 D'ailleurs, le dossier calédonien n'est plus géré par le Premier ministre aujourd'hui.
01:20 Il est géré par le ministre de l'Intérieur et en fait par le Président de la République, Dominique de Villepin.
01:24 Est-ce que ces émeutes sont d'abord sociales ?
01:27 Il y a plusieurs dimensions dans ces émeutes.
01:30 Il y a des violences très spontanées quand on regarde le profil de ceux qui les commettent,
01:37 des jeunes, parfois très jeunes, fortement alcoolisés, surarmés.
01:41 Il y a donc des conditions exceptionnelles qui peuvent expliquer ce passage à l'acte de la part de ces jeunes.
01:48 On évoque souvent le comité de coordination des actions de terrain
01:53 comme particulièrement responsable de ce vandalisme qui s'exprime partout.
01:57 Mais il y a un arrière-fond économique, la crise du nickel,
02:01 il y a un arrière-fond social, les très grandes inégalités entre les communautés
02:06 qui aussi doivent être prises en compte.
02:09 Et c'est ce qui doit justifier une vision globale des problèmes de l'archipel,
02:16 bien sûr une approche politique.
02:18 Le temps est une donnée incontournable,
02:22 et c'est ce qui a été respecté pendant près de 40 ans pour lancer un processus au long cours.
02:27 Ce qui n'est plus.
02:28 Et malheureusement, le temps s'est en quelque sorte contracté, précipité avec ces trois référendums,
02:34 et en particulier le référendum de 2021 dans la période Covid
02:39 qui n'a pas été soutenu par les indépendantistes qui n'ont pas participé au scrutin.
02:45 Il y a donc eu une très forte abstention,
02:47 et ça a fait en quelque sorte dérailler le processus,
02:50 puisque ces communautés aujourd'hui, loyalistes, indépendantistes, ne se parlent plus.
02:55 Donc il faut redonner du temps,
02:58 redonner du temps au temps comme le disait François Mitterrand,
03:01 il faut réenclencher le dialogue,
03:04 et pour ce faire, on voit à quel point c'est difficile,
03:07 le président de la République avait voulu organiser hier une table ronde,
03:10 ça n'a pas été possible,
03:11 il faut donc sans doute une médiation,
03:13 il faut recourir à ceux qui ont le plus d'expérience dans la gestion de ce dossier si difficile.
03:22 - Aujourd'hui il faut un médiateur, une médiation.
03:24 Vous pourriez être ce médiateur ?
03:26 - Non, je pense que ce sont ceux qui se sont le plus impliqués dans les moments difficiles.
03:31 Moi j'ai été Premier ministre dans une période où le dossier n'était pas un dossier ouvert, grave.
03:39 - Mais qui voyez-vous pour tenir ce rôle ?
03:41 - Il y a plusieurs anciens premiers ministres, on les a cités,
03:43 ils se sont d'ailleurs exprimés,
03:46 M. Hérault, Édouard Philippe, Manuel Valls,
03:49 ils se sont plusieurs à s'être exprimés,
03:52 il y a plusieurs personnalités.
03:53 - C'est un collège d'ailleurs d'anciens premiers ministres, pourquoi pas ?
03:55 - Pourquoi pas ?
03:56 - Oui.
03:57 - Je dirais, les choses sont dans la main du président de la République.
04:00 - Oui, c'est lui qui a les clés.
04:02 - Aujourd'hui, oui, aujourd'hui il est obligé,
04:05 en quelque sorte de par la gravité des actes qui sont commis sur ce territoire,
04:10 l'ampleur des dégâts économiques,
04:15 mais bien sûr au premier chef, les morts, 5 morts, 2 gendarmes,
04:18 c'est une situation absolument dramatique,
04:20 il faut donc arrêter cette spirale.
04:22 La nuit dernière a été plus calme, il faut souhaiter que...
04:25 - On rétablit l'ordre, et ensuite on renvoie le dialogue.
04:28 - Des renforts ont été appelés, il faut rétablir l'ordre,
04:30 il faut rétablir le dialogue,
04:32 et il faut donner une perspective à cette île, ne l'oublions pas.
04:36 Il y a une dimension internationale aussi à ce dossier,
04:39 compte tenu du fait que la Nouvelle-Calédonie
04:44 fait partie des territoires dits non autonomes,
04:47 avec vocation à décolonisation selon le schéma des Nations Unies,
04:51 il y a donc une dimension stratégique pour nous,
04:54 mais aussi internationale,
04:56 avec une très forte visibilité de ce que nous faisons là-bas.
04:59 - Avec une décolonisation tranquille,
05:01 est-ce que la Nouvelle-Calédonie doit aller vers une décolonisation tranquille
05:05 jusqu'à une large autonomie, ou l'indépendance ?
05:09 - Toutes les options sont ouvertes,
05:13 ce qui est certain, c'est que le processus a dérapé
05:17 sur le dégel du corps électoral.
05:20 - C'était une faute de vouloir dégeler le corps électoral sans comprendre...
05:25 - Il ne faut pas être un grand spécialiste de la Nouvelle-Calédonie
05:28 pour comprendre que le corps électoral sur un territoire comme celui-ci,
05:32 il a une dimension symbolique considérable,
05:35 et donc c'est un enjeu politique considérable,
05:37 puisque c'est le rapport de force électorale,
05:39 et la capacité à choisir son avenir pour les loyalistes et les indépendantistes.
05:44 Donc c'est quelque chose qu'il faut surveiller comme le lait sur le feu,
05:47 on a sans doute été trop vite, les choses ont été précipitées,
05:51 il faut les reprendre, redonner une perspective à chacun,
05:55 replacer le dialogue au cœur du processus,
05:58 et à partir de là, voir quel est l'horizon en termes d'années,
06:02 mais aussi en termes de points de sortie,
06:04 qui pourraient être acceptés par l'ensemble des communautés.
06:07 - Les Français qui vivent en Nouvelle-Calédonie,
06:10 qui sont arrivés après 1998,
06:12 ne comprennent pas qu'ils ne puissent pas voter !
06:16 - Pour nos auditeurs, il faut préciser qu'il s'agit des élections provinciales.
06:23 - Oui, élections provinciales, j'avais raison.
06:25 - L'ensemble du corps électoral est sollicité pour toutes les autres élections nationales.
06:30 Donc c'est le corps provincial,
06:33 et évidemment, dans un territoire qui est marqué par l'héritage colonial,
06:39 on peut comprendre que c'est un enjeu absolument fondamental,
06:43 et il faut veiller à faire les choses en douceur,
06:47 si on veut éviter l'explosion, qui ruine des années d'efforts.
06:50 40 années depuis les accords de Matignon,
06:55 30 années depuis les accords de Nouméa,
06:58 il faut véritablement être d'une prudence extrême,
07:02 et relancer les processus.
07:04 J'ai parlé du processus politique, il y a le processus institutionnel,
07:07 qui est quel statut au final ?
07:09 Il y a un processus économique,
07:11 parce que la crise du nickel, elle est évidemment très douloureuse.
07:14 Le nickel, quand j'étais à Matignon Premier Ministre,
07:17 c'était 50 000 dollars la tonne.
07:19 Aujourd'hui, nous sommes autour de 20 000 dollars,
07:21 c'est vous dire à quel point l'impact économique est dramatique.
07:25 Et puis, il y a cette dimension sociale,
07:27 avec des jeunes qui sont en déshérence,
07:30 qu'il faut essayer de rattraper,
07:32 c'est un enjeu aussi tout à fait considérable.
07:34 - Avec l'enjeu aussi de la situation géopolitique,
07:38 de la Nouvelle-Calédonie,
07:40 comment regardez-vous toutes ces accusations
07:44 contre l'Azerbaïdjan ou la Chine,
07:47 qui joueraient, qui s'ingéraient
07:50 dans les affaires franco-françaises ?
07:53 - Alors, vous avez raison de le rappeler,
07:56 nous parlons d'un archipel,
07:59 mais il n'est pas complètement isolé cet archipel.
08:02 Il est dans la région la plus stratégique du monde,
08:05 c'est l'Indo-Pacifique.
08:07 Et donc, par définition, ça suscite des convoitises.
08:09 Elles ne sont pas nouvelles.
08:11 L'Australie avait été en son temps accusée d'ingérence.
08:15 Aujourd'hui, vous l'avez évoqué,
08:17 il y a bien sûr l'Azerbaïdjan, la Chine,
08:20 il y a aussi la Turquie.
08:22 Mais j'allais dire, ça fait partie...
08:24 - Du jeu ?
08:25 - Du jeu, des données du monde d'aujourd'hui.
08:27 Nous sommes dans un monde mondialisé,
08:29 avec des tensions mondialisées,
08:31 des rivalités mondialisées.
08:33 Alors que l'Azerbaïdjan, parce qu'il considère
08:35 que la France lui fait une très mauvaise manière
08:37 dans ses relations avec l'Arménie,
08:39 essaye d'agiter le chiffon rouge sur ce territoire,
08:44 et la Chine qui a des convoitises,
08:46 puisque la Chine est un des grands leaders mondiaux
08:49 dans le domaine du nickel avec l'Indonésie,
08:51 que la Chine soit intéressée par l'évolution de ce territoire,
08:54 j'allais dire que ça fait partie des choses normales,
08:58 enfin normales, en tout cas compréhensibles.
09:01 Ce qu'il faut, c'est marquer clairement,
09:04 reprendre le contrôle des choses d'abord,
09:07 marquer clairement notre souci de défendre notre souveraineté là-bas,
09:11 et je crois admettre que ce n'est pas ces ingérences
09:18 qui sont responsables de la situation actuelle.
09:22 Vous savez, moi je me méfie beaucoup de la logique des boucs émissaires,
09:25 il faut véritablement regarder les choses en face,
09:28 il y a des facteurs intérieurs qui justifient
09:33 que les choses aient ainsi dérapé,
09:36 que certains cherchent à en profiter,
09:38 et c'est regrettable à nous d'être exemplaires dans la conduite du processus.
09:42 Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre Kharkiv,
09:45 ce n'est pas moi qui le dit, c'est Volodymyr Zelensky,
09:47 Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine, un million d'habitants,
09:51 la Russie à l'offensive en direction de Kharkiv,
09:55 Vladimir Poutine ne doit gagner sous aucun prétexte,
09:58 encore une fois ce n'est pas moi qui le dit, c'est le président de la République.
10:01 La Russie ne doit gagner sous aucun prétexte, Dominique de Villepin.
10:05 C'est très effectivement dramatique que d'imaginer que la Russie puisse être récompensée
10:10 pour son agression de l'Ukraine.
10:13 Et donc nous avons vocation à permettre à l'Ukraine de se défendre,
10:18 sachant qu'il y a aujourd'hui au moins quatre grandes difficultés
10:23 auxquelles l'Ukraine est confrontée.
10:25 Première difficulté, c'est les livraisons de matériel.
10:28 Les Etats-Unis ont en partie réglé, en tout cas dans l'avenir,
10:33 ce problème en acceptant de faire passer un paquet important sur le plan financier.
10:38 Mais ces livraisons ne sont toujours pas arrivées.
10:41 Et tous les jours, les Ukrainiens se plaignent d'être en situation de manque de munitions,
10:45 de manque de moyens. Donc ça c'est un premier élément.
10:48 Il y a un deuxième problème pour les Ukrainiens, c'est la question des effectifs.
10:52 J'allais dire ça, c'est un problème ukraino-ukrainien.
10:54 C'est la question de la mobilisation.
10:56 Aujourd'hui, ils veulent faire baisser l'âge du recrutement à 25 ans.
11:00 Toutes les guerres que nous avons menées, les jeunes appelés étaient sollicités
11:05 beaucoup, beaucoup, beaucoup plus jeunes.
11:07 Il y a une question d'unité nationale,
11:09 et il y a une question de risque, de division politique aujourd'hui en Ukraine.
11:14 Dès lors que les choses sont difficiles, tout se complique.
11:16 Et il est très important que l'Ukraine arrive à tenir bon
11:20 et arrive à maintenir le moral de la population et le moral de l'armée.
11:24 Et il y a un dernier point de faiblesse aujourd'hui de l'Ukraine,
11:27 qui est un point de faiblesse stratégique, qui est le défaut d'anticipation.
11:30 Qu'est-ce qui s'est passé à Kharkiv ?
11:32 Les lignes défensives n'ont pas été suffisamment renforcées.
11:37 Et de ce point de vue-là, il y a eu un effet surprise dans l'initiative prise par les Russes.
11:42 Donc il est très important de faire cela.
11:44 Nous devons faire notre part.
11:46 Et de ce point de vue-là, je suis heureux que la réflexion se soit portée,
11:49 ou se porte davantage, sur la question de la défense antiaérienne.
11:53 C'est véritablement un des problèmes majeurs auxquels l'Ukraine est aujourd'hui confrontée.
11:57 Espérons que les livraisons de matériel rapidement puissent se faire.
12:01 Mais je crois qu'il ne faut pas de fuite en avant.
12:04 Et donc il faut poser les bonnes questions au bon moment.
12:08 Pour ma part, j'estime que la question des troupes au sol,
12:12 que la question de l'européanisation, de la dissuasion,
12:15 ne font pas partie véritablement des sujets à évoquer aujourd'hui.
12:20 - Lorsqu'Emmanuel Macron envisage, il n'a pas dit "nous allons envoyer les troupes au sol",
12:25 mais envisage éventuellement d'envoyer les troupes françaises en Ukraine,
12:30 est-ce qu'il laisse planer le doute volontairement ?
12:33 Est-ce que c'est stratégique selon vous ?
12:35 - C'est la question que nous nous posons.
12:37 Et c'est pour ça que j'ai évoqué la question.
12:39 Est-ce que cela contribue à l'ambiguïté stratégique ?
12:41 Ou est-ce que cela ajoute à la confusion ?
12:43 - L'ambiguïté stratégique d'une nation qui possède l'arme nucléaire.
12:46 - Absolument. Et c'est pour ça que je pose la question.
12:49 Est-ce que cela ne risque pas au contraire de jouer dans le sang de la confusion ?
12:52 Quel est le risque ?
12:53 Le risque, c'est cet engrenage de la guerre, de l'esprit de guerre,
12:57 d'aller toujours plus loin alors que nous devons faire en sorte
13:00 de nous fixer, à mon sens, un objectif assez précis.
13:03 Il s'agit de donner les moyens à l'Ukraine,
13:05 de renforcer ses positions pour pouvoir, le moment venu,
13:09 ouvrir des négociations avec la Russie.
13:12 Vous savez, des guerres qui s'engagent sans garde-fous,
13:15 sans calendrier et sans objectif politique,
13:18 c'est véritablement le risque absolu.
13:21 Nous y reviendrons sur Gaza.
13:22 Une guerre doit être menée avec des objectifs politiques
13:26 et si possible avec un calendrier.
13:28 Poser la question des troupes au sol, c'est changer la nature de la guerre.
13:32 Et c'est donc prendre le risque de rentrer dans un engrenage
13:35 où nous ne maîtrisons rien.
13:36 - C'est une faute ?
13:38 - C'est un risque.
13:39 L'histoire nous a instruit sur le fait qu'à un moment donné,
13:42 les choses vous échappent.
13:44 Vous voyez, la Nouvelle-Calédonie, perte de contrôle.
13:46 Le risque sur l'Ukraine, c'est qu'à un moment donné,
13:48 on ne maîtrise plus rien.
13:50 Il y a cette escalade qui s'engage et qui conduit au pire
13:54 sans que personne ne l'ait voulu.
13:56 - Est-ce que la dissuasion nucléaire française
13:58 fait partie de la défense européenne ?
14:00 Il y a la volonté de renforcer la défense européenne.
14:04 Est-ce que c'est un élément incontournable
14:06 de la défense du continent européen ?
14:08 Dominique de Villepin.
14:09 Là aussi, l'ambiguïté, là aussi, le président de la République
14:12 manie une forme d'ambiguïté stratégique.
14:15 - Oui, une fois de plus.
14:17 Est-ce que c'est le sujet aujourd'hui ?
14:19 Est-ce que c'est le moment d'ouvrir un débat
14:22 en période de guerre et en période d'élection ?
14:26 Personnellement, je n'en suis pas sûr.
14:28 Je crois que ce qu'ont dit tous les présidents de la République successifs,
14:32 de façon plus ou moins marquée,
14:35 c'est qu'il y a des éléments de la défense de l'Europe
14:41 qui, évidemment, concernent, participent de nos intérêts
14:47 en matière de dissuasion.
14:49 Jusqu'où faut-il ouvrir cette protection ?
14:54 Jusqu'où faut-il élargir les intérêts vitaux français ?
14:58 Je crois qu'il faut, de ce point de vue-là,
15:01 - Vous auriez dit la même chose ?
15:03 - Je ne l'aurais pas dit, en tout cas, dans cette période.
15:06 Et je pense que ça suppose, en tout cas,
15:09 une concertation très étroite au niveau national dans un premier temps.
15:13 - C'est-à-dire une consultation du Parlement, évidemment.
15:17 - Évidemment, il y a toute une série de préalables qui me paraissent nécessaires.
15:20 Mais je pense que, veillons à ne pas changer les règles du jeu,
15:25 en cours de route,
15:27 j'ai toujours remarqué que, dans les périodes de crise et de guerre,
15:31 c'était un élément source davantage d'incompréhension et de confusion
15:36 que d'ambiguïté stratégique.
15:38 - Gaza, avec la bataille de Rafah,
15:42 apparemment, Benjamin Netanyahou a l'intention de la conduire,
15:48 les troupes israéliennes se préparent pour des combats au sol,
15:52 là encore, là encore,
15:55 quel est l'objectif, selon vous ?
15:58 Quel est l'objectif de Benjamin Netanyahou ?
16:01 - De ce point de vue-là, on ne peut pas faire le reproche à Benjamin Netanyahou
16:05 d'avoir été clair sur l'ambition qui est la sienne.
16:08 Je pense personnellement qu'il en a deux.
16:10 La première, c'est éradiquer complètement le Hamas.
16:13 Ce sur quoi l'ensemble de ses partenaires américains et européens
16:17 considèrent que c'est totalement utopique.
16:20 On peut se fixer comme objectif de réduire le plus possible
16:24 la hiérarchie du Hamas, les responsables du Hamas,
16:27 mais éradiquer le Hamas, c'est un objectif qui ne peut être
16:31 d'ordinairement lointain et certainement pas uniquement un objectif militaire.
16:35 Je pense que...
16:39 Il y a un deuxième objectif de Benjamin Netanyahou.
16:42 Il y en a même deux autres.
16:44 - La colonisation de Gaza ?
16:45 - Le deuxième, c'est poursuivre la politique de colonisation.
16:50 Pourquoi ? Son gouvernement ne peut pas tenir
16:53 si les ultra-nationalistes n'ont pas cette perspective
16:57 de renforcer la colonisation en Cisjordanie,
17:01 peut-être même l'élargir à Gaza si on arrive à réduire
17:05 la présence des Palestiniens,
17:08 et, objectif principal, empêcher la création d'un État palestinien.
17:14 C'est-à-dire refuser tout processus politique.
17:17 - Vous pensez que Benjamin Netanyahou, aujourd'hui,
17:19 refuse volontairement tout processus politique ?
17:23 - C'est la constante de la politique menée par Benjamin Netanyahou.
17:29 Toute sa vie est marquée par le souci d'écarter.
17:32 Rappelez-vous, au lendemain de l'assassinat d'Issa Krabin,
17:35 son objectif, pas de création d'un État palestinien.
17:38 Une fois qu'on a compris ça, on a compris qu'il ne pouvait pas
17:41 être l'homme de la situation dans la durée.
17:44 C'est-à-dire qu'Israël, aujourd'hui, est tenu par un Premier ministre
17:48 qui dirige un gouvernement, qui cherche à survivre,
17:51 à se survivre à lui-même, mais qui surtout cherche à bloquer
17:54 tout processus politique. Nous savons que cette région,
17:57 et qu'Israël, ne pourra vivre en sécurité qu'avec une perspective politique,
18:01 qu'avec la création d'un État palestinien.
18:04 C'est pour ça qu'aujourd'hui, la question "ne faut-il pas inverser
18:07 le processus de paix tel que nous l'avons toujours connue ?"
18:10 On a toujours imaginé qu'il fallait régler un certain nombre de questions
18:13 difficiles, certes, les réfugiés, l'eau, les frontières,
18:16 et qu'à la fin se poserait la création de l'État palestinien.
18:19 Aujourd'hui, la conviction qui est en train de se répandre,
18:22 y compris en Europe, c'est qu'il faudrait d'abord
18:25 reconnaître l'État palestinien. - Oui, vous demandez à la France,
18:28 maintenant, de reconnaître l'État palestinien. - Absolument.
18:31 Je crois que Emmanuel Macron doit regarder
18:34 la réalité internationale en face, et qu'il doit corriger une politique
18:37 qui, depuis le départ, a été déséquilibrée sur cette région,
18:40 ce qui, pour la diplomatie française, pose de très nombreux problèmes.
18:44 Et la façon de le corriger, c'est de participer,
18:47 avec des pays comme l'Espagne, avec l'Irlande,
18:50 de participer à ce mouvement en faveur de la reconnaissance
18:53 de l'État palestinien. Je note que ce n'est pas un problème
18:56 de principe pour la France, puisque la France a voté
18:59 à l'Assemblée générale pour la reconnaissance
19:02 de cet État palestinien. Donc ce n'est pas la question de fond
19:05 qui se pose, c'est la question d'opportunité. Je pense qu'aujourd'hui...
19:08 - Qu'on manque de courage politique, là ? - Non, non.
19:11 - Ou de vision éclairée ?
19:14 - C'est une question de lucidité.
19:17 C'est-à-dire qu'il faut comprendre que le principal
19:20 verrou aujourd'hui, c'est l'entêtement
19:24 de Benjamin Netanyahou, c'est le gouvernement israélien
19:27 qui, aujourd'hui, ne veut pas avancer. Regardons la situation,
19:30 si vous le voulez bien, parce qu'il faut essayer d'être le plus...
19:33 avec beaucoup d'humilité, d'être le plus global possible.
19:36 Il y a quatre échecs pour Israël.
19:39 Et c'est une inquiétude pour tous ceux qui pensent
19:42 qu'il est essentiel de défendre la sécurité d'Israël.
19:45 Le premier échec, c'est un échec en matière de sécurité,
19:48 c'est le 7 octobre, où, parce qu'on a dégarni
19:51 les abords de Gaza pour renforcer les effectifs
19:54 en Cisjordanie, le 7 octobre a été rendu possible.
19:57 Défaut de renseignement et défaut d'anticipation.
20:00 Il y a un échec militaire. On voit bien, ça fait plus de sept mois
20:03 que l'armée israélienne patrouille dans tous les sens
20:06 la bande de Gaza avec des destructions
20:09 incroyables. Aujourd'hui, quel est le résultat ?
20:12 On voit bien qu'ils quittent le nord du territoire
20:15 pour aller dans le sud, les milices du Hamas
20:18 repoussent dans le nord, ils retournent dans le nord,
20:21 les populations sont brincballées d'un côté et de l'autre.
20:24 Sur le plan militaire, il y a là, aujourd'hui,
20:27 une situation qui, on le voit bien, est véritablement
20:30 dans une impasse. Il y a, par ailleurs,
20:33 une impasse politique. On ne voit pas
20:36 comment le processus peut, aujourd'hui,
20:39 se débloquer. C'est une guerre sans fin qui est engagée, c'est une guerre
20:42 sans perspective et donc c'est le désespoir qui, à un moment donné,
20:45 va conduire cette guerre à s'élargir, à devenir régionale.
20:48 C'est peut-être ce que souhaite Benjamin Netanyahou parce qu'il connaît
20:51 la menace qui pèse du côté du Liban,
20:54 il connaît la menace des milices irakiennes et syriennes,
20:57 il connaît la menace du côté des Houthis et surtout de l'Iran.
21:00 Donc, est-ce que l'arrière-pensée, c'est d'élargir
21:03 le conflit ? Et puis, enfin,
21:06 il y a un échec diplomatique. L'isolement d'Israël,
21:09 ça croît tous les jours. Je veux bien croire qu'Israël,
21:12 le gouvernement israélien, s'en moque et que
21:15 la résolution et la détermination d'Israël
21:18 est suffisamment grande pour gérer tout, tout seul.
21:21 Mais quand on voit que les Américains sont amenés, aujourd'hui, à suspendre
21:24 des livraisons de bombes, des bombes
21:27 d'une tonne, je ne sais pas si vous imaginez
21:30 les dégâts que cela fait, des bombes d'une tonne
21:33 sur un territoire qui est déjà ravagé, et bien,
21:36 on voit bien qu'on est au bout de quelque chose et qu'il
21:39 est urgent de transformer ces violences,
21:42 de transformer la guerre en un processus politique.
21:45 C'est ce que doit faire tout
21:48 responsable. Obséder à l'idée de changer
21:51 la situation. - Dominique de Villepin, dans votre analyse
21:54 de la situation, que faites-vous du Hamas et de sa volonté
21:57 d'éradiquer l'État israélien,
22:00 d'éradiquer l'État juif ? Que faites-vous du Hamas ?
22:03 - Nous sommes confrontés au problème historique
22:06 auquel tout État est confronté
22:09 face au terrorisme. Je l'ai répété
22:12 et c'est peut-être l'engagement le plus constant qui a été le mien en matière diplomatique
22:15 depuis 25 ans, d'expliquer aux Américains que la guerre
22:18 contre le terrorisme conduisait à plus de terrorisme
22:21 et plus de chaos. L'idée qu'on mène
22:24 la dernière guerre, l'idée qu'on mène le dernier combat
22:27 et qu'à la fin on sera tranquille et qu'on vivra en paix
22:30 parce qu'on aura réduit en miettes l'ennemi,
22:33 dans un monde mondialisé, c'est une utopie
22:36 totale. Et c'est l'inverse qui se produit.
22:39 À un moment donné, il faut ouvrir les yeux. Est-ce qu'Israël est aujourd'hui ?
22:42 Nous sommes en mai.
22:45 Plus en sécurité qu'il y a sept mois. Je n'en suis pas
22:48 du tout sûr. Je n'en suis pas du tout sûr. Et c'est en cela
22:51 qu'il faut, à un moment donné, être
22:54 capable de poser le canon et de se dire
22:57 "bon, quelle est la bonne
23:00 solution ?" Je ne dis pas qu'Israël doit arrêter
23:03 de poursuivre le Hamas. Je dis qu'Israël doit
23:06 tout en poursuivant le Hamas, engager un processus
23:09 politique quand les Américains se posent deux questions
23:12 avec les Européens. La question du jour d'après. Parce qu'aujourd'hui
23:15 on n'a aucune idée de ce que sera Gaza
23:18 Le jour, imaginons demain qu'on obtienne la tête
23:21 de Signor et de Mohamed Def. Comment on gère Gaza ?
23:24 Les Américains ont fait des propositions. Les Américains
23:27 offrent une perspective. Ils offrent la perspective d'une
23:30 normalisation entre l'Arabie Saoudite et Israël
23:33 qui, chance, complètement la donne dans la région, mais
23:36 à une condition posée par l'Arabie Saoudite, c'est qu'il y ait la création
23:39 d'un État palestinien. Pour ça, il faut préparer le jour d'après
23:42 à Gaza, parce que ça suppose une force des Nations Unies
23:45 qui soit capable de gérer ce territoire dans un
23:48 cadre onusien et qui en même temps se déploie
23:51 en Cisjordanie et à Jérusalem. Et puis il faut
23:54 se poser la question du processus de paix et à juste titre
23:57 aujourd'hui les pays arabes disent "reconnaissons l'État palestinien
24:00 internationalement et à partir de là, la sécurité
24:03 d'Israël pourra être garantie par un véritable État
24:06 capable de prendre ses responsabilités". Ça suppose qu'on ait
24:09 un État locuteur palestinien, j'en conviens. On a le choix
24:12 d'accepter de prendre l'autorité palestinienne
24:15 là où elle est et comme elle est, avec toutes ses insuffisances
24:18 pour lui injecter du sang neuf, et il y a un certain nombre de personnalités
24:21 qui peuvent jouer un rôle, mais en tout état de cause
24:24 il faut changer de braquet et il faut changer
24:27 la nature des choses, passer du militaire
24:30 au politique. - Deux questions rapides
24:33 pour terminer, Dominique de Villepin. Est-ce que vous irez voter
24:36 aux européennes le 9 juin ? - Oui, j'irai voter, bien sûr. - Pour quelle liste ?
24:39 - Ça, j'attends les débats.
24:42 - Vous n'êtes pas décidé aujourd'hui ?
24:45 - Non, je n'ai pas tranché et surtout
24:48 je pense que
24:51 et j'espère que le débat va enfin se nouer
24:54 sur les problèmes qui concernent le plus
24:57 les Français, qui sont les grands enjeux de souveraineté
25:00 pour la France et pour l'Europe. - Mais quel débat attendez-vous ?
25:03 Le débat à Tal-Bardella, par exemple ? - Ça fait partie
25:06 du jeu, mais disons, attendons véritablement
25:09 que tout soit sur la table
25:12 pour savoir ce qui sont le mieux à même
25:15 de porter la défense
25:18 des intérêts de la France en Europe et une vision de l'Europe
25:21 à un moment stratégique pour l'évolution de l'Europe.
25:24 Dans les prochaines années, c'est la question de l'élargissement
25:27 qui va se poser, qui va changer la nature de l'Europe.
25:30 - Vous êtes favorable à l'élargissement ? - C'est la question de la réforme institutionnelle.
25:33 Je suis favorable à l'élargissement
25:36 compte tenu des drames que vivent l'ensemble de ces pays
25:39 mais à des conditions qui garantissent à cette Europe
25:42 de pouvoir fonctionner. Si l'Europe ne se reprend pas sur une base
25:45 beaucoup plus resserrée d'État, capable de
25:48 déterminer un processus de décision,
25:51 de reprendre en main véritablement les grands enjeux et de faire en sorte
25:54 que cette Europe marche, on voit bien ses insuffisances en matière budgétaire,
25:57 en matière de marché financier, en matière d'immigration,
26:00 il y a là toute une série de sujets qui doivent être enfin traités.
26:04 - Donc vous prononcerez le dernier jour ?
26:07 - Vous m'inviterez la veille !
26:10 - Merci Dominique de Villepin d'être venu nous voir.
26:13 Il est 8h59, vous êtes sur Sud Radio, 0826 300 300 pour réagir évidemment.